La dépression : des pratiques aux théories 9 Traitements antidépresseurs : critères d’évaluation du résultat thérapeutique J.-P. Boulenger CHU Montpellier – Service Universitaire de Psychiatrie Adulte et INSERM U888 Cette présentation examine l’intérêt des essais cliniques dans la compréhension de l’évolution de la dépression unipolaire et de sa prise en charge. Les essais cliniques incluent des patients présentant un trouble dépressif sans comorbidité donc non représentatifs d’une population clinique habituelle. Plusieurs périodes thérapeutiques peuvent être décrites : - la phase aigue (8-12 semaines) pour obtenir une réponse thérapeutique la plus complète possible, - la phase de consolidation (3 à 9 mois) pour empêcher les rechutes dépressives, - la phase préventive (plusieurs années) pour prévenir les récidives chez les patients ayant des dépressions récurrentes. La prise en charge d’un épisode dépressif majeur est souvent difficile (figure 1) : - 20 à 40% des patients auront des problèmes d’observance, - 25 à 30% des épisodes dépressifs ne rempliront pas les critères de « réponse » lors d’un premier traitement antidépresseur, S666 Quel décalage entre les enseignements fournis par les études codifiées de traitements antidépresseurs et la clinique au quotidien ? J.-P. BOULENGER tente surtout de dire quelles informations la pratique clinique peut tirer de ces essais cliniques. FIGURE 1 : Phases évolutives de la dépression (UMEUR NORMALE $ÏPRESSION 42!)4%-%.4 2ÏMISSION 'UÏRISON 2ECHUTE 2ÏCIDIVE !IGU #ONSOLIDATION SEMAINES MOIS - 50 à 60 % récidiveront dans les 5 ans, - 10 à 20% évolueront sur un %NTRETIEN AN mode chronique, - et 2 à 3 % aboutiront à un suicide. L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, Cahier 2 L’observance La dépression n’est pas une entité simple à traiter en raison du taux de mauvaise observance : entre 20 à 40 % des sujets traités. Les patients à risque sont les sujets âgés et les sujets porteurs de comorbidités notamment ceux présentant des conduites addictives. Dans une étude récente, les auteurs rapportent que 22% des patients ne seraient pas observants dans les premiers mois du traitement. Les raisons avancées sont : - l’oubli du traitement dans 43 % des cas, - la survenue d’effets secondaires et la tolérance : prise de poids (31%), problèmes sexuels (25%), fatigue (21%). L’évaluation de l’observance doit prendre en compte : - les effets du trouble de l’humeur : pessimisme, troubles cognitifs, - les difficultés de compréhension du patient, - l’amélioration symptomatique, - l’importance persistante des facteurs de stress, - la survenue d’effets secondaires et la tolérance du traitement, - l’existence de comorbidités en particulier l’abus de substance, - la complexité des prises et la polypharmacie. La psychoéducation du patient est donc essentielle. Le temps La rémission dépend du délai d’action du traitement et de la sévérité de la dépression. L’électroconvulsivothérapie reste le traitement dont le délai d’action est le plus court, en général une à trois semaines. Il est classiquement reconnu que le délai d’action des antidépresseurs est de trois à six semaines. Or les premiers signes de l’activité des antidépresseurs apparaissent dans les trois premières semaines de traitement mais leur effet complet n’est obtenu souvent qu’après 6 à 8 semaines (Fig.2). L’équipe de Quitkin et al. (30,31,32) a beaucoup travaillé sur le délai d’action des traitements antidépresseurs. On ne peut dire qu’un traitement antidépresseur est inefficace qu’après 4 semaines en cas d’absence totale de réponse, après 6 semaines si la réponse reste minime et après 8 semaines si l’amélioration est progressive mais insuffisante. La définition de l’amélioration Dans certaines études, la rémission se caractérise par des scores seuil aux différentes échelles de la dépression : < 5-7 à l’échelle HAM-D (17 items) et < 4-9 à l’échelle MADRS et une restitution fonctionnelle pendant une durée minimale de deux semaines. La guérison d’un épisode dépressif correspond quant à elle à une rémission complète et stable pendant une durée minimale de quatre mois. Cependant dans la plupart des essais cliniques, la réponse au traitement est définie par une diminution d’au moins 50% des scores de dépression aux échelles utilisées et lorsque les critères diagnostiques d’épisode dépressif majeur ne sont plus remplis. L’utilisation de ces échelles comporte des limites. Des patients souffrant de dépression peu- FIGURE 2 : Cinétique de l’amélioration symptomatique placebo (n=68) versus duloxétine (n=66) et fluoxétine (=33) durant 8 semaines de traitement (18) %TAPESDECHANGEMENT LES CRITERES D’EVALUATION A LA PHASE AIGUE J.-P. Boulenger 0LACEBO &LUOXETINE $ULOXETINE $URÏEDUTRAITEMENTENSEMAINE S667 La dépression : des pratiques aux théories 9 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 666-671, Cahier 2 La dépression : des pratiques aux théories 9 J.-P. Boulenger vent avoir des scores minimes à la MADRS car cette échelle ne prend pas en compte tous les symptômes d’un épisode dépressif majeur, en particulier ceux des dépressions atypiques (hypersomnie, hyperphagie). De plus, un patient ayant un score initialement très élevé peut être considéré comme répondeur alors que son score reste audessus du seuil symptomatique. Ce critère de réponse reste donc imprécis au moins pour certains patients. Pour une même étude, les résultats diffèrent donc en fonction du critère de jugement choisi. Par exemple, dans une étude comparative sur l’efficacité duloxétine versus placebo, la proportion de sujets répondeurs est de 60 % alors que le pourcentage de rémission est de 40%. Selon le collège américain de neuro-psychopharmacologie (ACNP), la rémission devrait devenir le critère d’efficacité principal dans les essais contrôlés d’antidépresseurs. Elle serait définie par l’absence d’une humeur triste ou d’une réduction d’intérêt ou de plaisir et par la persistance de 3 des 7 critères DSM au maximum de manière stable depuis au moins trois semaines. Aucun critère portant sur les capacités fonctionnelles n’est par contre prévu dans cette définition. Les scores de dépression symptomatique et de capacité fonctionnelle ou de qualité de vie sont souvent corrélés mais cette correspondance n’est pas absolue. 25% des patients n’ayant plus de symptômes selon l’échelle de S668 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 666-671, Cahier 2 Hamilton rapportent une altération psycho-fonctionnelle. Inversement, parmi les sujets ayant un score symptomatique élevé à l’échelle de Hamilton certains ne font part d’aucune altération fonctionnelle. Bien qu’habituellement, l’amélioration fonctionnelle fasse suite à l’amélioration symptomatique (25), le statut fonctionnel peut, chez certains patients, rester affecté par la comorbidité (34) (tableau 1). La rémission est obtenue plus rapidement avec les ECT (1 à 3 semaines) qu’avec les antidépresseurs (4 à 12 semaines) ou les psychothérapies (8 à 24 semaines). L’impact de la durée de l’épisode sur le délai d’action est une donnée controversée. La sévérité de l’épisode dépressif et l’existence de comorbidités seraient des facteurs allongeant le délai d’obtention de la rémission (34,37). La douleur Contrairement à la symptomatologie dépressive, la symptomatologie douloureuse symptomatique d’une dépression s’améliore souvent dans le premier mois de traitement pour se stabiliser par la suite (16,19). L’existence d’une symptomatologie douloureuse est associée à une rémission plus lente de l’épisode dépressif (23) et à un moins bon pronostic du traitement (6). En revanche, l’amélioration rapide de la symptomatologie douloureuse est de TABLEAU 1: Prévalence des rémissions, persistance des critères DSM IV et des altérations fonctionnelles selon les valeurs-seuils de rémission choisies aux échelles de dépression MADRS et HRSD (41) Score final Prévalence % (n) DSM-IV % (n) Altération psychosociale % (n) 2 3 7 10 19,8 (60) 23,4 (71) 38,9 (118) 48,2 (146) 0,0 (0) 0,0 (0) 3,4 (4) 6(8 (10) 75,0 (15/20) 72,5 (16/22) 54,1 (20/37) 45,7 (21/46) 4 10 11 16 22,4 (68) 35,0 (106) 38,3 (116) 48,8 (148) 0,0 (0) 0,0 (0) 0,0 (0) 2 0 (3) 76,2 (16/21) 58,8 (20/34) 53,8 (21/39) 44,7 (21/47) 17 items HRDS MADRS J.-P. Boulenger bon pronostic concernant le taux de rémissions (16) (figure 3). LES REMISSIONS PARTIELLES ET LES SYMPTOMES RESIDUELS Lors du traitement d’un épisode dépressif majeur, 1/4 à 1/3 des patients n’auraient qu’une rémission partielle de leurs symptomes. Les conséquences liées à l’existence de cette symptomatologie résiduelle sont importantes (8). De nombreux facteurs associés aux rémissions partielles ont été identifiés : - la sévérité initiale et la durée de la dépression (28,36,39), - un score élevé d’anxiété (11), - un nombre élevé d’épisodes dépressifs antérieurs (7,13,35 ), - l’âge avancé (24,33,25), - la présence de comorbidités psychiatriques (troubles anxieux ou troubles de la personnalité) ou somatiques (9), - des facteurs psychodynamiques : remaniements entraînés par la pathologie vis à vis de sa situation familiale, professionnelle, etc. Des interventions psychothérapiques ciblées permettent de compléter la prise en charge du sujet en rémission partielle. Pour certains auteurs comme Fava (18), ces symptômes résiduels répondent au principe du « volet roulant » : les symptômes dépressifs disparaissant en ordre inverse de celui dans lequel ils sont apparus. Les symptômes résiduels posent donc un problème d’évaluation. Ont-ils une certaine similarité avec les symptômes prodromiques ? Appartiennent-ils aux critères diagnostiques de l’état dépressif majeur ? Etaient-ils présents avant le début de l’épisode dépressif du fait d’une comorbidité antérieure? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : FIGURE 3 : Délai d’amélioration des symptômes dépressifs, de la qualité de vie, des symptômes somatiques douloureux et non douloureux lors du traitement d’un épisode dépressif majeur (19) $ÏLAIDgAMÏLIORATION 3YPTÙMESDÏPRESSIFS 1UALITÏDEVIE 3YMPTÙMESSOMATIQUES NONDOULOUREUX 3YMPTÙMESSOMATIQUES DOULOUREUX $ÏPART MOIS MOIS MOIS MOIS - signes de persistance de la dépression, - effets délétères de la dépression (cicatrice), - effets secondaires du traitement, - révélation d’un terrain prédisposant : état dysthymique, trouble de personnalité, comorbidité anxieuse ou autre, - pathologie sub-syndromique, caractéristiques cognitives ou traits de personnalité, … S’ils sont analogues aux prodromes dépressifs, il peut s’agir d’un signe de persistance de la dépression. Comme un « volet roulant », les symptômes dépressifs peuvent alors disparaître dans l’ordre inverse dans lequel ils sont apparus. Des modifications durables de la personnalité peuvent-elles être une cicatrice de l’épisode dépressif majeur ? Une étude a mis en évidence l’absence de modification entre la personnalité prémorbide et celle existant à court terme après un premier épisode dépressif majeur. La plupart des symptômes résiduels sont en réalité présents dès la phase prodromique des états dépressifs majeurs (anxiété, irritabilité et problèmes interpersonnels). Cette constatation et le traitement possible de ces symptômes par des techniques cognitives suggère leur rattachement à l’épisode dépressif plutôt qu’à des traits de personnalité préexistants. Par ailleurs la présence de symptômes résiduels n’est pas sans conséquences. Le risque de rechute dépressive est augmenté (12,14, 17,21,22,29,38,40) tout comme S669 La dépression : des pratiques aux théories 9 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 666-671, Cahier 2 La dépression : des pratiques aux théories 9 J.-P. Boulenger le risque suicidaire (4,5,20) et la probabilité d’un handicap fonctionnel (1,2,3,25,27). L’Encéphale, 2007 ; 33 : 666-671, Cahier 2 être affirmée que 4 mois au moins après le début de la rémission (34). 8. CRITERES D’EVALUATION DU TRAITEMENT PREVENTIF DES RECIDIVES Plusieurs facteurs sont à rechercher afin d’évaluer le risque de récidive dépressive chez un patient ayant présenté un épisode dépressif majeur : - le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs, - la durée des épisodes dépressifs, - la précocité des troubles ou un début après 60 ans, - l’association à une dysthymie (« double dépression »), - des antécédents familiaux de troubles affectifs, - l’existence de comorbidités anxieuse et/ou addictive, - la présence de facteurs de personnalité prédisposants, - une interruption prématurée du traitement. La survenue d’une récidive dépressive augmente la vulnérabilité au stress et le risque de récidives nouvelles. Elle favorise l’évolution vers la chronicité et accroît le risque suicidaire. Elle est associée à une plus grande fréquence de troubles cognitifs et à une possible atrophie des structures hippocampiques. Selon l’ACNP, la récidive, définie par les critères DSM, ne peut survenir qu’après guérison de l’épisode. La rechute, définie par les critères DSM, ne peut survenir qu’après rémission et avant la guérison. La guérison ne peut S670 CONCLUSION 9. Les critères utilisés actuellement pour définir la « réponse » thérapeutique dans les essais cliniques sont insuffisants pour refléter la réalité clinique. Les critères de « rémission » restent à définir de manière plus opérationnelle. Les symptômes résiduels liés aux rémissions partielles sont un facteur important des rechutes dépressives. La réévaluation soigneuse de l’état antérieur du patient est un élément essentiel de la prise en charge après rémission de l’épisode dépressif. Références 1. Agosti V. Predictors of persistent social impairment among recovered depressed outpatients. J Affect Disord 1999;55:215-219. 2. Agosti V. One year clinical and psychosocial outcomes of early-onset chronic depression. J Affect Disord 1999;54:171-175. 3. 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