De quoi sommes-nous actuellement les témoins dans les événements dramatiques
du Proche-Orient ?
Il s’agit de la conjonction historique des progrès technologiques - celui de l’armement et des
outils de communication modernes - et des convictions religieuses multiséculaires sinon
fossilisées. Nous avons cru que les religions – en France et donc ailleurs – étaient restreintes à la
sphère privée. Nous n’imaginions plus qu’ailleurs dans le monde, l’ordre politique puisse se
nourrir de convictions qui relèvent du sacré, de l’intangible, de l’absolu. Nous redécouvrons avec
peine qu’au cœur de toute entreprise politique se trouvent l’esprit, les croyances et donc un
idéal. Autrement dit, la vie politique répond d’un effort d’organisation de la vie sociale qui est
elle-même d’essence spirituelle. Tout le reste relève de l’outillage pour une mise en forme
pratique et historique de cette conception de la réalité et de ce qui la transcende. Nous voici
donc en face de fondamentalistes, gardiens d’une représentation archaïque du sacré et ivres
d’un retour à l’origine par un évitement de l’histoire et de sa richesse
L’indéniable consonance religieuse des conflits au Moyen-Orient nous oblige sans plus attendre
à une meilleure compréhension des religions pour percevoir combien le mal ne vient pas
d’abord du contexte social ou politique, mais des interprétations de doctrines religieuses,
dénuées d’une confrontation à la réalité de la vie humaine et de la vie du monde. L’Islam
apparaît aujourd’hui multiple dans ses formes à travers le monde, ce qui suscite des disputes sur
l’essence véritable de l’Islam. Remarquons en effet, que cette religion prend des colorations
différentes selon qu’elle est au contact ou pas avec d’autres cultures et religions. L’Islamisme
radical existera partout là où manquera le face-à-face avec les autres dans leurs convictions
personnelles ou religieuses. Il faut un autre pour être soi. Tous les fidèles de l’Islam en France ne
sont pas tentés par le radicalisme. Pourquoi ceux-là ? Quels contacts, quels échanges ont
manqué avec d’autres traditions religieuses ? D’une manière certaine, c’est dans leur dialogue
réciproque que les grandes religions neutralisent leurs options exclusivistes, et c’est tant mieux.
C’est aussi et surtout dans la culture que se forge une représentation cohérente et partagée du
sens de la vie. Quelle culture a fait défaut pour que le champ de la vie intérieure ne soit plus
cultivé ? L’universalisme de sa foi ne suppose pas l’élimination des différences.
La crainte n’est pas moins grande de voir un univers intellectuel français, un univers scolaire
français, finalement dépourvu des moyens de faire dialoguer les traditions religieuses.
Pourquoi ? Là encore parce que depuis des décennies, la crédibilité même des religions est mise
en doute. Et là où rien n’a été semé, il poussera n’importe quoi : des croyances les plus farfelues
aux plus archaïques ! Là où rien n’a été semé, il n’y a pas davantage de vie morale. La raison ne
produit pas à elle seule la sainteté. Ainsi, les dirigeants du monde occidental entrainés dans le
vide spirituel qui le caractérise, ferment les yeux sur l’importance structurante des religions et
se cantonnent au service du « dieu » de l’argent et de la puissance technique. La raison éclairée
par la foi écarte la barbarie. La foi offerte à la raison sauve de l’absolutisme. Dans le drame des
otages assassinés, il manque la foi et la raison.
La guerre contre les fondamentalismes sous toutes ses formes et dans tous les milieux passe par
l’éducation et l’exigence de comprendre ce que croient ceux qui ne confessent pas la même foi
que soi. Les ramifications impressionnantes des mouvements terroristes dans le monde
indiquent clairement que la stratégie militaire, aussi nécessaire soit-elle, ne dispensera jamais
d’une travail d’éducation sur le long terme. Mieux encore, la possibilité d’un authentique
progrès humain devra passer par une humanisation de la vie intérieure.
Les nouveaux médias répandent comme une traînée de poudre des images et des propos qui ne
font pas une éducation. Seules l’ouverture et la diversité enseignées dès l’école et sans plus
attendre offriront un gage de dialogue. Seul le souci constant d’éveiller au sens de la vérité et de
la sainteté nous épargnera de voir des jeunes devenus si étrangers à la signification de leur
propre humanité, qu’ils deviennent capables de verser le sang. Cela révèle une fois encore
combien l’ignorance engendre le mépris et le mépris la destruction. Ouvrons aux jeunes les
portes de l’intelligence et du dialogue.
P. Laurent Stalla-Bourdillon