Nouvelles Stratégies de Développement – Pr. Moustapha KASSE
aussi que l’on satisfasse aux besoins et désirs non matériels : auto-détermination, autonomie, liberté
politique et sécurité, participation à la prise des décisions affectant travailleurs et citoyens, identité
nationale et culturelle, et désir de sentir que la vie et le travail ont un sens».
L’Ecole hétérodoxe composée pour l’essentiel des différents courants marxistes et néo-
marxistes ainsi que des institutionnalistes et des «tiers-mondistes», reprend à son compte certaines
de ces critiques de l’Université des Nations-Unies mais avec des formulations techniques nettement
améliorées. Malgré son caractère idéologiquement hétérogène, les auteurs s'éloignent du modèle
walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et l'incapacité des politiques de stabilisation
et d'ajustement orthodoxe à opérer les transformations nécessaires à une reprise durable de la
croissance dans le Tiers-Monde. Dans ce sens, J. STIGLITZ, ancien économiste principal de la
Banque mondiale, «si les politiques économiques issues du consensus de Washington se sont avérées
aussi peu performantes dans ce qui était leur objectif principal à savoir l’instauration d’un processus
vertueux de croissance économique harmonieuse ; c’est parce qu’elles ont confondu les moyens avec
les fins».
En effet, même «un taux de croissance élevé n’a constitué et ne constitue pas une garantie
contre une aggravation de la pauvreté»( Mahbub Ul Hacq : Banque mondiale). La libéralisation, la
recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises comme des fins plutôt que comme des
moyens d’une croissance durable et équitable. De plus, ces politiques se sont beaucoup trop
focalisées sur la stabilité des prix plutôt que sur celle de la croissance et de la production. Elles n’ont
pas su reconnaître que le renforcement des institutions financières est aussi important pour la
stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse monétaire. Elles se sont
concentrées sur les privatisations, mais elles n’ont guère attaché assez d’importance à l’infrastructure
institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des marchés, et particulièrement à la concurrence
et à la compétitivité.
Depuis les années 90, la médiocrité persistante des performances économiques et financières
ont continué de se manifester à travers la détérioration généralisée des indicateurs
macroéconomiques, la désintégration des structures de production et des infrastructures et la
détérioration rapide du bien-être social notamment l’éducation, la santé publique et le logement, a
appelé le nécessaire ajustement de l’ajustement. En effet, pour beaucoup d’ économistes partisans
de cette approche hétérodoxe, l’échec du développement dans les pays subsahariens est avant tout le
produit :
de l’échec des politiques économiques adoptées après l’indépendance, dans les années 60
et 70 ;
de l’échec des PSAS mis en œuvre dans les années 80 pour remédier aux faiblesses
structurelles des économies et des institutions des pays subsahariens.
Ces faiblesses tiennent pour l’essentiel à la distorsion de la structure des échanges (à cause
de la place excessive des produits primaires), au manque de modernisation de l’agriculture, à
l’étroitesse et à la faiblesse de la base industrielle, et avant tout au niveau extrêmement faible de
développement des ressources humaines ainsi qu’à l’insuffisance du réseau des transports et des
équipements d’infrastructure dans les régions rurales (Cornia, 1991). Pour ces économistes, l’analyse
de la stratégie de développement à long terme montre qu’il est vital de trouver des solutions pour
remédier à l’insuffisance des ressources humaines et des infrastructures.
D’ailleurs, si les analystes ne semblent pas imputer totalement la stagnation économique des
pays subsahariens aux seuls programmes d’ajustement en tant que tels, ils soulignent cependant
qu’en accordant une prépondérance quasi absolue aux mesures de stabilisation à court terme, au lieu
de s’attaquer aux problèmes structurels fondamentaux, ces programmes ont en fait amené les
économies africaines à s’écarter de la voie d’une croissance durable (Cornia, 1991 ; Stewart, 192).
Certains estiment même avec force d’arguments tirés de l’analyse économique qu’un cadre de
développement modifié peut encore fonctionner «efficacement» :
si la justice sociale ou distributive est intégrée dans les modèles ;
s’il existe des institutions fiables, démocratiques et transparentes de coordination des
transactions des acteurs et qui soient capables de faire fonctionner un système de
planification techniquement rénové essentiellement du haut vers le bas («top down») ;