Kass‚_ Nouvelles_r‚flexions_sur_la_Strat‚gie_de_d‚veloppement.doc

Introduction a une réflexion sur de nouvelles
stratégies de développement pour le Sénégal.
Par
Professeur Moustapha KASSE, Président de l’Ecole de Dakar
Introduction
Jamais dans l’histoire, la planète n’a accumulé autant de
richesses matérielles, financières et techniques. Jamais les hommes
et femmes n’ont été aussi conscients des perspectives réelles pour
la satisfaction de leurs besoins, non seulement au sens strictement
économique mais encore au sens social et humain plus large. Et
pourtant, jamais les disparités n’ont été aussi fortes entre le Nord et
le Sud. Jamais la pauvreté n’a été aussi massive. La mondialisation
caractéristique dans la production, les finances et les échanges
apparaît ainsi comme un phénomène fortement asymétrique et
dual. Les stratégies suivies par les pays riches comme pauvres
semblent toutes conduire l’humanité à des impasses, du point de
vue des perspectives nationales comme de celui de l’ordre mondial.
Les stratégies de développement telles qu’elles se sont
déployées durant le dernier quart de siècle a multiplié les problèmes
des nations et des individus qui les peuplent. Paradoxalement,
l’abondance n’a pas apporté l’amélioration du niveau ou de la
qualité de la vie aux populations. Elle a plutôt pollué
l’environnement, gaspillé de gigantesques ressources, engendré la
peur et le doute relativement aux relations intergénérationnelles.
L’incapacité à maîtriser les turbulences des systèmes
économiques et financiers, à gérer les risques et les incertitudes et
à gouverner l’ordre mondial sont quelques manifestations évidentes
du fait que des changements fondamentaux sont, aujourd’hui,
indispensables et urgents, dans toutes les sphères des sociétés.
Concernant les pays en voie de développement, non seulement la
pauvreté est grandissante, mais les populations sont de plus en
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plus insatisfaites et impatientes et les jeunesses frustrées de leur
manque et de leur pénurie quant aux nécessités les plus
élémentaires de la vie : nourriture, éducation, soins médicaux,
logement, eau potable. Or, il est bien connu qu’un monde qui
désespère est un monde qui va exploser.
Que disent et que font les économistes face à toutes ces
mutations ? A quoi servent toutes leurs théories et leurs modèles ?
Les rendent-ils capables de transformer par la force des
idées pareille situation ?
La question de la scientificité de l’économie est à nouveau
posée. En vérité ce n’est pas une question désincarnée : l’économie
n’est une science que si elle aide à comprendre le monde (théorie
positive) et à dégager des instruments pour le transformer (théorie
normative). En conséquence, la communauté des économistes,
surtout africains, devrait partager un système de référence et des
informations suffisantes sur le cadre conceptuel qui a influencé le
processus du développement et qui a abouti à l’élaboration du
consensus de Washington fondement doctrinal des Programmes
d’Ajustement Structurel. Toutefois, les résultats mitigés et les
multiples contestations de cette épure imposent aujourd’hui, un
nouveau questionnement sur les stratégies du développement qui,
tenant compte des enseignements du «grand miracle» des pays
d’Asie, devraient déboucher sur de nouvelles formulations du
développement africain.
I- Les anciennes approches et stratégies
de développement.
Le cadre intellectuel qui a influencé les différentes approches
des processus de développement économique du dernier quart de
siècle gravitait autour de la croissance économique considérée
comme voie unique de sortie du sous-développement. Les pays qui
s’engageaient dans ce processus devaient réaliser une croissance
accélérée, au taux le plus élevé possible compte tenu des ressources
disponibles. De plus, il était souhaité que cette croissance soit
harmonieuse, équilibrée et débarrassée de toute fluctuation trop
forte en baisse comme en hausse.
L’adaptation du modèle aux pays en développement allait
inclure d’autres facteurs comme la quantité et la qualité «réelles» de
l’aide étrangère et des transferts de technologie destinés à
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compléter le capital local insuffisant. Les faibles efforts de
mobilisation internes des ressources, rendaient les estimations
concernant les possibilités de croissance rapide sans grande valeur
pratique dans le modèle.
Les études de la Banque Mondiale (BM) et du Programme des
Nations-Unies pour le Développement (PNUD) ont largement montré
que les aides et les transferts de technologie ont principalement
servi à créer des sociétés «molles» et à augmenter l’endettement
extérieur qui devient aujourd’hui insoutenable. C’est pourquoi, le
Président Abdoulaye WADE, dans «Le Plan Oméga pour l’Afrique»
montre justement que le binôme aideendettement était rentré dans
une impasse totale ce qui impose de nouvelles formules pour le
financement du développement.
En ce qui concerne la fameuse question du transfert de
technologie, les firmes multinationales qui furent les principaux
vecteurs de cette politique ont tiré de leur «know-how» et de leurs
équipements un prix excessif. En conséquence, la technologie
«empruntée» pour la substitution aux importations et qui est à
haute intensité de capital, n’avait que de très faibles liens avec la
valorisation des ressources naturelles et la main-d’œuvre, ou avec
le reste de l’équipement technologique existant dans les pays
récepteurs.
C’est pour enquêter sur la réalité et les résultats des efforts
d’aide et de développement international des années 50 à 60 et
pour les ajuster aux besoins de modernisation des pays pauvres
que la Commission Pearson fut créée en 1968 par la Banque
Mondiale. Le Rapport Pearson jugea que l’écart grandissant entre
pays développés et pays en développement était devenu l’un des
principaux problèmes de notre temps. Comme solution, il
recommandait pour ces derniers pays un taux de croissance de 6%
par an, une réduction des barrières douanières des pays
développés, l’augmentation de l’aide étrangère privée et un transfert
de 1% du PNB des pays développés aux pays en développement.
Il fut dès le départ évident que la Commission avait sous-
estimé l’importance de la crise mondiale menaçante et minimisé les
extraordinaires privilèges des pays riches dans une tentative de
restaurer l’ancien mythe d’«un monde unique». Ses vues sur le
développement se situaient dans le vieux cadre intellectuel décrit ci-
dessus et ne cherchaient nullement à aller au-delà.
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II- Le débat des années 70 et le consensus de
Washington : l’instauration d’un modèle
d’économie de marché.
La crise économique des années 70 et 80 réactive le débat de
fond sur «le sous-développement et ses solutions», en particulier
entre groupes de spécialistes des sciences sociales sireux d’une
part, d’aller au-delà du Rapport Pearson et de son référentiel
normatif d’analyse économique et d’autre part, d’examiner toutes
les réalités économiques, mais aussi sociales et historiques
dissimulées par l’ancien schéma analytique du développement.
Tandis que le débat se développait, deux Ecoles pouvaient
clairement être identifiées.
1°) L’Ecole orthodoxe et les réformes pour une
économie de marché.
La première Ecole, celle des tenants de l’orthodoxie de l’économie libérale,
estime qu’il faut redéfinir la philosophie et les objectifs du développement qui se
réduisent pour l’essentiel à la croissance économique. Dans les années 80, suite à
la crise de la dette, l’intervention des Institutions de Bretton Woods dans le débat
sur le développement va s'accompagner de profondes transformations, tant dans la
pratique que dans la réflexion. Une nouvelle ère en matière de développement est
ouverte, que les spécialistes vont assimiler au "consensus de Washington" qui
remettait en cause la théorie du développement et la spécificité des sociétés sous-
développées. Il constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néo-
classique qui, sur la base de l'échec des stratégies de veloppement et des
théories qui les portent, va étendre le champ d'application de son cadre d'analyse
aux sociétés sous-développées.
Du point de vue théorique, le consensus de Washington remet en cause
toute forme d'interventionnisme étatique et proclame la suprématie du marché dans
l'allocation des ressources. Ce discours se rattache à la doctrine de l'équilibre
général qui conçoit la possibilité d'une économie décentralisée suite à l'émergence
des prix d'équilibre résultant de la confrontation sur le marché de l'offre et de la
demande des agents économiques. D'autre part, le consensus de Washington remet
à l'ordre du jour les théories de l'avantage comparatif pour critiquer les choix
d'import-substitution ou d'industrialisation liée au marché interne, et pour justifier
une insertion internationale basée sur les dotations en facteurs des pays sous-
développés. Ainsi, désengagement de l'Etat, régulation marchande et avantages
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comparatifs seront les maîtres-mots des années 80 mais aussi les piliers de
l’ajustement structurel.
Confrontés aux déséquilibres financiers, à la montée de l’endettement et à la
stagnation de la production pendant la décennie des années 80, les pays d’Afrique
ont été contraints de privilégier les politiques d’ajustement et de stabilisation par
rapport aux politiques de développement et aux plans à moyen et long terme.
L’approche en termes d’ajustement structurel est largement justifié par le
gaspillage des ressources, l’inefficacité de l’économie administrée et le poids des
distorsions introduites dans le système de formation des prix et des revenus sur les
marchés des biens et services, du travail, des capitaux et des changes.
Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation afin de réduire
les déficits et de promouvoir une série de réformes structurelles pour assurer une
plus grande régulation privée de l'économie et accroître l'insertion des économies
nationales dans une mondialisation jugée incontournable et irréversible. Pour cette
Ecole orthodoxe les PAS constituent une solution appropriée à la crise économique
africaine des années 80 et de celle provenant en grande partie aux politiques
économiques erronées des années 60 et 70. Après plus d’une décennie de réforme
introduite par les PAS dans les pays subsahariens, la Banque Mondiale (World
Bank, 1994) conclut, en se basant sur les éléments d’appréciation recueillis dans 29
pays engagés dans la voie de l’ajustement, que les réformes ont été payantes et que
les pays qui ont fait un effort particulier ont bénéficié d’un retournement tant au
plan de la croissance que de la situation socio-économique, bien que ce
retournement soit encore fragile.
Les contre-performances (ou l’absence de développement) observées dans
les années 90 seraient alors en grande partie attribuée au fait que les politiques
«rationnelles» que comportaient les PSAS n’ont pas été correctement appliquées.
Les facteurs qui paraissent avoir empêché le bon déroulement des réformes sont
nombreux. Diverses études de la Banque Mondiale notent des contraintes telles
que :
les difficultés à faire passer des réformes institutionnelles
politiquement délicates (en raison de la puissance des groupes de
pression) ;
le fait que les gouvernements concernés n’ont pas assumé la paternité
des réformes ;
l’insuffisance des financements extérieurs ou de crédits pour la mise
en œuvre des programmes ;
la faiblesse des moyens administratifs et institutionnels des pays
subsahariens disponibles pour la mise en œuvre des réformes ;
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