Repérer et prendre en charge la dépression et les conduites D. Purper-Ouakil

Par convention, l’adolescence, dont
la définition reste subjective, corres-
pond à la période allant de 12 à
25 ans.
On comptabilise 11 000 décès par
suicide et 160 000 tentatives chaque
année en France sur l’ensemble de la
population : dans la tranche d’âge de
l’adolescence, le suicide est la
deuxième cause de décès.
On retrouve un trouble de l’humeur
dans 50 à 80 % des cas de geste sui-
cidaire. La tentative de suicide est le
principal facteur de risque de suicide
abouti : tout suicidant doit être
considéré à fort risque de récidive et
de suicide accompli. En effet, 10 à
14 % des suicidants se suicideront
dont 1 % dans l’année suivant un
geste suicidaire. (1, 2)
La prévalence ponctuelle des idées
suicidaires est de 8,4 % chez les 15 à
19 ans puis elle diminue avec l’âge.
Les gestes suicidaires concernent
15 % des 15 à 19 ans. Jusqu’à 20 ans,
les filles sont plus à risque que les
garçons de réaliser une tentative de
suicide. En revanche, les suicides
aboutis sont plus fréquents chez les
garçons que chez les filles. (figures 1
et 2)
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
Conflits d’intérêt : OUI.
L’auteur a déclaré participer sur invitation aux conférences organisées par les laboratoires Lilly et Janssen et en qualité d’auditeur (Laboratoire Lilly).
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
Pédopsychiatre
Hôpital Robert Debré, Paris
Repérer et prendre en charge la
dépression et les conduites
suicidaires chez l’adolescent
D. Purper-Ouakil
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,2
1,4
15 - 19 ans 20 - 25 ans 26 - 34 ans 35 - 44 ans 45 - 54 ans 55 - 64 ans 65 - 75 ans
1,15
0,5
0,3
0,3 0,2
0,06 00
0,25
0,4
0,1
0,2
0,09
Hommes
Femmes
FIG. 2. — Tentatives de suicide en 2004 selon la tranche d’âge
Source : Baromère Santé 2005 INPES.
Proportion des idées suicidaires et des tentatives de suicide en 2004
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
15 - 19 ans 20 - 25 ans 26 - 34 ans 35 - 44 ans 45 - 54 ans 55 - 64 ans 65 - 75 ans
8,4
0,8 0,3 0,3 0,2 0,2 0,04 0
5,3 5
5,6 6,3 5,4
2,9
Idées suicidaire
Tentatives de suicide
FIG. 1. Épidémiologie de la suicidalité.
Source : Baromère Santé 2005 INPES.
FACTEURS ASSOCIÉS
AUX CONDUITES SUICIDAIRES
1) La vulnérabilité suicidaire repose
en partie sur un dysfonctionnement
du système sérotoninergique et des
régions cérébrales frontales (fonc-
tions exécutives et prise de décision).
2) Les conduites suicidaires sont for-
tement associées aux consomma-
tions de toxiques : il existe une asso-
ciation significative entre
consommation de tabac ou de
drogues illicites et idées suicidaires
(OR = 2,3 [IC 95 % : 1,7-3,0]),
consommation d’alcool ou de canna-
bis et tentatives de suicide (OR = 3,9
[IC 95 % : 1,4-11,1]). Les symptômes
boulimiques sont associés aux idées
(OR = 2,3 [IC 95 % : 2,0-2,6]) et
aux tentatives de suicide (OR = 3,1
[IC 95 % : 1,6-6,1]) (7).
3) Les victimes de maltraitance phy-
sique et sexuelle ont 5,6 fois plus de
risque de réaliser un geste suicidaire.
4) La violence agie est de la même
manière associée à un risque suicidaire
élevé (OR = 5,7 [IC 95 % : 2,2-15,0]).
(Tableau 1). Les conduites suicidaires
chez le sujet jeune sont souvent asso-
ciées à d’autres conduites à risque.
LA DÉPRESSION
CHEZ L’ADOLESCENT
Il faut savoir dépister une pathologie
dépressive souvent difficile à repérer
dans cette tranche d’âge. La préva-
lence de la dépression durant la pé-
riode de l’adolescence est de 5 à
10 %, avec une prédominance fémi-
nine (sex ratio = 3) ; chez le jeune
enfant cette prévalence est beau-
coup plus faible.
Selon les études, la prévalence de la
dysthymie varierait entre 1,6 et 8 %.
Cependant beaucoup d’adolescents
ne répondent pas aux critères dia-
gnostiques stricts de dépression mais
souffrent de formes sub-cliniques re-
tentissant sur l’adaptation psychoso-
ciale. Ces formes sont aussi asso-
ciées à une suicidalité plus élevée.
À l’adolescence les comorbidités des
troubles dépressifs sont multiples :
en particulier les troubles des
conduites externalisées qui consti-
tuent un facteur de risque suicidaire
important tout comme les traits
d’impulsivité-agressivité. Les adoles-
cents impulsifs déprimés doivent sys-
tématiquement être orientés vers
une prise en charge spécialisée.
COMMENT REPÉRER
UN ÉTAT DÉPRESSIF
CHEZ L’ADOLESCENT ?
Le diagnostic de dépression dans cette
population est souvent difficile à éta-
blir. Le tableau clinique se caractérise
volontiers par un sentiment de morosi-
té, une perte des intérêts, une préoc-
cupation ou un désinvestissement de
l’apparence physique, une mauvaise
estime de soi, des idées ou gestes sui-
cidaires, une hypersomnie/ insomnie.
Le témoignage des parents aide au
diagnostic. Ces derniers confient que
leur enfant tient des propos désabu-
sés, ne voit pas d’avenir, a des idées
morbides, n’a plus envie de faire ses
activités habituelles ou s’isole.
Parfois, le diagnostic est posé lors
d’un premier contact avec un soi-
gnant spécialisé dans le cadre des ur-
gences suite à une première tentati-
ve de suicide.
Le diagnostic de dépression peut
aussi être porté dans un contexte de
trouble du comportement ou de
troubles anxieux évoluant depuis
plus longtemps que les symptômes
thymiques. Dans 40 à 70 % des cas,
on retrouve un trouble anxieux ayant
précédé la survenue des éléments
dépressifs.
Les troubles du comportement sont
d’autres types de manifestations
souvent associées à la symptomato-
logie dépressive : hyperactivité avec
déficit d’attention ou trouble opposi-
tionnel précédant le syndrome dé-
pressif, ou encore trouble des
conduites apparaissant ultérieure-
D. Purper-Ouakil L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S3-S7
S 4
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
Consommations et conduites suicidaires
Idées suicidaires Tentatives de suicide
OR IC à 95% OR IC à 95%
Tabac
Consommation quotidienne
Alcool
Consommation quotidienne
Test Deta positif
Cannabis
Drogues illicites
Conduites alimentaires
Symptômes boulimiques
Maltraitances
sexuelles (vie entière)
physiques (2004)
Violences agies
1,3
1,0 (NS)
2,8
3,2
2,3
2,3
5,6
3,4
2,3
[ 1,2 - 1,5 ]
[0,9 -1,2]
[ 2,3 - 3,4 ]
[ 2,4 - 4,1 ]
[ 1,7 - 3,0 ]
[ 2,0 - 2,6 ]
[ 4,7 - 6,7 ]
[ 2,6 - 4,4 ]
[ 1,7 - 3,1 ]
1,5 (NS)
0,6 (NS)
7,5
3,9
1,1 (NS)
3,1
5,6
4,7
5,7
[0,9 - 2,3]
[0,2 - 1,7]
[ 2,5 - 22,1 ]
[ 1,4 - 11,1 ]
[0,1 - 9,7]
[ 1,6 - 6,1 ]
[ 2,1 - 14,9 ]
[ 1,5 - 15,0 ]
[ 2,2 - 15,0 ]
TABLEAU 1. — Association entre troubles du comportement et conduites suicidaires
ment. Dans tous les cas, ces adoles-
cents présentent une grave altération
du fonctionnement psychosocial.
La fréquence des conduites suici-
daires est corrélée à la sévérité de la
dépression. Soixante pour cent des
enfants et adolescents déprimés vont
réaliser un geste suicidaire.
FACTEURS DE GRAVITÉ
Les facteurs de gravité sont les mêmes
que ceux identifiés chez ladulte : épi-
sode dépressif avec symptômes psy-
chotiques ou de type mélancolique,
stress chronique, présence didées ou
de projets suicidaires, antécédents de
tentative de suicide, contexte familial
déficient, impulsivité.
Une connaissance de la qualité de
lenvironnement est primordiale dans
l’évaluation de ladolescent et du
pronostic. Les antécédents psychia-
triques familiaux (dépression, éthylis-
me, personnalité antisociale) doivent
être recherchés sachant que lhérita-
bilité de la dépression est importante
(environ 30 %). Il faut rechercher des
facteurs indirects comme les stress
communs à la famille et laltération
des interactions familiales. La pré-
sence dune maltraitance ou abus
augmente le risque de psychopatho-
logie chez lenfant (11-13).
Le niveau de risque individuel peut
être déterminé par le tempérament
(degré d’émotionnalité élevé) (6, 9),
certains traits cognitifs (schémas
dysfonctionnels, mauvaise estime de
soi ou manque dhabiletés sociales)
(3), la présence de troubles mentaux
(troubles anxieux, troubles externali-
sés, dépression subclinique). Ces fac-
teurs augmentent le risque de surve-
nue dune dépression et de conduites
suicidaires.
La puberté précoce est un facteur de
risque dépressif chez la fille.
Lusage de substances a des effets bi-
directionnels : effet dépressogène et
désinhibiteur vis-à-vis du passage à
lacte.
COMMENT ÉVALUER
LA SUICIDALITÉ ?
Il faut tout dabord sintéresser aux
comorbidités (dépression, anxiété,
usage de substances, boulimie), à len-
vironnement et en particulier à la vio-
lence agie ou subie. L’évaluation doit
amener à caractériser les idées ou le
projet suicidaires, identifier les fac-
teurs favorisant le passage à lacte (ac-
cès au moyen, impulsivité, isolement).
La prise en charge sappuie sur la
qualité des capacités cognitives de
ladolescent (résolution de problèmes
par exemple) et le traitement de la
psychopathologie sous jacente. Lado-
lescent doit être protégé, éventuelle-
ment mis à distance de son entoura-
ge, et la famille informée du risque.
Les stratégies de prévention nécessi-
tent aussi daméliorer le repérage de
la crise suicidaire par les profession-
nels grâce à la formation médicale
continue et l’établissement de ré-
seaux. Laccès aux moyens suicido-
gènes doit être aussi limité que pos-
sible et la médiatisation du suicide
contrôlée (10). Lorganisation de ré-
seaux ville-hôpital et de centres de
prise en charge (hôpitaux, consulta-
tions durgence) est à développer.
LES OUTILS DE DÉPISTAGE
Ce sont des outils simples à utiliser
en pratique courante, posant des
questions claires et directes. Pour la
suicidalité, le TSTS-Cafard
(tableau 2) permet dinterroger lado-
lescent sur sa consommation de ta-
bac, la présence dune situation de
stress scolaire ou familial, la qualité
L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S3-S7 Repérer et prendre en charge la dépression et les conduites suicidaires chez l’adolescent
S 5
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
Test TSTS-Cafard de dépistage d’antécédents suicidaires chez l’adolescent
oui non
Traumatologie As-tu déjà eu des blessures ou un accident
(même très anodin cette année) ?
❏❏
Sommeil As-tu des difficultés à tendormir le soir ?
❏❏
Tabac As-tu déjà fumé (même si tu as arrêté) ?
❏❏
Stress Es-tu stressé (ou tendu) par le travail scolaire,
par la vie de famille ou les deux ?
❏❏
Deux réponses positives concernent la moitié des adolescents ayant eu des idées suicidaires.
Il est légitime de poursuivre le test.
oui non
Cauchemars Fais-tu souvent des cauchemars ?
❏❏
Agression As-tu été victime dune agression physique ?
❏❏
Fumeur Fumes-tu tous les jours ?
❏❏
Absentéisme Es-tu souvent absent ou en retard à l’école ?
❏❏
Ressenti désagréable Dirais-tu que ta vie familiale est désagréable ?
❏❏
Total
Résultats : trois réponses positives concernent la moitié des adolescents ayant déjà fait
une tentative de suicide. Ce test est loccasion daborder le mal-être chez ladolescent
et de dépister des risques suicidaires.
TABLEAU 2. Test TSTS-Cafard.
du sommeil (cauchemars), lexisten-
ce dun absentéisme scolaire. Une
question pour dépister une éventuel-
le dépression est : «Pendant le mois
écoulé, avez-vous été perturbé par
une déprime, une perte despoir ou
avez-vous été perturbé par peu ou
pas de plaisir dans vos activités? Dé-
sirez-vous être aidé?».
Concernant les abus de substances,
on peut utiliser lADOSPA (ADOles-
cent Substances PsychoActives)
(tableau 3). Les principales questions
posées sont les suivantes : «Est-ce
que tu es déjà monté dans une voitu-
re avec quelquun qui avait pris des
drogues ou était dans un état de dé-
fonce ? As-tu déjà conduit toi-même
dans cet état-là? Consommes-tu des
substances pour te détendre ? Est-ce
que tu as déjà eu des oublis gênants
dans ta vie quotidienne secondaire-
ment à la prise dune substance
toxique ? Est-ce que tu consommes
seul ? Est-ce que tu as déjà eu des
problèmes suite à la consommation
de produits tels que le cannabis, lal-
cool ou autre chose ? Tes amis ou ta
famille tont-ils déjà conseillé de di-
minuer ta consommation ? ».
LES MOYENS DE PRISE
EN CHARGE
La dépression de ladolescent est une
problématique dactualité dautant
plus quon ne sait pas bien quelles
sont les meilleures stratégies de prise
en charge.
Un traitement combiné par ISRS
+thérapie cognitivo-comportemen-
tale (TCC) a montré une meilleure
efficacité comparativement à ISRS
seul ou TCC seule. Les taux de ré-
ponse étaient satisfaisants, mais le
taux de rémissions à 12 semaines
n’était que de 30 % dans le bras du
traitement combiné (5).
Il faut toujours faire attention aux ef-
fets psycho-comportementaux des
antidépresseurs (automutilations, ag-
gravation de lhostilité, irritabilité ou
idées de suicide) ainsi quaux effets
sur la croissance et la maturation
sexuelle (évaluation en cours et re-
commandations en février 2008 sur
la réalisation dun bilan endocrinolo-
gique au moindre doute) (8).
Lalgorithme thérapeutique proposé
pour les dépressions de ladolescent
est le suivant :
en cas de dépression légère à mo-
dérée, les prises en charge non spéci-
fiques (psychoéducation, soutien)
ont un intérêt;
en cas de dépression moyenne à
sévère ou en labsence de réponse à
l’étape précédente, il faut évaluer les
facteurs de non réponse et les indica-
tions de thérapies plus spécifiques
(nécessité dorienter le patient vers
un spécialiste) ;
en cas de dépression sévère ou de
réponse insuffisante à l’étape précé-
dente, il faut toujours orienter vers
un spécialiste pour la mise en place
dun traitement combiné médica-
menteux plus psychothérapie. Les
facteurs de non réponse sont alors à
nouveau évalués (4, 5).
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2. Birmaher B, Ryan ND, Williamson DE
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Child-
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past 10 years. Part I. J Am Acad Child Adolesc Psy-
D. Purper-Ouakil L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S3-S7
S 6
Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
1Êtes-vous déjà monté(e) dans un véhicule (auto, moto, scooter) conduit par quel-
quun (vous y compris) qui avait bu ou défoncé ?
oui
non
2Utilisez-vous de lalcool ou dautres drogues pour vous DÉTENDRE, vous sentir
mieux ou tenir le coup ?
oui
non
3Consommez-vous de lalcool et dautres drogues quand vous êtes SEUL(E) ?
oui
non
4Vous est-il arrivé dOUBLIER ce que vous avez fait sous lemprise de lalcool ou
dautres drogues ?
oui
non
5Avez-vous déjà eu des PROBLÈMES en consommant de lalcool ou dautres
drogues ?
oui
non
6Vos AMIS ou votre famille ou vous ont-ils déjà dit que vous deviez réduire votre
consommation de boissons alcoolisées ou dautres drogues ?
oui
non
TABLEAU 3. Test ADOSPA.
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L’Encéphale (2009) Hors-série 1, S3-S7 Repérer et prendre en charge la dépression et les conduites suicidaires chez l’adolescent
S 7
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