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L’Encéphale (2012) Supplément 4, S173-S178
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Perturbations de la réactivité émotionnelle
et du sommeil dans les troubles bipolaires
en période intercritique
Emotional hyper-reactivity and sleep disturbances in remitted patients
with bipolar disorders
Carole Boudebesse, Chantal Henry
Centre hospitalier Chenevier-Mondor, centre expert troubles bipolaires ; unité INSERM U955 Psychiatrie Génétique ;
Fondation Fondamental, 30 rue de Mesly, 94000 Créteil, France
MOTS CLÉS
Sommeil ;
Rythmes
circadiens ;
Troubles
bipolaires ;
Thérapies
cognitives ;
Réactivité
émotionnelle
KEYWORDS
Sleep;
Circadian troubles;
Bipolar disorder;
Cognitive therapy;
Emotional
reactivity
Résumé Le sommeil et la réactivité émotionnelle constituent deux dimensions clé des
troubles bipolaires. Des perturbations de la réactivité émotionnelle et des troubles du
sommeil ont été décrits dans les troubles bipolaires tant lors des épisodes thymiques que
lors des périodes intercritiques. Des émotions plus labiles et plus intenses sont rapportées
chez les patients bipolaires euthymiques ainsi qu’une mauvaise qualité du sommeil avec
notamment des réveils nocturnes plus fréquents et une plus grande variabilité des rythmes
veille-sommeil. Dans cette revue, nous nous focaliserons sur la période intercritique et
rapporterons les études qui ont pour objet les perturbations de la réactivité émotionnelle
d’une part, et de celles sur les anomalies du sommeil d’autre part. Les liens entre sommeil
et émotions commencent à être étudiés en population générale et impliqueraient des
structures neuronales communes. L’exploration des liens entre variations du sommeil et de
la réactivité émotionnelle paraît particulièrement pertinente dans les troubles bipolaires.
Nous présenterons également les applications thérapeutiques ciblant le sommeil et la
réactivité émotionnelle tant d’un point de vue pharmacologique que psychothérapeutique.
© L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
Summary Introduction. – Emotional reactivity and sleep constitute key dimensions of
bipolar disorder. Emotional reactivity referred to emotion response intensity and emotion
response threshold. Higher emotion reactivity is described during both mood episodes and
periods of remission in bipolar disorder. As well, sleep disturbances are described during
both acute episodes and euthymic periods in bipolar disorder. Links between sleep and
emotion regulation start to be studied in general population. Interactions between sleep
and emotion systems can rely on shared neuronal structures, which involve limbic system.
Future research on sleep and emotion regulation relationships is required in bipolar disorder.
Methods. – A systematic review of the scientific literature was conducted. Studies on
emotional reactivity in bipolar disorder during periods of remission were presented. Sleep
studies of bipolar disorder during inter-critical periods were discussed too. Researches on
interactions between sleep and emotion regulation in general population were presented.
Finally, therapeutic applications focusing on sleep and emotional regulation in bipolar
disorder were described.
Results. – Patients with bipolar disorder display disturbances of sleep and emotion reactivity
even during periods of remission. Indeed, bipolar patients display more intense and more
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected], [email protected]
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
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C. Boudebesse, et al
labile emotions assessed by self-questionnaires, increase positive attribution to neutral
stimuli corroborated by startle reflex, functional changing on imagery studies. Sleep
disturbances during inter-critical periods refer to clinical poor sleep quality and to increase
time in bed, more frequent nocturnal awaking, more variable sleep-wake patterns assessed
by actigraphy and polysomnography. In general population some studies have shown the
impact of sleep restriction on emotion dysregulation. F-MRI studies show that healthy
participants present increase activation of some structures such as amygdala involved
in emotion processing. Deregulation of these areas has already been noticed in previous
studies of euthymic bipolar patients without sleep restriction procedure. Considering sleep
and emotion processes enhance our understanding of medication action mechanisms.
Lithium and sodium valproate reduce melatonin light sensitivity and increased the
activity period. It can be postulated that these effects on circadian system can impact
sleep regulation. Furthermore, an f-MRI study shows that mood stabilizers can reduce
amygdala activation of bipolar patients compared to untreated bipolar patients during an
emotional task. Emotion and sleep regulation can be targeted by specific psychotherapy.
Interpersonal and social rhythm therapy, cognitive behavioral therapy of insomnia and
mindfulness applied to bipolar disorder are presented and discussed.
Discussion. – Disturbances of sleep and emotional reactivity remain during periods of
remission in bipolar disorder. Further research is required to better understand relationships
between these two processes in bipolar disorder. Sleep and emotion dysgulations can be
targeted by specific psychotherapy. More systematic assessment of sleep an emotional
reactivity in remitted bipolar patients can lead to consider and treat this residual
symptomatology that could reduce recurrences.
© L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved.
Les émotions
Le terme émotion vient du latin « motio » qui signifie mouvement, impulsion. Les émotions primaires regroupent la
joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, le dégoût,
le mépris. Selon la définition du Larousse, on peut qualifier
les émotions de réactions affectives transitoires d’intensité
variable provoquées par une stimulation de l’environnement.
Le concept s’est enrichi au cours de l’histoire des idées. À
l’âge classique, Descartes distingue nettement l’esprit, du
corps qui est source des manifestations émotionnelles, et
s’intéresse à leurs interactions. Darwin a évoqué la fonction
adaptative des émotions qu’il qualifie de communicatives,
universelles et innées et dont il explore la préservation au
cours de l’évolution. Freud appuie l’idée d’une domination
des pulsions par une instance régulatrice, le surmoi, permettant l’adaptation aux contraintes sociales. De nos jours, la
littérature scientifique explore les substrats anatomiques
des émotions. Ainsi, le système limbique a été impliqué
dans les perceptions et réactions émotionnelles. Cette
structure comprend l’amygdale cérébrale impliquée dans la
reconnaissance et les réponses comportementales associées
aux émotions, l’hippocampe impliqué dans la mémoire à
long terme et l’hypothalamus, interface entre les systèmes
nerveux et endocriniens. De nos jours, Damasio estompe
la séparation entre l’esprit et le corps en concevant les
émotions comme résultant certes du système limbique mais
aussi modulées par les représentations cognitives – soit les
idées ou les souvenirs – de l’individu. Pour lui, les émotions
sont des cognitions à part entières.
La réactivité émotionnelle
dans les troubles bipolaires
Selon une approche catégorielle qui suit le modèle médical
classique, les troubles bipolaires peuvent se conceptualiser
comme un ensemble nosographique distinct, se différenciant
par exemple de la schizophrénie ou du trouble dépressif
récurrent par un ensemble de symptômes/critères constituant un syndrome spécifique. C’est ainsi qu’est actuellement défini ce trouble de l’humeur dans les différentes
classifications internationales. Une conception dimensionnelle peut toutefois enrichir le modèle précédent. De cette
façon les troubles bipolaires peuvent se définir comme un
ensemble de dimensions dont l’intensité de l’expression
sépare subtilement le profil dimensionnel des patients de
celui de la population générale, la réactivité émotionnelle
pouvant constituer une dimension clé des troubles bipolaires. L’humeur est une disposition affective générant des
sentiments diffus qui s’installe généralement dans la durée
(heures, jours, ou plus) tandis que les émotions se conçoivent
comme des réponses brèves à des stimuli, en vue d’une adaptation à l’environnement. La réactivité émotionnelle fait
référence au seuil nécessaire pour déclencher les émotions
et à l’amplitude de la réponse. Ces réactions émotionnelles
entraînent des modifications tant au niveau de la perception,
des sentiments, des comportements que des modifications
physiologiques périphériques et centrales. Ainsi, la réactivité
émotionnelle participe à définir les capacités adaptatives
d’un individu à son environnement.
La description de la réactivité émotionnelle dans les
troubles bipolaires nécessite de se pencher tant sur les
épisodes thymiques que sur les périodes de rémission. Lors
des épisodes dépressifs, la réactivité émotionnelle apparait
augmentée lors des épisodes dépressifs avec symptômes
maniaques et diminuée quand il n’y a pas symptômes
maniaques associés. Cette dimension peut aider à la distinction de deux sous entités de la dépression bipolaire
pour lesquelles la prise en charge peut différer [1]. Lors des
épisodes maniaques et des épisodes mixtes, la réactivité
émotionnelle est également augmentée [2]. Chez les patients
bipolaires normothymiques, une plus grande sensibilité
aux événements positifs mesurée à l’aide de la BAS a été
Perturbations de la réactivité émotionnelle et du sommeil dans les troubles bipolaires en période intercritique
rapportée [3], en comparaison à des sujets sains. En utilisant
deux autres auto-questionnaires, l’AIM et l’ALS, les patients
bipolaires euthymiques comparés à des témoins sans trouble
psychiatrique montrent une plus grande intensité et une plus
grande labilité émotionnelles [4]. Pareillement, la réactivité
émotionnelle dans des situations induites d’échec ou de
succès à une tâche cognitive est également plus importante
chez des patients bipolaires euthymiques comparé à un
groupe témoin [5]. Plusieurs situations expérimentales ont
également retrouvés des résultats allant dans le sens d’une
réactivité émotionnelle particulière au cours de la période
intercritique. Ainsi, un ralentissement lors d’une tâche de
stroop émotionnelle est rapporté chez des patients bipolaires
normothymiques comparés à des témoins sains [6]. En utilisant une tâche d’induction émotionnelle, il a été montré
que les patients bipolaires euthymiques assignent la même
valence et le même niveau d’état émotionnel (arousal) pour
les images positives et négatives que les sujets témoins.
Cependant, les patients bipolaires perçoivent les images
neutres comme étant plus agréables et avec un niveau
d’arousal plus élevé que les témoins. Le réflexe de sursaut
est concordant avec l’auto-évaluation, indiquant que les
images neutres déclenchent un réflexe de sursaut plus important chez les patients bipolaires euthymiques que chez les
témoins [7]. Ces résultats ont été confirmés par l’équipe de
Giakoumaki [11] qui montre que les patients bipolaires normothymiques cotent plus positivement les images de valence
neutres que les témoins. Cependant la réponse aux stimuli
négatifs et positifs apparait augmentée dans d’autres travaux. Une étude d’imagerie cérébrale fonctionnelle montre
que l’activation du réseau neuronal émotionnel est différente
chez des adolescents bipolaires euthymiques comparés à des
adolescents sans troubles psychiatriques, dans un contexte
de lecture de mots à valence émotionnelle négatives [8]. Une
étude en électroencéphalographie conforte ces résultats.
Lors d’une tâche de reconnaissance visuelle émotionnelle
l’amplitude de l’onde P200 en frontal augmente après des
stimuli négatifs chez les patients bipolaires [9]. Une plus
grande réactivité des émotions positives a également été
rapporté, avec plus d’émotions positives après visualisation
de film gaie, tristes et neutres chez des patients bipolaires
euthymiques [10]. Ces résultats suggèrent une réactivité
émotionnelle augmentée même en période de rémission. Il
existe néanmoins une étude qui ne va pas dans le sens de ce
constat et qui ne retrouve pas de différence au niveau de la
réactivité émotionnelle entre des patients bipolaires et des
témoins sans troubles psychiatriques [12].
En résumé, une plus grande réactivité émotionnelle est
décrite dans les troubles bipolaires lors des épisodes thymiques dépressifs, maniaques, mixtes et hypomaniaques – à
l’exception des dépressions ralentie et émoussée – mais aussi
pendant les périodes de rémission.
Sommeil et réactivité émotionnelle
Les perturbations du sommeil font partie des symptômes
principaux des épisodes thymiques. Une réduction du sommeil
sans fatigue est communément rapportée lors des épisodes
maniaques tandis que des insomnies, des hypersomnies ou
des réveils matinaux précoces peuvent s’observer pendant
les épisodes dépressifs majeurs. Cependant une persistance
de troubles du sommeil a également été rapportée lors
des périodes de rémission. Ainsi on retrouve chez près de
70 % des patients bipolaires euthymiques une mauvaise
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qualité subjective du sommeil [13]. Les mesures objectives
par actigraphie et polysomnographie perçoivent aussi ces
perturbations du sommeil. Un actigraphe se compose d’un
accéléromètre qui détecte les périodes prolongées d’inactivité et par ce moyen évalue le sommeil du participant. Cet
outil se porte au poignet pendant plusieurs jours consécutifs
et mesure les rythmes veille-sommeil dans l’environnement
habituel du participant. La polysomnographie quant à elle
se réalise le plus souvent dans un laboratoire du sommeil
et mesure l’activité cérébrale, musculaire, cardiaque et
respiratoire du sujet. Elle constitue le gold-standard dans le
champ du sommeil. Les études actigraphiques retrouvent des
rythmes veilles-sommeil plus variables d’un jour à l’autre et
une durée du sommeil plus longue chez les patients bipolaires
euthymiques comparés à des témoins sains et à des témoins
avec insomnie [13-15]. Des réveils nocturnes plus fréquents
sont rapportés en polysomnographie [16].
La régulation du sommeil repose sur deux processus [17] :
le processus homéostatique et le processus circadien. Le
processus homéostatique est accumulatif, il augmente pendant la veille et décroit pendant le sommeil. Le processus
circadien comprend les rythmes circadiens, c’est-à-dire les
phénomènes biologiques d’une période d’environ 24 heures
(par exemple la sécrétion de la mélatonine et du cortisol, la
température centrale, l’activité motrice). Le sommeil résulte
de l’action combinée de ces deux forces, dette homéostatique et phase des rythmes circadiens. Des perturbations
circadiennes sont rapportées dans les troubles bipolaires
tant lors des épisodes thymiques que lors des périodes
intercritiques [18]. Au cours des périodes de rémission, les
patients bipolaires présentent un profil circadien différent
des témoins sains se caractérisant par : un chronotype vespéral, l’émoussement du pic nocturne de mélatonine, une
hypersensibilité de la sécrétion de mélatonine en réponse à
la lumière, un taux de cortisol augmenté.
Les liens entre réactivité émotionnelle et sommeil ont
été étudiés en population générale. Ainsi une privation de
sommeil a été associée à une plus grande sensibilité aux
stimulations négatives et à une majoration des émotions
à type de colère et de peur [19]. Chez des rongeurs, un
manque chronique de sommeil entraine des perturbations
de la réponse neuro-endocrinienne au stress ainsi qu’une
perte de sensibilité des récepteurs sérotoninergique, pouvant évoquer des mécanismes observés dans les troubles
anxieux et dépressifs [20]. Par ailleurs, le sommeil paradoxal, siège des rêves, semble particulièrement impliqué
dans les processus de régulation des émotions. Une étude
d’imagerie fonctionnelle en IRM rapporte une augmentation
de l’activation de l’amygdale cérébrale (impliquée dans la
régulation des émotions), chez des sujets ayant été privé
de sommeil paradoxal la veille, au cours d’une tâche de
reconnaissance d’images émotionnelles [21]. Une seconde
étude d’imagerie fonctionnelle montre une hyperactivation
des structures impliquées dans la régulation des émotions,
au cours d’une tâche émotionnelle, chez des participants
en restriction de sommeil paradoxal [22]. Des perturbations
comparables des structures impliquées dans la régulation
émotionnelle ont déjà été décrites chez des patients
bipolaires normothymiques en dehors d’une situation de
privation de sommeil [23,24].
Les relations entre sommeil et régulation émotionnelle
ont également fait l’objet d’étude dans l’insomnie. Les
études d’imagerie fonctionnelle retrouvent chez les patients
insomniaques une moindre mise en repos des structures neuronales impliquées dans la régulation des émotions comme
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l’amygdale cérébrale, l’hippocampe, l’insula, le cortex
cingulaire antérieur et certaines régions préfrontales [25].
De plus une corrélation positive a été montrée entre une
échelle évaluant la qualité subjective du sommeil chez des
patients insomniaques et des modifications de la connectivité
impliquant l’amygdale [26]. Une éventuelle transposition
de ces résultats concernant les interactions entre sommeil
et régulations émotionnelles reste à être évaluée dans les
troubles bipolaires, l’hypothèse qui prévaut étant que les
troubles mineurs du sommeil des patients pourraient entretenir voire augmenter l’activation des structures impliquées
dans les réponses émotionnelles.
Applications thérapeutiques
Les liens entre perturbations des dimensions, réactivité émotionnelle et sommeil, dans les troubles bipolaires permettent
d’entrevoir des traitements spécifiques. Concernant la
dimension sommeil, des psychothérapies spécifiques comme
la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (CBT-I)
et la thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (IPSRT)
pourraient être utilisées en pratique courante pour des
patients bénéficiant déjà d’un traitement médicamenteux,
mais chez qui persistent des troubles du sommeil. Il en va
de même pour les thérapies cognitives et comportementales
ciblant la gestion des émotions.
La CBT-I intègre plusieurs composantes ciblant les facteurs supposés perturber le sommeil. Ce traitement apparaît
efficace et durable sur l’insomnie. Il n’a jusqu’ici jamais été
appliqué et évalué dans les troubles bipolaires, quoiqu’il
pourrait constituer une alternative thérapeutique innovante
et efficace [27]. Bien entendu, la CBT-I devrait être adapté
aux spécificités des troubles bipolaires, comme l’intolérance à
la réduction du sommeil les caractérisant. Cette intervention
comprend le contrôle du stimulus sommeil, la restriction du
sommeil, un travail sur les croyances erronées concernant le
sommeil, une analyse fonctionnelle d’une mauvaise nuit et de
l’hygiène du sommeil. Le contrôle du stimulus doit permettre
une utilisation exclusive de la chambre et du lit pour dormir
(et non pas, par exemple, pour regarder la télévision ou
travailler). De cette manière, le conditionnement attaché
au lieu se réfère uniquement au repos. L’hygiène de sommeil
comporte des consignes générales comme limiter les gênes
sonores et lumineuses dans la chambre, maintenir une température extérieure ni trop chaude ni trop froide, privilégier
les activités calmes et apaisantes dans les heures précédant
le coucher. L’IPSRT est une thérapie privilégiant la régularité
circadienne, développée comme traitement aigu et au long
cours des troubles bipolaires [28]. Cette intervention repose
sur la psychothérapie interpersonnelle validée empiriquement
pour la dépression unipolaire, et qui se focalise sur le lien
réciproque entre humeur et relations interindividuelles, mais
aussi sur la thérapie des rythmes sociaux. Ainsi, l’IPSRT aide les
patients à réguler leurs routines quotidiennes et l’intensité de
leurs stimulations afin de consolider la régularité des rythmes
biologiques sous-jacents. Comme abordé précédemment, le
modèle d’instabilité circadienne du trouble bipolaire présuppose que les patients bipolaires sont fondamentalement
vulnérables aux altérations touchant aux rythmes circadiens.
De ce modèle découle l’idée qu’apprendre aux patients à
suivre une vie plus régulière peut consolider leur intégrité
circadienne et améliorer le pronostic de la maladie. L’IPSRT
a montré son efficacité chez des patients bipolaires en augmentant la période de rémission.
C. Boudebesse, et al
La troisième vague des thérapies cognitives et comportementales a pour objet les émotions. Les techniques de
relaxation et de pleine conscience (ou mindfulness) qui
appartiennent à ce mouvement peuvent aider à mieux percevoir la qualité et l’intensité des émotions mais aussi à mieux
les contrôler. Les méthodes de relaxation sont nombreuses et
comprennent : des exercices de respiration, de contraction/
relaxation musculaires et d’imagerie mentales. Elles ont
pour objectifs une meilleure régulation émotionnelle, une
diminution de l’état « d’alerte » de l’organisme. La mindfulness s’inspire des techniques de méditation bouddhique
et permettrait d’atteindre un état de conscience particulier
résultant du fait de porter son attention volontairement
sur l’expérience présente sans jugement. Son évaluation
dans les troubles bipolaires retrouve une diminution de la
symptomatologie anxieuse inter-épisodique [29] et une amélioration des fonctions cognitives [30]. Les effets croisés et
potentialisés des thérapies du sommeil sur la réactivité émotionnelle, et pareillement des thérapies des émotions sur le
sommeil, mériteraient des investigations supplémentaires au
vue des interactions physiologiques probables entre sommeil
et émotions au niveau du système limbique. Pour illustrer
cette idée, notons la possibilité d’utiliser les rêves comme
synthèse émotionnelle et cognitive et comme reflet des
schémas et des distorsions cognitives dans certaine thérapie
cognitive émotionnelle [31]. L’utilisation d’un agenda de rêve
consignant le contenu du rêve, les émotions et cognitions
associées a été proposé dans cette optique. L’efficacité de
ce type de thérapie dans les troubles bipolaires reste à être
évaluée.
Enfin, l’utilisation des modèles de l’hyperéactivité
émotionnelle et des perturbations circadiennes permettent
une meilleure compréhension des mécanismes d’action des
traitements thymorégulateurs. Ainsi l’administration de
lithium à des primates diurnes, à des doses comparables
à celles efficaces chez l’homme, allonge significativement
la période circadienne d’activité, de manière réversible à
l’arrêt du traitement [32]. Chez des participants sans trouble
psychiatrique, le lithium réduit significativement la sensibilité
mélatoninergique à la lumière [33]. De la même manière, le
valporate de sodium diminue la sensibilité mélatoninergique
à la lumière chez des participants sains [34] et augmente la
période d’activité chez la drosophile [35]. L’effet des thymorégulateurs sur la diminution de l’hyperréactivité émotionnelle a également été étudié. Une étude d’IRM fonctionnelle
retrouve une diminution de l’activité amygdalienne, lors
d’une tâche émotionnelle de visualisation de visages, chez
des patients bipolaires traités comparé aux témoins sains,
et une augmentation de l’activité amygdalienne chez les
patients bipolaires non traités comparé aux témoins [36].
De plus, une corrélation significative est observée entre
thymorégulation par anticonvulsivant et baisse d’activation
amygdalienne.
Conclusion
Les dimensions du sommeil et de la réactivité émotionnelle
apparaissent altérées même au cours de la période intercritique. En effet sont retrouvées chez des patients bipolaires
en rémission une plus grande labilité et plus grande intensité
émotionnelle mesurée par auto-questionnaire, un ralentissement lors du stroop émotionnel, une augmentation de
l’attribution d’une valence positive à des signaux neutres
concordant avec un reflex de sursaut, des modifications
Perturbations de la réactivité émotionnelle et du sommeil dans les troubles bipolaires en période intercritique
fonctionnelles des réseaux neuronaux impliqués dans la
régulation émotionnelle. On note également des perturbations du sommeil et des rythmes circadiens persistant
pendant la période de rémission. Une durée du sommeil
plus longue, des patterns veille- sommeil plus variables
d’un jour à l’autre et des éveils nocturnes plus fréquents
sont décrits chez les patients bipolaires normothymiques.
Les interactions entre sommeil et réactivité émotionnelles
sont étudiés en population générale et laissent supposer
une influence de sommeil paradoxal sur les structures
neuronales impliquées dans la régulation émotionnelle. Des
recherches futures étudiant les interactions entre sommeil
et réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires
apparaissent pertinentes.
L’hyperréactivité émotionnelle et les perturbations du
sommeil peuvent faire l’objet de prise en charge en thérapie
cognitive et comportementale. En pratique clinique, l’évaluation plus systématique de ces dimensions peut permettre
de personnaliser le traitement du patient et de l’orienter
plus fréquemment vers ce type de thérapie ciblé en cas de
perturbations objectivées. Les effets couplés de la prise
en charge du sommeil sur la réactivité émotionnelle et
vice-versa restent à être évalués mais nous pouvons faire
l’hypothèse d’effets croisés.
La persistance de perturbation du sommeil est un
marqueur de rechute précoce dans les troubles de l’humeur [37]. La prise en charge des altérations du sommeil
au cours de la période inter-critique apparait donc cruciale.
L’hyper-réactivité émotionnelle comme marqueur précoce
de rechute thymique dans les troubles bipolaires reste à
être évaluée. Enfin, des recherches futures apparaissent
nécessaires pour évaluer l’impact fonctionnel des perturbations du sommeil et de la réactivité émotionnelle dans
les troubles bipolaires.
Déclarations d’intérêts
C. Bourdebesse : Conférences : invitations en qualité d’intervenant (Otsuka Pharmaceutical France SAS).
Ch. Henry a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts pour
cet article.
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