evidence-based medicine Cancérologie Cancer de l’œsophage résécable : chimiothérapie préopératoire ou radio-chimiothérapie préopératoire ? Ce qu’il faut retenir Les résultats de la chirurgie seule sont décevants dès lors qu’il ne s’agit pas d’une tumeur uT1-T2 N0. Les places respectives de la chimiothérapie et de la radiochimiothérapie préopératoires sont difficiles à définir. Le niveau de preuve est actuellement plus élevé pour la radiochimiothérapie préopératoire, mais il s’agit d’un traitement plus lourd. niveau de preuve 1b D epuis plusieurs années, l’exérèse chirurgicale, comme seul traitement des tumeurs localement avancées de l’œsophage thoracique, est remise en question du fait des mauvais résultats obtenus et d’une survie équivalente à celle de la radiochimiothérapie exclusive (option qui ne sera pas discutée ici). Plusieurs essais thérapeutiques de chimiothérapie, de radiothérapie ou de leur association avant une exérèse chirurgicale ont été publiés. Le but de ces associations est d’améliorer le contrôle local et de retarder l’apparition des métastases par la chimiothérapie. Quelle place pour la chimiothérapie préopératoire ? Plusieurs essais randomisés ont comparé la chimiothérapie préopératoire suivie d’une chirurgie à la chirurgie seule pour les cancers de l’œsophage. Il s’agissait d’adénocarcinomes et de cancers épidermoïdes. Les résultats d’une série américaine (440 patients évaluables) n’étaient pas en faveur d’une chimiothérapie préopératoire (1). La chimiothérapie consistait en une association 5-FU + cisplatine (trois cycles préopératoires + deux cycles postopératoires en cas de résection complète R0). La mortalité et la morbidité opératoires étaient similaires dans les deux groupes. Aucune différence significative en termes de médiane de survie (14,9 mois en cas de 40 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 chimiothérapie préopératoire versus 16,1 mois en cas de chirurgie seule) et de taux de survie à 2 ans (35 % versus 37 %) n’était signalée. La chimiothérapie préopératoire a connu un regain d’intérêt avec les résultats de la série britannique du MRC. Cette étude randomisée réalisée entre 1992 et 1998 chez 802 patients suggère, contrairement à l’étude américaine, l’intérêt d’une telle stratégie (2). Ces malades avaient un cancer de l’œsophage jugé résécable (stade TNM non précisé) : environ deux tiers, un adénocarcinome, et un tiers, un carcinome épidermoïde. Ils étaient randomisés entre deux cycles de chimiothérapie préopératoire (5-FU + cisplatine) ou une chirurgie d’emblée. La chimiothérapie n’augmentait pas significativement la morbidité périopératoire. Elle était significativement associée à un pourcentage plus élevé de résection complète R0 (60 % versus 54 %), à une médiane de survie supérieure (16,8 versus 13,3 mois) et à une meilleure survie à 2 ans (43 % versus 34 %). Le type histologique ne semblait pas avoir d’influence sur l’efficacité du traitement préopératoire. Cette chimiothérapie préopératoire est donc devenue pour certains un traitement de référence dans les adénocarcinomes et une alternative pour les cancers épidermoïdes de l’œsophage, malgré la négativité de la plupart des autres essais (3). Dans une métaanalyse récente (4), huit essais (1 729 patients) étaient retenus. La chimiothérapie préopératoire était associée à une meilleure survie (mais sans que la différence soit significative [HR: 0,88 ; IC95 : 0,751,04]), mais pas à un taux plus élevé de résection R0 ou à un taux plus faible de récidive. Dans une autre méta-analyse (5), la chimiothérapie préopératoire était associée à une meilleure survie (HR : 0,9 ; IC95 : 0,81-1,00), avec un bénéfice estimé à 7 % à 2 ans. Le bénéfice n’était cependant significatif que dans les adénocarcinomes (p = 0,014), et non pas dans les carcinomes épidermoïdes (p = 0,12). De plus, il était inférieur à celui observé avec une radiochimiothérapie néoadjuvante. La place de la chimiothérapie préopératoire est donc difficile à établir actuellement avec certitude. Cancérologie Le retour des associations radiochimiothérapie et chirurgie ? Il est établi depuis plusieurs années que la radiothérapie seule, pré- ou postopératoire, n’a pas d’indication. L’utilité de la radiochimiothérapie néoadjuvante a été beaucoup discutée ; plusieurs essais de taille limitée étaient négatifs, alors que les essais positifs étaient souvent critiquables. Elle était pour certains passée au second plan à la suite des résultats de la série britannique de chimiothérapie préopératoire du MRC. En fait, plusieurs méta-analyses concordantes ont désormais clairement montré son intérêt (5, 6). La plus récente a analysé dix essais randomisés (1 209 patients) [5]. La radiochimiothérapie néo­adjuvante est associée à une meilleure survie (HR : 0,81 ; IC 95 : 0,70-0,93 ; p = 0,002) que la chirurgie seule, avec un bénéfice estimé à 13 % à 2 ans. Ce bénéfice concerne aussi bien les adénocarcinomes que les carcinomes épidermoïdes. Le degré de preuve est donc mieux établi pour la radiochimiothérapie néoadjuvante que pour la chimiothérapie préopératoire. Quelles recommandations ? Lab’infos Les indications thérapeutiques dans le cancer de l’œsophage thoracique résécable sont actuellement discutées, car plusieurs traitements d’efficacité simi- evidence-based medicine laire sont possibles (3). Pour les tumeurs uT1- T2 N0, l’œsophagectomie reste le traitement de référence. Pour les tumeurs uT1 N1, T2 N1, T3 N0, il est difficile d’établir un standard, mais les recommandations actuelles préconisent soit une chirurgie associée à un traitement préopératoire (radiochimiothérapie ou chimiothérapie, mais avec un niveau de preuve moins élevé), soit une radiochimiothérapie exclusive, en particulier en cas de contre-indication à la chirurgie. Pour les tumeurs estimées T3 N1, T4 N0-N1, sont plutôt privilégiées la radiochimiothérapie exclusive en cas de carcinome épidermoïde, et la chirurgie associée à une chimiothérapie ou à une radiochimiothérapie préopératoires, en cas d’adénocarcinome. ■ Références bibliographiques 1. Kelsen DP, Ginsberg R, Pajak TF et al. Chemotherapy followed by surgery compared with surgery alone for localized esophageal cancer. N Engl J Med 1998;339:1979-84. 2. Medical Research Council Œsophageal Working Party. Surgical resection with or without preoperative chemotherapy in œsophageal cancer: a randomized controlled trial. Lancet 2002;359:1727-33. 3. Thésaurus national de cancérologie digestive. Cancer de l’œsophage. Disponible sur le site : www.snfge.asso.fr. 4. Malthaner RA, Collin S, Fenlon D. Preoperative chemotherapy for resectable thoracic esophageal cancer. The Cochrane Library 2008, issue 3. 5. Gebski V, Burmeister B, Smithers BM et al. Survival benefits from neoadjuvant chemoradiotherapy or chemotherapy in oesophageal carcinoma: a meta-analysis. Lancet Oncol 2007;8:226-34. 6. Fiorica F, Di Bona D, Schepis F et al. Preoperative radiochemotherapy for œsophageal cancer: a systematic review and metaanalysis. Gut 2004;53:925-30. Questions non résolues »» Quelle est la place respective de la chimiothérapie et de la radiochimiothérapie préopératoires ? »» Les modalités thérapeutiques doivent-elles être différer entre carcinome épidermoïde et adénocarcinome ? »» Quelles sont les modalités optimales de la chimiothérapie et de la radiochimiothérapie préopératoires ? Des données encourageantes pour Humira® dans les fistules de la maladie de Crohn Ces données proviennent de l’analyse de l’essai CHARM, qui a reposé sur une période de 4 semaines de traitement en ouvert par Humira®, puis, après randomisation entre Humira® 40 mg toutes les deux semaines et placebo, sur un suivi de 48 semaines. Il s’agit d’une analyse du sous-groupe de patients avec fistule (50 malades, l’essai CHARM ayant inclus 854 malades). Le taux de cicatrisation des fistules était de 58 % à un an et de 59 % à deux ans. Ces résultats encourageants méritent d’être confirmés par une étude spécifique dans les fistules de la maladie de Crohn. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 | 41 evidence-based medicine Cancérologie Peut-on traiter par résection endoscopique les petits cancers épidermoïdes de l’œsophage ? Ce qu’il faut retenir La mucosectomie est un traitement curatif des cancers épidermoïdes superficiels de l’œsophage limités à la muqueuse (T1m1-m2). La morbidité et la mortalité sont moindres que celles de la chirurgie. Elle doit être préférée aux méthodes de destruction (photothérapie dynamique, plasma argon), car elle permet une analyse histologique de la tumeur. Si une résection endoscopique a été effectuée et que la tumeur est à un stade plus avancé (T1m3 ou sm), un traitement complémentaire chirurgical ou par radiochimiothérapie doit être envisagé. niveau de preuve 2a L a résection endoscopique des petits cancers épidermoïdes de l’œsophage concerne les lésions néoplasiques superficielles associées à un risque d’envahissement ganglionnaire nul ou faible. Les tumeurs superficielles (T1) sont définies par une extension de la tumeur à la muqueuse ou la sous-muqueuse sans atteinte de la musculaire propre mais sans préjuger de l’envahissement ganglionnaire. On diagnostique désormais plus souvent des lésions potentiellement accessibles à un traitement endoscopique dont la morbidité et la mortalité sont faibles en comparaison d’une œsophagectomie (1). Il n’existe cependant pas d’essai thérapeutique randomisé comparant résection endoscopique et chirurgie. Quelles méthodes de traitement endoscopique ? La résection muqueuse endoscopique (mucosectomie) doit être préférée aux méthodes de destruction (photothérapie et électrocoagulation au plasma argon). En effet, elle permet une analyse histologique de la lésion et, donc, la confirmation du caractère potentiellement curatif du geste. Elle 42 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 doit être précédée systématiquement d’une chromo­ endoscopie (Lugol à 2 % en muqueuse épidermoïde) permettant de préciser les limites de la lésion, et en outre de dépister d’autres lésions méconnues. Les colorations virtuelles (FICE, NBI) pourraient être une alternative. Certains auteurs recommandent la réalisation d’une injection sous-muqueuse de sérum physiologique permettant de soulever la lésion et de limiter le risque de perforation. L’échec du soulèvement de la lésion lors de l’injection peut témoigner d’une extension en profondeur et contre-indique le geste. Plusieurs techniques de mucosectomie sont possibles, sans qu’il soit démontré une supériorité de l’une d’entre elles. L’aspiration section est la technique la plus utilisée. En cas de résection incomplète confirmée en histologie, une seconde séance de mucosectomie peut être réalisée dans les deux semaines avant rétraction cicatricielle des tissus. La dissection sous-muqueuse est une technique plus récente encore peu évaluée dans l’œsophage. Dans tous les cas, après résection endoscopique, une surveillance régulière à trois mois, puis tous les six mois, est recommandée, associée à une coloration systématique. Quelles indications ? Les indications d’une résection endoscopique d’un carcinome épidermoïde de l’œsophage dépendent de plusieurs facteurs : ➤➤ Du caractère très superficiel de la lésion néoplasique. La tumeur doit être au maximum T1 dans la classification TNM, c’est-à-dire limitée à la muqueuse ou la sous-muqueuse, mais ce critère n’est pas suffisant. Le risque d’envahissement ganglionnaire a été étudié précisément au sein de la muqueuse et de la sous-muqueuse, amenant à classer les tumeurs selon l’envahissement dans la paroi : m1 (épithélium), m2 (lamina propria), m3 (musculaire muqueuse) et dans la sous-muqueuse : sm1 (un tiers supérieur), sm2 (un tiers moyen) et sm3 (un tiers inférieur). L’échoendoscopie est indispensable pour estimer l’envahissement Cancérologie en profondeur de la lésion. Les appareils standard permettent de classer correctement une lésion usT1 dans 90 % des cas et de rechercher un envahissement ganglionnaire. Les échoendoscopes à très haute fréquence (minisondes de 30 MHz) sont capables de visualiser la muscularis mucosae et de classer les lésions en usT1m1-3 et usT1sm1-3. La sensibilité pour différencier une lésion T1m et T1sm est de 80 à 90 %. Cet examen est cependant de disponibilité limitée en pratique, même dans les centres experts, et on réalise en fait souvent une simple écho-endoscopie standard couplée aux autres facteurs décisionnels. Les lésions usT1m1 et m2 ont un risque d’extension ganglionnaire faible ou nul, les lésions T1m3 de 6 à 18 %, T1sm1 de 10 à 53 %, et les lésions T1sm2-3 ont un risque supérieur à 50 % (1). Seules les lésions usT1m1 et m2 sont une indication à un traitement endoscopique curatif. La résection des lésions usT1m3 à sm3 n’est pas le standard (chirurgie ou radiochimiothérapie, selon le terrain). Elle peut se discuter au cas par cas chez les patients inopérables ayant une lésion usT1m3 à sm1 en l’absence d’autres facteurs péjoratifs. ➤➤ De l’analyse endoscopique du relief de la lésion qui est corrélé au risque d’envahissement ganglionnaire : faible pour les lésions polypoïdes (I), planes surélevées (IIa) ou totalement planes (IIb) et élevé pour les lésions planes déprimées (IIc, IIa + c) ou ulcérées (III). ➤➤ De la taille de la tumeur, les lésions de plus de 20 mm exposant plus aux risques de complications. ➤➤ Du grade de différenciation de la tumeur, les cancers indifférenciés ayant un risque élevé d’envahissement ganglionnaire et vasculaire. evidence-based medicine Quels sont les résultats de la mucosectomie ? La morbidité précoce de la méthode est inférieure à 5 %, très inférieure à celle d’une œsophagectomie. Il s’agit notamment des hémorragies (traitées par pose de clip) et des perforations (traitées médicalement le plus souvent). Les complications tardives sont essentiellement à type de sténose. Après mucosectomie pour une lésion épidermoïde limitée à la muqueuse m1 ou m2, les taux de survie spécifique à 5 ans sont de 85 à 95 % (2, 3), identiques à ceux rapportés après chirurgie. En cas de lésion classée m3 ou d’envahissement sous-muqueux (sm), le risque d’envahissement ganglionnaire impose une chirurgie, ou une radiochimiothérapie complémentaire pour les patients non opérables. Le taux de récidive locale des cancers épidermoïdes après mucosectomie est de l’ordre de 5 % à 5 ans, significativement plus important en cas de résection par fragments (4). ■ Questions non résolues »» Les indications de mucosectomie sont-elles différentes entre cancers épidermoïdes et adénocarcinomes, où l’envahissement ganglionnaire est moindre pour les tumeurs T1m3 et sm1 ? »» Existe-t-il une méthode de résection endoscopique à privilégier ? »» La surveillance régulière avec coloration systématique est-elle en pratique réalisable chez tous les patients ? Références bibliographiques 1. Pech O, May A, Rabenstein T, Ell C. Endoscopic resection of early oesophageal cancer. Gut 2007;56;1625-34. 2. Inoue H, Tani M, Nagai K et al. Treatment of esophageal and gastric tumors. Endoscopy 1999;31:47-55. 3. Takeshita K, Tani M, Inoue H et al. Endoscopic treatment of early oesophageal or gastric cancer. Gut 1997;40:123-7. 4. Nomurat T, Boku N, Ohtsu A et al. Recurrence after endoscopic mucosal resection for superficial esophageal cancer. Endoscopy 2000;32:277-80. Traitement adjuvant du cancer du pancréas A vec une survie globale à 5 ans de 0,4 % à 4 %, le cancer du pancréas garde un pronostic très sombre. La chirurgie reste la seule option thérapeutique potentiellement curative mais ne peut concerner qu’environ 10 % des patients. Le pronostic des patients opérés reste cependant médiocre avec une survie globale à 5 ans ne dépassant guère 20 % (1). La plupart des récidives sont locorégionales et/ou hépatiques et surviennent dans les deux premières années suivant la chirurgie. Ces résultats ont motivé la réalisation de plusieurs essais de traitement complémentaire. Les stratégies néoadjuvantes visant à améliorer la résécabilité de Ce qu’il faut retenir Après résection d’un adénocarcinome pancréatique, seule option potentiellement curative, la survie globale à 5 ans ne dépasse pas 20 %. Les différentes tentatives de traitement complémentaire se sont toujours révélées décevantes, jusqu’à ces dernières années, où deux essais principaux ont montré que la chimiothérapie adjuvante présente un bénéfice. Aujourd’hui, la gemcitabine, qui augmente non seulement la survie sans récidive mais aussi la survie globale, s’est imposée comme un standard dans le traitement adjuvant après résection R0 ou R1 des adénocarcinomes pancréatiques. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 | 43 evidence-based medicine Questions non résolues »» Au moment du diagnostic, la plupart des patients atteints d’un adénocarcinome pancréatique ne sont pas opérables. La mise en évidence d’une stratégie néoadjuvante permettant d’augmenter la résécabilité de ce cancer en améliorerait probablement le pronostic global de façon considérable. »» Dans l’étude ESPAC-1, la radiochimiothérapie ne s’est pas révélée efficace, mais pour des raisons méthodologiques, un grand nombre d’experts ne considèrent pas ces résultats comme définitifs. La place de la radiochimiothérapie dans la stratégie adjuvante des adénocarcinomes pancréatiques reste donc à définir. Cancérologie ces tumeurs restent expérimentales. Les résultats des essais de traitement adjuvant proposant radiothérapie, chimiothérapie ou radiochimiothérapie réalisés depuis les années 1980 ont quant à eux longtemps été controversés. L’essai ESPAC-1 a randomisé 289 patients opérés d’un adénocarcinome pancréatique en quatre bras : radiochimiothérapie seule, chimiothérapie seule à base de 5-FU pendant 6 mois, radiochimiothérapie suivie d’une chimiothérapie, ou simple surveillance (2). La survie à 5 ans était estimée à 10 % chez les patients ayant reçu une radiochimiothérapie adjuvante et à 20 % chez les patients n’en ayant pas reçu. De même, la survie à 5 ans chez les patients ayant reçu une chimiothérapie adjuvante était de 21 % contre 8 % chez ceux n’en ayant pas reçu (p = 0,009). La médiane de survie était de 13,9 mois sous radiochimiothérapie seule, de 16,9 mois dans le groupe avec une simple surveillance, de 19,9 mois sous radiochimiothérapie suivie de chimiothérapie et de 21,6 mois sous chimiothérapie seule. Cet essai, bien que largement controversé, notamment pour des raisons méthodologiques et à cause des résultats particulièrement médiocres de la radiochimiothérapie, a néanmoins permis de considérer la chimiothérapie adjuvante comme utile après résection R0 d’un cancer du pancréas. Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse qui montrait une réduction du risque de décès de 25 % grâce à la chimiothérapie adjuvante, avec une médiane de survie après résection d’un adénocarcinome pancréatique de, respectivement, 19 mois et 13,5 mois avec ou sans chimiothérapie (3). L’efficacité démontrée de la gemcitabine dans les cancers du pancréas en situation avancée, de même que son profil de tolérance très satisfaisant pouvaient justifier son utilisation en situation adjuvante. L’étude CONKO-001 a ainsi randomisé 368 patients après résection d’un adénocarcinome pancréatique pour recevoir une chimiothérapie adjuvante à base de gemcitabine pendant 6 mois ou une simple surveillance (4). La médiane de survie sans récidive était de 13,4 mois dans le groupe gemcitabine contre 6,9 mois dans le groupe surveillance (p < 0,001). Les survies sans récidive à 3 et à 5 ans étaient respectivement de 23,5 % et 16,5 % dans le groupe gemcitabine et de 7,5 % et de 5,5 % dans le groupe surveillance simple. L’analyse en sous-groupe 44 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 montrait un bénéfice sur la survie sans récidive aussi bien pour les patients ayant eu une résection R0 (81 % des patients de l’étude) que pour ceux avec une résection R1. Le bénéfice persistait également dans les autres sous-groupes de mauvais pronostic (N+, T3-4), mais ces résultats doivent être interprétés avec prudence en raison des faibles effectifs. On notera cependant que seuls 62 % des patients ont reçu la totalité du traitement initialement prévu et que la survie sans récidive était étonnamment similaire dans le groupe gemcitabine chez les patients R1 et R0. Les résultats finaux de cette étude, présentés en 2008, ont permis de montrer que la gemcitabine en traitement adjuvant des cancers pancréatiques opérés non seulement retardait la survenue des récidives mais permettait également d’augmenter significativement la survie globale. En effet, les taux de survie globale passaient de 19,5 % à 36,5 % à 3 ans et de 9 % à 21 % à 5 ans sous gemcitabine. La médiane de survie sans progression était de 20,2 mois dans le groupe observation et de 22,8 mois dans le groupe gemcitabine (p = 0,005) [5]. Ces résultats ont permis d’établir la gemcitabine comme standard dans le traitement adjuvant après résection R0 ou R1 des adénocarcinomes pancréatiques. Malgré les résultats défavorables de l’étude ESPAC-1, la place de la radiochimiothérapie reste discutée et des essais sont actuellement en cours pour tenter de mieux la définir. ■ Références bibliographiques 1. Sener SF, Fremger A, Menck HR, Winchester DP. Pancreatic cancer: a report of treatment and survival trends for 100,313 patients diagnosed from 1985-1995, using the National Cancer Database. J Am Coll Surg 1999;189:1-7. 2. Neoptolemos JP, Stocken DD, Friess H et al. A randomized trial of chemoradiotherapy and chemotherapy after resection of pancreatic cancer. N Engl J Med 2004;350:1200-10. 3. Stocken DD, Büchler MW, Dervenis C et al. Meta-analysis of a randomised adjuvant therapy trials for pancreatic cancer. Br J Cancer 2005;92:1372-81. 4. Oettle H, Post S, Neuhaus P et al. Adjuvant chemotherapy with gemcitabine vs observation in patients undergoing curative-intent resection of pancreatic cancer: a randomized controlled trial. JAMA 2007;297:267-77. 5. Neuhaus P, Riess H, Post S et al. CONKO-001: final results of the randomized, propective, multicenter phase III trial of adjuvant chemotherapy with gemciatbine versus observation in patients with resected pancreatic cancer. J Clin Oncol 2008;26(Suppl.):LBA4504. Cancérologie evidence-based medicine Faut-il rechercher la mutation de KRAS avant un traitement par anticorps anti-EGFR dans le cancer colorectal métastatique ? L’ Ce qu’il faut retenir Les anticorps anti-EGFR ne doivent être administrés dans le cancer colorectal métastatique que chez les patients dont la tumeur est KRAS sauvage. Le statut KRAS sauvage est désormais requis dans les indications thérapeutiques retenues par l’agence européenne de médecine (EMEA) pour le cétuximab et le panitumumab. La mise en place rapide de nouveaux circuits pour que ce test puisse être réalisé facilement partout en France est indispensable. survie sans progression. Les résultats étaient significativement en faveur de l’association cétuximab + FOLFIRI, aussi bien pour la survie sans progression (p = 0,048) que pour le taux de réponse (p = 0,004). Les résultats selon le statut KRAS ont également été présentés en 2008. Au total, 587 patients ont été testés pour le statut KRAS, et 348 étaient KRAS sauvage (64 %) pour 192 KRAS muté (36 %). Parmi les patients KRAS sauvage, le taux de survie sans progression à un an passait dans le groupe cétuximab de 25 à 43 %, et le taux de réponse était augmenté de 16 %. En revanche, chez les patients ayant une mutation de KRAS, il n’y avait aucun bénéfice à ajouter du cétuximab au FOLFIRI en première ligne. Une autre étude de phase II a comparé l’efficacité d’une chimiothérapie de type FOLFOX avec ou sans cétuximab en première ligne de métastatique (4). Parmi les 337 patients inclus dans cette étude, le statut KRAS a pu être déterminé chez 233 patients. Chez les patients avec une tumeur KRAS sauvage, il existait un bénéfice à recevoir du cétuximab en plus du FOLFOX aussi bien sur la survie sans progression (médiane 7,7 versus 7,2 mois ; p = 0,02) que sur le taux de réponse (61 versus 37 % ; p = 0,01). En revanche, les patients avec une tumeur KRAS muté niveau de preuve activation de la voie de l’EGF (Epidermal Growth Factor) est fréquemment observée dans le cancer colorectal (CCR) et le récepteur (EGFR) constitue une des cibles. Les anticorps monoclonaux représentent une des principales stratégies d’inhibition de l’EGFR. Dans le traitement du cancer colorectal métastatique, deux anticorps anti-EGFR, le cétuximab (Erbitux®) et depuis peu le panitumumab (Vectibix®), sont disponibles. Le cétuximab est un anticorps monoclonal chimérique de type IgG1 qui se fixe au récepteur avec une grande affinité, bloquant son activation ligand-dépendante du récepteur. Le panitumumab est un autre anticorps monoclonal totalement humanisé de type IgG2. Une mutation d’un des effecteurs des voies de signalisation de l’EGF situés en aval du récepteur est un des mécanismes possibles de la résistance aux antiEGFR. La valeur pronostique des mutations de KRAS (présentes dans 30 à 40 % des tumeurs colorectales) comme marqueur de résistance au cétuximab a été suggérée par une équipe française (1). Les publications récentes viennent d’apporter une confirmation définitive. Les résultats d’une analyse combinée de sept études évaluant le rôle prédictif du statut KRAS chez 281 patients traités pour CCR métastatique par cétuximab plus irinotécan après progression ont été présentés au congrès de l’ASCO en 2008 (2). Il existait une mutation de KRAS dans 35 % des cas. Aucune réponse tumorale objective n’était observée en cas de mutation versus 48 % de réponses objectives chez les patients KRAS sauvage (p < 0,0001). La survie sans progression (2,7 versus 5,5 mois) et la survie globale (8,0 versus 13,2 mois) étaient significativement inférieures en cas de mutation. L’étude CRYSTAL est une étude de phase III randomisée ayant inclus 1 217 patients atteints d’un CCR métastatique (3). Elle a comparé en première ligne deux bras de traitement : cétuximab + FOLFIRI versus FOLFIRI seul. Le critère de jugement principal était la 1a La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 | 45 evidence-based medicine Questions non résolues »» Comment traiter en troisième ligne les patients KRAS muté ? »» Quels sont les autres facteurs prédictifs d’efficacité des anticorps anti-EGFR ? »» La mise en place du test, devenu indispensable, sera-t-elle rapidement effective sur le plan national ? Cancérologie ne tiraient pas bénéfice de l’adjonction du cétuximab qui pourrait même avoir un effet délétère. Il est désormais clair que les anticorps anti-EGFR doivent être administrés dans le cancer colorectal métastatique chez les patients dont la tumeur est KRAS sauvage. Une modification d’autorisation d’utilisation du cétuximab a été introduite par l’EMEA fin mai 2008. Le cétuximab est désormais indiqué dans le cancer colorectal métastatique chez les patients dont la tumeur est KRAS sauvage (en association avec la chimiothérapie ou seul chez les patients prétraités par oxaliplatine et irinotécan et intolérants à l’irinotécan). Concernant le panitumumab (Vectibix®), l’AMM européenne de décembre 2007 était d’emblée restrictive. Le médicament est indiqué “en monothérapie dans le traitement des patients atteints de cancer colorectal métastatique exprimant l’EGFR et présentant le gène KRAS non muté (type sauvage), après échec des protocoles de chimiothérapie à base de fluoropyrimidine, d’oxaliplatine et d’irinotécan”. En effet, l’étude de phase III menée lors du développement de la molécule versus soins palliatifs chez les patients ayant échappé à la chimiothérapie n’a montré un intérêt en termes de survie sans progression que chez les patients KRAS sauvage (5). En pratique, la recherche du statut KRAS peut se faire à partir de l’ADN provenant d’un échantillon du tissu tumoral fixé dans de la paraffine. Fin 2008, 40 plates-formes réparties sur notre territoire permettront de réaliser le test. Un financement de l’INCA est prévu afin qu’il soit pris en charge. ■ Références bibliographiques 1. Lièvre A, Bachet JB, Le Corre D et al. KRAS mutation status is predictive of response to cetuximab therapy in colorectal cancer. Cancer Res 2006;66:3992-5. 2. Di Fiore F, Van Cutsem E, Laurent-Puig P et al. KRAS mutation in predicting response, progression-free survival, and overall survival in irinotecan-refractory patients treated with cetuximab plus irinotecan for a metastatic colorectal cancer: analysis of 281 individual data from published series. J Clin Oncol 2008;26:abstr.4035. 3. Van Cutsem E, Lang I, D’haens G et al. KRAS status and efficacy in the first-line treatment of patients with metastatic colorectal cancer (mCRC) treated with FOLFIRI with or without cetuximab: The CRYSTAL experience. J Clin Oncol 2008;26:abstr.2. 4. Bokemeyer C, Bondarenko I, Hartmann JT et al. KRAS status and efficacy of first-line treatment of patients with metastatic colorectal cancer with FOLFOX with or without cetuximab: the OPUS experience. J Clin Oncol 2008;26:abstr.4000. 5. Amado RG, Wolf M, Peeters M et al. Wild-type KRAS is required for panitumumab efficacy in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2008;26:1626-34. Place de l’IRM pelvienne en haute résolution dans le bilan préopératoire des tumeurs rectales niveau de preuve 1 L a prise en charge thérapeutique d’un cancer du rectum pose des problèmes spécifiques : diminuer le risque de récidive locale fréquent pour ces localisations tout en tentant de préserver au mieux les fonctions sphinctériennes rectale et génito-urinaire. Le bilan préopératoire doit s’attacher à évaluer le stade TNM de la tumeur. Il doit également préciser les marges distales (correspondant à la distance entre le pôle inférieur de la tumeur et le sphincter interne) et les marges latérales de résection mesurées par rapport au fascia recti. Il est un enjeu majeur, et doit être précis et exhaustif, car il va conditionner toute la stratégie thérapeutique : choix du type de résection chirurgicale et mise en œuvre ou non d’un traitement néo-adjuvant par radiochimiothérapie. 46 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 Place des différentes techniques ➤➤ Échoendoscopie : cette technique est perfor- mante pour l’analyse des tumeurs superficielles T1 et T2 compte tenu de son excellente résolution spatiale. Elle présente quelques limites : le fascia recti n’est pas individualisé et elle est peu performante pour l’évaluation des volumineuses tumeurs et ne peut être réalisée en cas de tumeur sténosante. ➤➤ IRM pelvienne : grâce aux progrès technologiques récents, sa réalisation ne nécessite pas d’antenne endocavitaire (1) et son champ de vue est plus étendu que l’échoendoscopie. Elle permet de visualiser les différentes couches de la paroi rectale, mais avec une résolution spatiale qui reste infé- Cancérologie rieure à celle de l’échoendoscopie. Le fascia recti est facilement individualisé de même que l’ensemble des muscles releveurs de l’anus, le canal anal et la graisse mésorectale. Technique IRM L’exploration IRM d’une tumeur rectale nécessite de travailler sur un imageur performant 1,5 T ou 3T avec une antenne externe en réseau phasé. Le protocole d’acquisition, débute par la réalisation de séquences en pondération T2 sans suppression du signal de la graisse en coupes fines (1) dans les trois plans de l’espace. Le plan axial doit être réalisé perpendiculairement à la tumeur afin de pouvoir étudier dans les meilleures conditions l’extension pariétale. L’injection de chélate de gadolinium est controversée mais semble utile pour l’évaluation de l’infiltration tumorale du sphincter interne pour les tumeurs du bas rectum. Apport de l’IRM L’évaluation du degré d’invasion de la paroi rectale nécessite une individualisation précise non seulement de la tumeur mais également des différentes couches (muqueuse, sous-muqueuse, musculeuse). Les performances diagnostiques des principales études s’échelonnent de 67 à 100 % (1, 2). Les erreurs les plus fréquentes surviennent pour le staging des tumeurs classées T2/T3, car les données morphologiques ne permettent pas de différencier parfois un stade T2 d’une tumeur T3 débutante en raison de la réaction desmoplastique péritumorale (3). L’extension tumorale au-delà de la musculeuse doit alors être portée avec prudence lorsqu’il existe une image d’addition nodulaire ou à base large en continuité dans la graisse périrectale. Pour l’évaluation des stades T4, l’ensemble des études montre que les performances de l’IRM sont excellentes (90 à 100 %) [2]. Le second élément majeur que doit fournir l’IRM dans la prise en charge thérapeutique est l’évaluation de la marge latérale circonférentielle. On considère qu’une distance de 6 mm entre la tumeur et evidence-based medicine le fascia constatée en IRM correspond en anatomo­ pathologie à une distance de 2 mm avec un intervalle de confiance de 97 % (4). L’analyse de l’envahissement ganglionnaire (stade N) donne des résultats médiocres en raison de l’insuffisance des critères de taille. En effet, plus que dans les autres tumeurs, il existe fréquemment des micrométastases au sein de ganglions de petite taille. Il n’existe actuellement pas de consensus sur la taille des ganglions pour définir ou non leur envahissement mais un diamètre seuil de 3 à 5 mm semble un bon compromis. Dans l’étude de G. Brown, le moins mauvais critère de taille serait une valeur de 5 mm (5) permettant d’obtenir une sensibilité de 81 % et une spécificité de 68 %. Les éléments importants à mentionner sont le siège de l’adénopathie la plus haute et la présence d’adénopathies au-delà du fascia recti. L’évaluation des métastases à distance est réalisée par une exploration scanographique thoraco-abdomino-pelvienne. Conclusion Pour les cancers rectaux superficiels pouvant être traités par chirurgie seule, l’échoendoscopie est plus précise pour les stades T1 et T2. Pour le reste des tumeurs rectales, l’IRM est devenue indispensable sous réserve que les conditions de réalisation et d’interprétation soient standardisées afin de pouvoir répondre de manière fiable aux problèmes spécifiques dans la prise en charge d’un cancer du rectum. ■ Références bibliographiques 1. Brown G, Richards CJ, Newcombe RG et al. Rectal carcinoma: thin-section MR imaging for staging in 28 patients. Radiology 1999;211:215-22. 2. Beets-Tan RG, Beets GL. Rectal cance: review with emphasis on MR imaging. Radiology 2004;232:335-46. 3. Lahaye MJ, Engelen SM, Nelemans PJ et al. Imaging for predicting the risk factors -the circumferential resection margin and nodal disease- of local recurrence in rectal cancer: a meta-analysis. Semin Ultrasound CT MR 2005;26:259-68. 4. Beets-Tan RG, Beets GL, Vliegen RF et al. Accuracy of magnetic resonance imaging in prediction of tumour-free resection margin in rectal cancer surgery. Lancet 2001;357:497-504. 5. Brown G, Richards CJ, Bourne MW et al. Morphologic predictors of lymph node status in rectal cancer with use of high-spatial-resolution MR imaging with histopathologic comparison. Radiology 2003;227:371-7. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - nos 1-2 - janvier-février/mars-avril 2009 | 47