Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIV - n° 1 - janvier-février-mars 2014 33
La cardiomyopathie cirrhotique
Dysfonction systolique
Elle est habituellement latente, mais elle peut être mise
en évidence par un test d’effort pharmacologique,
après la mise en place d’un Transjugular Intrahepatic
Portosystemic Shunt (TIPS) ou après une transplan-
tation hépatique (TH). Il s’agit d’une incompétence
chronotrope et inotrope, car le cœur est incapable de
soutenir la demande en assurant un débit cardiaque
et une PAM adéquats. On observe une élévation des
pressions télédiastoliques du ventricule gauche (VG)
sans l’augmentation attendue de l’index cardiaque ni de
la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG). Le VG
reste incapable de surmonter une élévation brutale de
la postcharge. Cette hyporéactivité du VG est corrélée à
la sévérité de la cirrhose (11). F. Wong et al., en étudiant
l’effet de l’exercice physique chez les cirrhotiques, ont
constaté une élévation de la FEVG à 14 %, versus 66 %
chez des témoins sains, alors que les valeurs au repos
des 2 groupes étaient similaires (12). La dysfonction sys-
tolique peut être mise en évidence après une perfusion
de terlipressine (13), d’angiotensine II (9) ou après une
TH (14). K. Kanzankov et al. rapportent des arguments
physiologiques suggérant que la dysfonction systolique
peut être observée même au repos (15). Des anomalies
morphologiques des cavités cardiaques ont été mises
en évidence, à savoir : hypertrophie ventriculaire gauche
et épaississement du septum intraventriculaire.
La dysfonction systolique a été impliquée dans la
physio pathogénie de la rétention hydrosodée, la for-
mation d’ascites et le syndrome hépatorénal (9, 16, 17).
Elle est donc un élément pronostique de la cirrhose.
Dysfonction diastolique
C’est le phénomène le plus fréquent. Son diagnostic est
échocardiographique. Sa prévalence oscille entre 45 et
66 % et est plus importante chez les patients en phase
de décompensation (18). Les critères diagnostiques
sont les suivants :
✓rapport E/A < 1 ;
✓temps de relaxation isovolumétrique > 80 ms ;
✓temps de décélération > 200 ms.
F. Wong et al. (18) ont retrouvé une association entre
la dysfonction diastolique et la présence d’une ascite,
d’un syndrome hépatorénal et la survie. E.W. Holt
et al. (19) ont mis en évidence qu’un rapport E/A < 1
était prédictif d’une TH ou d’un décès dans les 5 ans.
V. Raizada et al. ont montré que l’angiotensine II inhibe
la dégradation du collagène et que ses dépôts sont
associés à une hypertrophie du VG, ce qui est un facteur
de risque d’insuffisance cardiaque tant systolique que
diastolique (20).
Cette dysfonction diastolique est souvent associée à des
anomalies cardiaques morphologiques : épaississement
du septum interventriculaire et/ou de la paroi posté-
rieure du VG, dilatation de l’oreillette gauche. Sur le plan
histologique, on retrouve un œdème et une fibrose,
responsables de la rigidité pariétale myocardique et
d’une hypertrophie ventriculaire gauche.
L’examen de référence reste l’échocardiographie. La
dysfonction diastolique est rarement isolée. Elle est
souvent associée à des anomalies subtiles de la fonc-
tion systolique qui contribuent à la physiopathologie
de l’insuffisance cardiaque avec FEVG normale (21).
Le TDI (Tissue Doppler Imaging) est un outil échocar-
diographique très utile pour quantifier la fonction
systolique et diastolique, mais il est limité, car il est
angle-dépendant (22). Le speckle tracking est une nou-
velle technique échocardiographique qui rend pos-
sible l’étude du tissu myocardique dans différentes
Tableau I. Critères diagnostiques et support de la cardiomyopathie cirrhotique selon l’atelier de
Montréal
(9)
.
Définition : dysfonction cardiaque chez des patients cirrhotiques, caractérisée par une réponse
contractile altérée au stress ou une altération de la relaxation diastolique associées à des anomalies
électrophysiologiques en l’absence d’autre cardiopathie connue
Critères diagnostiques
❯ Réponse systolique contractile anormale au stress
❯ Dysfonction diastolique au repos
❯ Absence d’anomalie cardiopulmonaire significative
Dysfonction systolique : au moins 1 des 2 critères suivants
❯ Augmentation du débit cardiaque atténuée à l’effort, ou en cas de stress volémique ou
pharmacologique
❯ Fraction d’éjection au repos < 50 %. Absence de signes d’insuffisance cardiaque au repos
Dysfonction diastolique
❯ E/A < 1 (corrigé selon l’âge). Sur le profil diastolique en échocardiographie, la vitesse maximale
de remplissage du VG, appréciée par le pic de vélocité de l’onde E (early : précoce), et la
contraction auriculaire, qui produit une deuxième accélération du flux entrant dans le VG,
appelée onde A (atrial : auriculaire) peuvent être mesurées. Une altération de la relaxation
se manifeste par une inversion (< 1) du rapport E/A
❯ Temps de décélération de l’onde E prolongé (> 200 ms)
❯ Temps de relaxation isovolumique prolongé (> 80 ms)
Critères supplémentaires
❯ Anomalies électrophysiologiques
❯ Réponse chronotrope anormale
❯ Allongement de l’intervalle QTc
❯ Dysfonction autonome
❯ Oreillette gauche élargie
❯ Augmentation de la masse myocardique et de l’épaisseur de la paroi du VG
❯ Augmentation du pro-BNP, du BNP, de l’ANP et de la troponine
❯ Allongement de l’intervalle QT
❯ Augmentation de la masse myocardique et de l’épaisseur de la paroi du VG
❯ Augmentation du pro-BNP, du BNP, de l’ANP et de la troponine
ANP :
Atrial Natriuretic Peptide
(peptide auriculaire natriurétique) ; BNP :
Brain Natriuretic Peptide
(peptide cérébral natriu-
rétique) ; VG : ventricule gauche.
CT-n1-janv-fév-mars 2014-B.indd 33 26/03/14 11:36