Anxiété et dépression P. PINILO (1) Mme G. est une patiente de 68 ans, mère de trois enfants, épouse d’un agriculteur. Ils sont tous deux retraités. La première consultation a lieu en septembre 2002. Dans les antécédents de cette patiente, on retrouve une artérite oblitérante des membres inférieurs sur un tabagisme non sevré au jour de la consultation, une hypertension artérielle bien équilibrée, une arthrose décrite comme invalidante. Durant l’interrogatoire, elle décrit clairement sa vie passée, avec trois épisodes dépressifs « majeurs » (1) et un état dépressif résiduel qui, selon elle, évolue depuis une trentaine d’années. Elle se décrit comme « se tracassant pour rien » depuis toujours, et se sent comme résignée. Son traitement comporte des antihypertenseurs, des hypolipémiants, des antiagrégants plaquettaires, ainsi que des benzodiazépines et des hypnotiques. Actuellement, Mme G. se dit elle-même encore en phase de dépression, ou dit plutôt « refaire une dépression ». Mais elle décrit également clairement cet état de dépression résiduel, un état où « elle n’est jamais tranquille » depuis une trentaine d’années. La difficulté qui se profile pour le médecin sera de lui proposer une démarche diagnostique nouvelle, et de lui montrer que celle-ci peut conduire à une autre prise en charge thérapeutique. La situation clinique de Mme G. présente certaines particularités : sa sémiologie clinique est très ancienne, prenant place dans une histoire très longue de mal-être. Elle s’inscrit, de plus, dans une relative usure de la relation à l’autre, avec son entourage propre – son mari qui est présent lors de cette consultation acquiesce, commente un peu – et dans la relation médecin-patient, que l’on peut deviner à travers cette longue histoire durant laquelle il n’y a jamais eu de réponse durable. Des psy- chothérapies ont été entamées mais non poursuivies, et le traitement médicamenteux à long terme, comportant des tranquillisants et des hypnotiques, n’a pas eu les effets escomptés et a présenté de nombreux effets secondaires. Devant une si longue histoire, la démarche diagnostique et thérapeutique présente également certaines particularités. Le médecin doit repérer, évaluer précisément, la sémiologie clinique, en utilisant un entretien diagnostique structuré, et rétablir la relation médecin/patient. L’objectif est également de lui redonner confiance, afin d’obtenir une meilleure adhésion à la nouvelle prise en charge. Il est également important d’évaluer cette adhésion au long cours dans le programme de suivi de la patiente. DÉMARCHE ET ÉVALUATION CLINIQUE Un entretien diagnostique structuré, basé sur le MINI (2) qui s’appuie sur les diagnostics de l’Axe I du DSM-IV (1), permet de reprendre toute la sémiologie clinique. La psycho-éducation permet de motiver la patiente pour une nouvelle prise en charge, d’obtenir une adhésion solide et de disposer d’outils d’évaluation par la suite. Il s’agit de présenter les données épidémiologiques actuelles, d’expliquer la démarche diagnostique, puis le choix de la prise en charge. Plusieurs antidépresseurs disposant d’une AMM à la fois dans l’anxiété généralisée et dans l’épisode dépressif majeur. Lorsque la patiente accepte d’entrer dans ce programme d’évaluation, des rendez-vous spécifiques sont fixés idéalement, selon les recommandations de l’Afssaps, elle devrait reconsulter au moins une fois la première semaine, une fois la deuxième semaine, au moins une fois après quatre semaines et une fois après huit semaines (1). (1) Médecin généraliste, 60800 Crépy-en-Valois. L’Encéphale, 2007 ; 33 : Octobre, cahier 2 837 L’Encéphale, 2007 ; 33 : pages, cahier 2 P. Pinilo Les questions du MINI (2) sont simples et claires, par exemple : « Au cours des deux dernières semaines, vous êtes-vous sentie particulièrement triste, cafardeuse, déprimée ? -la plupart du temps, -au cours de la journée, -presque tous les jours. » Les autres items (anxiété panique, anxiété phobique, anxiété généralisée, risque suicidaire) sont explorées de la même manière, demandant simplement au patient de répondre par « oui » ou par « non ». La stratégie diagnostique repose ainsi sur la sémiologie, l’algorithme aidant à la prise de décision et à l’évaluation. Au terme de cette démarche, il est possible de répondre à deux questions : la patiente présente-t-elle réellement un épisode dépressif majeur actuel ? Et quelle en est la sévérité ? Une troisième question peut se poser alors : que faire face à cet état de mal-être persistant qu’elle décrit comme évoluant depuis une trentaine d’années ? Après que l’évaluation ait permis de montrer qu’elle présente actuellement un épisode dépressif majeur associé à un risque suicidaire léger, la prise en charge pourra être orientée plus particulièrement sur cette préoccupation anxieuse, cette tension, cet épuisement, cette fatigabilité qu’elle décrit, ses difficultés à se concentrer, son irritabilité, et son trouble chronique du sommeil. Cet outil permet de ne pas s’arrêter simplement au diagnostic de dépression actuelle, légère, mais d’approfondir la sémiologie pour adapter ensuite la prise en charge médicamenteuse. À l’issue d’une évaluation clinique « globale », on voit que cette patiente a bien un épisode dépressif majeur actuel, avec un risque suicidaire léger, mais qu’elle présente de plus un trouble anxieux généralisé, qui est certainement à la base des épisodes dépressifs qu’elle a présentés. Il est alors possible d’adapter le traitement à cette comorbidité mise en évidence (3), et en particulier d’expliquer à la patiente que le but est également de la sevrer de ses benzodiazépines : la psycho-éducation comprend une présentation des données disponibles et faisant références (3), et l’entrée dans un programme d’évaluations régulières. 838 SIX MOIS PLUS TARD La patiente, qui a adhéré à cette démarche, est sevrée de ses hypnotiques et de ses benzodiazépines. Elle dit elle-même qu’elle revit après trente années, et qu’elle est peu ou n’est pas gênée dans son quotidien. Elle est encore anxieuse par moments, mais ce n’est plus une préoccupation constante. Moins irritable, elle prend du recul, elle est moins fatiguée et son sommeil est quasi normal. Elle ne dort pas très bien certains jours, mais finalement, la vie est plus légère. Pendant six mois, cette patiente a eu une nouvelle prise en charge, elle a repris confiance en elle, elle profite de sa vie de tous les jours, simplement parce qu’on a su identifier une comorbidité, trouble anxieux généralisé/épisode dépressif majeur, comorbidité relativement fréquente (3). Parallèlement au diagnostic de dépression, la clinique et l’évaluation des troubles anxieux souvent associés sont très importantes pour une prise en charge adaptée. Il est important de rappeler que, d’après les recommandations de l’Afssaps, le traitement médicamenteux ne constitue qu’un aspect de la prise en charge des sujets présentant des troubles dépressifs ou anxieux. Les autres types de traitement qui peuvent être proposés sont essentiellement les prises en charge psychothérapiques et éventuellement d’autres traitements comme par exemple l’électroconvulsivothérapie pour les troubles dépressifs (3). Références 1. DSM-IV-TRI, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : texte révisé - Americam psychiatric association ; 2000. 2. Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI). Lecrubier Y, Sheehan D, Hergueta T, Weiller E. 1998. 3. AFSSAPS octobre 2006, Bon usage des médicaments antidépresseurs dans le traitement des troubles dépressifs et des troubles anxieux de l’adulte http://agmed.sante.gouv.fr/htm/5/rbp/indrbp.htm