Actualités à la 25e JFCD Indications thérapeutiques pour le cancer colorectal métastatique RAS non muté Treatment strategy in patients with wild-type RAS metastatic colorectal cancer M. Hebbar* L a chimiothérapie conventionnelle a permis d’obtenir un gain significatif en termes de survie globale (SG) au cours des dernières décennies, la médiane de SG passant de 6 à 24 mois au début des années 2000. Les biothérapies ont permis d’améliorer encore les résultats. Parmi ces biothérapies, les anticorps monoclonaux anti-EGFR sont très utilisés après échec de 1 ou 2 lignes de chimiothérapie, en monothérapie ou combinés à la chimiothérapie, voire en première ligne, associés à la chimiothérapie (1). Deux anticorps monoclonaux anti-EGFR sont disponibles : le cétuximab et le panitumumab. Depuis 2008, leur utilisation est restreinte aux patients dont la tumeur ne comporte pas de mutation de l’oncogène KRAS (2). En effet, ces mutations activatrices sont associées à une résistance tumorale aux anti-EGFR. Récemment, de nouvelles mutations de KRAS ainsi que des mutations de NRAS conférant une résistance aux antiEGFR ont été identifiées (3). En outre, la stratégie thérapeutique globale peut sembler complexe en l’absence de mutation des gènes RAS, notamment concernant le positionnement dans le temps des anti-EGFR. Nouvelles mutations RAS * Service d’oncologie médicale, CHU de Lille. Outre les mutations de l’exon 2 du gène KRAS (codons 12 et 13), il est maintenant recommandé de rechercher les mutations dans les exons 3 (codon 61 : 4,3 % des patients) et 4 (codon 146 : 4,9 %). Concernant NRAS, il s’agit des exons 2 (codons 12 et 13 : 3,8 %) et 3 (codons 59 et 61 : 2 %), voire de l’exon 4, mais avec un taux de mutation très faible, voire nul (3). S’ajoute la principale mutation de BRAF (V600E : 10 %), qui a surtout une valeur pronostique péjorative. 132 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 5 - mai 2014 Anti-EGFR et métastases d’emblée résécables En présence de métastases jugées résécables d’emblée, le schéma standard est représenté par la chimiothérapie périopératoire par FOLFOX (5-FU, acide folinique, oxaliplatine ; 6 cycles avant la chirurgie, puis 6 cycles après), au vu des résultats de l’essai de l’EORTC 40983 (4, 5). La question de la place des anti-EGFR a été posée dans l’essai New EPOC, qui comparait chimiothérapie périopératoire (le plus souvent FOLFOX) associée ou non au cétuximab, chez des patients ayant une maladie KRAS non muté (6). L’étude a été interrompue dès l’analyse intermédiaire du fait d’une apparente supériorité du bras chimiothérapie seule (survie sans récidive médiane : 20 versus 14 mois ; HR = 1,49 ; p = 0,03). Cela a d’ailleurs conduit à amender l’essai en cours BOS 2, comparant chimiothérapie périopératoire associée ou non au panitumumab ou au bévacizumab. L’amendement porte sur l’extension de la recherche génétique aux mutations RAS. Anti-EGFR et métastases potentiellement résécables Se pose ici la question de l’intensification thérapeutique afin d’augmenter le taux de réponses objectives et, au-delà, le taux de résécabilité. Les données des études randomisées portant sur la chimiothérapie indiquent toutefois un lien faible entre le gain en termes de réponses objectives et le gain en termes de résections. Un gain de 10 % pour la réponse objective se traduit par un gain de l’ordre de 2 % pour la résécabilité, sachant qu’après résection de métastases, 1 patient sur 2 est en vie à 5 ans. Concernant la place des anti-EGFR, l’analyse Résumé Le traitement des patients avec cancer colorectal métastatique sans mutation de RAS se complexifie. Il faut tenir compte de nouvelles mutations de KRAS mais aussi de mutations de NRAS, voire de BRAF. Le positionnement des anti-EGFR (cétuximab et panitumumab) reste controversé. Leur indication initiale concernait les patients ayant échappé à au moins une ligne de chimiothérapie. Leur place en première ligne a été évaluée dans plusieurs études randomisées. Certaines études suggèrent un gain en survie globale lorsqu’un anti-EGFR est utilisé dès la première ligne, mais d’autres ne le confirment pas. Récemment l’étude FIRE 3 comparant FOLFIRI-cétuximab à FOLFIRI-bévacizumab a montré un gain en survie globale pour le cétuximab malgré l’absence de bénéfice en termes de taux de réponses objectives et de survie sans progression. L’explication reste à trouver. des études réalisées en première ligne n’indique pas de corrélation claire entre le gain en réponses objectives dans le bras chimiothérapie + anti-EGFR par rapport au bras chimiothérapie seule et le gain en résécabilité. Par exemple, dans l’étude CRYSTAL (FOLFIRI [acide folinique, 5-FU, irinotécan] avec ou sans cétuximab), le gain en réponses objectives est de 18 % chez les patients avec tumeur non mutée KRAS, mais le gain en résécabilité est seulement de 3 % (7). La récente étude de L.C. Ye et al. a porté sur des patients ayant des métastases exclusivement hépatiques ; elle a comparé chimiothérapie (FOLFIRI ou FOLFOX) associée ou non au cétuximab (8). Le gain en réponses était de 28 % et celui en résécabilité de 18 % dans le bras cétuximab. Toutefois, l’étude n’a porté que sur 138 malades, et les taux absolus de résection étaient décevants (25,7 versus 7,4 %). La place des anti-EGFR dans cette situation n’est donc pas clairement établie. En tout cas, il n’est pas certain que l’adjonction d’un anti-EGFR fasse mieux qu’une intensification de la chimiothérapie elle-même. L’étude menée par A. Falcone et al. avait comparé, en première ligne, FOLFIRI et FOLFOXIRI (acide folinique, 5-FU, oxaliplatine, irinotécan), avec des taux de résection secondaire des métastases de respectivement 6 et 15 % (p = 0,03) [9]. Plus récemment, l’essai TRIBE a comparé les mêmes schémas thérapeutiques associés au bévacizumab, avec cette fois des taux de résection assez décevants (12 versus 15 %) [10]. L’étude OLIVIA a comparé FOLFOX + bévacizumab et FOLFIRINOX + bévacizumab chez 80 malades ayant des métastases limitées au foie (11). Les taux de résection des métastases étaient respectivement de 23,1 versus 48,8 % (p = 0,017). Toutefois, l’apport précis du bévacizumab ne peut être déterminé puisque cet agent était présent dans les 2 bras de traitement. Au total, la stratégie thérapeutique doit être décidée au cas par cas. Si l’intensification de la chimiothérapie (FOLFIRINOX) semble améliorer les taux de résécabilité, cette option ne peut certainement être retenue chez tous les patients au vu du profil de tolérance. En l’absence de mutation RAS, une bichimiothérapie associée à un anti-EGFR est une option, sans que l’on sache si elle est meilleure que l’utilisation d’une chimiothérapie + bévacizumab. Anti-EGFR et métastases non résécables Une question fréquemment posée en pratique est la place des anti-EGFR dès la première ligne chez des patients ayant des métastases sans mutation de RAS qui ne seront a priori jamais résécables. Comme mentionné plus haut, plusieurs études ont évalué la place des anti-EGFR dans ce contexte, que ce soit avec une chimiothérapie à base d’irinotécan (CRYSTAL) ou d’oxaliplatine (OPUS, COIN, NORDIC VII, PRIME) [3, 12-14]. Si nous nous intéressons à la SG des patients avec tumeur KRAS non muté, les résultats sont positifs pour CRYSTAL (p = 0,009) et non significatifs pour les essais OPUS, COIN et NORDIC VII, avec même de moins bons résultats à long terme dans le bras cétuximab pour COIN et NORDIC VII. L’actualisation de PRIME (FOLFOX avec ou sans panitumumab) chez les patients atteints de tumeurs RAS non muté indique des résultats positifs en SG (p = 0,04). Ces résultats assez disparates trouvent peut-être leur explication dans les lignes thérapeutiques ultérieures, notamment le taux de recours à un anti-EGFR dans le bras chimiothérapie seule en première ligne. Ces taux de crossover apparaissent assez limités : 31 % des patients inclus dans le bras chimiothérapie seule dans CRYSTAL, 23 % dans OPUS, 19 % dans NORDIC VII, 18 % dans PRIME, et jusqu’à 2 % dans COIN. En pratique courante, le recours à un anti-EGFR au-delà de la première ligne est sans doute plus fréquent. Si nous nous intéressons à une étude randomisée en première ligne ne posant pas la question du positionnement des anti-EGFR, par exemple l’essai MACRO qui évaluait l’intérêt de la maintenance par bévacizumab, le taux de recours à un anti-EGFR au-delà de la première ligne était de 50 %, sans doute bien plus réaliste (15). Il est possible que le taux limité de recours ultérieur à un anti-EGFR dans les études évaluant ces molécules en première ligne soit lié à la sélection des centres investigateurs. En effet, dans certains pays d’Europe (Grande-Bretagne, Europe de l’Est), malgré l’autorisation de mise sur le marché des anti-EGFR après échec d’une chimiothérapie, ces molécules sont difficilement remboursées, voire ne le sont pas. Mots-clés Cancer colorectal Anti-EGFR Cétuximab Panitumumab RAS Summary Treatment strategy of patients with wild-type RAS metastatic colorectal cancer is more and more complicated. We have to take into account the new KRAS mutations, but also NRAS and BRAF mutations. When to use the anti-EGFR monoclonal antibodies (cetuximab or panitumumab) remains controversial. These agents have been firstly used in chemotherapy pre-treated patients. Their role in first-line has been assessed in several randomized trials. In the majority of patients with non resectable metastases, some studies suggested a benefit for using an anti-EGFR agent in first-line, but this was not observed in other trials. The recent results of the FIRE 3 trial comparing front-line FOLFIRI-cetuximab to FOLFIRIbevacizumab indicated superior overall survival duration in the cetuximab arm, despite similar results between the two arms in terms of objective response rate and progression-free survival. The explanation of this apparent survival benefit remains to be explained. Keywords Colorectal cancer Anti-EGFR Cetuximab Panitumumab RAS La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 5 - mai 2014 | 133 Actualités à la 25e JFCD M. Hebbar déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Indications thérapeutiques pour le cancer colorectal métastatique RAS non muté Très récemment, les résultats de l’essai FIRE-3 ont été rapportés (FOLFIRI + cétuximab ou bévacizumab en première ligne) [16]. Cette étude, conduite par le groupe allemand AIO, avait comme objectif principal le taux de réponses objectives. L’essai était négatif pour ce critère (65,5 versus 59,6 %) mais également pour la durée de survie sans progression (10,4 versus 10,2 mois). La surprise vient de la SG, avec un net avantage pour le bras cétuximab (28,7 versus 25 mois, soit un écart de 3,7 mois). Cet écart atteint même 7,5 mois chez les patients atteints d’une tumeur RAS non muté (33,1 versus 25,6 mois). Toutefois, les courbes de SG ne commencent à se séparer que tardivement, à partir de 18 mois, soit bien au-delà de la survie sans progression médiane. L’explication vient donc probablement des lignes ultérieures. Apparemment, les taux de recours à la biothérapie non utilisée en première ligne étaient équilibrés : 46 % de recours au bévacizumab dans le bras cétuximab, 43,8 % de recours au cétuximab dans le bras bévacizumab. En fait, ces chiffres correspondent aux patients ayant accédé aux lignes ultérieures. Ainsi, si l’on se rapporte à tous les patients inclus dans le bras bévacizumab, seulement 28 % ont eu par la suite accès à un anti-EGFR. Sachant qu’au-delà de la première ligne, l’omission d’un anti-EGFR est sans doute plus préjudiciable que celle du bévacizumab pour les patients avec tumeur RAS non muté, nous avons peut-être l’explication de cet écart si tardif et conséquent en SG. Il convient donc d’être prudent et d’attendre des données supplé- mentaires sur cet essai, mais également les résultats d’autres essais similaires, en particulier l’essai du CALGB (chimiothérapie associée au panitumumab ou au bévacizumab). Conclusion La place des anti-EGFR en cas de métastases résécables d’emblée n’est pas établie et reste évaluée dans des essais cliniques. En cas de métastases potentiellement résécables, l’utilisation d’un anti-EGFR en association avec une bichimiothérapie est possible pour essayer d’améliorer le taux de résections secondaires, mais au même titre que la combinaison bévacizumab + chimiothérapie. En outre, la supériorité par rapport à une trichimiothérapie n’est pas établie. Cette question est ainsi posée dans l’essai METHEP2 (PRODIGE 14). En cas de métastases non résécables, l’essai FIRE-3 pose beaucoup de questions, en particulier celle des choix thérapeutiques au-delà de la première ligne. Plusieurs essais sont en cours ou en préparation en France afin d’obtenir des données plus précises : essai PRODIGE 28 (maintenance par cétuximab en première ligne), PRODIGE 18 (cétuximab ou bévacizumab en deuxième ligne), High-Light (schéma intensifié puis désescalade versus escalade thérapeutique), essai STRATEGIC (GERCOR) comparant chimiothérapie plus bévacizumab ou cétuximab et intégrant les lignes ultérieures. ■ Références bibliographiques 1. Price TJ, Segelov E, Burge M et al. Current opinion on optimal treatment for colorectal cancer. Expert Rev Anticancer Ther 2013;13(5):597-611. cancer (EORTC 40983): long-term results of a randomised, controlled, phase 3 trial. Lancet Oncol 2013;14(12):1208-15. 6. Primrose JN, Falk S, Finch-Jones M et al. A randomized clinical trial of chemotherapy compared to chemotherapy 2. De Roock W, Claes B, Bernasconi D et al. 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