S'il y a donc accord unanime sur ce constat d'échec, resterait cependant à en déterminer les causes profondes et
à en élucider les mécanismes subtils qui y ont conduit. Echec d'un modèle qui a tout de même prévalu pendant
plus de deux décennies, pour ne pas dire plus ! Mais voilà et c'est là que le bât blesse, il n'y a pas unité de vue,
de diagnostic commun, sur les dynamiques, en propre, qui ont mené le pays dans le mur !
Pour les uns le modèle aurait été progressivement perverti par le népotisme et la corruption, un modèle qui
aurait fini par perdre sa vitalité sous les effets conjugués des passe-droits et du clientélisme envahissant,
étouffant par là même toutes les énergies. En d'autres termes, plus conventionnels, les phénomènes de
distorsion de concurrence et d'entraves au libre jeu des forces du marché auraient poussé vers cette impasse.
Pour d'autres ces mêmes phénomènes ne sont que l'apparence des choses. Ils n'ont constitué, au mieux, qu'un
accélérateur d'un modèle dès l'origine inégalitaire et insoutenable comme en témoignent la fracture sociale et la
fracture régionale, qui n'ont toutes deux qu'un lointain rapport avec le favoritisme et la prédation.
Le chômage massif des jeunes et la persistance d'une large précarité sociale ne peuvent être attribués au seul
capitalisme de copinage… mais au capitalisme tout court, certes encore quelque peu dirigé !
Tout serait affaire de réformes
Du coup la seule issue entrevue par les classes dirigeantes est d'expurger le canevas de ses oripeaux, de
régénérer le modèle jugé encore pertinent et valide. A telle enseigne qu'il est surtout question d'assainir le
«climat des affaires», de réitérer «le primat de l'investissement privé» corrélatif à la poursuite du
désengagement de l'Etat, de conforter la «bonne gouvernance» assimilée à la régulation du libre jeu des
marchés. D'essence libérale mais perverti, le «modèle» peut être réhabilité pour autant qu'il soit rénové! Voilà
en substance ce que l'on peut entendre depuis déjà quelques mois.
Tout ne serait donc affaire que de réformes… et de surcroit «structurelles», afin de s'en auto-persuader si
besoin était. Des réformes douloureuses et impopulaires s'aventurent à dire certains, quand d'autres se
contentent de rester sur le terrain du «nécessaire dans l'intérêt général». D'où les hésitations que nous
entrevoyons, de ce faux immobilisme du moment présent que nous percevons. Car à l'évidence les enjeux sont
de taille! Mais comment alors faire repartir une société en panne ?
Depuis la formation du premier gouvernement de la deuxième République la question «centrale» de la réforme
se pose avec acuité. Non pas tant du point de vue de sa finalité ultime qui n'est autre que de prolonger, de
restaurer ce modèle «national libéral» en renouvelant ses ressorts, mais bien du point de vue de l'acceptabilité,
autrement dit du consentement du plus grand nombre.
Il s'agit donc de la pédagogie à mettre en œuvre pour réaliser cette réforme. Les autorités au pouvoir se savent
ne pas être en mesure de passer en force compte tenu des tensions sociales. Un risque réel et bien trop grand
qui pourrait dégénérer en explosion sociale. Du coup le gouvernement cherche des biais, le bon timing, la
fenêtre d'opportunité pour se lancer à la conquête de l'opinion qui permettrait de légitimer de nouvelles
pratiques… le fameux consensus, règle immuable de la sphère politique depuis des lustres. Mais il n'aura
échappé à personne que les réformes envisagées forment un tout cohérent et pertinent. Aucune d'elles, prise
seule n'est suffisante. Mieux chacune d'elles renforce l'efficience des autres et le caractère performatif de
l'ensemble.
Tout pour l'initiative privée
Observons ! Des projets de lois sont proposés, à intervalles plus ou moins réguliers, à l'examen d'un conseil
ministériel restreint puis transmis aux commissions spécialisées de l'assemblée nationale. Nous n'en serions
d'ailleurs qu'au tout début car le train de mesures imaginées et projetées ne comporterait pas moins d'une
douzaine de «grandes réformes». Nous n'inventons rien!