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L’Encéphale (2010) Supplément 5, S104–S107
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journalhomepage: www.elsevier.com/locate/encep
Dépression : concepts actuels
Depressions: current concepts
E. Corruble
INSERM U 669, Faculté de Médecine Paris-Sud, Service de psychiatrie, CHU de Bicêtre, AP-HP, 78, rue du Général Leclerc,
94230 Le-Kremlin-Bicêtre, France
Résumé Depuis les années 1980, avec la mise à disposition de nouveaux antidépresseurs, dits de
deuxième génération, on a assisté à une accélération de développement des connaissances et à une
amélioration des pratiques dans le champ des troubles dépressifs. D’une perspective à court terme
focalisée sur l’épisode dépressif, on a évolué vers une approche à long terme, conduisant à définir
notamment les notions de rechute et de récurrence. On a également affiné progressivement la description
des différentes modalités évolutives des épisodes dépressifs sous traitement avec les notions de rémission
complète, de rémission partielle, de guérison ou de symptômes résiduels.
Ces définitions sont aujourd’hui intégrées dans les pratiques diagnostiques et thérapeutiques. Elles servent
également de socle descriptif aux études actuelles qui visent à mieux comprendre la physiopathologie des
troubles dépressifs et qui ouvriront certainement de nouveaux progrès thérapeutiques dans ce domaine.
L’Encéphale, Paris, 2010.
MOTS CLÉS
Dépression ;
Rechute ;
Récurrence ;
Rémission ;
Guérison ;
Symptômes résiduels
KEYWORDS
Depression;
Relapse;
Recurrence;
Response;
Remission;
Recovery;
Residual symptoms
Summary Since the eighties, the discovery of second generation antidepressants has led to an
improvement of knowledge and practices in the field of major depressive disorders. From a short term
perspective focusing on the major depressive episode, a long term approach of major depressive disorders
has emerged with definitions of relapses and recurrences. The outcome of major depressive disorders
under treatment has also been focused on, with the description of partial or complete remission, recovery
or residual symptoms.
Nowdays, these definitions are used in daily practice. They are also used as phenotypic descriptions of
physiopathologic studies of major depressive disorders, which will certainly enable new therapeutic
improvements in this area.
L’Encéphale, Paris, 2010.
* Correspondance.
E-mail : [email protected] (E. Corruble)
Introduction
La découverte de l’électroconvulsivothérapie puis des pre-
miers médicaments antidépresseurs (imipraminiques et
inhibiteurs de la monoamine oxydase) dans les années 1950
a stimulé les cliniciens dans la description clinique des
troubles dépressifs et les chercheurs pour la compréhen-
sion étiopathogénique de ces troubles. La compréhension
de la dépression a d’abord été axée sur l’épisode dépressif
comme un épisode aigu, survenant soit dans un contexte
Dépression : concepts actuels S105
« névrotico-réactionnel » ou « exogène », soit dans un
contexte plus « endogène » c’est-à-dire biologique [5]. On
soignait alors volontiers les épisodes dépressifs les plus
sévères par un traitement biologique (électroconvulsivo-
thérapie ou médicaments), les autres épisodes par un trai-
tement psychothérapique. On interrompait volontiers les
traitements biologiques lorsque les symptômes dépressifs
diminuaient signicativement.
Au cours des années 1980, on a assisté, avec le dévelop-
pement et la mise sur le marché de nouveaux antidépres-
seurs, dits de deuxième génération, à une accération du
veloppement des connaissances et à une amélioration des
pratiques. Les progrès que ces molécules ont permis de réali-
ser en termes de torance et de maniabilité ont en effet
ouvert de nouvelles perspectives. Ces progrès ont d’ailleurs
été associés d’une part, aux progrès de l’épidémiologie mar-
qués notamment par l’incapaci à valider le classique mole
opposant dépression « névrotico-réactionnelle » et dépres-
sion « endone » et d’autre part, aux progrès des techniques
objectives comme l’imagerie cérébrale et la biologie.
Ainsi, la compréhension des troubles dépressifs a évolué
progressivement : d’une perspective à court terme focali-
sée sur l’épisode dépressif, on a évolué vers une approche à
long terme : on sait en effet que les troubles dépressifs
majeurs unipolaires sont pour la plupart d’entre eux des
troubles récurrents. Les maladies dépressives sont mainte-
nant considérées comme des troubles chroniques aussi inva-
lidants que le diabète ou l’hypertension artérielle. On sait
ainsi que les troubles dépressifs unipolaires seront classés
au 2e rang mondial des pathologies en termes de coût global
au cours de la prochaine décennie et au 1er rang en 2030.
Les concepts utilisés aujourd’hui ont été dénis prag-
matiquement au cours des 30 dernières années par des
consensus d’experts basés sur les résultats de quelques
études cliniques.
L’épisode dépressif majeur ou caractérisé a fait l’objet
d’une dénition opérationnelle dans le DSM [2] (Tableau 1).
La dénition de la Classication Internationale des
Maladies [15] a été progressivement harmonisée avec celle
du DSM.
La sévérité d’un épisode dépressif est un concept dont
il est difcile de proposer une dénition simple [3, 6]. Les
classications internationales ont proposé de décrire des
épisodes d’intensité légère, modérée ou sévère en se
basant sur deux variables différentes : d’abord le nombre
de symptômes présents et ensuite le retentissement fonc-
tionnel de ces symptômes, l’intensité augmentant avec le
nombre de symptômes dépressifs et/ou avec le retentisse-
ment de ces symptômes.
Un épisode dépressif majeur chronique correspond à
un épisode dont la durée est supérieure à 2 années [2]. On
estime que les épisodes chroniques représentent 10 % à
20 % des épisodes dépressifs majeurs.
Un épisode dépressif majeur ou caractérisé s’intègre
dans la plupart des cas dans un trouble dépressif unipo-
laire, même si la possibilité d’évolution ultérieure vers un
trouble bipolaire de l’humeur doit toujours rester présente
à l’esprit du clinicien. Le trouble dépressif unipolaire est
déni par l’existence d’un ou plusieurs épisodes dépressifs
caractérisés chez un même patient. Le terme de « trouble
dépressif » est préféré à celui de « maladie dépressive ».
La dénition de la notion de maladie renvoie en effet en
général à l’existence d’une étiologie et d’une physiopatho-
logie bien identiées, ce qui n’est pas encore le cas pour
les dépressions.
La réponse au traitement traduit l’amélioration symp-
tomatique sous traitement. Dans les essais d’efcacité des
antidépresseurs dans la dépression, la réponse à un traite-
ment antidépresseur ou à tout autre type de traitement est
le plus souvent dénie à partir du pourcentage d’améliora-
Tableau 1 Épisode dépressif majeur ou caractérisé [2]
A. Au moins 5 symptômes pendant au moins deux semaines, changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins
un des symptômes est soit humeur dépressive (1), soit perte d’intérêt ou de plaisir (2).
(1) Humeur dépressive
(2) Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir
(3) Perte ou gain de poids signicatif
(4) Insomnie ou hypersomnie
(5) Agitation ou ralentissement psychomoteur
(6) Fatigue ou perte d’énergie
(7) Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée
(8) Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision
(9) Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis
B. Les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte
C. Souffrance cliniquement signicative ou altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants
D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale
générale
E. Les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, les symptômes
persistent pendant plus de deux mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations
morbides de dévalorisation, d’idées suicidaires, de symptômes psychotiques ou d’un ralentissement psychomoteur.
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patients répondeurs soit 1/3 des patients initialement trai-
tés, obtiennent une rémission complète [3]. La rémission
complète est dénie par l’absence durable (plus de
2 semaines) de symptômes ou présence de quelques symp-
tômes minimes : 1 à 2 symptômes de faible intensité, au
maximum [8]. La rémission partielle est dénie par la pré-
sence de 2 à 4 symptômes parmi les 9 critères dénissant
l’EDM [8]. La rémission complète est un enjeu important
dans le traitement des troubles dépressifs, car elle prédit
un risque plus faible de rechutes et de récurrences, de
chronicité et de suicide. D’ailleurs, l’American College of
Neuropsychopharmacology a proposé que la rémission
constitue le critère d’évaluation principal des essais d’ef-
cacité des antidépresseurs.
Pour les essais cliniques, la rémission partielle est dé-
nie par une note totale à l’échelle de dépression de
Hamilton (version 17 items) comprise entre 8 et 14. Ainsi
1/4 à 1/3 des patients n’auraient qu’une rémission par-
tielle de leurs symptômes après 6 à 8 semaines de traite-
ment. Les symptômes qui persistent chez ces patients sont
des symptômes dits résiduels. Ces symptômes résiduels
sont essentiels car ils sont présents chez 20 % à 35 % des
patients et sont associés à une péjoration du pronostic du
trouble dépressif [3]. Ils doivent donc être considérés
comme une cible privilégiée du traitement antidépresseur
[9, 10]. La notion de symptômes résiduels est intriquée
avec celle de troubles « sub-syndromiques » [10]. Comme
leur nom l’indique, les troubles sub-syndromiques sont
dénis par la présence de symptômes, mais ceux-ci sont en
nombre insufsant pour atteindre le seuil de l’épisode
dépressif majeur typiquement décrit. On a récemment
découvert la pertinence clinique des troubles sub-syndro-
miques, en termes de retentissement à court terme, et
plus encore à long terme des troubles dépressifs [10].
La dénition du concept de rémission comporte bien
entendu des limites, car l’absence de symptômes dépres-
sifs ne suft pas toujours à dénir le retour à l’état anté-
rieur [3]. En effet, le retour à l’état antérieur en termes
d’adaptation sociale ou de qualité de vie peut nécessiter
plus de temps que la normalisation symptomatique.
Dans les essais cliniques, la notion de guérison de l’épi-
sode (en anglais « recovery ») est souvent dénie par la
persistance d’une rémission complète pendant une période
de 4 à 6 mois [4].
La rechute dépressive (en anglais « relapse ») est dé-
nie par la réapparition, au cours d’un même épisode dépres-
sif, et ce après leur amélioration, de symptômes dépressifs
satisfaisant aux critères de l’épisode dépressif majeur [12].
Ainsi, la rechute, dénie par les critères DSM, ne peut sur-
venir qu’après rémission et avant la guérison [4].
Plus de 80 % des patients qui ont présenté un premier
épisode dépressif en présenteront d’autres au cours de leur
vie. Par conséquent, l’on dit des troubles dépressifs unipo-
laires qu’ils sont des troubles récurrents [1, 11]. On parle de
premier épisode dépressif ou épisode dépressif isolé.
Lorsqu’un sujet présente des antécédents d’épisode dépres-
sif, on parle alors de récurrence (en anglais « recurrence »)
dépressive. L’existence d’au moins une récidive ou récur-
rence dépressive dénit le trouble dépressif récurrent.
tion de la note initiale obtenue à l’échelle de dépression de
Hamilton ou MADRS. Les patients « répondeurs » sont ceux
dont la note totale à l’échelle a diminué d’au moins 50 %
après 6 à 8 semaines de traitement antidépresseur. Les
patients présentant une réponse partielle sont ceux dont
la note totale à l’échelle a diminué de 20 % à 50 % après 6
à 8 semaines de traitement antidépresseur. Ces échelles
sont toutefois imparfaites pour dénir la réponse thérapeu-
tique de bon nombre de patients, certains d’entre eux pou-
vant rester très symptomatiques malgré une amélioration
de leur note, et parce que ces échelles n’évaluent pas l’en-
semble des symptômes dépressifs, mais uniquement ceux
qui sont les plus sensibles au changement, et ce indépen-
damment de l’incapacité fonctionnelle associée. Ainsi,
l’absence des critères de l’épisode dépressif majeur est
parfois également proposée pour dénir la notion de
réponse aux antidépresseurs. Dans les essais d’efcacité
d’antidépresseurs d’une durée de 6 à 8 semaines, environ
1/3 des patients sont non répondeurs, 1/3 sont répondeurs
partiels et 1/3 ont une réponse satisfaisante [3] (Fig. 1).
Le concept de rémission est déni par la réponse après
8 à 12 semaines de traitement antidépresseur [13]. On
considère en général que la rémission symptomatique est
rapide en l’absence de symptômes dépressifs après 8 à
12 semaines de traitement. Les notes obtenues à l’échelle
de dépression d’Hamilton ou MADRS sont régulièrement uti-
lisées dans les essais cliniques pour dénir la rémission. On
parlera de rémission complète si la note totale obtenue à
l’échelle de dépression de Hamilton (version 17 items) est
inférieure ou égale à 7 pendant une période d’au moins
2 semaines. L’échelle de dépression de Montgomery et
Asberg a également été utilisée pour dénir la rémission,
une note totale inférieure à 9 étant souvent proposée. Pour
certains auteurs, la note totale est insufsante pour dénir
la rémission complète et d’autres critères sont nécessaires,
comme une diminution d’au moins 75 % de la note initiale
à cette échelle, une note satisfaisante à l’échelle d’Im-
pression Clinique Globale, et une note peu élevée à l’item
« humeur » de l’échelle de dépression de Hamilton.
En pratique, dans les essais d’efcacité d’antidépres-
seurs d’une durée de 6 à 8 semaines, environ la moitié des
Figure 1 Évolution possible d’un EDM chez un patient sous
traitement antidépresseur [2, 3].
Symptômes
résiduels
Rétablissement
≥ 6 mois après la rémission
Phase
d’attaque(4) Phase de
consolidation(4) Arrêt
progressif(4)
Rémission
Rechute
Réponse
Humeur
« normale »
Symptômes
Épisode dépressif
caractérisé (EDC)
Phases du traitement
P
r
o
g
r
e
s
s
i
o
n
v
e
r
s
l
E
D
C
Dépression : concepts actuels S107
tels changements conceptuels. Et on peut se demander dans
quel délai les connaissances objectives seront sufsantes
pour permettre d’adapter les concepts utilisés en pratique
clinique à la réalité de ces connaissances objectives.
Conits d’intérêt
E. C. : l’auteur n’a pas déclaré de conit d’intérêt.
Références
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Bon usage des médicaments antidépresseurs dans le traite-
ment des troubles dépressifs et anxieux de l’adulte. AFSSAPS.
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ale des troubles mentaux et des troubles du comportement,
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Le terme « recurrence » utilisé en anglais est traduit
de deux façons différentes en français : « récurrence » ou
« récidive ». Le terme « récidive » pouvant être stigmati-
sant et connoté négativement en français du fait de son
utilisation dans le langage judiciaire notamment, il nous
semble préférable d’utiliser le terme « récurrence ».
L’adjectif « récurrent » appliqué aux dépressions, fait réfé-
rence, à la survenue chez le même sujet d’au moins deux
épisodes dépressifs successifs. Il sous-entend qu’une récur-
rence est caractérisée par l’apparition d’un nouvel épisode
dépressif, après une phase de guérison d’un épisode anté-
rieur, les épisodes pouvant être séparés par une période de
plusieurs années [12]. Ainsi, le trouble dépressif majeur
récurrent est déni dans le DSM-IV [2] et la CIM-10 [15] par
la succession chez un même sujet, d’au moins deux épiso-
des dépressifs majeurs unipolaires distincts. Le DSM consi-
dère les épisodes comme distincts s’ils sont séparés par une
période d’au moins deux mois durant lesquels les critères
d’un épisode dépressif majeur ne sont pas présents. Ce
délai de deux mois est relativement bref par rapport aux
délais antérieurement proposés, qui étaient souvent de
l’ordre de 6 mois. Plus de 80 % des troubles dépressifs uni-
polaires sont des troubles récurrents [5].
Le concept de dépression résistante est également
pertinent pour la pratique clinique du fait de sa fréquence.
D’ailleurs, plusieurs molécules ont fait l’objet de deman-
des d’autorisations de mises sur le marché dans cette indi-
cation, conduisant à des réexions sur sa dénition même
[7]. On parle de dépression résistante lorsque la réponse
est insufsante après deux traitements antidépresseurs de
classe différente bien conduits, c’est-à-dire à posologies
efcaces et pendant une durée sufsante, c’est-à-dire une
durée d’au moins six semaines [1, 3]. L’enjeu est important
puisque 15 % à 20 % des épisodes dépressifs majeurs sont
résistants au traitement [3, 14].
Conclusion
Les dénitions et concepts utilisés aujourd’hui dans le
champ des troubles dépressifs l’ont été dans un contexte
particulier, de plus en plus rarement retrouvé dans d’autres
champs de la médecine. Ce contexte est marqué par une
méconnaissance relative de la physiopathologie et l’ab-
sence de validateurs externes des troubles dépressifs, et
par une médiocre compréhension des mécanismes d’action
des médicaments antidépresseurs, de leur pharmacodyna-
mie et de leur pharmacocinétique.
Les progrès dans le champ des techniques objectives en
particulier biologiques, génétiques et d’imagerie devraient
permettre d’ouvrir d’autres perspectives dans le champ des
dénitions utilisées pour les troubles dépressifs. On sait tou-
tefois aujourd’hui que ces évolutions ne sont pas imminen-
tes : il semble en effet que le futur DSM-V n’intégrera pas de
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