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L’Encéphale, 2007 ; 33 : Octobre, cahier 2
Anxiété et dépression
P. PINILO (1)
Mme G. est une patiente de 68 ans, mère de trois
enfants, épouse d’un agriculteur. Ils sont tous deux re-
traités. La première consultation a lieu en septembre
2002.
Dans les antécédents de cette patiente, on retrouve
une artérite oblitérante des membres inférieurs sur un
tabagisme non sevré au jour de la consultation, une hy-
pertension artérielle bien équilibrée, une arthrose décri-
te comme invalidante. Durant l’interrogatoire, elle décrit
clairement sa vie passée, avec trois épisodes dépressifs
« majeurs » (1) et un état dépressif résiduel qui, selon
elle, évolue depuis une trentaine d’années. Elle se dé-
crit comme « se tracassant pour rien » depuis toujours,
et se sent comme résignée. Son traitement comporte
des antihypertenseurs, des hypolipémiants, des antia-
grégants plaquettaires, ainsi que des benzodiazépines
et des hypnotiques.
Actuellement, Mme G. se dit elle-même encore en
phase de dépression, ou dit plutôt « refaire une dépres-
sion ». Mais elle décrit également clairement cet état
de dépression résiduel, un état où « elle n’est jamais
tranquille » depuis une trentaine d’années. La diffi culté
qui se profi le pour le médecin sera de lui proposer une
démarche diagnostique nouvelle, et de lui montrer que
celle-ci peut conduire à une autre prise en charge thé-
rapeutique.
La situation clinique de Mme G. présente certaines
particularités : sa sémiologie clinique est très ancienne,
prenant place dans une histoire très longue de mal-être.
Elle s’inscrit, de plus, dans une relative usure de la rela-
tion à l’autre, avec son entourage propre – son mari qui
est présent lors de cette consultation acquiesce, com-
mente un peu et dans la relation médecin-patient, que
l’on peut deviner à travers cette longue histoire durant
laquelle il n’y a jamais eu de réponse durable. Des psy-
chothérapies ont été entamées mais non poursuivies, et
le traitement médicamenteux à long terme, comportant
des tranquillisants et des hypnotiques, n’a pas eu les
effets escomptés et a présenté de nombreux effets se-
condaires.
Devant une si longue histoire, la démarche diagnosti-
que et thérapeutique présente également certaines par-
ticularités. Le médecin doit repérer, évaluer précisément,
la sémiologie clinique, en utilisant un entretien diagnos-
tique structuré, et rétablir la relation médecin/patient.
L’objectif est également de lui redonner confi ance, afi n
d’obtenir une meilleure adhésion à la nouvelle prise en
charge. Il est également important d’évaluer cette ad-
hésion au long cours dans le programme de suivi de la
patiente.
DÉMARCHE ET ÉVALUATION CLINIQUE
Un entretien diagnostique structuré, basé sur le
MINI (2) qui s’appuie sur les diagnostics de l’Axe I du
DSM-IV (1), permet de reprendre toute la sémiologie clinique.
La psycho-éducation permet de motiver la patiente
pour une nouvelle prise en charge, d’obtenir une adhé-
sion solide et de disposer d’outils d’évaluation par la
suite. Il s’agit de présenter les données épidémiologi-
ques actuelles, d’expliquer la démarche diagnostique,
puis le choix de la prise en charge. Plusieurs antidé-
presseurs disposant d’une AMM à la fois dans l’anxiété
généralisée et dans l’épisode dépressif majeur. Lorsque la
patiente accepte d’entrer dans ce programme d’évalua-
tion, des rendez-vous spécifi ques sont fi xés idéalement,
selon les recommandations de l’Afssaps, elle devrait
reconsulter au moins une fois la première semaine, une
fois la deuxième semaine, au moins une fois après qua-
tre semaines et une fois après huit semaines (1).
(1) Médecin généraliste, 60800 Crépy-en-Valois.
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Les questions du MINI (2) sont simples et claires,
par exemple : « Au cours des deux dernières semaines,
vous êtes-vous sentie particulièrement triste, cafardeuse,
déprimée ? -la plupart du temps, -au cours de la jour-
née, -presque tous les jours. » Les autres items (anxiété
panique, anxiété phobique, anxiété généralisée, risque
suicidaire) sont explorées de la même manière, deman-
dant simplement au patient de répondre par « oui » ou
par « non ». La stratégie diagnostique repose ainsi sur la
sémiologie, l’algorithme aidant à la prise de décision et
à l’évaluation.
Au terme de cette démarche, il est possible de répon-
dre à deux questions : la patiente présente-t-elle réelle-
ment un épisode dépressif majeur actuel ? Et quelle en est
la sévérité ? Une troisième question peut se poser alors :
que faire face à cet état de mal-être persistant qu’elle
décrit comme évoluant depuis une trentaine d’années ?
Après que l’évaluation ait permis de montrer qu’elle pré-
sente actuellement un épisode dépressif majeur associé
à un risque suicidaire léger, la prise en charge pourra être
orientée plus particulièrement sur cette préoccupation
anxieuse, cette tension, cet épuisement, cette fatigabilité
qu’elle décrit, ses diffi cultés à se concentrer, son irritabi-
lité, et son trouble chronique du sommeil.
Cet outil permet de ne pas s’arrêter simplement au dia-
gnostic de dépression actuelle, légère, mais d’approfon-
dir la sémiologie pour adapter ensuite la prise en charge
médicamenteuse. À l’issue d’une évaluation clinique « glo-
bale », on voit que cette patiente a bien un épisode dé-
pressif majeur actuel, avec un risque suicidaire léger, mais
qu’elle présente de plus un trouble anxieux généralisé, qui
est certainement à la base des épisodes dépressifs qu’elle
a présentés. Il est alors possible d’adapter le traitement
à cette comorbidité mise en évidence (3), et en particu-
lier d’expliquer à la patiente que le but est également de
la sevrer de ses benzodiazépines : la psycho-éducation
comprend une présentation des données disponibles
et faisant références (3), et l’entrée dans un programme
d’évaluations régulières.
SIX MOIS PLUS TARD
La patiente, qui a adhéré à cette démarche, est se-
vrée de ses hypnotiques et de ses benzodiazépines. Elle
dit elle-même qu’elle revit après trente années, et qu’elle
est peu ou n’est pas gênée dans son quotidien. Elle est
encore anxieuse par moments, mais ce n’est plus une
préoccupation constante. Moins irritable, elle prend du
recul, elle est moins fatiguée et son sommeil est quasi
normal. Elle ne dort pas très bien certains jours, mais fi -
nalement, la vie est plus légère.
Pendant six mois, cette patiente a eu une nouvelle
prise en charge, elle a repris confi ance en elle, elle pro-
te de sa vie de tous les jours, simplement parce qu’on
a su identifi er une comorbidité, trouble anxieux généra-
lisé/épisode dépressif majeur, comorbidité relativement
fréquente (3). Parallèlement au diagnostic de dépression,
la clinique et l’évaluation des troubles anxieux souvent
associés sont très importantes pour une prise en charge
adaptée.
Il est important de rappeler que, d’après les recom-
mandations de l’Afssaps, le traitement médicamenteux ne
constitue qu’un aspect de la prise en charge des sujets
présentant des troubles dépressifs ou anxieux. Les autres
types de traitement qui peuvent être proposés sont es-
sentiellement les prises en charge psychothérapiques et
éventuellement d’autres traitements comme par exemple
l’électroconvulsivothérapie pour les troubles dépressifs (3).
Références
1. DSM-IV-TRI, Manuel diagnostique et statistique des troubles men-
taux : texte révisé - Americam psychiatric association ; 2000.
2. Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI). Lecrubier Y,
Sheehan D, Hergueta T, Weiller E. 1998.
3. AFSSAPS octobre 2006, Bon usage des médicaments antidé-
presseurs dans le traitement des troubles dépressifs et des trou-
bles anxieux de l’adulte -
http://agmed.sante.gouv.fr/htm/5/rbp/indrbp.htm
P. Pinilo L’Encéphale, 2007 ; 33 : pages, cahier 2
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