Trouble bipolaire : la pathologie intercritique S149
psychologique, d’inaptitude sociale, ainsi que des troubles
cognitifs [12]. Ces derniers seront détaillés dans un autre
article de cette revue.
Les prodromes dépressifs les plus fréquents paraissent
être l’humeur dépressive, le manque d’énergie et les dif-
fi cultés de concentration, alors que l’on retrouve le plus
souvent, parmi les prodromes maniaques l’accroissement
d’activité, l’élévation de l’humeur et la diminution du
besoin de sommeil [12]. À la suite d’un certain nombre
d’études tant rétrospectives que prospectives, plusieurs
caractéristiques des prodromes bipolaires ont pu être
établies [2] : leur grande variabilité d’un sujet à l’autre,
une différence constante entre les rechutes maniaques et
les rechutes dépressives, leur caractère idiosyncrasique à
l’individu et à la polarité de la rechute, leur consistance
quant à leur nature, leur ordre et leur durée d’évolution
entre les épisodes maniaques et ce pour chaque individu, la
différence qualitative des prodromes maniaques par rapport
aux autres symptômes inter- épisodiques, la consistance
en nature et ordre d’évolution mais non pas durée, des
prodromes dépressifs par rapport aux autres symptômes
inter- épisodiques et enfin, leur caractère hautement
prédictif des rechutes.
Comorbidités
et effets indésirables des traitements
La pathologie intercritique comporte également des symp-
tômes qui relèvent de troubles comorbides à la pathologie
bipolaire. Ces troubles peuvent être psychiatriques ou
somatiques. Les seconds feront l’objet d’un autre article
dans cette revue.
Les troubles psychiatriques de l’axe I le plus souvent
associés en intercritique au trouble bipolaire sont les abus
de substance et les troubles anxieux [2]. Une histoire d’abus
de substance ou de dépendance accompagne le trouble
bipolaire dans environ 50 % des cas, constituant un problème
primaire ou secondaire [2,13]. Cette comorbidité concerne
des patients ayant débuté plus tôt leur affection et s’ac-
compagne d’un taux de rechutes élevé, avec des rémissions
diffi ciles à atteindre et un risque suicidaire accru [2]. L’abus
de stimulants ou d’alcool semble induire des modifi cations
thymiques qui peuvent conduire, en intercritique, à l’appa-
rition d’une rechute [2]. L’étiologie de cette comorbidité
semble complexe de même que sa relation au trouble
bipolaire, les deux devant s’envisager au cas par cas [2,13].
Les comorbidités anxieuses sont également très fré-
quentes avec des taux d’au moins 10 % pour le trouble
bipolaire I, mais qui peuvent être beaucoup plus élevés selon
le type de patients inclus [2]. Les comorbidités anxieuses
sont responsables de tableaux plus sévères, avec un nombre
accru de rechutes, de tentatives de suicide ainsi que de
rémissions diffi ciles à obtenir [13]. Elles sont par ailleurs
elles- mêmes souvent associées à des abus de substance et
paraissent diffi ciles à traiter, ce dont témoigne le nombre
élevé de traitements reçus soit de façon séquentielle soit en
combinaison afi n d’obtenir la rémission [2]. Cette diffi culté
de traitement pourrait être responsable du nombre élevé de
symptômes intercritiques qu’elles peuvent occasionner [2].
Le problème des comorbidités avec les troubles de l’axe
II seront évoqués au chapitre suivant. Dans certains cas, des
symptômes intercritiques de type dépressif ou hypomaniaque
peuvent également être liés à la survenue d’événements de
vie stressants, tels que par exemple une émotion exprimée
élevée au sein des familles de patients, qui peuvent être
source de dysfonctionnement et de rechutes [2].
Les psychotropes peuvent également conduire à l’ap-
parition de symptômes intercritiques : les antidépresseurs
sont susceptibles de désinhiber l’humeur, induisant des
symptômes hypomaniaques ou une accélération des cycles ;
les antipsychotiques, surtout de première génération peuvent
induire des symptômes dépressifs [2]. Ces symptômes inter-
critiques peuvent favoriser les rechutes soit directement, soit
par l’intermédiaire d’un défaut d’observance [2].
Tempéraments
et troubles de la personnalité
Le terme de tempérament désigne généralement les
aspects génétiques ou constitutionnels de la personnalité,
alors que celui de caractère fait référence aux attributs
acquis au cours du développement au sein de la structure
familiale [14]. Akiskal et al. [14,15] ont montré, dans la
continuité des travaux de Kraepelin, qu’un certain nombre
de tempéraments fondamentaux (hyperthymique, dépressif,
cyclothymique, irritable et anxieux) se retrouvaient chez les
apparentés de premier degré des patients bipolaires, ainsi
que chez ces derniers tout au long de l’évolution de leur
maladie. Des outils systématiques et validés existent pour les
évaluer [16]. Ces tempéraments, présents entre les épisodes,
peuvent favoriser la survenue des rechutes thymiques, soit en
augmentant, du fait de leurs caractéristiques, l’occurrence
de situations stressantes, soit en conduisant, de fait de ces
mêmes caractéristiques à un abus de substances qui préci-
pite, de même que le stress, la rechute [15]. La polarité des
rechutes paraît nettement dépendre des caractéristiques de
ces tempéraments [14,15]. Il est également possible que la
présence de certains traits tempéramentaux puisse favoriser
la survenue de comorbidités anxieuses [17].
L’existence d’un trouble de personnalité, au sens de
l’axe II, doit être distinguée, sur le plan théorique, de celle
d’un tempérament, dans la mesure où la présence d’un
tel trouble est indépendante, sur le plan étiologique, du
trouble bipolaire. Les patients bipolaires ayant un trouble
de personnalité associé semblent présenter des épisodes plus
longs et plus diffi ciles à traiter par les seuls psychotropes [2].
En outre, leur pathologie, présente en intercritique, est
à même de favoriser la non- observance aux traitements
psychotropes ou de compromettre un engagement psychothé-
rapeutique [2]. De même que pour les tempéraments, leurs
caractéristiques psychopathologiques sont par ailleurs sus-
ceptibles de favoriser les rechutes, comme par exemple dans
le cas des personnalités narcissiques, obsessive- compulsives
ou dépendantes [14].
Enfi n certains troubles de la personnalité qui ne corres-
pondent pas obligatoirement à des caractéristiques réper-
toriées au sein des éditions successives du DSM, pourraient
résulter de défauts d’adaptation à la suite d’un épisode
thymique ou bien de changements à long- terme résultant
de la récurrence de nombreux épisodes thymiques [14].
Ces pathologies secondaires de la personnalité revêtent
des aspects multiformes donnant lieu à des traits anxieux,
hystéroïdes, caractériels, hypocondriaques, agoraphobiques,
dépendants, voire évocateurs du typus melancholicus avec
addiction au travail et excès de scrupulosité [14]. Ces
troubles présents également en intercritique, favoriseraient
les rechutes par des mécanismes analogues à ceux précé-
demment décrits [14].