Le Courrier des addictions (14) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2012
21
Cette entité clinique a été décrite pour la première fois par Wernicke. On la retrouve
actuellement dans la catégorie F10.52 (291.3) du CIM-10 et DSM-IV, c’est-à-dire
"Trouble psychotique induit par l’alcool, avec hallucinations, avec début pendant
l’intoxication ou pendant le sevrage". Il s’agit d’une complication psychiatrique
aiguë de l’alcoolisme chronique, relativement rare. Le tableau clinique comporte
l’apparition brutale des hallucinations acoustico-verbales avec automatisme men-
tal, sans désorientation temporo-spatiale, ni altération de la conscience, pendant
l’intoxication ou le sevrage d’alcool, dans un contexte d’alcoolisme chronique.
* Psychiatre, praticien hospitalier, hôpital intercommunal
de Villeneuve-Saint-George, 40, allée de la Source,
94190 Villeneuve-Saint-Georges.
APRÈS UN SEVRAGE BRUTAL
Premier patient
Âgé de 43 ans, il a été hospitalisé dans le ser-
vice, suite à un passage à l’acte auto-agressif,
automutilation dans un contexte de sevrage
brutal d’alcool et syndrome hallucinatoire.
Quelques semaines avant son hospitalisation,
comme il a une promesse d’emploi, le patient,
qui s’alcoolisait d’une manière quasi continue,
décide de lui-même d’arrêter brutalement
l’alcool. Il commence à présenter à domi-
cile des signes de sevrage à type de nausées,
vomissements, troubles du sommeil. Deux
jours plus tard, cest l’éclosion brutale d’un
syndrome hallucinatoire avec automatisme
mental, voix hostiles, menaçantes, commen-
taires des actes, et remarques péjoratives sur
des particularités de son corps, thèmes mys-
tiques et de jalousie. Lexpérience hallucina-
toire s’impose comme une vérité, elle est vé-
cue avec angoisse. Lautomutilation survient
en réponse au contenu hallucinatoire, sans
symptomatologie thymique associée.
Hospitalisé en urgence, le patient ne présente
pas de confusion, ni de syndrome dissociatif.
L’imagerie cérébrale est normale, le bilan hé-
patique montre une augmentation des gam-
ma GT, sans cytolyse. Dans son anamnèse,
on retrouve : une situation d’immigration, un
divorce, la précarité socio-professionnelle,
des antécédents de petite délinquance, un al-
coolisme chronique depuis l’adolescence, sur
un mode dipsomaniaque, une absence d’anté-
cédents familiaux d’alcoolisme ou de troubles
psychiatriques. À l’âge de 29 ans, il a déjà fait
un premier épisode d’hallucinose alcoolique
entraînant un passage à l’acte auto-agressif,
d’où une hospitalisation et un suivi pendant
quelques semaines, avec une évolution favo-
rable et un intervalle libre pendant 14 ans.
Pour cet épisode, le patient sera hospitalisé
durant quelques jours, puis suivi en ambu-
latoire. Le traitement est celui du sevrage
d’alcool (hydratation, vitamines B1, B6, PP,
benzodiazépines) auquel on a associé des an-
tipsychotiques de deuxième génération à po-
sologie moyenne/faible. Résultat : atténuation
nette des hallucinations en quelques jours
avec disparition complète en 4 à 6 semaines;
persistance d’une certaine anxiété vis-à-vis
d’une éventuelle rechute hallucinatoire, sen-
sible à la psycho-éducation. L’information
médicale sur le caractère pathologique de ses
troubles aura un effet rassurant (alors, tout
ça se passe dans ma tête… ils ne vont plus
mavoir dit-il, en parlant de ses voix). D’ail-
leurs, le patient va reprendre de lui-même le
traitement lors d’une petite rechute surve-
nue dans les mêmes conditions au cours de
l’année de son suivi ambulatoire. Avec pour
résultat, la disparition, en quelques jours, des
hallucinations, sans passage à l’acte, ni, cette
fois, conviction délirante, car il en avait inté-
gré le caractère pathologique.
Le suivi ambulatoire pendant 1 an a montré
une disparition complète des hallucinations
lors des périodes de sevrage total, avec une
tendance à la récidive variable après des épi-
sodes d’alcoolisation massive et de sevrage.
Deuxième patient
Il est âgé de 23 ans au moment de son hos-
pitalisation dans le service pour des troubles
du comportement à type d’hétéro- et d’au-
to-agressivité, survenus après une période
d’alcoolisation massive quasi continue et un
sevrage brutal. Il a des hallucinations audi-
tives, entend des voix hostiles, persécutives,
des menaces de mort. L’adhésion y est totale,
l’angoisse intense. Le patient tente d’échap-
per à ses persécuteurs imaginaires par divers
moyens. Dans ce contexte, apparaissent les
troubles du comportement (violation d’une
propriété privée, incendie, scarifications) qui
nécessitent l’intervention de la police et, fina-
lement, son hospitalisation.
Dans son anamnèse : célibataire, situation so-
cio-profesionnelle précaire, isolement, émi-
gration, passé de délinquance, consommation
occasionnelle de cannabis et d’alcools forts à
partir de l’âge de 13 ans. Son alcoolisme est
chronique depuis 10 ans. Il a des antécédents
familiaux d’alcoolisme (les 2 parents), mais
pas psychiatriques.
Il y a 1 an, il a été hospitalisé pendant
quelques jours, dans un contexte similaire de
tableau hallucinatoire (hallucinations audi-
tives) survenu lors d’un sevrage brutal d’al-
cool. Lépisode s’est résolu en quelques jours.
Les hallucinations ont complètement dis-
paru pendant 1 an, sans traitement ni suivi.
Il poursuit sa consommation d’alcool qui va
s’aggraver quelques semaines avant l’hospita-
lisation actuelle.
Cette fois, il est hospitalisé pendant 6 se-
maines. Le traitement comporte celui du
sevrage alcoolique, associé aux antipsy-
chotiques de deuxième génération à doses
moyennes. Résultat : absence de trouble thy-
mique, syndrome dissociatif ou confusionnel.
Son bilan hépatique est perturbé, avec cyto-
lyse hépatique, stéatose, mais l’imagerie céré-
brale est normale.
Les hallucinations disparaissent en quelques
jours, mais la conviction délirante va persis-
ter quelques semaines, d’autant plus que leur
contenu faisait écho à une histoire réelle de
son passé. Langoisse va diminuer au fur et à
mesure qu’il commence à comprendre le ca-
ractère pathologique de ses perceptions (“en
fait ce sont mes souvenirs que lalcool fait re-
surgir résume-t-il). L’importance du sevrage
d’alcool est évoquée. Le patient sera adressé
pour le suivi ambulatoire à son équipe.
DISCUSSION
Dans la littérature, les publications portent
sur un petit nombre de cas. Une étude évoque
3 % des alcooliques qui développent un
trouble psychotique lié à l’alcool. Les hommes
seraient plus touchés que les femmes.
Le terrain
Cest celui d’un alcoolisme primaire, à début
précoce, avec une consommation importante
(éventuellement associée à d’autres produits),
entraînant des difficultés de vie.
La physiopathologie
Elle nest pas claire. Plusieurs facteurs ont été
évoqués : le rôle toxique direct de l’alcool, la
suppression brutale du toxique, le système
dopaminergique, un déséquilibre entre les
aminoacides neurotransmetteurs excitateurs
et inhibiteurs (systèmes glutamates/GABA), une
hypofrontalité et une hypofonction thalamique,
le rôle de la carence nutritionnelle, (notamment
déficit en vitamine B1 thiamine), la décompen-
Deux cas d’hallucinose alcoolique
Adela Farcas*
O
b
s
e
r
v
a
t
i
o
n
O
b
s
e
r
v
a
t
i
o
n
.
.
Addict sept 2012.indd 21 21/09/12 15:19
Le Courrier des addictions (14) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2012 22
O
b
s
e
r
v
a
t
i
o
n
O
b
s
e
r
v
a
t
i
o
n
.
.
sation métabolique sur un terrain affaibli, la stéa-
tose hépatique avec des troubles enzymatique,
l’absence de support psychosocial.
L’hallucinose alcoolique se distingue :
– du delirium tremens par l’absence de syn-
drome confusionnel, d’hallucinations vi-
suelles ;
– de la schizophrénie paranoïde : malg
une symptomatologie schizophrénique-like
(hallucinations auditives à thématique per-
sécutive, hostile, automatisme mental, délire
de référence, angoisse), elle se distingue d’un
trouble psychotique primaire par la pré-
sence d’une histoire d’alcoolisme chronique
et une absence d’antécédents de psychose
schizophrénique. Son contexte d’apparition:
intoxication ou, dans les 24 à 48 heures de
sevrage brutal, absence de syndrome disso-
ciatif et disparition des symptômes psycho-
tiques (délire, hallucinations) en dehors des
périodes d’alcoolisation;
– d’un trouble psychotique induit par une
autre substance, éliminé par l’anamnèse et les
dosages
Lévolution est généralement favorable. Les
hallucinations disparaissent en quelques jours
ou quelques semaines, avec le risque de réci-
dive en cas d’absence de sevrage ou de rechute
alcoolique.
Certaines études montrent une évolution vers
la chronicité dans 10 à 20 % des cas d’hallu-
cinose alcoolique. Les traitements proposés
comportent, outre le traitement du sevrage,
des neuroleptiques, ou des anticonvulsivants
(Depakine
®
) ou la glycine. En effet, certaines
études ont mis en évidence dans l’hallucinose
alcoolique des niveaux bas d’un aminoacide
neurotransmetteur inhibiteur, la glycine. Leffet
positif de son administration serait, chez ces
patients, en lien avec un déséquilibre entre les
neurotransmetteurs inhibiteurs et excitateurs.
Nous retrouvons dans les cas rapportés
quelques aspects communs : histoire d’alcoo-
lisme chronique (plus de 10 ans), à début pré-
coce, manque de soutien psychosocial, début
brutal du syndrome hallucinatoire après
2jours de sevrage brutal. Le contenu halluci-
natoire rappelle des éléments de leur histoire.
Langoisse est massive et entraîne des troubles
du comportement graves, notamment auto-
agressifs. Il n’y avait pas d’élément thymique,
ni d’idées suicidaires préalables. La réponse
au sevrage, au traitement antipsychotique à
posologie moyenne-faible et la tolérance au
traitement sont bonnes.
Même si, lors de l’épisode aigu, ces phénomènes
hallucinatoires s’imposent comme une vérité,
au décours de l’évolution, les patients ont ten-
dance à les mettre à distance, à les considérer
comme pathologiques, à tenter de les maîtriser.
Et on constate une tendance à la récidive avec la
poursuite de la consommation d’alcool.
Penser à ce diagnostic devant...
– Un épisode hallucinatoire (hallucination
auditives) chez un patient alcoolique chro-
nique, en absence de syndrome confusionnel
ou dissociatif.
– Un changement de comportement, ou un
passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif chez
un patient alcoolique chronique, en période
de sevrage brutal.
Conduite à tenir
– Hospitalisation en urgence et surveillance
étroite les premiers jours, pour éviter le
risque de passage à l’acte.
– Traitement spécifique de sevrage associé à
des faibles doses d’antipsychotiques de deu-
xième génération.
– Lalliance thérapeutique, la psychoéduca-
tion et l’information du patient montrent leur
importance et leur efficacité sur l’angoisse et
l’adhésion au délire, car il y a absence de syn-
drome dissociatif ou de troubles cognitifs.
– Idéalement : conseiller le sevrage total et
définitif de l’alcool afin de limiter le risque de
rechute et de passage à l’acte.
– Une prise en charge en alcoologie peut être
indiquée pour maintenir le sevrage.
v
Références bibliographiques
1. Soyka M. Psychopathological characteristics in al-
cohol hallucinosis and paranoid schizophrenia.Acta
Psychiatr Scand 1990;81(3):255-9.
2. Soyka M. Alcoholic-induced hallucinosis. Clinical
aspects, pathophysiology and therapy. Nervenarzt.
1996;67(11):891-5.
3. Soyka M. alamic hypofunction in alcohol hallu-
cinosis. Psychiatry Res 2005;139(3):259-62.
4. Aliyev NA, Aliyev ZN. Application of glycine in
acute alcohol hallucinosis. Hum Psychopharmacol
2005;20(8):591-4.
5. Soyka M. Neuroleptic treatment of alcohol hallucino-
sis: case series. Pharmacopsychiatry 2007;40(6):291-2.
6. Aliyev ZN. Valproate treatment of acute alcohol
hallucinosis. Alcohol Alcohol 2008;43(4):456-9. Epub
2008 May 21.
7. Alcohol-related psychosis – Michael F Larson, psy-
chiatrist, Harvard Medical School, eMedecine Psy-
chiatry , july 2010
Appel à signer la charte “Pour une autre
politique des addictions”
vLaurence Cohen, sénatrice CRC (Communiste républicain et
citoyen) du Val-de-Marne, a réuni les professionnels de santé*,
avec lesquels elle travaille depuis plusieurs mois, dont Didier
Touzeau, notre rédacteur en chef, pour susciter un engagement collec-
tif en faveur d’une autre politique des addictions que la prohibition et la
répression.
La charte, rédigée collectivement et rendue publique le lundi 12 juil-
let dernier, s’appuie sur l’échec de la stratégie de “guerre à la drogue” et
de la législation de 1970 pour promouvoir une autre politique. Elle est
soutenue par de nombreux professionnels, personnalités, associations et
organisations, dont la Fédération addiction et la Société d’addictologie
francophone dont le Courrier des Addictions est l’expression. Ses signa-
taires souhaitent que l’accent soit mis avant tout sur la prévention des ad-
dictions et la réduction des risques, mais aussi sur la réduction de l’offre et
un meilleur accès aux soins. Elle réclame une dépénalisation des usages,
sans toutefois supprimer l’interdit sur les drogues. Elle demande donc que
soit soumis au débat, notamment la création de salles de consommation,
l’introduction de programmes d’échanges de seringues dans les prisons,
la dépénalisation du cannabis. Elle en appelle aux élus, à la population,
aux professionnels pour dépasser les peurs et les préjugés qui entravent
toute politique de santé publique en la matière. Elle est une première
étape vers l’organisation d’états généraux. Laurence Cohen, nommée à
nouveau rapporteure sur les crédits de la MILDT, souhaite organiser une
audition des co-auteurs de cette charte devant la commission des affaires
sociales dès l’automne, et espère avoir une réponse du Premier ministre,
Jean-Marc Ayrault, à qui elle a demandé un rendez-vous. Le but est à court
terme d’organiser des états généraux.
Vous pouvez signer la charte sur le site “pouruneautrepolitiquede-
saddictions.fr.
* Jean-Michel Costes, Anne Coppel, Pierre Chappard, Alain Morel, Marie-
Christine Charansonnet, Didier Touzeau, Marc Valleur, Jean-Pierre Couteron…
Danièle Jourdain-Menninger nommée
à la tête de la Mission anti-drogue
vDanièle Jourdain-Menninger, 60 ans, inspectrice générale des
affaires sociales, a été nommée présidente de la Mission inter-
ministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).
Elle remplace le magistrat Étienne Apaire. Énarque et spécialiste de santé
publique, elle a travaillé dans les cabinets de plusieurs ministres socia-
listes. Conseillère municipale PS de Granville (Manche), elle a été candi-
date aux législatives en 2002 et 2007 dans la circonscription de Granville-
Coutances.
Addict sept 2012.indd 22 21/09/12 15:19
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !