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rable à la surmortalité suicidaire (2 170 décès vs. 1 958
dans l’étude d’Ösby et al. [9]) : la surmortalité suicidaire
est toutefois plus importante quantitativement que la sur-
mortalité « naturelle » chez les hommes, l’inverse étant
vrai chez les femmes.
Considérés du point de vue des comorbidités entre patho-
logies organiques et troubles dépressifs, ces derniers ont un
double rôle péjoratif : comme facteur de risque d’incidence
de maladies somatiques et comme facteur de mauvais pro-
nostic pour l’évolution de ces dernières. Ces deux effets
contribuent à la surmortalité « naturelle » des dépressions.
Suicide et dépression
L’incidence du suicide chez les sujets déprimés varie avec
la sévérité clinique du trouble : classiquement estimée à
15 % en cas de dépression sévère (patients hospitalisés),
cette incidence apparaît réduite, de l’ordre de 6 %, lorsque
sont pris en compte l’ensemble des troubles dépressifs.
Réalisée en population générale, l’étude de cohorte de
Lundby [2] montre ainsi qu’à très long terme le taux de
suicide est de 5,6 à 6,8 % pour l’ensemble des déprimés. Il
varie de 3,1 % à 13,7 % selon qu’il s’agit d’un Épisode
Dépressif Majeur (EDM) de gravité moyenne ou d’un EDM
sévère. Ce taux est en outre plus important chez les hom-
mes que chez les femmes : il est de 20 % chez les hommes
qui ont présenté une dépression sévère. Le risque suici-
daire des patients unipolaires dépressifs apparaît par
ailleurs comparable à celui des patients bipolaires [6].
Le poids des troubles dépressifs dans l’incidence des sui-
cides est conrmé par les autopsies psychologiques. Les
troubles de l’humeur dépressifs, voire bipolaires, sont ainsi
les troubles mentaux les plus fréquemment retrouvés chez
les suicidés (dans 43,2 % des cas selon la méta-analyse d’Ar-
senault-Lapierre et al. [1]). La vaste étude nlandaise réa-
lisée en 1987-1988 demeure une étude de référence en la
matière. Elle a montré que 59 % des suicidés présentaient
un trouble dépressif lors de leur acte [7]. Le trouble dépres-
sif n’est qu’exceptionnellement le seul facteur en cause.
Ainsi, dans 85 % des cas la dépression majeure se trouvait
associée une pathologie comorbide [8] : abus ou dépen-
dance à l’alcool dans 28 % des cas (plus souvent chez les
hommes), trouble de la personnalité dans 31 % des cas (plus
souvent chez les plus jeunes), pathologie somatique cotée
sur l’axe III dans 48 % des cas (plus souvent chez les sujets
âgés). Seule une très faible minorité de ces suicidés (3 %)
recevaient un traitement antidépresseur à dose adéquate.
Le suicide étant un événement statistiquement rare, sa
prédiction ne peut être qu’incertaine. Les études prospec-
tives de patients déprimés ont toutefois permis d’identier
des facteurs de risque de suicide, dont seul un petit nom-
bre peuvent être considérés comme robustes. Coryell [4]
retient les facteurs de risque clinique suivants, dont il sou-
ligne la faible sensibilité et la faible spécicité : existence
de tentatives de suicide antérieures ou de plans suicidai-
res, être du sexe masculin, être isolé ou vivre seul, être
hospitalisé (sévérité de la dépression), présence de déses-
poir (« hopelessness »). Il identie également deux facteurs
de risques biologiques : une hyperactivité de l’axe hypo-
thalamo-hypophyso-surrénalien et un décit de la neuro-
transmission sérotoninergique.
Dépression et maladies somatiques
Troubles dépressifs et surmortalité « naturelle »
La mortalité « naturelle » des troubles dépressifs sévères
(patients ayant été hospitalisés) est plus élevée que la mor-
talité attendue [9]. Cette surmortalité est particulièrement
marquée pour certaines maladies somatiques. En termes de
risque relatif, il s’agit des maladies infectieuses, des mala-
dies respiratoires et des maladies du système nerveux pour
les deux sexes (RSM compris entre 1,8 et 2,5), mais aussi
des maladies génito-urinaires pour les hommes et des mala-
dies gastro-intestinales pour les femmes (RSM = 1,9 dans
les deux cas). En termes quantitatifs, le plus grand nombre
de décès excédentaires est dû aux maladies cardio-vascu-
laires (52 % de l’ensemble des décès « naturels » excéden-
taires chez les hommes, 47 % chez les femmes), aux
maladies respiratoires (14 % et 15 %) et aux maladies céré-
bro-vasculaires (9 % et 12 %). L’hypothèse selon laquelle les
sujets âgés déprimés pourraient être plus particulièrement
exposés à cette surmortalité a été testée avec des résultats
contradictoires. D’après Ryan et al. [11], une surmortalité
naturelle n’est retrouvée que chez les sujets âgés souffrant
de dépression sévère, ceci étant conditionné par la pres-
cription d’antidépresseur chez l’homme et par l’absence
de prescription d’antidépresseur chez la femme.
De nombreux facteurs ont été proposés pour expliquer
cette surmortalité. Outre un taux de suicide élevé, ces fac-
teurs incluent des comportements à risque pour la santé
(tabagisme, consommation d’alcool, alimentation déséquili-
brée), des réactions psychologiques inadaptées lors de la
survenue d’une maladie somatique, des perturbations biolo-
giques (hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-sur-
rénalien, dysrégulations neuro-immunitaires, dysrégulation
du système sympathique-adrénergique) et une mauvaise
adhésion aux traitements [5].
Dépression comme facteur de risque
de morbidité somatique
L’évaluation de l’impact des troubles dépressifs sur l’inci-
dence des maladies somatiques est méthodologiquement
plus complexe que les études de mortalité. Elle est de ce
fait peu documentée, même si certains travaux ont pu
conrmer le rôle de la dépression comme facteur de risque
de survenue de certaines maladies spéciques.
C’est notamment le cas pour les maladies cardiovasculai-
res et plus particulièrement pour les coronaropathies. La
méta-analyse de Nicholson et al. [10] a porté sur 21 de ces
études. Elle montre que le risque relatif pour un sujet
déprimé de développer une coronaropathie est multiplié par
1.81 (IC à 95 % = 1,53-2,15). Onze de ces études ont permis
de contrôler l’effet des facteurs de risque coronariens clas-
siques : le risque relatif passe ainsi de 2,08 (1,69-2,55) avant
contrôle à 1,90 (1,49-2,42) après contrôle.