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64 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 3 - juillet-août-septembre 2013
ÉDITORIAL
La pharmacogénétique
entre enfin dans la pratique médicale
Pharmacogenetics on its way toward clinic
Pr Laurent
Becquemont
Pharmacologue médical,
faculté de médecine
et université Paris-Sud,
unité de recherche clinique
et centre de recherche clinique,
hôpital Bicêtre,
Le Kremlin-Bicêtre.
Alors que la pharmacogénétique apparaît au milieu du siècle dernier
avecladescription d’hémolyses sous antipaludéens chez les patients
déficients en G6PD, il faut attendre le e siècle pour qu’elle soit mise
àladisposition des cliniciens. Et encore, timidement, avec un accès confidentiel
limité aux centres hospitalo-universitaires, sans indications officielles
bienclaires !
Pourquoi ce retard à l’introduction de tests pharmacogénétiques
danslapratique médicale de routine ? Il existe plusieurs raisons à cela :
peudegens, finalement, connaissent la pharmacogénétique, qui n’est guère
enseignée en faculté de médecine, car seul un nombre réduit d’enseignants
maîtrise cette discipline. L’information concernant les médicaments pour lesquels
un test pharmacogénétique est utile ouindispensable n’est pas consensuelle.
Lesmodalités pratiques, en médecine ambulatoire, représentent également
unfrein : s’il faut réaliser un test pharmacogénétique avant de prescrire
unmédicament, il faut revoir le patient aveclerésultat pour décider ou non
deprescrire le médicament. Le délai pour obtenir le résultat d’un test
pharmacogénétique et savoir où adresser le patient “refroidit” souvent
leprescripteur. Enfin, l’un des arguments les plus utilisés concerne le faible
niveau de preuve des données pharmacogénétiques.
Tous ces freins sont progressivement levés : les pharmacologues,
lestoxicologues, les biochimistes, les oncologues commencent à maîtriser le sujet
et à l’enseigner, notamment dans le domaine de l’oncologie médicale. Un réseau
national pluridisciplinaire de pharmacogénétique s’est constitué depuis quelques
années pourassurer la qualité et l’accessibilité des tests, et diffuser l’information
surleurpertinence clinique(1). Cette question de la pertinence clinique est
eneffet laplus importante. Autant le niveau de preuve des données
surlapertinence des tests pharmacogénétiques au regard de l’efficacité à long
terme de certains médicaments estsouvent encore incertain, autant
desinformations purement pharmacologiques pourraient systématiquement être
transcrites dans les autorisations de mise surlemarché (AMM) ;
ainsi,quandunmédicament est éliminé par voie rénale, ilparaît évident
d’adapter sa posologie au débit de filtration glomérulaire en se basant
surunesimple étude pharmacocinétique menée sur de petits groupes de patients
ayant divers niveaux de fonction rénale. Autant, quand une même étude
pharmacocinétique indique clairement qu’en fonction du génotype d’une enzyme
hépatique les concentrations plasmatiques d’un médicament diffèrent
d’unfacteur2à30, on ne traduit pas ces données dans les AMM,
pourquoi nerecommande-t-on pas, comme dans l’insuffisance rénale,
d’adapter laposologie au génotype : est-ce par ignorance delapharmacogénétique
que les régulateurs ne tiennent pas compte decesdonnées etne les font pas
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