Crise financiŠre.doc

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La crise financière : comment
et quels effets sur l’Afrique ?
Par
Professeur Moustapha Kassé, Ecole de Dakar
www.mkasse.com
Introduction
L’année dernière dans le cadre des activités de l’Ecole de Dakar nous avions
introduit avec le professeur Dominique PLIHON, un débat avec des banquiers, des
enseignants et des chercheurs sur l’imminence d’une crise financière d’une extrême
gravité dont les subprimes n’étaient pratiquement qu’un effet de surface. Nous étions
arrivés au constat que la formation de bulles immobilières dans certains pays riches
(Etats-Unis), leur rapide propagation (Europe principalement) ainsi que la
multiplication des déséquilibres financiers accroissent les risques d'une grave crise
financière mondiale. «Rêveries d’universitaire, simples spéculations alarmistes »
avait ironiquement rétorqué, un haut responsable de Banque. La bonne preuve
ajoutait-il avec assurance, « les fondamentaux du système financier international
sont solides, les mécanismes de solidarité le sont également». Aujourd’hui, suite à la
crise des subprimes, plusieurs banques américaines, comme la Lehman BROTHERS,
se sont mises sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites, simple
contorsion pour dire que l'établissement financier est dans la banqueroute.
D’autres faillites effectives ou annoncées ont entrainé partout la dégringolade
des marchés boursiers signe précurseur d’une des plus graves crises de l’économie
internationale. Tout le monde s’accorde pour reconnaître, après le directeur général
du FMI, Dominique STRAUSS-KAHN, que « le pire de la crise financière est à
venir». Chaque jour de nouveaux secteurs, de nouveaux établissements rentrent dans
la tourmente. Dans ce sens, David WYSS ajoute que «pour Wall Street et pour les
marchés financiers, nous vivons là, la pire crise depuis la Grande dépression des
années 1930 ». Dans tous les pays les banques centrales multiplient les
décaissements pour éviter une pénurie de crédits, préjudiciable à l’ensemble de
l’économie cela d’autant plus que depuis le début de la crise financière introduite par
les subprimes, ces établissements sont réticents à se prêter de l'argent entre eux sur le
marché monétaire.
Personne ne doute que c’est le capitalisme mondial qui est rentré dans une
crise globale d’une rare profondeur et d’une rare ampleur : elle à la fois une crise
financière, de liquidité, de dysfonctionnement des marchés minés par les
spéculations. Elle est aussi économique et deviendra sociale avec toutes les
contractions annoncées des systèmes productifs.
Malgré l’ampleur des mesures prises dans l’ensemble des pays développés,
notamment par les autorités politiques, les banques centrales, il est encore
impossible de conjecturer sur la stabilisation des turbulences des marchés financiers.
La multiplication des bulles et des déséquilibres ne sont que la face visible d’une crise
profonde du système monétaire international qui a suscité, ces dernières années, de
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nombreux travaux théoriques et statistiques qu’il faut analyser avec lucidité pour en
comprendre à la fois les mécanismes et les conséquences particulièrement pour les
acteurs les plus fragiles de la globalisation comme l’Afrique.
I/ La crise, quelle crise ?
Commençons par rappeler que la crise financière peut être définie comme une
fluctuation de grande ampleur affectant tout ou partie de variables financières que
sont le volume d’émission et cours des obligations ou des actions, l’encours des
crédits et de déports bancaires, le taux de change. Précisément, on parle de crise
lorsque s’effondre la valeur de ces variables. Aujourd’hui, les bourses s’effondrent, les
titres et obligations se déprécient, les banqueroutes se multiplient. Cette situation de
crise partie des Etats-Unis est en train, par l’effet domino, de se propager dans la
totalité des places boursières du monde entrainant la débâcle des banques et une
forte restriction des crédits préjudiciable à terme à toute l’économie mondiale. En
effet, ce resserrement du crédit, dans beaucoup de pays industrialisés va restreindre
la consommation des ménages et les investissements des entreprises ce qui risque
d’entrainer à terme la récession économique.
Les marchés financiers présentent, aujourd’hui, deux caractéristiques qui sont
les principaux germes de la crise : le volume impressionnant des montants concernés
ce qui leur donne un énorme pouvoir et leur contrôle de la sphère réelle. Concernant
la première caractéristique, la finance mondiale (actions, obligations et crédits
bancaires) a un poids démesuré et pèse l’équivalent de quatre fois le Produit Intérieur
Brut Mondial. Cela à été possible grâce à la globalisation provenant de ce que D.
PLIHON appelle les 3D : la désintermédiation, le décloisonnement des marchés et la
déréglementation, trois situations qui ont permis véritablement la formation d’un
quasi marché planétaire unique de l’argent.
D’abord, l’effacement des frontières (décloisonnement) va permettre une libre
circulation des capitaux qui n’obéît qu’à une logique unique de rendement optimal de
l’argent : une transaction peut se produire entre deux entités, dans deux endroits
différents, pour le compte d’un client situé dans un troisième avant d’être conclu
dans un quatrième endroit. Ensuite, les frontières institutionnelles vont également
disparaitre complètement : les institutions financières exercent désormais plusieurs
métiers. Dans ce sens, les banques diversifient leurs activités traditionnelles de crédit
vers des opérations d’intermédiation non prises en compte dans leur bilan. Enfin, les
progrès technologiques vont introduire des innovations et des transformations
majeures qui se traduisent par une importante diversification des produits et des
instruments qui rendent la finance plus entremêlée, plus complexe et plus instable.
Au titre de ces innovations on peut noter les progrès de l’ingénierie financière et des
télécommunications qui permettent l’interconnexion des marchés qui peuvent
fonctionner en instantané, les produits dérivés issus des actifs financiers (créances
primitives, actions, obligations) qui prennent une place importante et circulent entre
les agents financiers. A cela s’ajoute une grande diversification des acteurs financiers
qui deviennent, du reste, de plus en plus imbriqués comme les fonds de retraite et de
pension, les investisseurs institutionnels, les fonds d’investissements collectifs, les
compagnies d’assurance. Ces multiples innovations sont sources d’instabilité du fait
de leurs effets ambivalents.
Pour ce qui est de la seconde caractéristique, elle est relative à la suprématie de
la finance et son contrôle sur tous les acteurs de la production des biens, des services
et des innovations ainsi que ceux de la consommation. Effet, les politiques de
libéralisation et de privatisation ont largement facilité cette forte emprise de la haute
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finance sur le système productif. Dès lors, ce pouvoir exorbitant de la finance fait que
sa déstabilisation se répercute immédiatement sur le rythme de croissance des
économies, l’emploi et le bien-être des populations.
Le système financier international est particulièrement marqué par une
logique purement spéculative. En effet, « les marchés financiers sont des « marchés
de promesses »: nul ne sait ce que sera demain le « bon niveau » d'un taux d'intérêt,
d'un taux de change ou du cours d'une action. Cette incertitude engendre une grande
variabilité des paris effectués par les intervenants qui préfèrent généralement suivre
la tendance générale et avoir tort avec les autres plutôt que raison tout seuls ». En
simple, les actifs de crédits se divisent en trois catégories : les actifs à bas risques qui
rapportent peu mais sont très sûrs, ensuite les crédits plus risqués financièrement
assez intéressants et enfin les crédits à très haut risque, dont font partie les
« subprimes ». Ces actifs sont mis en circulation sur les marchés financiers où ils sont
achetés par des banques du monde entier. Dans un système aussi fortement
imbriqué, les difficultés d’un acteur se propagent, par effet de domino, à l’ensemble
des autres acteurs du marché. R.BOYER souligne que les acteurs bancaires et
financiers ont tendance à prendre d’autant plus de risques que la conjoncture est
bonne et d’autant moins lorsque les perspectives sont défavorables.
Au total, le capitalisme financier présente quatre éléments de fragilité qui sont
à la base de la crise qu’il traverse actuellement à savoir :
- L’incapacité de mesurer la quantité et la qualité de moyen de paiements au
niveau mondial du fait de la multiplicité des produits comme les produits dérivés
dont personne ne sait comment les gérer ;
- La difficulté à contrôler les activités des établissements financiers qui sont
trop entrelacés avec des conglomérats qui brassent des ressources financières
astronomiques;
- La montée en puissance des finances illégales provenant de la corruption
des rapines, de la drogue de l‘argent sale qui est à la recherche d‘espace de
blanchiment. Le produit criminel brut est estimé à beaucoup plus de 1000 milliards
de dollars (3 fois la dette africaine) ;
- La montée des risques et des incertitudes qui sont nourris très fortement par
la spéculation. Observons que les fameux 1400 milliards de dollars qui s’échangent
chaque jour sont pour beaucoup dans l’instabilité des taux de change qui encourage à
leur tour la hausse des taux d’intérêt déclenchant alors la spirale spéculative
conduisant directement aux bulles financières.
Cette constellation de faits corrélés et totalement incontrôlés avait conduit le
Prix Nobel d’économie Robert FOGEL à se demander s’il y avait un pilote dans l’avion
mondial. En d’autres termes, les marchés financiers paradoxalement ne sont régis par
aucune règle et son sans aucun encadrement. Cela explique leur fonctionnement dans
l’opacité la plus totale que même les ultra-libéraux dénoncent avec beaucoup de
véhémence. Il n’existe dans pareille situation aucun mécanisme non marchand de
protection des plus faibles et de correction des déséquilibres qui naissent des
rapports de force inégaux.
Que faire? La rapidité de la propagation ainsi que les désastres attendues,
particulièrement, au niveau de l’économie réelle, rendent les recherches de solution
urgente et impérative. En effet, cette crise est d’autant plus grave qu’elle a pris source
aux Etats-Unis, le cœur même du système capitaliste mondial que FUKUYAMA avait
magnifié comme le parachèvement des valeurs libérales au plan économique,
politique et même culturel et qui matérialise en ce 21ème siècle «La fin de l’histoire ».
C’est donc bien une crise du modèle capitaliste : il semble que nous ayons
heureusement atteint les limites d’un système prédateur reposant sur la captation par
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le capital de la valeur ajoutée et sur une dérégulation à outrance, mais rien
aujourd’hui ne permet de croire que l’issue de la crise débouchera sur une remise en
cause profonde du système économique et financier.
II/ Face à la crise, les Etats et les banques centrales montent
des Plans de sauvetage et de recapitalisation aux montants
astronomiques : quelques 2700 milliards.
On peut facilement constater aujourd’hui que la crise financière internationale
entraîne un ensemble de dysfonctionnement du système mondial avec :
- la récession qui pointe et qui, sans nul doute, va entrainer pour sûr un
ralentissement de la croissance économique qui se répercutera négativement sur le
système mondial de la triple dépendance de la production, des échanges, des finances
et des technologies ;
- le chômage et la détérioration du pouvoir d’achat ainsi que la baisse de la
consommation qui en résulterait. Ce fait est la suite de l’aggravation de la crise
latente du fordisme qui se manifeste dans les fortes inégalités des productivités du
travail ;
- des marchés contestables mais où progressivement la concurrence n’est ni
pure ni parfaite avec l’avènement des subventions et des protectionnismes de plus en
plus intelligents et des marchés financiers dominants mais marqués par des
turbulences aux conséquences graves ;
- la multiplication des risques pays défini comme le risque de matérialisation
d‘un sinistre, résultants du contexte économique et politique d’un Etat étranger, dans
lequel une entreprise effectue une partie de ses activités ;
- le retour de la contestation des institutions et des systèmes de gouvernance
de l’ordre mondial qui, une fois encore, vont révéler leur incapacité notoire à réguler
l’ordre économique et financier mondial. L’exigence de leur réforme reviendra
impérativement à l’ordre du jour.
Aujourd’hui, tous ces éléments se conjuguent dans un ensemble où les
marchés financiers ont acquis un pouvoir économique exorbitant tel qu’ils sont à
même de déstabiliser l’ensemble de l’économie mondiale. La globalisation est alors
plongée dans un crash qui n’épargne aucun des acteurs du jeu économique et
financier : les Etats, les entreprises multinationales, les PME/PMI et les citoyens.
Dans cette crise, les solutions s’organisent autour d’une série d’actions
spectaculaires dont les objectifs majeurs se réduisent à ramener la confiance au
niveau des marchés :
- Intervention massive des Etats pour réguler les marchés et conjurer leur
dysfonctionnement ;
- Recapitalisation des banques menacées de faillite ;
- Action des Banques centrales pour accroître la liquidité ;
- Encouragements et incitations pour la reprise des prêts interbancaires.
Après les Etats, les banques centrales montent en première ligne et ont à leur
disposition deux mesures. La première consiste à changer leur taux directeur et la
deuxième à injecter de l’argent dans les établissements en difficulté (nationalisation)
ou aux banques qui rachètent leurs consœurs en faillite. D’ailleurs, ces deux mesures
ne sont pas exclusives. L’objectif visé est d’accroître les liquidités pour pallier un
éventuel risque de pénurie de disponibilités de crédit qui compromettrait la
croissance de la production et la consommation.
Toutefois, l’ampleur de la crise actuelle a amené des révisions déchirantes de la
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philosophie de l’action de l’ultra libéralisme qui découvre que J.M.KEYNES n’était
pas un bolchévik impénitent et que l’Etat contrairement à toutes les affirmations
précédentes n’est pas le problème mais la solution. Dans la même foulée, on
redécouvre la critique keynésienne du statut de la monnaie internationale ainsi que
sa proposition de création d’un système public de paiement et une monnaie
spécifique pour les règlements internationaux. A y regarder de plus près, les principes
fondateurs de l’ultra libéralisme sont remis en question, entre autres:
- La croyance aux vertus des mécanismes des marchés et à leur capacité à
allouer de façon optimale les ressources. Les tenants des cordons de la
bourse ne louent plus les vertus du marché libres.
- La non intervention de l’Etat dans l’économie pour rétablir les équilibres et
relancer la machine.
- La circulation sans entrave des biens, des capitaux et des services.
Il est vrai que lorsque les résultats sont aussi désastreux, le discours
idéologico-théorique perd complètement de sa crédibilité.
Conscients des dangers énormes qui les guettent les Etats des pays développés
préparent partout des plans de sauvetage qui mutualisent les pertes des sociétés
financières et les renflouent par des mises très fortes : 700 milliards aux Etats-Unis,
1700 milliards d’euros (mobilisés dans le désordre, puis coordonnés) en Europe, plus
de 100 milliards en Asie et au Japon et quelques 200 milliards en Russie. Et ce n’est
pas encore fini car il n’existe aucune assurance que la reprise sera effective : ces
mesures, malgré le volume démesuré des ressources mobilisées couvrent
actuellement les 1400 milliards de dollars de pertes calculées par les experts du FMI.
De plus, l’argent injecté ne produira pas des effets drastiques et immédiats.
Cependant, les interventions massives des banques centrales et des Etats
établissent que la finance internationale sort grand « gagnant » de la crise avec la
socialisation de ses pertes : les perdants seront, pour une fois encore, les pauvres de
la mondialisation qu’ils soient au centre du système ou à sa périphérie, c’est—à-dire
ceux pour qui il n’est prévu ni parachute, ni filet de protection. Comme l’observait
Alan GRENSPAN, « l’exubérance irrationnelle des marchés » et la mauvaise gestion
sont récompensées. En effet, outre les fautes de gestion, leur trop grande
irresponsabilité, les capitalistes financiers ne risque rien dans la catastrophe
mondiale qu’ils ont déclenché : les profits sont privatisés et les pertes socialisées.
III/ Face à la crise, l’Afrique est sans réaction : elle minimise les risques
mais ne prend aucune initiative d’envergure pour le long terme.
Même si c’est faiblement, l’Afrique est tout de même insérée dans le système
mondial bien que de façon assez contrastée. Quatre éléments apparaissent pour
indiquer les secteurs africains exposés à la crise:
- les bourses peuvent être affectées par la crise de liquidité là ou elles
fonctionnent (au Maghreb, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigéria et en
Afrique de l’Ouest) ;
- l’Aide Publique au Développement malgré la faiblesse des engagements
devrait diminuer (les donateurs ayant d’autres préoccupations),
- les IDE qui avaient commencé à prendre la direction de l’Afrique risquent
d’être freinés ;
- les matières premières et les exportations en direction des pays en crise
peuvent subir des évolutions drastiques.
Que deviendront les opérations d’investissements en cours ? Les marchés des
matières premières qui étaient en plein boom : les cours vont-ils s’affaisser, ou
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encore la demande du fait de la récession mondiale ne va-t-elle pas accuser une
baisse drastique ? A cela s’ajoutent deux questions importantes supplémentaires :
Que deviennent les avoirs extérieurs des banques centrales placés sur les marchés
financiers ? Que vont faire les ONG qui brassent pour l’Afrique bon an mal an
quelques 300 milliards de dollars ?
La réponse à toutes ces questions exige une largeur de vue et des informations
nombreuses et complexes. La dernière réunion de l’UEMOA de ce point de vue est
loin d’être rassurante. En effet pourquoi faire de la recherche des équilibres
macroéconomiques, la priorité, dans une situation de récession annoncée ?
Au-delà de toutes ces allégations, tentons de cerner de plus prés certaines
répercussions de cette crise financière sur le système financier africain et l’économie
réelle du continent ? En été 2007, au lendemain de l’éclatement de la crise, un
banquier marocain affirmait, « nous n’avons rien à craindre : grâce au sousdéveloppement nous sommes immunisés ! » Pas tant que ça, lui a répondu Jose
Gijon SPALLA, économiste en Chef pour l’Afrique et le Moyen Orient au Centre de
Développement de l’OCDE. « Les conséquences de cette crise, dit-il, peuvent varier
selon le niveau de développement des pays ».
L’effet de contagion peut donc atteindre des Etats comme l’Egypte, l’Afrique
du Sud ou le Maroc, dont les systèmes financiers sont plus intégrés au système
international. Des Fonds occidentaux en quête de diversification de leurs
investissements ont injecté beaucoup d’argent sur ces marchés. Les baisses
constatées sur les places boursières de ces pays paraissent donc normal. Il s’agit d’un
problème de confiance, explique l’économiste de l’OCDE, parce que « les
investisseurs se disent que si les Etats-Unis sont frappés, ce ne sont pas ces pays
africains qui seront épargnés ».
Il faut, par ailleurs, noter que cette crise est d’abord une crise de financement.
Les entreprises financières, notamment les banques de certains pays africains, vont
être touchées. Car elles ne pourront pas recevoir de fonds de la part de leurs
consœurs occidentales. Si les banques occidentales, pour des raisons de solvabilité,
refusent de se prêter de l’argent entre elles, il y a de fortes chances qu’elles ne
veuillent pas financées les banques africaines. Et si ces dernières ne peuvent pas
bénéficier de ces crédits, elles se retrouveront dans l’incapacité de prêter à leurs
clients (particuliers ou entreprises). Dès lors, la crise se répercutera sur l’économie
réelle.
En second lieu, la crise financière actuelle peut affecter négativement l’Aide
Publique au Développement et les Investissements Directs Etrangers pourraient en
souffrir. Les appels pathétiques des Présidents des Commissions de l’Union Africaine
et l’Union Européenne pour le maintien du niveau déjà trop faible de l’APD en est la
meilleure preuve. Les pays développés avaient pris des engagements en matière
d’aide vis-à-vis des pays pauvres ; seulement, « si déjà en période normale, ils ont du
mal à tenir ces promesses, sans doute qu’en temps de crise, ils auront encore plus de
mal » (M. SPALLA).
Selon Mivédor EKUE (Chargé de portefeuille à la Banque africaine de
développement), la plupart des gros projets (publics ou privés), en Afrique, sont
financés par des fonds étrangers et quand ceux-ci n’ont pas de visibilité, ils
deviennent réticents à investir C’est dire que des projets pourront donc être
suspendus sur le continent. .
En troisième lieu, une conséquence d’ordre général, pour le continent, est
soulignée par Jose Gijon SPALLA qui note que « Si une récession survient sur les
marchés développés notamment aux Etats-Unis, cela pourrait entraîner la baisse de
la demande, donc de la production. Conséquence : les demandes en matières
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premières vont reculer ». De même, cette crise peut aussi entraîner la chute du
dollar : les matières premières étant cotées en billet vert, une baisse de son cours va
provoquer la baisse du revenu des entreprises productrices, qui en général sont
publiques. Les pays de zone F CFA, par exemple, en raison de l’arrimage à l’euro, vont
produire dans une monnaie plus forte et vont vendre plus chère.
Que peuvent faire les Etats africains dans ces conditions ? « C’est difficile de
prendre des mesures quand on est dans cette situations », indique l’économiste de
l’OCDE. C’est sûr, les pays africains n’ont pas les moyens de changer le cours des
événements sur les marchés. Les solutions qui peuvent être mises en œuvre pour
amortir les effets de cette crise en Afrique seront essentiellement structurelles.
En attendant de constater les réels effets que la grave crise financière actuelle
aux États-Unis pourra entraîner sur l'économie africaine à brève échéance, le
continent s'interroge sur la manière de réagir aux conséquences négatives à long et
moyen terme. Tout en ouvrant mardi la réunion annuelle de la Banque de
développement du Marché Commun de l'Afrique de l'Est de l'Afrique Australe
(COMESA), le ministre ougandais des Finances, Ezra SURUMA, a invité ses
homologues de 19 pays du continent africain à « chercher des marchés alternatifs
pour nos produits ». Selon les dirigeants des économies de près de la moitié des pays
du continent, les exportations africaines vers l'Europe et les États-Unis (le total de
l'an dernier a effleuré la barre des 68 milliards de dollars) risquent de subir de graves
impacts de la crise actuelle, dans la mesure où les contrecoups du krach
d'établissements financiers et les dépenses gouvernementales pour y remédier
pourraient aboutir à une rapide révision des filières préférentielles assurées à
certaines catégories de produits africains.
C'est pour cela, selon le ministre ougandais, que l'Afrique devrait « accroître
ses exportations vers les pays asiatiques », notamment en Inde et en Chine. Lors de la
réunion des ministres des Finances de l'Est du continent, le ministre SURUMA a
également rappelé que la crise actuelle prouve que le concept de capitalisme devra
être réexaminé. "Le capitalisme ne pourra plus se maintenir en l'état, et la
réglementation gouvernementale est peut-être inévitable. Nous devons nous
préparer à un nouvel ordre mondial", a ajouté le ministre ougandais. Le président du
Conseil d'administration de la Banque de développement du COMESA, Mohit
DHOORUNDHUR, s'est pour sa part montré plus prudent : selon lui, en effet,
l'impact de la crise actuelle sur les économies africaines est encore imprévisible.
Toutefois ajoute-t-il « les banques surtout, aussi bien au niveau national que
continental, sont appelées "à reconnaître la nécessité de changement, et à montrer
leur détermination à entreprendre des réformes rapides, alors que la crise est
encore loin".
A l’analyse ces situations proviennent de plusieurs facteurs souvent
imprévisibles et incertains. Comme, il est impossible aux acteurs de s’assurer contre
tout, les firmes comme du reste les Etats se lancent dans la gestion des risques. Les
objectifs sont alors de les anticiper en vue de faire des choix appropriés en matière
d’assurance et de maîtrise des conséquences pour en atténuer les effets. Ces options
sont loin d’être celles des élites africaines qui nous gouvernent, engoncées
confortablement dans leurs positions, elles ne s’interrogent jamais sur ce qui va
venir : elles attendent les solutions venues d’ailleurs et font subir, de fait, à leurs
populations tous les effets négatifs des chocs externes. Cela a été le cas lors de la crise
pétrolière, alimentaire et aujourd’hui financière.
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IV/ La crise ramène le débat sur le modèle de la gouvernance financière
mondiale et sa capacité à faire face.
Les très faibles réactions des Institutions Financières Internationales face à
une crise financière aussi ample et aussi profonde, ont amené les Etats à apercevoir
l’urgente nécessité d’une régulation et d’une coordination plus fortes de la
mondialisation afin de conjurer le désastre planétaire. Face à la montée en puissance
des forces du marché, les réponses individuelles de chacun des Etats s’avèrent de plus
en plus inopérantes d’où le besoin d’agir à une échelle supérieure. Du reste, les
institutions financières internationales étaient mises en place pour répondre à cette
exigence. Ainsi, il était imparti au FMI, dans le système de Bretton Woods, trois
fonctions essentielles : l’établissement des règles de parité entre les monnaies pourla
convertibilité des monnaies dans la stabilité ce qui éviterait les dévaluations
réparatrices nocives, la réalisation de la péréquation des liquidités internationales
entre pays excédentaires et pays déficitaires et la gestion dela gouvernance de l’ordre
monétaire international. Le décrochage du dollar par rapport à l’or en Avril 1971 et
l’adoption en 1973 du système généralisé de flottement des monnaies venus s’ajouter
à la création des DTS en 1967 (pour accroître les liquidités et stabilisé le système)
avaient pratiquement mis fin au mandat du FMI. Elle a survécu en se reconvertissant
dans deux nouvelles fonctions : la gestion des politiques d’ajustement structurel des
pays en développement surtout d’Afrique et l’insertion des anciens pays socialistes
dans l’économie libérale internationale.
La crise que traverse l’économie financière internationale soulève au niveau de
plusieurs secteurs d’opinion des interrogations sur le rôle et l’efficacité de ces
Institutions internationales de régulation comme le FMI, la BM, la BRI, l’OCDE et le
G8. Peuvent-elles et ont-elles les moyens de gérer les risques et toutes les incertitudes
nées de la libéralisation internationale ? Peuvent-elles encore veiller sur la santé de
l’économie mondiale ? Quel modèle de gouvernance de l’ordre économique et
financier international ? Comment prendre en charge les préoccupations de l’Afrique
prise dans le tourbillon de la mondialisation, de l’instabilité monétaire, des crises
financières à répétition, des fluctuations incessantes des cours de matières premières,
d’une marginalisation dans le commerce mondial.
Toutes ces questions pertinentes sont maintenant partout en discussion et
donnent lieu à des propositions de plan ou projets de réforme de l’architecture de la
gouvernance mondiale. Elles émanent de pays, groupe de pays, d’institutions
internationales ou des organisations de la société civile internationale
(altermondialistes). Comme pour y faire écho, le Directeur du FMI, Dominique
Strauss KAHN rappelle avec beaucoup de lucidité que « l’époque où le Fonds savait
tout et les autres rien est révolue» (Discours devant le CAUCUS)
Une chose est sûre : ces institutions n’ont jamais été aussi nombreuses et aussi
visibles qu’aujourd’hui avec comme objectifs de veiller sur la santé de l’économie
mondiale, de prévoir et gérer les risques de crise issus de la libéralisation des
échanges en prescrivant des politiques économiques et financières. Elles ont tenté
d’exercer trois rôles indissociables de médecins, de professeurs et de gendarmes mais
les crises répétées de la mondialisation (1972/73, 1982/83, 1987, 1998, 2007 et 2008)
ont montré leur trop évidente inefficacité.
La panne des organisations de gouvernance mondiale et les diverses
gesticulations des Etats des pays développés indiquent que les recherche de sortie de
crise prend une véritable dimension mondiale. Les propositions formulées par la
Présidence française constituent une bonne base de réflexion et d’action à savoir :1)
La création d’un système de régulation financière qui soit fondé sur le contrôle de
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tous les agents financiers. 2) La mise en place d’un gouvernement économique
mondial qui ne serait pas réduit au G8 et 3) La convocation d’un nouveau Bretton
Woods qui aurait vocation à mettre en place un système de coopération monétaire
entre les grands Etats. Il revient alors aux élites africaines de travailler sur « les
réponses africaines ».
Dakar Septembre-Octobre 2008
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