05 / 11 OCT 08 Hebdomadaire Paris OJD : 13327 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1088 Page 1/3 L'Afrique évitera-t-elle la récession ? LE CONTINENT RÉSISTE AU CHOC FINANCIER. LE CRÉDIT SERA PLUS CHER ET PLUS RARE, MAIS LA CROISSANCE DEVRAIT SE MAINTENIR AUTOUR DE 5 % EN 2009. L a finance mondiale est devenue un champ de mines Depuis le 15 septembre et la chute de la maison Lehman Brothers, les gouvernements tentent d'étouffer l'incendie qui a embrase de vénérables banques américaines et européennes et qui s'est propage aux places boursières L'édifice mondial est ébranle Et I Afrique ' Sera t elle frappée ' Avec quelle ampleur? Pour quels dégâts' Pour l'instant, le continent le plus fragile, qui a encaissé, coup sur coup, une crise energetique, puis alimentaire, fait face II n'échappera pas pour autant a I ef fer dévastateur des crises financiere et économique qui agitent la planete « En Afrique, l'orthodoxie des régulateurs, la transparence et la relative simplicité des produits financiers ainsi que la régula tion du marche des changes ont isole en grande partie le continent de l'effondré ment de la liquidité et de la confiance L'Afrique tire bien son épingle du jeu C'est la seule source efficace de diversification du risque actuelle Une depression mondiale profonde et durable fera mal a l'Afrique, bien entendu, maîs ce n'est pas le scénario le plus probable », assure AFD 1133727100506/GFP/MMC Eléments de recherche : Yassine Benjelloun, managing director de Medicapital a Londres (groupe BMCE) Etat des lieux L'AFRIQUE EST-ELLE DÉCONNECTÉE DE L'ÉCONOMIE MONDIALE? Forcement non « Nous vivons aujourd'hui dans une economie globale Même si les pays africains sont moins exposés que les Etats-Unis ou l'Europe, ils ne seront pas épargnés Chaque fois que l'Europe perd I point de croissance, celle de I Afrique recule de 0,3 point », confirme Abdoulaye Bio Tchane, le président de la Banque ouest-africaine de developpement (BOAD) Les perspectives du FMI, attendues courant octobre, seront donc scrutées a la loupe. L'institution devrait revoir a la baisse, entre I et 2 points, les perspectives de croissance du PIB du continent cette annee, arrêtées depuis avril a 6,3 % en 2008 et 6,4 % en 2009 « Même si 2009 sera très certainement moins bonne que 2008, l'Afrique pourra atteindre une croissance de 4 % a 5 % au lieu de 6 % à 7 % ces dernières annees », anticipe Inge Lambrechts, chargée de l'Afrique au cabinet d'assurance crédit belge Ducroire Bien lom du 1,3 % prévu pour les pays de l'OCDE en 2009 I Acteur minuscule, avec 3 % du com merce mondial, l'Afrique a transformé son handicap en atout « L'enclavement, qui fait sa faiblesse, lui a assure une certaine immunité », résume Luc Rigouzzo, directeur géneral de Proparco (Promotion et participation pour la cooperation économique) Autre atout • le continent commence a générer sa propre croissance « Jusqu'à présent, un ralentissement de l'économie mondiale en entraînait un encore plus important des economies africaines, tres dépendantes des matic res premieres Or nous avons constate que la croissance était aussi alimentée par la consommation intérieure Si elle est suffisante et que l'inflation faiblit, la croissance africaine sera alimentée », considère Razia Khan, responsable de la recherche Afrique à Standard Chartered LES BANQUES AFRICAINES SERONT-ELLES AFFECTÉES? « Si les banques devaient faire faillite en Afrique, cela ne sera pas lie à la crise actuelle, maîs plutôt parce qu'elles sont mal gérées », lance Paul Derreumaux, le PDG de BOA Group Le geant sud africain Old Mutual a perdu 135 millions de dollars dans la nationalisation des américains Freddie Mac et Fannie Mae Une exception pour l'instant car les banques africaines sont peu tournées vers l'international et disposent de peu d actifs à l'étranger « Elles ne sont pas concernées par la crise des credits et des subpnmes Hors Afrique du Sud, elles n'interviennent pas sur ces marches », observe Stewart Culverhouse, economis te en chef pour Exotix Ltd, un cabinet spécialise dans les marchés émergents Avec seulement 10 % de son marché bancaire ouvert au prive, l'Algérie se sent a l'abri « Dans les pays africains où le prive dépasse 30 % du marche, on peut quand même se demander si les maisons mères des établissements étrangers parviendront a contenir la crise », glisse Abderrahmane Benkhalfa, dele gué general de l'Association profession nelle des banques et des établissements financiers (Abef) Si un depart pur et simple des filiales et des succursales des banques occidentales présentes en Afrique et touchées par la crise financiere (Société genérale, BNP Paribas . ) PROPARCO : société de promotion/participation de la coopération économique, toutes citations 05 / 11 OCT 08 Hebdomadaire Paris OJD : 13327 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1088 Page 2/3 est irréaliste, elles mettront un bémol à l'essor de leur réseau commercial et réduiront fortement les lignes de crédits de leurs filiales « Cela risque d'entraîner une accélération de la redistribution des liens des banques africaines vers les banques du Moyen-Orient ou d'Asie Elles peuvent apporter des sources de substitution aux fonds qui, auparavant, venaient d'Europe. Elles sont intéressées et font déjà des offres depuis plusieurs annees », remarque Paul Derreumaux C'est aussi l'opportunité pour les banques africaines d'occuper le terrain laissé libre et pousser à l'afncanisation du système bancaire LE ROBINET DU CRÉDIT SE FERMERA-T-IL? Sans y échapper totalement, les banques africaines seront relativement épargnées par la crise des liquidités « II y a très peu de prêts ou d'opérations interbancaires entre les systèmes africains et européens Le risque d'une contagion de la crise du crédit est donc limité il est faible pour les banques marocaines ou tunisiennes, extrêmement faible pour celles d'Afrique subsaharienne, notamment de la zone franc », insiste Éric Paget-Blanc, directeur senior et spécialiste de l'Afrique chez Fitch Ratings Les établissements d'Afrique subsaharienne, qui sont surtout des banques de dépôts, sont principalement tournés vers leur marché domestique En revanche, les banques marocaines et tunisiennes, plus internationalisées, éprouveront davan tage de difficultés à trouver des financements a court terme sur le marché interbancaire. Le ralentissement économique afncain pourrait aussi avoir des conséquences directes sur les banques africaines • « Depuis deux à trois ans, elles se développent tres rapidement sur leurs marchés domestiques [crédit à la consommation, banques de détail ] », relève Stewart Culverhouse Maîs difficile d'imaginer le bon scénario. Le crédit pourrait être plus cher de I % à 2 % LES BOURSES VONT-ELLES RÉSISTER? Maroc, Côte d'Ivoire, Nigeria, Kenya. . Portées par des croissances explosives de 200 % entre 2005 et 2007, les pla L'IMMOBILIER MAROCAIN EN QUESTION ces boursières du continent piquent du nez depuis deux mois Le 16 septembre, la Bourse de Casa a même connu une journée noire, avec la chute de 3,49 % de l'indice Masi « On ne s'attendait pas à une telle violence. L'ampleur de la correction n'était pas justifiée Elle a coïncidé avec la crise internationale. On a assisté à une contamination psychologique. Les investisseurs marocains ont pris peur », explique Youssef Benkirane, le président de BMCE Bourse et de l'Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB). Si les Bourses africaines ont flanché, elles ne se sont pas effondrées. « Tout dépend de leur degré de dépendance au marché international. Les titres des grands groupes et de leurs filiales africaines ainsi que toutes les entreprises liées au négoce international des matières premières sont les plus exposés », explique Abdoulaye Bio Tchané Les places anglophones (Afrique du Sud, Nigeria et Kenya) sont les plus menacées Leur repli s'explique par le reflux de capitaux américains qui ont liquidé des positions pour se renflouer. « Cela aura un effet bénéfique celui de remettre les pendules a l'heure sur certaines valeurs, notamment au Nigeria, dont la capitalisation était largement surévaluée », se réjouit un banquier d'Afrique de l'Ouest Maîs là non plus, pas de krach en vue « Les valorisations restent attractives Seulement, la demande émanant des investisseurs étrangers sera plus faible. Déjà, cette année, on voit beaucoup moins d'investissements, notamment financiers », relève Neil Harvey, CEO Afrique de Renaissance Capital. VERS UNE BAISSE DU PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES? L'ESPAGNOL FADESA EST A L'ORIGINE du premier couac du programme marocain Azur, qui doit doter le pays de six stations balnéaires vers 2010 L'une d'elle, l'espace Mediterrania-Saidia, qui comprend, sur 700 hectares, 3 golfs, 8 hôtels, une marina et des milliers d'appartements et de villas, devait être livrée à l'été 2008 Un marché de 4 milliards d'euros décroché par Fadesa. Maîs, en juillet 2008, l'espagnol jetait l'éponge. Rattrapé par la crise immobilière espagnole, il s'est retrouvé en cessation de paiement à la suite d'un refus bancaire de 150 millions d'euros Le groupe marocain Addoha a pris le relais d'un chantier qui sera livré en 2009. Premier signe d'éclatement d'une bulle spéculative au Maroc? Le 17 septembre, à la Bourse de Casa, les titres des sociétés immobilières ont dévissé de 6 % Les analystes considèrent que le marché de l'immobilier est surévalue et mériterait d'être assaini. « Si l'économie marocaine se comporte bien, il ne devrait pas y avoir de grande crise dans ce secteur », explique Inge Lambrechts, de la société d'assurance-crédit Ducroire. • i MM AFD 1133727100506/GFP/MMC Eléments de recherche : C'est avec le pétrole, le gaz et les matières premières, qu'elles exportent ou importent, que les economies africaines sont le plus vulnérables. « Jusqu'en 2009, les prix des matières premieres connaîtront des baisses modérées puis se stabiliseront à un niveau assez haut », anticipe Inge Lambrechts Après des sommets à plus de 140 dollars, le baril de pétrole devrait ainsi se stabiliser entre 80 et IOU dollars Si la baisse du billet vert, annoncée par la plupart des experts, se confirme dans les mois à venir et s'ajoute à une baisse de la demande en Europe et en Asie, les très PROPARCO : société de promotion/participation de la coopération économique, toutes citations 05 / 11 OCT 08 Hebdomadaire Paris OJD : 13327 57 BIS RUE D'AUTEUIL 75016 PARIS - 01 44 30 19 60 Surface approx. (cm²) : 1088 Page 3/3 VERBATIM nombreux pays africains (Niger, Guinée-Conakry, RD Congo, Congo-Brazzaville...) qui tirent leur croissance et leurs revenus de l'exploitation minière et pétrolière risquent d'accuser le coup. « Si la crise sort de son périmètre financier, elle générera de l'incertitude qui se traduira par une volatilité du prix des matières premières, laquelle sera préjudiciable aux pays africains exportateurs. Pour l'Algérie, avec le pétrole, il n'y aura pas de pertes de revenus mais un manque à gagner », indique Abderrahmane Benkhalfa. Tendance identique pour les denrées alimentaires (céréales, riz...). Après la flambée du début d'année, en raison de stocks bas et de terres détournées pour les biocarburants, les prix retrouvent un peu de modération grâce à la rumeur de bonnes récoltes attendues, notamment de riz en Asie, et l'arrêt de restrictions aux exportations de grains et de riz par certains pays (Thaïlande, Vietnam, Ukraine, Kazakhstan...). Mais tout peut basculer très vite. De mauvaises conditions climatiques et la hausse des prix, source d'inflation importée, suivra. Cf Cette crise me paraît être un grave exemple de mauvaise gouvernance, en particulier venant de ceux qui sermonnent souvent les dirigeants africains sur ces questions, tf PAUL DERREUMAUX PDG de BOA Group ff La nouvelle positive, c'est qu'une bonne partie du marché boursier africain a fait preuve d'une grande résistance. Le point négatif, c'est que des investissements en Russie ou au Brésil pourraient être plus attractifs. )) YASSINE BENJELLOUN Managing director, Medicapital à Londres (groupe BMCE) ff Pour les pays émergents comme l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie, les banques internationales vont être plus exigeantes pour leurs prêts. Les flux d'investissements vont se tarir. Il NIOULAY AMAZIRH Commissaire aux comptes et président d'Inter Control ff Je ne pense pas qu'il y ait un effet direct de la crise internationale sur le Maroc. Nos banques ne sont pas exposées à la crise des subprimes, ll YOUSSEF BENKIRANE Président de BMCE Bourse et de l'APSB (Association professionnelle LES INVESTISSEURS INTERNATIONAUX TOURNERONT-ILS LE DOS À L'AFRIQUE? des sociétés de Bourse) « Les 700 milliards de dollars du plan Paulson (le secrétaire d'État américain au Trésor) ne représenteront pas que l'épargne des Américains, c'est aussi une partie de l'épargne mondiale et autant d'argent qui ne sera pas disponible pour les marchés, les investissements et l'aide publique », explique Abdoulaye Bio-Tchané. Selon lui, les points de croissance perdus dans les pays européens et les États-Unis contraignent à des restrictions budgétaires qui pourraient toucher l'APD (Aide publique au développement). « Seuls les grands groupes africains souffriront lorsqu'ils feront appel à des financements à l'international. Pour les autres entreprises, le marché de la dette locale suffira à leur appétit de développement », relève Yassine Benjelloun. Mais si le marché du crédit est sous tension, celui du capital-investissement (fonds propres) se porte bien. « II y a toujours autant de fonds d'investissement qui s'intéressent à l'Afrique, convaincus que le continent connaîtra une croissance durable perAFD 1133727100506/GFP/MMC tée par le marché intérieur. Il y a ainsi entre 2 milliards et 3 milliards d'euros disponibles en fonds propres. Soit 10 milliards de projets à financer », lance Luc Rigouzzo. La filiale d'investissement de l'Agence française de développement réalisera sa meilleure année en 2008 avec un volume d'engagement de 800 millions d'euros, contre 500 millions en 2007. « Face à la raréfaction et au renchérissement du crédit, les agences de développement comme nous auront un rôle essentiel à jouer dans les dix-huit mois », souligne Luc Rigouzzo. LES INDUSTRIES EXPORTATRICES SERONT-ELLES FREINÉES? « Nous n'avons pas de baisse dans notre carnet de commandes », précise Kamel Ait Adjedjou, le PDG de Rizzo Pack, un fabricant algérien d'emballages de luxe qui exporte en Europe. Les industriels africains veillent au moindre signe de défaillance de leur principal Eléments de recherche : marché. « Des pays comme le Maroc et la Tunisie ont des flux d'exportation tournés vers l'Europe. Si une récession économique s'y déclenche, il y aura un ralentissement de leurs exportations dans les produits manufacturés et dans le textile. Il y aura également une réduction des flux de touristes », détaille Éric Paget-Blanc. Dans le tourisme, les programmes validés seront menés à terme. Mais si une baisse de fréquentation frappe le Maroc et la Tunisie dans les prochains mois, les investisseurs gèleront leurs projets. Quant à révolution du flux des IDE (Investissements directs à l'étranger) vers l'Afrique, des signes d'inquiétude se lèvent. Dans le zinc, l'aluminium et le nickel, les coûts de production sont désormais supérieurs au cours de la matière. Des projets industriels (Sonatrach, Cevital en Algérie) dans l'aluminium pourraient être revus à la baisse ou reportés. • JEAN-MICHEL MEYER, avec PASCAL AIRAULT, JULIEN FÉLIX (à Casablanca), FRÉDÉRIC MAURY er PATRICK SANDOULY PROPARCO : société de promotion/participation de la coopération économique, toutes citations