L’Encéphale (2012) Supplément 4, S173-S178 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Perturbations de la réactivité émotionnelle et du sommeil dans les troubles bipolaires en période intercritique Emotional hyper-reactivity and sleep disturbances in remitted patients with bipolar disorders Carole Boudebesse, Chantal Henry Centre hospitalier Chenevier-Mondor, centre expert troubles bipolaires ; unité INSERM U955 Psychiatrie Génétique ; Fondation Fondamental, 30 rue de Mesly, 94000 Créteil, France MOTS CLÉS Sommeil ; Rythmes circadiens ; Troubles bipolaires ; Thérapies cognitives ; Réactivité émotionnelle KEYWORDS Sleep; Circadian troubles; Bipolar disorder; Cognitive therapy; Emotional reactivity Résumé Le sommeil et la réactivité émotionnelle constituent deux dimensions clé des troubles bipolaires. Des perturbations de la réactivité émotionnelle et des troubles du sommeil ont été décrits dans les troubles bipolaires tant lors des épisodes thymiques que lors des périodes intercritiques. Des émotions plus labiles et plus intenses sont rapportées chez les patients bipolaires euthymiques ainsi qu’une mauvaise qualité du sommeil avec notamment des réveils nocturnes plus fréquents et une plus grande variabilité des rythmes veille-sommeil. Dans cette revue, nous nous focaliserons sur la période intercritique et rapporterons les études qui ont pour objet les perturbations de la réactivité émotionnelle d’une part, et de celles sur les anomalies du sommeil d’autre part. Les liens entre sommeil et émotions commencent à être étudiés en population générale et impliqueraient des structures neuronales communes. L’exploration des liens entre variations du sommeil et de la réactivité émotionnelle paraît particulièrement pertinente dans les troubles bipolaires. Nous présenterons également les applications thérapeutiques ciblant le sommeil et la réactivité émotionnelle tant d’un point de vue pharmacologique que psychothérapeutique. © L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. Summary Introduction. – Emotional reactivity and sleep constitute key dimensions of bipolar disorder. Emotional reactivity referred to emotion response intensity and emotion response threshold. Higher emotion reactivity is described during both mood episodes and periods of remission in bipolar disorder. As well, sleep disturbances are described during both acute episodes and euthymic periods in bipolar disorder. Links between sleep and emotion regulation start to be studied in general population. Interactions between sleep and emotion systems can rely on shared neuronal structures, which involve limbic system. Future research on sleep and emotion regulation relationships is required in bipolar disorder. Methods. – A systematic review of the scientific literature was conducted. Studies on emotional reactivity in bipolar disorder during periods of remission were presented. Sleep studies of bipolar disorder during inter-critical periods were discussed too. Researches on interactions between sleep and emotion regulation in general population were presented. Finally, therapeutic applications focusing on sleep and emotional regulation in bipolar disorder were described. Results. – Patients with bipolar disorder display disturbances of sleep and emotion reactivity even during periods of remission. Indeed, bipolar patients display more intense and more *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected], [email protected] © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. S174 C. Boudebesse, et al labile emotions assessed by self-questionnaires, increase positive attribution to neutral stimuli corroborated by startle reflex, functional changing on imagery studies. Sleep disturbances during inter-critical periods refer to clinical poor sleep quality and to increase time in bed, more frequent nocturnal awaking, more variable sleep-wake patterns assessed by actigraphy and polysomnography. In general population some studies have shown the impact of sleep restriction on emotion dysregulation. F-MRI studies show that healthy participants present increase activation of some structures such as amygdala involved in emotion processing. Deregulation of these areas has already been noticed in previous studies of euthymic bipolar patients without sleep restriction procedure. Considering sleep and emotion processes enhance our understanding of medication action mechanisms. Lithium and sodium valproate reduce melatonin light sensitivity and increased the activity period. It can be postulated that these effects on circadian system can impact sleep regulation. Furthermore, an f-MRI study shows that mood stabilizers can reduce amygdala activation of bipolar patients compared to untreated bipolar patients during an emotional task. Emotion and sleep regulation can be targeted by specific psychotherapy. Interpersonal and social rhythm therapy, cognitive behavioral therapy of insomnia and mindfulness applied to bipolar disorder are presented and discussed. Discussion. – Disturbances of sleep and emotional reactivity remain during periods of remission in bipolar disorder. Further research is required to better understand relationships between these two processes in bipolar disorder. Sleep and emotion dysgulations can be targeted by specific psychotherapy. More systematic assessment of sleep an emotional reactivity in remitted bipolar patients can lead to consider and treat this residual symptomatology that could reduce recurrences. © L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved. Les émotions Le terme émotion vient du latin « motio » qui signifie mouvement, impulsion. Les émotions primaires regroupent la joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, le dégoût, le mépris. Selon la définition du Larousse, on peut qualifier les émotions de réactions affectives transitoires d’intensité variable provoquées par une stimulation de l’environnement. Le concept s’est enrichi au cours de l’histoire des idées. À l’âge classique, Descartes distingue nettement l’esprit, du corps qui est source des manifestations émotionnelles, et s’intéresse à leurs interactions. Darwin a évoqué la fonction adaptative des émotions qu’il qualifie de communicatives, universelles et innées et dont il explore la préservation au cours de l’évolution. Freud appuie l’idée d’une domination des pulsions par une instance régulatrice, le surmoi, permettant l’adaptation aux contraintes sociales. De nos jours, la littérature scientifique explore les substrats anatomiques des émotions. Ainsi, le système limbique a été impliqué dans les perceptions et réactions émotionnelles. Cette structure comprend l’amygdale cérébrale impliquée dans la reconnaissance et les réponses comportementales associées aux émotions, l’hippocampe impliqué dans la mémoire à long terme et l’hypothalamus, interface entre les systèmes nerveux et endocriniens. De nos jours, Damasio estompe la séparation entre l’esprit et le corps en concevant les émotions comme résultant certes du système limbique mais aussi modulées par les représentations cognitives – soit les idées ou les souvenirs – de l’individu. Pour lui, les émotions sont des cognitions à part entières. La réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires Selon une approche catégorielle qui suit le modèle médical classique, les troubles bipolaires peuvent se conceptualiser comme un ensemble nosographique distinct, se différenciant par exemple de la schizophrénie ou du trouble dépressif récurrent par un ensemble de symptômes/critères constituant un syndrome spécifique. C’est ainsi qu’est actuellement défini ce trouble de l’humeur dans les différentes classifications internationales. Une conception dimensionnelle peut toutefois enrichir le modèle précédent. De cette façon les troubles bipolaires peuvent se définir comme un ensemble de dimensions dont l’intensité de l’expression sépare subtilement le profil dimensionnel des patients de celui de la population générale, la réactivité émotionnelle pouvant constituer une dimension clé des troubles bipolaires. L’humeur est une disposition affective générant des sentiments diffus qui s’installe généralement dans la durée (heures, jours, ou plus) tandis que les émotions se conçoivent comme des réponses brèves à des stimuli, en vue d’une adaptation à l’environnement. La réactivité émotionnelle fait référence au seuil nécessaire pour déclencher les émotions et à l’amplitude de la réponse. Ces réactions émotionnelles entraînent des modifications tant au niveau de la perception, des sentiments, des comportements que des modifications physiologiques périphériques et centrales. Ainsi, la réactivité émotionnelle participe à définir les capacités adaptatives d’un individu à son environnement. La description de la réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires nécessite de se pencher tant sur les épisodes thymiques que sur les périodes de rémission. Lors des épisodes dépressifs, la réactivité émotionnelle apparait augmentée lors des épisodes dépressifs avec symptômes maniaques et diminuée quand il n’y a pas symptômes maniaques associés. Cette dimension peut aider à la distinction de deux sous entités de la dépression bipolaire pour lesquelles la prise en charge peut différer [1]. Lors des épisodes maniaques et des épisodes mixtes, la réactivité émotionnelle est également augmentée [2]. Chez les patients bipolaires normothymiques, une plus grande sensibilité aux événements positifs mesurée à l’aide de la BAS a été Perturbations de la réactivité émotionnelle et du sommeil dans les troubles bipolaires en période intercritique rapportée [3], en comparaison à des sujets sains. En utilisant deux autres auto-questionnaires, l’AIM et l’ALS, les patients bipolaires euthymiques comparés à des témoins sans trouble psychiatrique montrent une plus grande intensité et une plus grande labilité émotionnelles [4]. Pareillement, la réactivité émotionnelle dans des situations induites d’échec ou de succès à une tâche cognitive est également plus importante chez des patients bipolaires euthymiques comparé à un groupe témoin [5]. Plusieurs situations expérimentales ont également retrouvés des résultats allant dans le sens d’une réactivité émotionnelle particulière au cours de la période intercritique. Ainsi, un ralentissement lors d’une tâche de stroop émotionnelle est rapporté chez des patients bipolaires normothymiques comparés à des témoins sains [6]. En utilisant une tâche d’induction émotionnelle, il a été montré que les patients bipolaires euthymiques assignent la même valence et le même niveau d’état émotionnel (arousal) pour les images positives et négatives que les sujets témoins. Cependant, les patients bipolaires perçoivent les images neutres comme étant plus agréables et avec un niveau d’arousal plus élevé que les témoins. Le réflexe de sursaut est concordant avec l’auto-évaluation, indiquant que les images neutres déclenchent un réflexe de sursaut plus important chez les patients bipolaires euthymiques que chez les témoins [7]. Ces résultats ont été confirmés par l’équipe de Giakoumaki [11] qui montre que les patients bipolaires normothymiques cotent plus positivement les images de valence neutres que les témoins. Cependant la réponse aux stimuli négatifs et positifs apparait augmentée dans d’autres travaux. Une étude d’imagerie cérébrale fonctionnelle montre que l’activation du réseau neuronal émotionnel est différente chez des adolescents bipolaires euthymiques comparés à des adolescents sans troubles psychiatriques, dans un contexte de lecture de mots à valence émotionnelle négatives [8]. Une étude en électroencéphalographie conforte ces résultats. Lors d’une tâche de reconnaissance visuelle émotionnelle l’amplitude de l’onde P200 en frontal augmente après des stimuli négatifs chez les patients bipolaires [9]. Une plus grande réactivité des émotions positives a également été rapporté, avec plus d’émotions positives après visualisation de film gaie, tristes et neutres chez des patients bipolaires euthymiques [10]. Ces résultats suggèrent une réactivité émotionnelle augmentée même en période de rémission. Il existe néanmoins une étude qui ne va pas dans le sens de ce constat et qui ne retrouve pas de différence au niveau de la réactivité émotionnelle entre des patients bipolaires et des témoins sans troubles psychiatriques [12]. En résumé, une plus grande réactivité émotionnelle est décrite dans les troubles bipolaires lors des épisodes thymiques dépressifs, maniaques, mixtes et hypomaniaques – à l’exception des dépressions ralentie et émoussée – mais aussi pendant les périodes de rémission. Sommeil et réactivité émotionnelle Les perturbations du sommeil font partie des symptômes principaux des épisodes thymiques. Une réduction du sommeil sans fatigue est communément rapportée lors des épisodes maniaques tandis que des insomnies, des hypersomnies ou des réveils matinaux précoces peuvent s’observer pendant les épisodes dépressifs majeurs. Cependant une persistance de troubles du sommeil a également été rapportée lors des périodes de rémission. Ainsi on retrouve chez près de 70 % des patients bipolaires euthymiques une mauvaise S175 qualité subjective du sommeil [13]. Les mesures objectives par actigraphie et polysomnographie perçoivent aussi ces perturbations du sommeil. Un actigraphe se compose d’un accéléromètre qui détecte les périodes prolongées d’inactivité et par ce moyen évalue le sommeil du participant. Cet outil se porte au poignet pendant plusieurs jours consécutifs et mesure les rythmes veille-sommeil dans l’environnement habituel du participant. La polysomnographie quant à elle se réalise le plus souvent dans un laboratoire du sommeil et mesure l’activité cérébrale, musculaire, cardiaque et respiratoire du sujet. Elle constitue le gold-standard dans le champ du sommeil. Les études actigraphiques retrouvent des rythmes veilles-sommeil plus variables d’un jour à l’autre et une durée du sommeil plus longue chez les patients bipolaires euthymiques comparés à des témoins sains et à des témoins avec insomnie [13-15]. Des réveils nocturnes plus fréquents sont rapportés en polysomnographie [16]. La régulation du sommeil repose sur deux processus [17] : le processus homéostatique et le processus circadien. Le processus homéostatique est accumulatif, il augmente pendant la veille et décroit pendant le sommeil. Le processus circadien comprend les rythmes circadiens, c’est-à-dire les phénomènes biologiques d’une période d’environ 24 heures (par exemple la sécrétion de la mélatonine et du cortisol, la température centrale, l’activité motrice). Le sommeil résulte de l’action combinée de ces deux forces, dette homéostatique et phase des rythmes circadiens. Des perturbations circadiennes sont rapportées dans les troubles bipolaires tant lors des épisodes thymiques que lors des périodes intercritiques [18]. Au cours des périodes de rémission, les patients bipolaires présentent un profil circadien différent des témoins sains se caractérisant par : un chronotype vespéral, l’émoussement du pic nocturne de mélatonine, une hypersensibilité de la sécrétion de mélatonine en réponse à la lumière, un taux de cortisol augmenté. Les liens entre réactivité émotionnelle et sommeil ont été étudiés en population générale. Ainsi une privation de sommeil a été associée à une plus grande sensibilité aux stimulations négatives et à une majoration des émotions à type de colère et de peur [19]. Chez des rongeurs, un manque chronique de sommeil entraine des perturbations de la réponse neuro-endocrinienne au stress ainsi qu’une perte de sensibilité des récepteurs sérotoninergique, pouvant évoquer des mécanismes observés dans les troubles anxieux et dépressifs [20]. Par ailleurs, le sommeil paradoxal, siège des rêves, semble particulièrement impliqué dans les processus de régulation des émotions. Une étude d’imagerie fonctionnelle en IRM rapporte une augmentation de l’activation de l’amygdale cérébrale (impliquée dans la régulation des émotions), chez des sujets ayant été privé de sommeil paradoxal la veille, au cours d’une tâche de reconnaissance d’images émotionnelles [21]. Une seconde étude d’imagerie fonctionnelle montre une hyperactivation des structures impliquées dans la régulation des émotions, au cours d’une tâche émotionnelle, chez des participants en restriction de sommeil paradoxal [22]. Des perturbations comparables des structures impliquées dans la régulation émotionnelle ont déjà été décrites chez des patients bipolaires normothymiques en dehors d’une situation de privation de sommeil [23,24]. Les relations entre sommeil et régulation émotionnelle ont également fait l’objet d’étude dans l’insomnie. Les études d’imagerie fonctionnelle retrouvent chez les patients insomniaques une moindre mise en repos des structures neuronales impliquées dans la régulation des émotions comme S176 l’amygdale cérébrale, l’hippocampe, l’insula, le cortex cingulaire antérieur et certaines régions préfrontales [25]. De plus une corrélation positive a été montrée entre une échelle évaluant la qualité subjective du sommeil chez des patients insomniaques et des modifications de la connectivité impliquant l’amygdale [26]. Une éventuelle transposition de ces résultats concernant les interactions entre sommeil et régulations émotionnelles reste à être évaluée dans les troubles bipolaires, l’hypothèse qui prévaut étant que les troubles mineurs du sommeil des patients pourraient entretenir voire augmenter l’activation des structures impliquées dans les réponses émotionnelles. Applications thérapeutiques Les liens entre perturbations des dimensions, réactivité émotionnelle et sommeil, dans les troubles bipolaires permettent d’entrevoir des traitements spécifiques. Concernant la dimension sommeil, des psychothérapies spécifiques comme la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (CBT-I) et la thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux (IPSRT) pourraient être utilisées en pratique courante pour des patients bénéficiant déjà d’un traitement médicamenteux, mais chez qui persistent des troubles du sommeil. Il en va de même pour les thérapies cognitives et comportementales ciblant la gestion des émotions. La CBT-I intègre plusieurs composantes ciblant les facteurs supposés perturber le sommeil. Ce traitement apparaît efficace et durable sur l’insomnie. Il n’a jusqu’ici jamais été appliqué et évalué dans les troubles bipolaires, quoiqu’il pourrait constituer une alternative thérapeutique innovante et efficace [27]. Bien entendu, la CBT-I devrait être adapté aux spécificités des troubles bipolaires, comme l’intolérance à la réduction du sommeil les caractérisant. Cette intervention comprend le contrôle du stimulus sommeil, la restriction du sommeil, un travail sur les croyances erronées concernant le sommeil, une analyse fonctionnelle d’une mauvaise nuit et de l’hygiène du sommeil. Le contrôle du stimulus doit permettre une utilisation exclusive de la chambre et du lit pour dormir (et non pas, par exemple, pour regarder la télévision ou travailler). De cette manière, le conditionnement attaché au lieu se réfère uniquement au repos. L’hygiène de sommeil comporte des consignes générales comme limiter les gênes sonores et lumineuses dans la chambre, maintenir une température extérieure ni trop chaude ni trop froide, privilégier les activités calmes et apaisantes dans les heures précédant le coucher. L’IPSRT est une thérapie privilégiant la régularité circadienne, développée comme traitement aigu et au long cours des troubles bipolaires [28]. Cette intervention repose sur la psychothérapie interpersonnelle validée empiriquement pour la dépression unipolaire, et qui se focalise sur le lien réciproque entre humeur et relations interindividuelles, mais aussi sur la thérapie des rythmes sociaux. Ainsi, l’IPSRT aide les patients à réguler leurs routines quotidiennes et l’intensité de leurs stimulations afin de consolider la régularité des rythmes biologiques sous-jacents. Comme abordé précédemment, le modèle d’instabilité circadienne du trouble bipolaire présuppose que les patients bipolaires sont fondamentalement vulnérables aux altérations touchant aux rythmes circadiens. De ce modèle découle l’idée qu’apprendre aux patients à suivre une vie plus régulière peut consolider leur intégrité circadienne et améliorer le pronostic de la maladie. L’IPSRT a montré son efficacité chez des patients bipolaires en augmentant la période de rémission. C. Boudebesse, et al La troisième vague des thérapies cognitives et comportementales a pour objet les émotions. Les techniques de relaxation et de pleine conscience (ou mindfulness) qui appartiennent à ce mouvement peuvent aider à mieux percevoir la qualité et l’intensité des émotions mais aussi à mieux les contrôler. Les méthodes de relaxation sont nombreuses et comprennent : des exercices de respiration, de contraction/ relaxation musculaires et d’imagerie mentales. Elles ont pour objectifs une meilleure régulation émotionnelle, une diminution de l’état « d’alerte » de l’organisme. La mindfulness s’inspire des techniques de méditation bouddhique et permettrait d’atteindre un état de conscience particulier résultant du fait de porter son attention volontairement sur l’expérience présente sans jugement. Son évaluation dans les troubles bipolaires retrouve une diminution de la symptomatologie anxieuse inter-épisodique [29] et une amélioration des fonctions cognitives [30]. Les effets croisés et potentialisés des thérapies du sommeil sur la réactivité émotionnelle, et pareillement des thérapies des émotions sur le sommeil, mériteraient des investigations supplémentaires au vue des interactions physiologiques probables entre sommeil et émotions au niveau du système limbique. Pour illustrer cette idée, notons la possibilité d’utiliser les rêves comme synthèse émotionnelle et cognitive et comme reflet des schémas et des distorsions cognitives dans certaine thérapie cognitive émotionnelle [31]. L’utilisation d’un agenda de rêve consignant le contenu du rêve, les émotions et cognitions associées a été proposé dans cette optique. L’efficacité de ce type de thérapie dans les troubles bipolaires reste à être évaluée. Enfin, l’utilisation des modèles de l’hyperéactivité émotionnelle et des perturbations circadiennes permettent une meilleure compréhension des mécanismes d’action des traitements thymorégulateurs. Ainsi l’administration de lithium à des primates diurnes, à des doses comparables à celles efficaces chez l’homme, allonge significativement la période circadienne d’activité, de manière réversible à l’arrêt du traitement [32]. Chez des participants sans trouble psychiatrique, le lithium réduit significativement la sensibilité mélatoninergique à la lumière [33]. De la même manière, le valporate de sodium diminue la sensibilité mélatoninergique à la lumière chez des participants sains [34] et augmente la période d’activité chez la drosophile [35]. L’effet des thymorégulateurs sur la diminution de l’hyperréactivité émotionnelle a également été étudié. Une étude d’IRM fonctionnelle retrouve une diminution de l’activité amygdalienne, lors d’une tâche émotionnelle de visualisation de visages, chez des patients bipolaires traités comparé aux témoins sains, et une augmentation de l’activité amygdalienne chez les patients bipolaires non traités comparé aux témoins [36]. De plus, une corrélation significative est observée entre thymorégulation par anticonvulsivant et baisse d’activation amygdalienne. Conclusion Les dimensions du sommeil et de la réactivité émotionnelle apparaissent altérées même au cours de la période intercritique. En effet sont retrouvées chez des patients bipolaires en rémission une plus grande labilité et plus grande intensité émotionnelle mesurée par auto-questionnaire, un ralentissement lors du stroop émotionnel, une augmentation de l’attribution d’une valence positive à des signaux neutres concordant avec un reflex de sursaut, des modifications Perturbations de la réactivité émotionnelle et du sommeil dans les troubles bipolaires en période intercritique fonctionnelles des réseaux neuronaux impliqués dans la régulation émotionnelle. On note également des perturbations du sommeil et des rythmes circadiens persistant pendant la période de rémission. Une durée du sommeil plus longue, des patterns veille- sommeil plus variables d’un jour à l’autre et des éveils nocturnes plus fréquents sont décrits chez les patients bipolaires normothymiques. Les interactions entre sommeil et réactivité émotionnelles sont étudiés en population générale et laissent supposer une influence de sommeil paradoxal sur les structures neuronales impliquées dans la régulation émotionnelle. Des recherches futures étudiant les interactions entre sommeil et réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires apparaissent pertinentes. L’hyperréactivité émotionnelle et les perturbations du sommeil peuvent faire l’objet de prise en charge en thérapie cognitive et comportementale. En pratique clinique, l’évaluation plus systématique de ces dimensions peut permettre de personnaliser le traitement du patient et de l’orienter plus fréquemment vers ce type de thérapie ciblé en cas de perturbations objectivées. Les effets couplés de la prise en charge du sommeil sur la réactivité émotionnelle et vice-versa restent à être évalués mais nous pouvons faire l’hypothèse d’effets croisés. La persistance de perturbation du sommeil est un marqueur de rechute précoce dans les troubles de l’humeur [37]. La prise en charge des altérations du sommeil au cours de la période inter-critique apparait donc cruciale. L’hyper-réactivité émotionnelle comme marqueur précoce de rechute thymique dans les troubles bipolaires reste à être évaluée. Enfin, des recherches futures apparaissent nécessaires pour évaluer l’impact fonctionnel des perturbations du sommeil et de la réactivité émotionnelle dans les troubles bipolaires. Déclarations d’intérêts C. Bourdebesse : Conférences : invitations en qualité d’intervenant (Otsuka Pharmaceutical France SAS). Ch. Henry a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts pour cet article. Références [1] Henry C, M’Baïlara K, Poinsot R, et al. Evidence for two types of bipolar depression using a dimensional approach. Psychother Psychosom 2007;76:325-31. [2] M’Bailara K, Atzeni T, Colom F, et al. Emotional hyperreactivity as a core dimension of manic and mixed states. Psychiatry Research, no 0. [3] Carver C, White T. Behavioral inhibition, behavioral activation, and affective responses to impending reward and punishment: The BIS/BAS scales. J Pers Soc Psychol 199466:319-33. [4] Henry C, Van den Bulke D, Bellivier F, et al. Affective lability and affect intensity as core dimensions of bipolar disorders during euthymic period. Psychiatry Research 2008;159:1-6. [5] Pavlova B, Uher R, Dennington L, et al. Reactivity of affect and self-esteem during remission in bipolar affective disorder: An experimental investigation. J Affect Dis 2011;134:102-11. [6] Kerr N, Scott J, Phillips ML. Patterns of attentional deficits and emotional bias in bipolar and major depressive disorder. Br J Clin Psychol 2005;44:343-56. [7] M’bailara K, Demotes-Mainard J, Swendsen J, et al. Emotional hyper-reactivity in normothymic bipolar patients. Bipolar Disord 2009;11:63-9. S177 [8] Pavuluri MN, Passarotti AM, Harral EM, et al. An fMRI Study of the Neural Correlates of Incidental Versus Directed Emotion Processing in Pediatric Bipolar Disorder. J Am Acad Child Adol Psychiatr 2009;48:308-19. [9] Sokhadze EM, Tasman A, Tamas R, et al. Event-related potential study of the effects of emotional facial expressions on task performance in euthymic bipolar patients. Appl Psychophysiol Biofeedback 2011;36:1-13. [10] Gruber J, Harvey AG, Purcell A. What goes up can come down? A preliminary investigation of emotion reactivity and emotion recovery in bipolar disorder. J Affec Dis 2011;133:457-66. [11] Giakoumaki SG, Bitsios P, Frangou S, et al. Low baseline startle and deficient affective startle modulation in remitted bipolar disorder patients and their unaffected siblings. Psychophysiol 2010;47:659-68. [12] Aminoff SR, Jensen J, Lagerberg TV, et al. Decreased selfreported arousal in schizophrenia during aversive picture viewing compared to bipolar disorder and healthy controls. Psychiatry Res 2011;185:309-14. [13] Harvey AG, Schmidt DA, Scarnà A, et al. Sleep-related functioning in euthymic patients with bipolar disorder, patients with insomnia, and subjects without sleep problems. Am J Psychiatr 2005;162:50-7. [14] Jones SH, Hare DJ, Evershed K. Actigraphic assessment of circadian activity and sleep patterns in bipolar disorder. Bipolar Disord 2005;7:176-86. [15] Millar A, Espie CA, Scott J. The sleep of remitted bipolar outpatients: a controlled naturalistic study using actigraphy. J Affect Disord 2004;80:145-53. [16] Knowles JB, Cairns J, MacLean AW, et al. The sleep of remitted bipolar depressives: comparison with sex and age-matched controls. Can J Psychiatry 1986;31:295-8. [17] Borbély AA. A two process model of sleep regulation Hum Neurobiol 1982;1:195-204. [18] Milhiet V, Etain B, Boudebesse C, et al. Circadian biomarkers, circadian genes and bipolar disorders. J Physiol 2011;105:183-9. [19] Anderson C, Platten CR. Sleep deprivation lowers inhibition and enhances impulsivity to negative stimuli. Behav Brain Res 2011;217:463-6. [20] Novati A, Roman V, Cetin T, et al. Chronically restricted sleep leads to depression-like changes in neurotransmitter receptor sensitivity and neuroendocrine stress reactivity in rats. Sleep2008;31:1579-85. [21] van der Helm E, Yao J, Dutt S, et al. REM sleep depotentiates amygdala activity to previous emotional experiences. Curr Biol 2011;21:2029-32. [22] Rosales-Lagarde A, Armony JL, Del Río-Portilla Y, et al. Enhanced emotional reactivity after selective REM sleep deprivation in humans: an fMRI study. Front Behav Neurosci 2012;6:25. [23] Houenou J, Wessa M, Douaud G, et al. Increased white matter connectivity in euthymic bipolar patients: diffusion tensor tractography between the subgenual cingulate and the amygdalo- hippocampal complex. Mol Psychiatry 2007;12:1001-10. [24] Wessa M, Houenou J, Paillère-Martinot ML, et al. Fronto-striatal overactivation in euthymic bipolar patients during an emotional go/nogo task. Am J Psychiatry 2007;164:638-46. [25] Nofzinger EA, Buysse DJ, Germain A, et al. Functional neuroimaging evidence for hyperarousal in insomnia. Am J Psychiatry 2004; 161:2126-8. [26] Huang Z, Liang P, Jia X, et al. Abnormal amygdala connectivity in patients with primary insomnia: evidence from resting state fMRI. Eur J Radiol 2012;81:1288-95. [27] Harvey AG. Sleep and circadian rhythms in bipolar disorder: seeking synchrony, harmony, and regulation. Am J Psychiatry 2008;165:820-9. [28] Frank E, Kupfer DJ, Thase ME, et al. Two-year outcomes for interpersonal and social rhythm therapy in individuals with bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatry 2005;62:996-1004. [29] Williams JMG, Alatiq Y, Crane C, et al. Mindfulness-based Cognitive Therapy (MBCT) in bipolar disorder: preliminary S178 [30] [31] [32] [33] C. Boudebesse, et al evaluation of immediate effects on between-episode functioning. J Affect Disord 2008;107:275-9. Stange JP, Eisner LR, Hölzel BK, et al. Mindfulness-based cognitive therapy for bipolar disorder: effects on cognitive functioning. J Psychiatr Pract 2011;17:410-19. Mehran F. Intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle. In : La troisième vague, Elsevier Masson, Issy-les-Moulineaux, 2007. Welsh DK, Moore-Ede MC. Lithium lengthens circadian period in a diurnal primate, Saimiri sciureus. Biol Psychiatry 1990;28:117-26. Hallam KT, Olver JS, Horgan JE, et al. Low doses of lithium carbonate reduce melatonin light sensitivity in healthy volunteers. Int J Neuropsychopharmaco 2005;8:255-9. [34] Hallam KT, Olver JS, Norman TR. Effect of sodium valproate on nocturnal melatonin sensitivity to light in healthy volunteers. Neuropsychopharmacology 2005;30:1400-4. [35] Dokucu ME, Yu L, Taghert PH. Lithium- and valproate-induced alterations in circadian locomotor behavior in Drosophila. Neuropsychopharmacology 200;30:2216-24. [36] Blumberg HP, Donegan NH, Sanislow CA. Preliminary evidence for medication effects on functional abnormalities in the amygdala and anterior cingulate in bipolar disorder. Psychopharmacology (Berl.) 2005;183:308-13. [37] Franzen PL, Buysse DJ. Sleep disturbances and depression: risk relationships for subsequent depression and therapeutic implications. Dialogues Clin Neurosci 2008;10:473-81.