La crise financière, comment et que fait l’Afrique ? Par Professeur Moustapha Kassé, Ecole de Dakar mkasse.com Introduction L’année dernière dans le cadre des activités de l’Ecole de Dakar nous avions introduit avec le professeur Dominique Plihon, un débat avec des banquiers, des enseignants et des chercheurs sur l’imminence d’une crise financière d’une extrême gravité dont les subprimes n’étaient pratiquement qu’un effet de surface. Nous étions arrivés au constat que la formation de bulles immobilières dans certains pays riches (Etats-Unis), leur rapide propagation (Europe principalement) ainsi que la multiplication des déséquilibres financiers accroissent les risques d'une grave crise financière mondiale. «Rêveries d’universitaire, simples spéculations alarmistes » avait ironiquement rétorqué, un haut responsable de Banque. La bonne preuve ajoutait-il avec assurance, « les fondamentaux du système financier international sont solides, les mécanismes de solidarité le sont également». Aujourd’hui, suite à la crise des subprimes, plusieurs banques américaines, comme la Lehman Brothers, se sont mises sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites, simple contorsion pour dire que l'établissement financier est dans la banqueroute. Les faillites effectives ou annoncées ont entrainé partout la dégringolade des marchés boursiers. Pourtant, tout le monde s’accorde pour reconnaître, aprés le directeur général du FMI, Dominique STRAUSS-KAHN, que « le pire de la crise financière est à venir». Dans ce sens, David WYSS ajoute que «pour Wall Street et pour les marchés financiers, nous vivons là, la pire crise depuis la Grande dépression des années 1930 ». Partout les banques centrales multiplient les décaissements pour éviter une pénurie de crédits, préjudiciable à l’ensemble de l’économie cela d’autant plus que depuis le début de la crise financière introduite par les subprimes, ces établissements sont réticents à se prêter de l'argent entre eux sur le marché monétaire. Malgré l’ampleur des mesures prises dans l’ensemble des pays développés, notamment par les autorités politiques, les banques centrales, il est encore impossible de conjecturer sur la stabilisation des turbulences des marchés financiers. La multiplictaion des bulles et des déséquilibres ne sont que la face visible d’une crise profonde du système financier international qui a suscité, ces dernières années, de nombreux travaux théoriques et statistiques qu’il faut analyser avec lucidité pour en comprendre à la fois les mécanismes et les conséquences particulièrement pour les acteurs les plus fragiles de la globalisation comme l’Afrique. I/ La crise, quelle crise ? Commençons par rappeler que la crise financière peut être définie comme une fluctuation de grande ampleur affectant tout ou partie de variables financières que sont le volume d’émission et cours des obligations ou des actions, l’encours des crédits et de dépots bancaires, le taux de change. Précisément, on parle de crise lorsque s’effondre la valeur de ces variables. Aujourd’hui, les bourses s’effondrent, les titres et obligations se déprécient, les banqueroutes se multiplient. Cette situation de crise partie des Etats-Unis est en train, par l’effet domino, de se propager dans la totalité des places boursières du monde entrainant la débâcle des banques et une forte restriction des crédits préjudiciable à terme à toute l’économie mondiale. En effet, ce resserrement du crédit, dans beaucoup de pays industrialisés va restreindre la consommation des ménages et les investissements des entreprises ce qui risque d’entrainer à terme la récession économique. Les marchés financiers présentent, aujourd’hui, deux caractéristiques qui sont les principaux germes de la crise : le volume impressionnant des montants concernés ce qui leur donne un énorme pouvoir et leur contrôle de la sphère réelle. Concernant la première caractéristique, la finance mondiale (actions, obligations et crédits bancaires) a un poids démesuré et pése l’équivalent de quatre fois le Produit Intérieur Brut Mondial. Cela à été possible grace à la globalisation provenant de ce que D. Plihon appelle les 3D : la désintermédiation, le décloisonnement des marchés et la déréglementation, trois situations qui ont permis véritablement la formation d’un quasi marché planétaire unique de l’argent. D’abord, l’effacement des frontières (décloisonnement) va permettre une libre circulation des capitaux qui n’obéît qu’à une logique unique de rendement optimal de l’argent : une transaction peut se produire entre deux entités, dans deux endroits différents, pour le compte d’un client situé dans un troisième avant d’être conclu dans un quatrième endroit. Ensuite, les frontières institutionnelles vont également disparaitre complètement : les institutions financières exercent désormais plusieurs métiers. Dans ce sens, les banques diversifient leurs activités traditionnelles de crédit vers des opérations d’intermédiation non prises en compte dans leur bilan. Enfin, les progrès technologiques vont introduire des innovations et des transformations majeures qui se traduisent par une importante diversification des produits et des instruments qui rendent la finance plus entremêlée, plus complexe et plus instable. Au titre de ces innovations on peut noter les progrès de l’ingénierie financière et des télécommunications qui permettent l’interconnexion des marchés qui peuvent fonctionner en instantané, les produits dérivés issus des actifs financiers (créances primitives, actions, obligations) qui prennent une place importante et circulent entre les agents financiers. A cela s’ajoute une grande diversification des acteurs financiers qui deviennent, du reste, de plus en plus imbriqués comme les fonds de retraite et de pension, les investisseurs institutionnels, les fonds d’investissements collectifs, les compagnies d’assurance. Ces multiples innovations sont sources d’instabilité du fait de leurs effets ambivalents. Pour ce qui est de la seconde caractéristique, elle est relative à la suprématie de la finance et son contrôle sur tous les acteurs de la production des biens, des services et des innovations ainsi que ceux de la consommation. Effet, les politiques de libéralisation et de privatisation ont largement facilité cette forte emprise de la haute finance sur le système productif. Dès lors, ce pouvoir exorbitant de la finance fait que sa déstabilisation se répercute immédiatement sur le rythme de croissance des économies, l’emploi et le bien-être des populations. Le système financier international est particulièrement marqué par une logique purement spéculative. En effet, selon D. PLIHON, « les marchés financiers sont des « marchés de promesses »: nul ne sait ce que sera demain le « bon niveau » d'un taux d'intérêt, d'un taux de change ou du cours d'une action. Cette incertitude engendre une grande variabilité des paris effectués par les intervenants qui préfèrent généralement suivre la tendance générale et avoir tort avec les autres plutôt que raison tout seuls ». En simple, les actifs de crédits se divisent en trois catégories : les actifs à bas risques qui rapportent peu mais sont très sûrs, ensuite les crédits plus risqués financièrement assez intéressants et enfin les crédits à très haut risque, dont font partie les « subprimes ». Ces actifs sont mis en circulation sur les marchés financiers où ils sont achetés par des banques du monde entier Dans un système aussi fortement imbriqué, les difficultés d’un acteur se propagent, par effet de domino, à l’ensemble des autres acteurs du marché. R.BOYER souligne que les acteurs bancaires et financiers ont tendance à prendre d’autant plus de risques que la conjoncture est bonne et d’autant moins de lorsque les perspectives sont défavorables. Au total, le capitalisme financier présente quatre éléments de fragilité qui sont : L’incapacité de mesurer la quantité et la qualité de moyen de paiements au niveau mondial du fait de la multiplicité des produits comme les produits dérivés dont personne ne sait comment les gérer ; La difficulté à contrôler les activités des établissements financiers qui sont trop entrelacés avec des conglomérats qui brassent des sommes astronomiques; La montée en puissance des finances illégales provenant de la corruption des rapines de la drogue. Le produit criminel brut est estimé à beaucoup plus de 1000 milliards de dollars (3 fois la dette africaine) ; La montée des risques et les incertitudes. La spéculation nourrit très fortement l’instabilité et l’incertitude. Les fameux 1400 milliards de dollars qui s’échangent chaque jour sont pour beaucoup dans l’instabilité des taux de change qui encourage la hausse des taux d’intérêt C’est cette situation d’instabilité qui avait conduit le Prix Nobel d’économie Robert FOGEL à se demander s’il y avait un pilote dans l’avion mondial. En d’autres termes, les marchés financiers paradoxalement ont besoin de règles et d’un encadrement strict. Par ailleurs, il faudra assurer la protection des plus faibles par des mécanismes non marchands et corriger les déséquilibres qui naissent des rapports de force inégaux. II/ Face à la crise, le système libéral renfloue sur fonds publics, les perdants de la spéculation. On peut facilement constater aujourd’hui que la crise financière internationale entraîne un ensemble de dysfonctionnement du système mondial : Les récessions qui pointent du fait de la crise financière vont entrainer des croissances fluctuantes et incertaines qui se répercuteront négativement sur le système mondial de la production des biens, des services et des technologies. Le chômage et la détérioration du pouvoir d’achat et la baisse de la consommation devraient s’en suivre. Ce sera une aggravation de la crise latente du fordisme qui se manifeste dans les fortes inégalités des productivités du travail. des marchés contestables mais où progressivement la concurrence n’est ni pure ni parfaite avec l’avènement des subventions et des protectionnismes de plus en plus intelligents ; des marchés financiers dominants mais marqués des turbulences aux conséquences graves la multiplication des risques pays défini comme le risque de matérialisation d‘un sinistre, résultants du contexte économique et politique d’un Etat étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de se activités ; crises des institutions et des systèmes de gouvernance de l’ordre mondial qui révèlent leur incapacité notoire à réguler l’ordre économique et financier mondial. La question de savoir à quoi servent ces Institutions financières internationales revient à l’ordre du jour. Les marchés financiers ont acquis un pouvoir économique exorbitant tel qu’ils sont à même de déstabiliser ces circuits de financement et le rythme de croissance des économies. Tout cela peut conduire vers le crash ou la catastrophe pour les Etats, les entreprises et les citoyens. Les solutions sont bien connues : habituellement dans ces situations de crise, les banques centrales montent en première ligne et ont à leur disposition deux mesures à leur disposition. La première consiste à changer leur taux directeur et la deuxième est d’injecter de l’argent dans les établissements en difficulté (nationalisation) ou aux banques qui rachètent leurs consœurs en faillite. Les deux mesures ne sont pas exclusives. L’objectif visé est d’injecter des liquidités pour pallier un éventuel risque de pénurie de disponibilités de crédit qui compromettrait la croissance de la production et la consommation. L’ampleur de la crise actuelle a amené des révisions déchirantes de la philosophie de l’action de l’ultra libéralisme qui découvre que J.M.KEYNES n’était pas un bolchévik impénitent et que l’Etat contrairement à toutes les affirmations précédentes n’est pas le problème mais la solution. En plus, le statut du dollar comme monnaie internationale est de plus en plus fortement remise en question. Face à cette situation, on redécouvre toute la pertinence de la proposition de KEYNES de création d’un système public de paiement et une monnaie spécifique pour les règlements internationaux. Conscients des dangers énormes les Etats libéraux préparent partout des plans de sauvetage qui mutualisent les pertes des sociétés financières et les renflouent par des mises très fortes : 700 milliards aux Etats-Unis, des centaines de milliards (mobilisés dans le désordre), des dizaines au Japon. Et ce n’est pas encore fini car il n’existe aucune certitude que la finance va reprendre sans encombre et que ces mesures, malgré leur opulence vont produire des effets drastiques et immédiats. En définitive la principale leçon à tirer de cette crise est que la finance internationale sort grand « gagnant » de la crise avec la socialisation des pertes : les perdants sont, pour une fois encore, tous les pauvres de la mondialisation c’est—àdire ceux pour qui aucune parachute, ni filet de protection ne sont prévus qu’ils soient au centre du système ou à sa périphérie. Comme l’observait Alan GRENSPAN, « l’exubérance irrationnelle des marchés » et la mauvaise sont récompensées. III/ Face à la crise, l’Afrique est sans réaction : elle dort au ronron de la vie quotidienne selon la formule bien imagée de « l’Observateur du Paalga ». A l’analyse ces situations proviennent de plusieurs facteurs souvent imprévisibles et incertains. Comme, il est impossible aux acteurs de s’assurer contre tout, les firmes comme du reste les Etats se lancent dans la gestion des risques. Les objectifs sont alors de les anticiper en vue de faire des choix appropriés en matière d’assurance et de maîtrise des conséquences pour en atténuer les effets. Ces options sont loin d’être celles des élites africaines qui nous gouvernent, engoncées confortablement dans leurs positions, elles ne s’interrogent jamais sur ce qui va venir : elles attendent les solutions venues d’ailleurs et font subir, de fait, à leurs populations tous les effets négatifs des chocs externes. Cela a été le cas lors de la crise pétrolière, alimentaire et aujourd’hui financière. Même si c’est faiblement, l’Afrique est tout de même insérée dans le système mondial bien que de façon assez contrastée. Trois secteurs vitaux pour le continent sont exposés : les bourses sont menacées (au Maghreb, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigéria et en Afrique de l’Ouest) par la crise de liquidité si celle-ci se confirme, l’Aide Publique au Développement (les faibles engagements ne seront pas tenus, les Etats donateurs ayant d’autres préoccupations), les IDE qui avaient commencé à prendre la direction de l’Afrique (la tendance va-t-elle s’estomper ? Que deviendront les opérations d’investissements en cours ?), les marchés des matières premières qui étaient en plein boom (les cours vont-ils s’affaisser, ou encore la demande du fait de la récession mondiale ne va-t-elle pas accuser une baisse drastique). A cela s’ajoutent deux questions importantes : que deviennent les avoirs extérieurs des banques centrales placés sur les marchés financiers ? Que vont faire les ONG qui brassent pour l’Afrique bon an mal an quelques 300 milliards de dollars ? La réponse à ces questions exige une largeur de vue et des informations nombreuses et complexes. La dernière réunion de l’UEMOA de ce point de vue est loin d’être rassurante. En effet comment faire de la recherche des équilibres macroéconomiques dans une situation de récession annoncée ? III/ Quel modèle de gouvernance mondiale souhaitable et capable de prendre en charge les problèmes de notre Continent La perception par les Etats d’une mondialisation sans cesse croissante de l’économie se traduit par une multiplication des appels en faveur d’une régulation et d’une coordination plus forte au niveau international ; Face à la montée en puissance des forces du marché, les réponses individuelles de chacun des Etats seraient inopérantes d’où la nécessité d’agir à un niveau supérieur. Les institutions internationales répondent-elles à cette exigence ? Une chose est sûre : ces institutions n’ont jamais été aussi nombreuses et aussi visibles qu’aujourd’hui. Les réunions des grandes puissances se déroulent dans le cadre du G8, des rencontres annuelles sont organisées par le FMI et la Banque mondiale, l’OMC multiplient ses sessions autour de l’organisation des échanges internationaux. Leurs principaux rôles consistent à veiller sur la santé de l’économie mondiale, prévoir et gérer les risques de crise issus de la libéralisation des échanges en prescrivant des politiques économiques et fincières de sortie de crise. En définitive elles exercent à la fois trois rôles indissociables de médecins, de professeurs et de gendarmes. Aujourd’hui ces Institutions accusent elles-mêmes de graves crises de gouvernance et connaissent une certaine inefficacité