L’Encéphale (2010) Supplément 6, S202–S205 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Troubles affectifs bipolaires : modèles et bilan des approches psychothérapeutiques Bipolar affective disorders: Models and assessment of psychological treatments M. Maurel(a)*, J.-M. Azorin(a), M. Adida(a), E. Fakra(a), R. Richieri(a), T. Bottai(b), D. Pringuey(c), A. Kaladjian(d) (a) (b) (c) (d) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 270 bd de Ste Marguerite 13274 Marseille cedex 9 CH Vallon, chemin des Rayettes, BP 248, 13500 Martigues Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, Abbaye de St Pons, Pôle de neurosciences Cliniques, CHU Pasteur, Nice CHRU Hôpital R. Debré, av. Général Koenig, 51092 Reims MOTS CLÉS Trouble bipolaire ; Traitements psychologiques ; Psychoéducation ; Thérapies comportementales et cognitives ; Thérapies familiales comportementales ; Thérapies interpersonnelles KEYWORDS Bipolar disorder; Psychological treatment; Psychoeducation; Cognitive and behavioural therapies; Familiy education; Interpersonal therapies Résumé Une abondante littérature a vu le jour ces cinq dernières années sur les thérapies psychologiques destinées aux patients atteints de troubles de l’humeur bipolaires. Psychoéducation, thérapies comportementales et cognitives, thérapies familiales comportementales et thérapie interpersonnelle ont démontré leur efficacité en association avec le traitement médicamenteux thymorégulateur. Toutes ces interventions ont en commun un socle psycho-éducatif associé à des spécificités toujours en relation avec le modèle transnosographique de vulnérabilité de Zubin et Spring ainsi qu’avec des techniques élémentaires de thérapie comportementale et cognitive. L’accent est mis sur l’observance médicamenteuse, l’importance du style de vie, la reconnaissance précoce des symptômes ainsi que sur l’intervention médicamenteuse rapide. Les bénéfices de ces interventions sont multiples, en particulier sur les symptômes résiduels et donc la qualité de vie des patients, ainsi que sur la prévention des récurrences dépressives que les traitements médicamenteux seuls contrôlent mal. Leur efficacité dans la prévention des rechutes maniaques et sur l’observance est également établie. Ces avantages apparaissent suffisamment concordants et robustes sur le plan scientifique pour espérer les voir apparaître de façon plus détaillées dans les prochaines recommandations concernant le traitement des troubles bipolaires. © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. Abstract Psychological therapies dedicated to bipolar patients have attracted major interest and many publications have been devoted to them in the last five years. The efficiency of Psychoeducation, Cognitive and behavioral therapy, Behavioral family therapy and Interpersonal and Social Rhythm Therapy, have specially been focused on. These approaches share a common background of psychoeducation and are closely linked with the transnosographical model from Zubin and Spring as well as basic behavioral and cognitive technical requirements. All these therapies focus on medication adherence, regular lifestyle, early recognition of relapse and early pharmacologic intervention. There are some differences between advantages from each approach, but the overall effect is positive in enhancing medication adherence and preventing manic relapses, and also in preventing depressive episodes and improving quality of life. These robust and corroborating results should probably be integrated in future guidelines for the management of bipolar disorders. © L’Encéphale, Paris, 2010. All rights reserved. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés. Troubles affectifs bipolaires : modèles et bilan des approches psychothérapeutiques Introduction La littérature concernant l’apport des approches psychothérapeutiques dans le traitement des troubles bipolaires est récente et la majorité des publications scientifiques dans ce domaine est apparue dans les cinq dernières années. Différentes approches ont été évaluées et sont fondées sur un même socle, celui du modèle de vulnérabilité au stress développé par Zubin et Spring en 1977 [22]. Ce modèle qui concernait initialement la schizophrénie est peu à peu devenu transnosographique et s’applique particulièrement facilement aux troubles bipolaires, ces deux pathologies pouvant être considérées comme deux extrémités d’un même spectre. Les interventions psychologiques documentées sont au nombre de quatre : • psychoéducation ; • thérapies comportementales et cognitives ; • thérapies familiales comportementales ; • thérapies interpersonnelles et des rythmes sociaux. En pratique, ces distinctions ne sont pas totalement fondées dans la mesure où tous ces programmes ont un socle commun de psychoéducation, d’éducation à la maladie bipolaire [18]. Si l’amélioration de l’observance médicamenteuse, classiquement mauvaise, dans les troubles bipolaires est un objectif de première intention, l’enjeu de ces thérapeutiques non médicamenteuses ne s’y limite pas. Au-delà de l’observance, ce sont la qualité de vie des patients ainsi que leur capacité à mettre en place des stratégies de prévention des rechutes qui sont des cibles privilégiées. Il apparaît de plus dans la littérature qu’il existe une véritable synergie entre le traitement médicamenteux et le traitement psychologique chez les patients atteints de troubles bipolaires pour qui la prévention des rechutes ne représente qu’une partie de la prise en charge, les troubles en période intercritique, moins bruyants, étant responsables d’une invalidation préoccupante. Utilisation des modèles psychoéducatifs Certaines caractéristiques des modèles proposés aux patients sont nécessaires afin de permettre une collaboration efficace. Ces modélisations doivent être considérées comme vraies par le thérapeute, c’est-à-dire conforme aux données actuelles de la science et vraies pour le patient, c’est-à-dire compatibles avec leur expérience des troubles, leur culture et leur capacité de compréhension. Ils doivent en outre être opérants et permettre une compréhension de la maladie par le patient ainsi que des actions préventives ou curatives. Enfin, ils doivent permettre de promouvoir des perspectives positives. Le « thymostat » L’insight ou la capacité à se reconnaître comme porteur d’une pathologie est altéré dans les troubles bipolaires. En période de rémission, 47 % des patients présentent un S203 défaut d’insight [18]. Ceci est plus marqué au début de la maladie, les symptômes étant plus volontiers attribués à l’événement déclencheur qu’à une vulnérabilité endogène. La première étape d’une approche psychoéducative est une approche purement informative. Cette information initiale doit permettre au patient d’avoir une conception de ce qu’est cette pathologie et de la reconnaître chez lui. Lors de cette première étape il est utile de faire appel à la notion de thymostat, non au sens discuté d’une région cérébrale anatomique qui en serait le siège, mais au sens d’un système de régulation de l’humeur. Ainsi, ce thymostat permet chez quelqu’un qui n’est pas porteur de troubles de l’humeur d’avoir une humeur qui varie dans une zone restreinte, qui s’affaisse lors d’événements de vie négatifs et s’élève lors d’événements de vie positifs. Chez un patient atteint de troubles bipolaires, d’une part la zone de variation est plus large et d’autre part la valence positive ou négative de l’événement de vie peut ne pas être concordante avec les modifications de l’humeur. Le modèle de vulnérabilité Ce modèle fait intervenir une vulnérabilité particulière du patient, des facteurs environnementaux stressants ainsi que des facteurs protecteurs. L’interaction et le poids respectif de ces trois éléments vont déterminer l’émergence de symptômes. La vulnérabilité Cette vulnérabilité, plus volontiers présentée comme une sensibilité particulière est la résultante de nombreux facteurs : génétiques, éducatifs, traits de personnalité et événements de vie traversés. Elle a l’avantage de pouvoir être présentée aussi de façon positive, associée à une créativité particulière par exemple. À ce titre, les exemples de personnages célèbres de l’histoire porteurs de troubles bipolaires sont un facteur probablement important dans la reconnaissance du trouble, l’adhésion au diagnostic et la création de perspectives positives. Les facteurs environnementaux stressants Certains facteurs sont classiques et peuvent être facilement reconnus par les patients. Au-delà des toxiques, des événements de vie positifs ou négatifs, des grands changements de vie, il est parfois possible de déterminer avec le patient et éventuellement son entourage certains stresseurs spécifiques à une personne, par exemple une saison, et permettre une prévention de la rechute précoce. Les facteurs protecteurs Le traitement médicamenteux, le repérage des facteurs de stress ainsi que des signes précoces et toutes les stratégies d’ajustement comportementales ou médicamenteuses, les mesures d’hygiène de vie etc. Ces modèles sont des supports de travail en collaboration avec les patients ainsi, le cas échéant, qu’avec leur famille ou leur compagnon de vie. Le travail en lui-même ainsi que l’apprentissage de données médicales repose dans toutes les études documentées sur des techniques cognitives et comportementales de base. M. Maurel et al. S204 Programmes et résultats Les principales études documentées peuvent être classées en quatre grandes orientations. Cette distinction est parfois difficile et dans tous les cas les techniques psychothérapeutiques de base sont semblables. En dehors des informations strictement médicales ou concernant les traitements médicamenteux elles ont en commun de permettre la reconnaissance précoce des prodromes et de mettre l’accent sur l’importance d’un style de vie régulier [13]. Elles s’adressent principalement à des patients stabilisés, à distance d’un épisode thymique ou à son décours. Psychoéducation Plusieurs programmes dits psychoéducatifs ont été évalués. Leur durée globale ainsi que le rythme des séances est variable. Ces programmes sont en règle générale des programmes proposés à des groupes de patients. Leur durée minimum est de deux mois, maximum de six mois et des séances de rappel sont intégrées après la formation initiale. L’accent est mis sur l’information, le repérage des facteurs potentiellement stressants, la reconnaissance des signes précoces de rechutes et l’apprentissage de stratégies d’ajustement. Les résultats sont très positifs et concordants sur certains paramètres. En particulier ils permettent : • d’améliorer l’observance du traitement médicamenteux, observance qui peut lorsque le traitement s’y prête, comme dans le cas du Lithium, être objectivée par des taux plasmatiques plus stables chez les patients ayant bénéficié du groupe de psychoéducation comparativement aux sujets témoins [3, 5, 7, 19] ; • de réduire le taux d’hospitalisation [3, 6, 19] ; • de augmenter le délai avant une récidive, maniaque ou dépressive [3, 4, 6] ; • de réduire la fréquence des épisodes maniaques et hypomaniaques [3, 6, 7] ; • de réduire le nombre de jours symptomatiques [6] ; • d’améliorer la qualité de vie [3, 6, 10] ; • de réduire les coûts de santé [16]. Thérapies comportementales et cognitives Ces traitements psychologiques, individuels ou en groupe ont également fait la preuve de leur efficacité dans : • la réduction du nombre de rechutes maniaques ou hypomaniaques [11] ; • la réduction du nombre des hospitalisations ; • la diminution du nombre des épisodes dépressifs [17, 21]. Thérapies familiales comportementales Au-delà de l’information donnée aux proches, ces thérapies familiales souvent proposées à des groupes de familles permettent de réattribuer des comportements à la maladie bipolaire et non à la personne atteinte de ces troubles. L’un des mécanismes évoqués est celui de la réduction du niveau d’émotion exprimée dans ces familles, en particulier sur le plan des critiques et de l’implication émotion- nelle. En effet, un niveau élevé d’émotion exprimée dans l’entourage du patient est un facteur de stress favorisant les rechutes. Il a été montré que la participation à de tels groupes permettait de réduire le niveau d’émotion exprimée dans les familles et de réduire le nombre de rechutes [11, 12, 14, 15, 19, 21]. Dans la même lignée s’inscrivent les thérapies destinées à la dyade formée par le patient et son compagnon de vie. Les résultats sont également positifs. Thérapies interpersonnelles et des rythmes sociaux Cette approche brève, limitée dans le temps, contractualisée par un nombre prédéfini de séances, met l’accent sur les difficultés rencontrées par les patients dans leurs relations interpersonnelles. Quatre points clés sont abordés : psychoéducation, régularisation des rythmes sociaux et des altérations chronobiologiques, l’acceptation d’une pathologie, et la résolution des dysfonctionnements interpersonnels liés à la maladie bipolaire tels que les deuils non résolus, les conflits interpersonnels, les changements de rôle et l’isolement. Les thérapies interpersonnelles semblent particulièrement utiles dans la prévention et la gestion des épisodes maniaques mais aussi des épisodes dépressifs, permettant aux patients de bénéficier tout à la fois d’une meilleure intégration sociale et d’une meilleure qualité des phases intercritiques [11, 12, 14, 17]. Cette brève revue n’est pas exhaustive et d’autres approches, pour l’instant anecdotiques, tels que des programmes utilisant un support informatique et internet sont en cours de développement ou encore des stratégies psychodynamiques. Ces voies n’ont pas encore été évaluées sur le plan de l’efficacité dans une dimension particulière mais semblent prometteuses [8]. Similitudes et spécificités Quel que soit l’abord choisi, il existe certaines constantes, telles que l’amélioration de l’observance, l’accent sur les rythmes de vie réguliers ainsi que des règles d’hygiène de vie, la reconnaissance des prodromes et la précocité de l’intervention médicamenteuse [4]. La notion de collaboration est au centre de ces approches, et le concept de soin collaboratif est utilisé par certains, utilisant pour les patients des guides thérapeutiques simplifiés, un travail de perfectionnement des habiletés sociales et des stratégies d’ajustement aux stresseurs ainsi que la facilitation d’un accès aux soins le plus rapide possible [1]. D’une manière générale les programmes longs semblent avoir une efficacité supérieure et plus durable que les programmes courts, en particulier sur les coûts de santé [3, 20]. Plusieurs auteurs se sont également intéressés aux caractéristiques des patients les plus susceptibles de bénéficier de ces approches psychoéducatives. L’existence d’antécédents familiaux, une bonne qualité de réponse au traitement prophylactique, une bonne observance ainsi que le caractère mixte des épisodes sont autant de points favorables à l’instauration, au suivi et au bénéfice des thé- Troubles affectifs bipolaires : modèles et bilan des approches psychothérapeutiques rapies psychologiques [2]. Le rôle du nombre d’épisodes antérieurs est en revanche plus controversé [2, 9]. Certaines spécificités peuvent cependant être dégagées : • les stratégies psychoéducatives montent l’effet le plus robuste sur la prévention des rechutes, en particulier maniaques ou hypomaniaques [11, 21] ; • les thérapies cognitivo-comportementales, familiales et interpersonnelles montrent une efficacité supérieure dans la prévention et le traitement des épisodes dépressifs [11] ; • les thérapies familiales et les thérapies interpersonnelles seraient plus efficaces dans la prévention des récurrences lorsqu’elles sont mises en place précocement après un épisode aigu [11] ; • les thérapies cognitivo-comportementales et la psychoéducation auraient une efficacité supérieure, en particulier sur les symptômes résiduels, lorsqu’elles sont proposées à distance des épisodes, chez des patients euthymiques et stables [11]. Conclusion Il apparaît clairement que les différentes approches psychologiques codifiées et évaluées agissent en synergie avec le traitement médicamenteux qui, même s’il est observé correctement ne permet pas de prévenir toutes les rechutes. Ces stratégies ont l’avantage considérable au-delà de la réduction du nombre d’épisodes, de permettre une meilleure qualité de l’intervalle libre entre deux épisodes. Les points clés récurrents sont l’acceptation de l’existence d’une pathologie, avec ses avantages et ses inconvénients, l’importance de la régularité des rythmes biologiques dans la prévention des rechutes et la qualité de l’intervalle libre, le repérage de la rechute soit précoce par l’identification des stresseurs, soit plus tardive par l’identification des prodromes, enfin l’apprentissage de stratégies d’ajustement comportementales ou médicamenteuses aux stresseurs et aux prodromes. La prépondérance des thérapies de groupe de pairs, patients ou familles, est probablement le reflet du rôle du soutien des pairs dans l’efficacité de ces prises en charges. Les modèles psychoéducatifs et les stratégies qui en découlent apportent clairement un bénéfice individuel, tant dans la réduction du nombre d’épisodes que dans la qualité du fonctionnement social dans les périodes intercritiques. Elles sont également globalement profitables à la collectivité en terme de coûts de santé et les investissements qu’elles nécessitent initialement ont fait la preuve de leur rentabilité sur une période plus longue ainsi que le démontrent les évaluations faites cinq ans après leur mise en place. Il faut souhaiter que ces bénéfices individuels et collectifs démontrés vont conduire les autorités de santé à soutenir la diffusion de programmes psychoéducatifs pour les patients atteints de troubles bipolaires. Références [1]Bauer MS, Biswas K, Kilbourne AM. 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