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blème diagnostic : caractérisation des états anxiodépressifs,
notion de comorbité importante chez les déprimés mais éga-
lement et surtout un problème de prise en charge avec
la nécessité de proposer des traitements spécifiques des
troubles anxieux souvent associés aux épisodes dépressifs.
Perspectives diachroniques
La diachronie d’observation est une démarche indispensable
dès lors que l’on s’adresse à un patient présentant un état
dépressif.
Il est habituel d’opposer la notion de trait à celle d’état.
Le trait définissant toutes les caractéristiques relativement
stables selon lesquelles un individu se distingue d’un autre
individu, l’état désignant les caractéristiques du sujet au
moment où on l’examine.
En médecine, toute manifestation clinique s’intègre tou-
jours et doit se lire en référence à l’histoire du sujet. En
matière de dépression, il est important de considérer, non
seulement l’histoire individuelle en essayant de retrouver
les antécédents personnels d’épisodes antérieurs mais éga-
lement l’histoire familiale, d’une part, en vue de trouver
une vulnérabilité génétique éventuelle pouvant nous don-
ner de précieux renseignements sur la prise en charge et,
d’autre part, de prendre en compte le vécu qu’a le patient
de cette histoire et l’impact de cette histoire sur son état.
Un autre type de définition peut donc être proposé
concernant la dépression. Il convient plutôt de parler de
maladie dépressive en considérant que la dépression est une
maladie, chronique évolutive, dont l’évolution spontanée va
souvent dans le sens d’une aggravation avec chronicisation
et dont l’issue est parfois fatale. Cette maladie nécessite le
plus souvent une intervention spécialisée en vue d’évaluer
les meilleures stratégies thérapeutiques (chimio et psycho-
thérapiques) pour un patient donné. L’évaluation spécialisée
recherchera en particulier la présence d’une symptomato-
logie résiduelle et surtout la présence de troubles cognitifs
encore trop souvent présents chez de trop nombreux
patients. La persistance de ces symptômes ouvre la porte à
une chronicisation et surtout à des complications très impor-
tantes dans le domaine affectif et professionnel. Ainsi, le
temps de la prévention après une poussée aiguë est essen-
tiel.
Les comorbidités dépressives
Les comorbidités dépressives constituent l’un des fac-
teurs de chronicisation de la dépression. Ces comorbidités
peuvent être somatiques : on recherchera particulièrement
la présence d’une maladie de Parkinson, d’une symptoma-
tologie démentielle, d’un diabète, de troubles coronariens,
d’un cancer, d’un syndrome de fatigue chronique, d’une
fibromyalgie ou d’une iatrogénie (rechercher systématique-
ment la prise de produits dépressogènes).
Les comorbidités psychiatriques sont également très fré-
quentes chez les déprimés qu’il s’agisse d’alcoolisme, de
troubles anxieux (troubles obsessionnels compulsifs, état de
stress post-traumatique), de troubles du comportement ali-
mentaire, de troubles de la personnalité ; le deuil compliqué
ou les toxicomanies sont également des facteurs à prendre
en compte.
Bipolarité et unipolarité
La question que doit se poser tout clinicien devant un patient
déprimé est bien évidemment celle d’une existence de bipo-
larité éventuelle [1].
Si le diagnostic est relativement facile chez un patient
présentant des antécédents personnels d’état maniaque
ou hypomaniaque, il est souvent plus compliqué lorsqu’il
s’agit d’un premier ou d’un deuxième épisode dépressif.
On sera donc attentif à la présence d’antécédents familiaux
de troubles bipolaires mais également aux caractéristiques
sémiologiques particulières qui permettent le cas échéant
de faire la différence entre un épisode dépressif unipo-
laire ou bipolaire. Goodwin et Janisson dans la dernière
édition de leur ouvrage Manic depressive illness ont listé
un certain nombre de symptômes qui caractérisent ces
dépressions.
En faveur de la dépression unipolaire, la présence d’une
anxiété importante, de plaintes somatiques, d’une agita-
tion psychomotrice, d’une perte de l’appétit, le fait que les
symptômes soient relativement stéréotypés selon l’épisode,
le fait que l’humeur soit relativement uniforme durant
l’épisode, la présence de l’insomnie du début de la nuit, la
sensibilité de la douleur et la perte de poids seraient plutôt
en faveur d’une dépression unipolaire.
À l’inverse, le sentiment de tension, de ralentisse-
ment psychomoteur important, la présence de symp-
tômes atypiques (hypersomnie, boulimie, douleurs), la
notion d’état mixte, la variation des symptômes selon
l’épisode, la labilité de l’humeur pendant l’épisode,
l’irritabilité, l’insomnie prédominante plutôt en fin de
nuit, l’hypersomnie, la notion d’antécédent d’épisode
du post-partum, la fragmentation du sommeil REM,
la présence de symptômes psychotiques associés ou
d’abus de substances, seraient plutôt en faveur d’une
dépression s’inscrivant dans le cadre d’un trouble bipo-
laire.
Ces symptômes ne sont bien évidemment pas pathog-
nomoniques d’une forme plutôt que d’une autre mais sont
autant d’indices qui doivent alerter le clinicien. Cet élément
est d’autant plus important que l’on estime que le délai qui
s’écoule entre l’apparition de la maladie et le diagnostic de
trouble bipolaire est en moyenne de dix ans !
Le temps du soin
Contrairement à ce que l’on a l’habitude d’entendre,
la question prépondérante concernant la dépression n’est
pas : pourquoi est-on déprimé ? mais plutôt «Comment
devient-on déprimé ? Comment le demeure-t-on ? et com-
ment guérit-on ? (Daniel Wildocher) »[6].
C’est la réponse à ces différentes questions qui condi-
tionne en grande partie le temps des soins.
Définitions
Toute dépression caractérisée nécessite un traitement anti-
dépresseur, à doses efficaces pour une durée suffisante.
En fonction de l’évolution du patient sous traitement, on
distingue les suivants :