L Pharmacogénétique : 50 ans de recherche

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Éditorial
Pharmacogénétique :
50 ans de recherche
L
e terme “pharmacogénétique” apparaît dans le
titre des articles médicaux dans les années 1960
(15 articles référencés dans Medline pour cette
décennie) et va voir son incidence augmenter d’année
en année. Cinquante ans après, où en est-on ? Les chercheurs dans ce domaine ont-ils répondu aux besoins
des cliniciens et de leurs patients ?
Pour les hématologues, comme pour d’autres médecins,
l’attente peut se résumer au souhait d’avoir l’assurance
que le traitement prescrit à nos patients soit à la fois
parfaitement efficace et non toxique (ou au moins non
cause de toxicités sévères).
Dans le domaine des hémopathies malignes et pour le
premier point, on peut considérer que les traitements
prescrits le sont souvent au maximum de l’intensité tolérable. L’objectif serait donc d’identifier les patients pour
lesquels le traitement administré est en fait “sous-optimal” en raison d’un métabolisme particulier et “privé”
qui aboutirait à la moindre efficacité antitumorale
d’un médicament et, in fine, à une rechute “injustifiée”.
Les approches pharmacogénétiques ont ici pour
concurrence d’autres méthodes permettant un suivi
thérapeutique et l’estimation de l’efficacité d’un traitement. On peut citer les études de pharmacocinétique
− qui définissent un taux thérapeutique optimal − ou
des marqueurs indirects de suivi considérés comme
les garants d’une efficacité optimale − comme le degré
de neutropénie permettant d’adapter le traitement
d’un patient traité pour une leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Cette concurrence des approches et
aussi le fait que les facteurs en cause dans une mauvaise
évolution sont à la fois multiples et éventuellement
associés, ce qui rendrait très difficile l’identification
d’un sous-groupe de patients dont la rechute est liée
exclusivement à un facteur pharmacogénétique − cela
d’autant plus que l’on est le plus souvent dans le cadre
d’une polychimiothérapie −, expliquent sans doute que
les résultats sont assez limités à ce jour, au moins dans
le domaine des hémopathies. Les recherches pharmacogénétiques restent néanmoins indispensables si l’on
veut égaliser les chances des patients. De fait, elles se
développent, avec au premier plan actuellement l’aide
apportée à la prescription de nouveaux agents et en
particulier des thérapies ciblées, qu’il s’agisse de petites
molécules ou d’anticorps monoclonaux, approches qui
mériteraient d’être traitées dans un prochain dossier.
Pour ce qui concerne la toxicité des traitements, les
préoccupations des cliniciens sont peut-être encore
plus marquées : Primum non nocere ! Or, au-delà de la
toxicité attendue des chimiothérapies, le clinicien et
son patient doivent faire face à des toxicités rares,
avec une incidence souvent inférieure à 1 %, mais
très sévères, mettant parfois en jeu à court terme le
pronostic vital, compromettant la réalisation optimale
du traitement et donc le pronostic à long terme, et
exposant le patient à des risques de séquelles parfois
dramatiques. Si l’on prend l’exemple des LAL, on peut
citer, en se limitant à la cure d’induction, les pancréatites aiguës, les hépatopathies cholestatiques sévères,
les hypertriglycéridémies majeures, les thromboses
profondes et les réactions anaphylactiques pour l’asparaginase, les iléus paralytiques pour la vincristine, les
exceptionnelles myocardites aiguës aux anthracyclines,
et les paraplégies liées aux injections intrathécales,
même si ces dernières surviennent le plus souvent un
peu plus tard dans le traitement.
L’approche pharmacogénétique a ici moins de concurrence car ces toxicités sévères sont peu ou pas du tout
prévenues par les méthodes de suivi thérapeutique
actuellement disponibles. Ces effets indésirables, encore
qualifiés “d’idiosyncrasiques”, sont liés au patient et,
pour l’essentiel, à des polymorphismes génétiques
concernant des gènes codant pour des acteurs du métabolisme des antinéoplasiques. Les gènes candidats
sont nombreux, mais leur implication reste difficile à
démontrer du fait de la rareté de ces accidents sévères.
Les articles réunis dans ce dossier illustrent les efforts
menés par la communauté des pharmacogénéticiens
pour identifier et décrire ces polymorphismes potentiellement délétères pour ce qui concerne l’usage
des agents antileucémiques classiques. La liste des
gènes impliqués est d’ores et déjà impressionnante
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et il devient urgent de valider certaines de ces études
sur le plan clinique car il y a pour l’instant un décalage pouvant paraître important entre l’accumulation
des connaissances et leurs utilisations sur le terrain.
L’auteur n’a pas précisé
ses éventuels liens
d’intérêts.
On peut espérer par ailleurs que les progrès de la génétique et en particulier les études de type génome entier,
qui permettent d’identifier des polymorphismes causaux à partir d’un très petit nombre de cas, permettront
d’optimiser ces recherches et d’identifier de nouveaux
acteurs. Cela impose néanmoins une démarche active
des groupes coopératifs qui ont accès aux patients
et peuvent donc recenser les cas et conserver dans
une biobanque les prélèvements nécessaires à ces
recherches.
Soyons optimistes : faisons le pari qu’un jour, pas trop
lointain s’il vous plaît mesdames et messieurs les pharmacogénéticiens, nous disposerons en routine de tests
génétiques permettant à la fois une prescription optimisée des médicaments antinéoplasiques et la mise à
l’abri de la survenue de la majorité de ces complications
souvent dramatiques, nous permettant ainsi de guérir
nos patients encore plus souvent et au mieux !
Thierry Leblanc
Service d’hématologie pédiatrique, hôpital Robert-Debré, Paris.
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