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OObserv ation..
Deux cas d’hallucinose alcoolique
Adela Farcas*
Cette entité clinique a été décrite pour la première fois par Wernicke. On la retrouve
actuellement dans la catégorie F10.52 (291.3) du CIM-10 et DSM-IV, c’est-à-dire
"Trouble psychotique induit par l’alcool, avec hallucinations, avec début pendant
l’intoxication ou pendant le sevrage". Il s’agit d’une complication psychiatrique
aiguë de l’alcoolisme chronique, relativement rare. Le tableau clinique comporte
l’apparition brutale des hallucinations acoustico-verbales avec automatisme mental, sans désorientation temporo-spatiale, ni altération de la conscience, pendant
l’intoxication ou le sevrage d’alcool, dans un contexte d’alcoolisme chronique.
APRÈS UN SEVRAGE BRUTAL
Premier patient
Âgé de 43 ans, il a été hospitalisé dans le service, suite à un passage à l’acte auto-agressif,
automutilation dans un contexte de sevrage
brutal d’alcool et syndrome hallucinatoire.
Quelques semaines avant son hospitalisation,
comme il a une promesse d’emploi, le patient,
qui s’alcoolisait d’une manière quasi continue,
décide de lui-même d’arrêter brutalement
l’alcool. Il commence à présenter à domicile des signes de sevrage à type de nausées,
vomissements, troubles du sommeil. Deux
jours plus tard, c’est l’éclosion brutale d’un
syndrome hallucinatoire avec automatisme
mental, voix hostiles, menaçantes, commentaires des actes, et remarques péjoratives sur
des particularités de son corps, thèmes mystiques et de jalousie. L’expérience hallucinatoire s’impose comme une vérité, elle est vécue avec angoisse. L’automutilation survient
en réponse au contenu hallucinatoire, sans
symptomatologie thymique associée.
Hospitalisé en urgence, le patient ne présente
pas de confusion, ni de syndrome dissociatif.
L’imagerie cérébrale est normale, le bilan hépatique montre une augmentation des gamma GT, sans cytolyse. Dans son anamnèse,
on retrouve : une situation d’immigration, un
divorce, la précarité socio-professionnelle,
des antécédents de petite délinquance, un alcoolisme chronique depuis l’adolescence, sur
un mode dipsomaniaque, une absence d’antécédents familiaux d’alcoolisme ou de troubles
psychiatriques. À l’âge de 29 ans, il a déjà fait
un premier épisode d’hallucinose alcoolique
entraînant un passage à l’acte auto-agressif,
d’où une hospitalisation et un suivi pendant
quelques semaines, avec une évolution favorable et un intervalle libre pendant 14 ans.
Pour cet épisode, le patient sera hospitalisé
* Psychiatre, praticien hospitalier, hôpital intercommunal
de Villeneuve-Saint-George, 40, allée de la Source,
94190 Villeneuve-Saint-Georges.
durant quelques jours, puis suivi en ambulatoire. Le traitement est celui du sevrage
d’alcool (hydratation, vitamines B1, B6, PP,
benzodiazépines) auquel on a associé des antipsychotiques de deuxième génération à posologie moyenne/faible. Résultat : atténuation
nette des hallucinations en quelques jours
avec disparition complète en 4 à 6 semaines ;
persistance d’une certaine anxiété vis-à-vis
d’une éventuelle rechute hallucinatoire, sensible à la psycho-éducation. L’information
médicale sur le caractère pathologique de ses
troubles aura un effet rassurant (“alors, tout
ça se passe dans ma tête… ils ne vont plus
m’avoir…” dit-il, en parlant de ses voix). D’ailleurs, le patient va reprendre de lui-même le
traitement lors d’une petite rechute survenue dans les mêmes conditions au cours de
l’année de son suivi ambulatoire. Avec pour
résultat, la disparition, en quelques jours, des
hallucinations, sans passage à l’acte, ni, cette
fois, conviction délirante, car il en avait intégré le caractère pathologique.
Le suivi ambulatoire pendant 1 an a montré
une disparition complète des hallucinations
lors des périodes de sevrage total, avec une
tendance à la récidive variable après des épisodes d’alcoolisation massive et de sevrage.
Deuxième patient
Il est âgé de 23 ans au moment de son hospitalisation dans le service pour des troubles
du comportement à type d’hétéro- et d’auto-agressivité, survenus après une période
d’alcoolisation massive quasi continue et un
sevrage brutal. Il a des hallucinations auditives, entend des voix hostiles, persécutives,
des menaces de mort. L’adhésion y est totale,
l’angoisse intense. Le patient tente d’échapper à ses persécuteurs imaginaires par divers
moyens. Dans ce contexte, apparaissent les
troubles du comportement (violation d’une
propriété privée, incendie, scarifications) qui
nécessitent l’intervention de la police et, finalement, son hospitalisation.
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Dans son anamnèse : célibataire, situation socio-profesionnelle précaire, isolement, émigration, passé de délinquance, consommation
occasionnelle de cannabis et d’alcools forts à
partir de l’âge de 13 ans. Son alcoolisme est
chronique depuis 10 ans. Il a des antécédents
familiaux d’alcoolisme (les 2 parents), mais
pas psychiatriques.
Il y a 1 an, il a été hospitalisé pendant
quelques jours, dans un contexte similaire de
tableau hallucinatoire (hallucinations auditives) survenu lors d’un sevrage brutal d’alcool. L’épisode s’est résolu en quelques jours.
Les hallucinations ont complètement disparu pendant 1 an, sans traitement ni suivi.
Il poursuit sa consommation d’alcool qui va
s’aggraver quelques semaines avant l’hospitalisation actuelle.
Cette fois, il est hospitalisé pendant 6 semaines. Le traitement comporte celui du
sevrage alcoolique, associé aux antipsychotiques de deuxième génération à doses
moyennes. Résultat : absence de trouble thymique, syndrome dissociatif ou confusionnel.
Son bilan hépatique est perturbé, avec cytolyse hépatique, stéatose, mais l’imagerie cérébrale est normale.
Les hallucinations disparaissent en quelques
jours, mais la conviction délirante va persister quelques semaines, d’autant plus que leur
contenu faisait écho à une histoire réelle de
son passé. L’angoisse va diminuer au fur et à
mesure qu’il commence à comprendre le caractère pathologique de ses perceptions (“en
fait ce sont mes souvenirs que l’alcool fait resurgir” résume-t-il). L’importance du sevrage
d’alcool est évoquée. Le patient sera adressé
pour le suivi ambulatoire à son équipe.
DISCUSSION
Dans la littérature, les publications portent
sur un petit nombre de cas. Une étude évoque
3 % des alcooliques qui développent un
trouble psychotique lié à l’alcool. Les hommes
seraient plus touchés que les femmes.
Le terrain
C’est celui d’un alcoolisme primaire, à début
précoce, avec une consommation importante
(éventuellement associée à d’autres produits),
entraînant des difficultés de vie.
La physiopathologie
Elle n’est pas claire. Plusieurs facteurs ont été
évoqués : le rôle toxique direct de l’alcool, la
suppression brutale du toxique, le système
dopaminergique, un déséquilibre entre les
aminoacides neurotransmetteurs excitateurs
et inhibiteurs (systèmes glutamates/GABA), une
hypofrontalité et une hypofonction thalamique,
le rôle de la carence nutritionnelle, (notamment
déficit en vitamine B1 thiamine), la décompen-
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sation métabolique sur un terrain affaibli, la stéatose hépatique avec des troubles enzymatique,
l’absence de support psychosocial.
L’hallucinose alcoolique se distingue :
– du delirium tremens par l’absence de syndrome confusionnel, d’hallucinations visuelles ;
– de la schizophrénie paranoïde : malgré
une symptomatologie schizophrénique-like
(hallucinations auditives à thématique persécutive, hostile, automatisme mental, délire
de référence, angoisse), elle se distingue d’un
trouble psychotique primaire par la présence d’une histoire d’alcoolisme chronique
et une absence d’antécédents de psychose
schizophrénique. Son contexte d’apparition :
intoxication ou, dans les 24 à 48 heures de
sevrage brutal, absence de syndrome dissociatif et disparition des symptômes psychotiques (délire, hallucinations) en dehors des
périodes d’alcoolisation ;
– d’un trouble psychotique induit par une
autre substance, éliminé par l’anamnèse et les
dosages…
L’évolution est généralement favorable. Les
hallucinations disparaissent en quelques jours
ou quelques semaines, avec le risque de récidive en cas d’absence de sevrage ou de rechute
alcoolique.
Certaines études montrent une évolution vers
la chronicité dans 10 à 20 % des cas d’hallucinose alcoolique. Les traitements proposés
comportent, outre le traitement du sevrage,
des neuroleptiques, ou des anticonvulsivants
(Depakine®) ou la glycine. En effet, certaines
études ont mis en évidence dans l’hallucinose
alcoolique des niveaux bas d’un aminoacide
neurotransmetteur inhibiteur, la glycine. L’effet
positif de son administration serait, chez ces
patients, en lien avec un déséquilibre entre les
neurotransmetteurs inhibiteurs et excitateurs.
Nous retrouvons dans les cas rapportés
quelques aspects communs : histoire d’alcoolisme chronique (plus de 10 ans), à début précoce, manque de soutien psychosocial, début
brutal du syndrome hallucinatoire après
2 jours de sevrage brutal. Le contenu hallucinatoire rappelle des éléments de leur histoire.
L’angoisse est massive et entraîne des troubles
du comportement graves, notamment autoagressifs. Il n’y avait pas d’élément thymique,
ni d’idées suicidaires préalables. La réponse
au sevrage, au traitement antipsychotique à
posologie moyenne-faible et la tolérance au
traitement sont bonnes.
Même si, lors de l’épisode aigu, ces phénomènes
hallucinatoires s’imposent comme une vérité,
au décours de l’évolution, les patients ont tendance à les mettre à distance, à les considérer
comme pathologiques, à tenter de les maîtriser.
Et on constate une tendance à la récidive avec la
poursuite de la consommation d’alcool.
Penser à ce diagnostic devant...
– Un épisode hallucinatoire (hallucination
auditives) chez un patient alcoolique chronique, en absence de syndrome confusionnel
ou dissociatif.
– Un changement de comportement, ou un
passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif chez
un patient alcoolique chronique, en période
de sevrage brutal.
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Laurence Cohen, sénatrice CRC (Communiste républicain et
citoyen) du Val-de-Marne, a réuni les professionnels de santé*,
avec lesquels elle travaille depuis plusieurs mois, dont Didier
Touzeau, notre rédacteur en chef, pour susciter un engagement collectif en faveur d’une autre politique des addictions que la prohibition et la
répression.
La charte, rédigée collectivement et rendue publique le lundi 12 juillet dernier, s’appuie sur l’échec de la stratégie de “guerre à la drogue” et
de la législation de 1970 pour promouvoir une autre politique. Elle est
soutenue par de nombreux professionnels, personnalités, associations et
organisations, dont la Fédération addiction et la Société d’addictologie
francophone dont le Courrier des Addictions est l’expression. Ses signataires souhaitent que l’accent soit mis avant tout sur la prévention des addictions et la réduction des risques, mais aussi sur la réduction de l’offre et
un meilleur accès aux soins. Elle réclame une dépénalisation des usages,
sans toutefois supprimer l’interdit sur les drogues. Elle demande donc que
soit soumis au débat, notamment la création de salles de consommation,
l’introduction de programmes d’échanges de seringues dans les prisons,
la dépénalisation du cannabis. Elle en appelle aux élus, à la population,
aux professionnels pour dépasser les peurs et les préjugés qui entravent
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– Hospitalisation en urgence et surveillance
étroite les premiers jours, pour éviter le
risque de passage à l’acte.
– Traitement spécifique de sevrage associé à
des faibles doses d’antipsychotiques de deuxième génération.
– L’alliance thérapeutique, la psychoéducation et l’information du patient montrent leur
importance et leur efficacité sur l’angoisse et
l’adhésion au délire, car il y a absence de syndrome dissociatif ou de troubles cognitifs.
– Idéalement : conseiller le sevrage total et
définitif de l’alcool afin de limiter le risque de
rechute et de passage à l’acte.
– Une prise en charge en alcoologie peut être
indiquée pour maintenir le sevrage.
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Références bibliographiques
1. Soyka M. Psychopathological characteristics in al-
cohol hallucinosis and paranoid schizophrenia.Acta
Psychiatr Scand 1990;81(3):255-9.
2. Soyka M. Alcoholic-induced hallucinosis. Clinical
aspects, pathophysiology and therapy. Nervenarzt.
1996;67(11):891-5.
3. Soyka M. Thalamic hypofunction in alcohol hallucinosis. Psychiatry Res 2005;139(3):259-62.
4. Aliyev NA, Aliyev ZN. Application of glycine in
acute alcohol hallucinosis. Hum Psychopharmacol
2005;20(8):591-4.
5. Soyka M. Neuroleptic treatment of alcohol hallucinosis: case series. Pharmacopsychiatry 2007;40(6):291-2.
6. Aliyev ZN. Valproate treatment of acute alcohol
hallucinosis. Alcohol Alcohol 2008;43(4):456-9. Epub
2008 May 21.
7. Alcohol-related psychosis – Michael F Larson, psychiatrist, Harvard Medical School, eMedecine Psychiatry , july 2010
toute politique de santé publique en la matière. Elle est une première
étape vers l’organisation d’états généraux. Laurence Cohen, nommée à
nouveau rapporteure sur les crédits de la MILDT, souhaite organiser une
audition des co-auteurs de cette charte devant la commission des affaires
sociales dès l’automne, et espère avoir une réponse du Premier ministre,
Jean-Marc Ayrault, à qui elle a demandé un rendez-vous. Le but est à court
terme d’organiser des états généraux.
Vous pouvez signer la charte sur le site “pouruneautrepolitiquedesaddictions.fr”.
* Jean-Michel Costes, Anne Coppel, Pierre Chappard, Alain Morel, MarieChristine Charansonnet, Didier Touzeau, Marc Valleur, Jean-Pierre Couteron…
Appel à signer la charte “Pour une autre
politique des addictions”
Le Courrier des addictions (14) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2012
Conduite à tenir
Danièle Jourdain-Menninger nommée
à la tête de la Mission anti-drogue
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Danièle Jourdain-Menninger, 60 ans, inspectrice générale des
affaires sociales, a été nommée présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).
Elle remplace le magistrat Étienne Apaire. Énarque et spécialiste de santé
publique, elle a travaillé dans les cabinets de plusieurs ministres socialistes. Conseillère municipale PS de Granville (Manche), elle a été candidate aux législatives en 2002 et 2007 dans la circonscription de GranvilleCoutances.
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