Compte-rendu du groupe de travail « Familles et patients » D. LEGUAY (1) MÉTHODE La première réunion de discussion ouverte du groupe a eu lieu en juin 2004, une synthèse a été rédigée, dont le compte-rendu a été communiqué aux membres du groupe de travail, puis a ensuite été à nouveau discuté en janvier 2005, afin de structurer les conclusions. Enfin, deux nouvelles réunions ont eu lieu en décembre 2005, à l’UNAFAM, avec les familles. L’approche du groupe de travail n’était pas de type scientifique, mais sa validité était liée à sa dimension qualitative, sans que les réponses aient été induites d’une quelconque façon. Les préoccupations prédominantes des membres du groupe de travail ont pu être exprimées, et une validation a été réalisée dans une démarche dynamique. Les questions posées étaient celles des attentes des patients et des familles dans le domaine de l’efficacité et de la tolérance, des nouveaux objectifs à viser du point de vue des patients et de leurs proches en terme d’amélioration clinique, de la place de la qualité de vie, de l’adaptation sociale, de l’évolution à long terme ; les demandes du comité d’organisation portaient également sur la manière de gérer l’observance, et sur la part à réserver aux aidants dans la prise en charge. Les griefs contre les neuroleptiques classiques Tous les neuroleptiques prescrits ont été cités par les patients ; aucun ne trouve grâce à leurs yeux. D’une façon générale, les traitements à visée symptomatique sont mieux perçus que les traitements de fond, et la chimiothérapie est globalement récusée dans son objectif de contrôle des symptômes, et dans ce qui est perçu comme un objectif de contrôle des personnes, derrière celui des symptômes. Pour les patients, l’événement le plus pénible avec les antipsychotiques est l’effet de blocage mental et physique qu’ils ressentent, avec une sensation d’effacement de la personnalité, d’abrasion des affects, de ralentissement, de perte d’assurance ; les patients décrivent ainsi être empêchés de se sentir eux-mêmes, de vivre. Ils mettent également en avant une difficulté à trouver la bonne posologie du produit, permettant de contrôler les angoisses sans altérer la concentration. Quelques phrases dites par les patients illustrent ce vécu des neuroleptiques : « Avec les anciens médicaments, on n’est pas mort, mais on n’est pas en vie non plus… » ; « Sous neuroleptique, on est mort psychiquement… » ; « Le traitement, c’est une camisole ! » ; « Les neuroleptiques, c’est comme du désherbant total : ça tue tout et ça empêche de repousser. Il faudrait inventer du désherbant sélectif ! » ; « Les traitements, c’est comme la chimiothérapie dans le cancer : ça tue les bonnes et les mauvaises cellules. C’est pareil pour les idées ! » ; « Un médicament, ça ne régule pas : ça stoppe… ça fait comme un barrage sur une rivière… » ; « Avec les traitements, on vit, mais on a perdu l’inspiration » ; « À l’hôpital, on est dans un cocon : les médicaments qui calment correspondent bien au rythme ralenti de l’hôpital. Mais quand on sort, ils ne correspondent pas au stress de la vie en ville ». Avantages et inconvénients des antipsychotiques de seconde génération Pour les patients, les antipsychotiques de seconde génération génèrent moins de ralentissement, laissent les (1) CH Centre Santé Mentale Angevin, CESAME, Secteur 4, Route Bouchemain, BP 89, 49137 Les Ponts de Ce cedex. S 866 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 866-9, cahier 3 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 866-9, cahier 3 idées plus fluides, mais ils ne sont pas totalement dépourvus d’effet sédatif. Ils permettent un retour du questionnement philosophique et religieux, mais induisent néanmoins toujours un certain écrasement de la personnalité et des croyances. Ce questionnement existentiel est vécu comme angoissant mais néanmoins positif car traduisant une possibilité de penser. Les idées de persécution et l’angoisse ne disparaissent pas totalement, et il persiste une certaine abrasion des sentiments, mais les patients mettent en avant une meilleure capacité de socialisation, et surtout moins d’effets secondaires. Familles et patients insistent d’ailleurs sur la nécessité que les effets secondaires soient clairement annoncés, et que des solutions soient proposées pour les réduire ou les rendre acceptables. Place du médicament dans la relation médecin/patient Le traitement médicamenteux prend pour les patients et leurs proches, une place à la fois centrale et complexe, largement teintée d’ambivalence. Pour les patients, le traitement est souvent perçu comme une « punition », sentiment renforcé par le fait qu’il est administré ou augmenté en cas de crise ou en situation d’urgence ; ce sentiment est suffisamment prégnant pour s’accompagner d’une crainte de dire la vérité à son médecin. Le traitement est également souvent perçu comme un stigmate de la maladie, avec des effets secondaires trop visibles, une incapacité à travailler ; une différence est perçue entre les anciens et les nouveaux antipsychotiques. Le traitement est ressenti comme une « preuve » de la maladie, et sa suppression est associée à l’idée de guérison. Il est aussi perçu comme à double tranchant : il soulage des symptômes gênants, comme l’agitation, l’angoisse, le délire, le syndrome d’influence ; mais il entraîne aussi la perte des effets positifs de la maladie, en particulier le sentiment, en période floride, d’exister réellement, d’être présent. Cette ambivalence existe peut-être également chez le médecin, qui dans la relation thérapeutique accueille la subjectivité du patient, mais en même temps récuse ce vécu et ce comportement, en cherchant à les faire disparaître par le traitement. La question de l’observance est également conditionnée par ces mouvements différents : prendre les médicaments signifie reconnaître la maladie et faire le deuil de ses effets positifs, en cherchant à les faire disparaître. Dans le discours des patients, le point le plus important concernant l’observance est la difficulté à prendre des traitements au très long cours. La conviction de la nécessité d’un traitement prolongé est longue à acquérir, elle fait souvent suite à de nombreuses crises et rechutes ; le doute est permanent sur la maladie et sur la nécessité du traitement. L’importance des mots est ici soulignée : être schizophrène souligne une atteinte de l’identité, de la « nature profonde », de l’essence de l’individu, ce qu’épargne la formulation « souffrir de schizophrénie ». Compte-rendu du groupe de travail « Familles et patients » Les patients demandent donc également des moyens pour aider à l’observance. L’image qu’ils ont de leur maladie et du traitement est importante : le fait de prendre un traitement est vécu comme un stigmate de la maladie, le traitement rappelle aux patients qu’ils sont « différents des autres ». Interrompre le traitement est donc une façon de dire qu’on est guéri. Parmi les phrases illustrant la place du médicament dans la relation médicale, on peut citer : « Je ne dis pas tout à mon médecin… je ne veux pas qu’il me change le traitement et surtout qu’il n’augmente pas les doses… » ; « Je n’ai pas envie qu’on voit que je suis malade ! » ; « Si je prends un médicament, c’est que je suis malade… Quand je l’arrête, c’est que je ne suis plus malade ! » ; « Accepter d’être malade à vie, c’est difficile » ; « On arrête le médicament pour redevenir comme avant… » ; « On vit une extinction des sentiments sous traitement… C’est pour ça qu’on arrête : pour revivre ! ». Les attentes des familles Les attentes des familles diffèrent en partie de celles des patients. Elles demandent en premier lieu à être informées plus clairement du diagnostic et des caractéristiques de la maladie, et plus précocement des innovations thérapeutiques. Le sentiment d’un manque d’information de la part des médecins, et en particulier d’une gêne à annoncer le diagnostic, est quasi constant dans les familles de patients psychotiques. Les familles soulignent la difficulté de convaincre le patient qu’il souffre d’une maladie chronique si on ne lui annonce pas le diagnostic, et donc la difficulté à travailler dans la continuité. Elles ont souvent l’impression que la prescription est réalisée de manière empirique ; elles considèrent par ailleurs que l’incidence des effets secondaires n’est pas assez prise en compte par les psychiatres. Pour mieux gérer les effets secondaires, les familles proposent de favoriser les relations entre médecin généraliste et psychiatre, en impliquant de manière plus importante les généralistes dans la prise en charge et en améliorant leur connaissance et leur compréhension des troubles psychiques ; de même, il faut améliorer la connaissance des troubles somatiques par le psychiatre. Il paraît utile d’informer clairement patients et familles du risque d’effets secondaires. Par ailleurs, les familles soulignent la nécessité que psychiatres, patients et familles abandonnent l’idée que les effets secondaires sont le prix à payer de l’efficacité d’un traitement. Les familles se satisfont moins facilement que les médecins d’un traitement donnant des résultats « à peu près » satisfaisants : une innovation thérapeutique doit être tentée, sans se contenter d’un traitement qui tranquilS 867 D. Leguay lise le comportement. Les familles se plaignent par ailleurs d’un relatif manque de conviction des médecins par rapport à ce qu’ils peuvent attendre d’une innovation thérapeutique, d’une relativisation excessive de l’apport des nouveaux médicaments ou de nouvelles stratégies médicamenteuses. Les familles souhaitent tenter la chance d’une amélioration, même s’il existe un risque de rechute ou d’effet indésirable majeur. La monothérapie neuroleptique semble aux familles un objectif à atteindre, même si cela est difficile. Pour favoriser cet objectif, il leur semble qu’il faut des entretiens de bilan plus longs, au moins une fois par an, et de toute façon à chaque changement de traitement. Un bilan médical annuel est également souhaitable. Surtout, il est nécessaire de prendre le temps d’instaurer de manière optimale le traitement, avec une mise en place très progressive, une écoute des réactions du patient et de la famille, des explications quant aux raisons de changements et quant aux doses utilisées. Selon les familles, toute modification importante du traitement devrait se faire à l’hôpital. Elles souhaitent que dans ces moments-là, les médecins ne responsabilisent pas trop la famille, et ne lui demandent pas de choisir les stratégies thérapeutiques. Dans tous les cas, elles sont attentives à éviter un arrêt brutal du traitement, par une substitution progressive d’un produit à l’autre. Les proches des patients souhaitent également participer de façon régulière à un bilan complet, et être pris en compte à part entière comme des aidants autant que comme des observateurs, pour ce qui concerne la symptomatologie, les effets des traitements, et l’observance. Ce dernier point semble particulièrement important aux familles. Une des principales causes de mauvaise observance est l’absence de reconnaissance de la maladie par le patient, en particulier du fait du défaut de diagnostic : les patients ne sont alors souvent pas convaincus de la nécessité du traitement. Il semble cependant s’établir une différence entre les patients à symptomatologie positive (hallucinations, délires) et ceux dont la maladie s’exprime sur un mode plus déficitaire : ces derniers semblent mieux comprendre l’utilité d’un traitement. Parmi les principales causes évoquées par les patients pour l’arrêt du traitement, les familles rapportent le blocage de la créativité, les pertes de mémoire, la prise de poids, les troubles de la sexualité ; elles craignent aussi l’influence négative des discussions entre patients, qu’elles estiment responsables de plus de la moitié des arrêts de traitement. Les familles pensent toutefois qu’elles ne doivent pas s’impliquer directement dans la surveillance de l’observance, mais renvoyer systématiquement le patient vers l’équipe médicale : plus une famille insiste sur la prise du traitement auprès du patient, plus l’échec est proche. Les familles proposent également la mise à disposition d’un cahier de suivi quotidien, qui pourrait porter sur l’observance du traitement, mais aussi sur les faits et événements de la vie quotidienne : certaines familles utilisent S 868 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 866-9, cahier 3 individuellement des agendas où elles notent des informations quotidiennes, « à la façon d’un journal intime ». Parmi les phrases emblématiques recueillies : « Mon fils n’a pas le même comportement dans le cabinet du médecin, à l’hôpital et quand il est chez nous… » ; « Quelquefois, nous informons le médecin d’une nouveauté : on a l’impression qu’il n’est pas au courant, voire même que ça ne l’intéresse pas ! » ; « Quand il accepte d’essayer un nouveau traitement sous notre influence, la façon dont il le prescrit conduit évidemment à l’échec (comme s’il voulait nous prouver notre erreur…) ». Recommandations de prise en charge Dans le cadre d’une prise en charge globale, les patients et les familles demandent que soit faite une analyse complète et multifactorielle avant la prescription, que le traitement chimiothérapique soit accompagné d’une approche psychothérapique, que les questions de vie en général, de loisirs, de sports, de vie affective, de culture, d’argent soient abordées, et enfin que les soignants puissent proposer des occupations, le vide conduisant au risque de suicide. En ce qui concerne les médicaments, patients et familles souhaitent que, dans sa prescription, le médecin puisse adapter la posologie avec finesse et stabiliser la maladie avec la plus petite dose efficace, afin de permettre la reconstruction avec le médicament, d’éviter la sédation et tous les signes qui stigmatisent le patient, soulignant ainsi son rôle social, et d’éviter ce qui supprime la volonté et les idées, car c’est ce qui conduit à arrêter le traitement. Pour eux, le rôle du médecin est aussi de faire ressentir au patient le besoin du médicament, car à chaque arrêt, le délire repart toujours ; lors des changements de traitement, son rôle est de bien encadrer la substitution pour donner toutes les chances au patient, et de garder à l’esprit que les patients sont toujours prêts à essayer un nouveau traitement, s’il y a un espoir de mieux-être. D’autres recommandations apparaissent également autour du médicament : éviter les formes galéniques qui sont douloureuses ou qui ont un rituel angoissant (comme les neuroleptiques d’action prolongée) lorsqu’elles ne sont pas nécessaires ; proposer des aides à l’observance, avec des piluliers qui ne soient pas archaïques ; enfin, être plus précis dans les notices des médicaments, qui disent toutes la même chose, alors que les produits sont différents… Pour ce qui concerne la famille, les recommandations apparues soulignent la nécessité de prendre en compte les problèmes familiaux car ils sont liés à ceux du patient, de s’appuyer quand elle est disponible sur la famille car elle peut représenter une aide importante, d’écouter la famille car elle peut transmettre des informations essentielles sur le comportement du patient, qui est différent au domicile et face au médecin. Il apparaît également important de mieux expliquer ce que sont les décompensations L’Encéphale, 2006 ; 32 : 866-9, cahier 3 à la famille, de leur proposer un soutien permanent, éventuellement au travers d’un numéro vert, et enfin de savoir leur dire les limites de nos connaissances et de nos traitements. Les familles regrettent un manque d’information sur les différentes psychothérapies, ce qu’elles peuvent apporter, et les possibilités d’y accéder : elles pensent que les médecins ne les informent pas suffisamment sur ce sujet. Compte-rendu du groupe de travail « Familles et patients » Le grand public doit également être sensibilisé à la maladie, de façon à lutter contre la stigmatisation. Une cible privilégiée de ce travail pourrait être les médecins généralistes, mais également les personnels des écoles, comme les enseignants, les infirmières scolaires… D’une façon générale, il est important d’entendre de la part des patients et de leurs proches que leur ambition est avant tout de sortir totalement de la maladie. S 869