L Cancers de l’œsophage : quoi de neuf ? DOssIeR ThÉmATIque

La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XV - n° 2 - mars-avril 2012 | 95
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancers de l’œsophage :
quoi de neuf ?
Esophageal cancer:what’s new?
J.F. Seitz*, E. Norguet*, L. Dahan*
* Service d’oncologie digestive, pôle
oncologie, spécialités médicales et
chirurgicales, hôpital La Timone,
AP-HP, université de la Méditerranée,
Marseille.
L
e cancer de l’œsophage est le huitième cancer le
plus fréquent dans le monde (482 000 nouveaux
cas annuels) et la sixième cause mondiale de
mortalité par cancer (407 000 décès annuels) [1].
La mortalité reste donc assez proche de l’incidence.
L’amélioration du pronostic passe par un diagnostic
plus précoce, au stade de cancer superfi ciel, et par
une progression des traitements combinés dans les
formes invasives (chimiothérapie préopératoire,
radiochimiothérapie préopératoire). L’apport des
biothérapies ciblées est en cours d’évaluation.
En 2011, il n’y a pas eu de publications changeant
les standards de prise en charge, mais un certain
nombre de confi rmations.
Diagnostic précoce :
coloration vitale ou virtuelle ?
En 2010, un essai randomisé japonais publié par
M. Muto et al. (2) portant sur 320 patients à risque
de cancer ORL ou œsophagien avait comparé un
examen endoscopique avec NBI (Narrow Band
Imaging) à un examen endoscopique conventionnel
en lumière blanche et en haute défi nition. Le taux
de cancers œsophagiens détectés était signifi cati-
vement plus élevé avec le NBI qu’avec l’endoscopie
conventionnelle (97 % versus 55 % ; p < 0,001),
de même le taux de cancers ORL (100 % versus 8 % ;
p < 0,001). La seule critique que l’on peut émettre
à l'encontre de cet essai majeur est que le NBI n’a
pas été comparé à la technique de référence, qui est
l’endoscopie avec coloration vitale, généralement
le lugol.
En 2011, une étude française (3) a comparé chez
un petit nombre de patients à risque l’endoscopie
conventionnelle, le NBI et la coloration vitale
par le lugol : chez les 30 patients, les 4 cancers
ont été diagnostiqués par les 3 techniques, alors
que la lésion de dysplasie de haut grade a été
manquée par l’examen conventionnel et diagnos-
tiquée par le lugol et le NBI.
Une étude japonaise menée chez 350 patients (4)
a évalué le NBI par rapport au lugol pour le dépis-
tage de la dysplasie de haut grade chez des sujets à
risque, en fonction de l’expérience de l’endoscopiste,
notamment pour le NBI (> 2 ans de pratique versus
3 mois) : comparé au gold standard (lugol), la sensi-
bilité du NBI était de 100 % pour les endoscopistes
les plus expérimentés, mais elle n’était que de 69 %
pour les moins expérimentés (p = 0,04).
Une étude française multicentrique, comparant
NBI et lugol pour la détection des cancers de l’œso-
phage, est en cours, sous l’égide de la Société fran-
çaise d’endoscopie digestive : il est prévu d’inclure
666 patients.
Traitements néo-adjuvants
Une actualisation de la méta-analyse australienne
de V. Gebski et al., effectuée en 2007 (5), a été
publiée en 2011 par K. Sjoquist et al. dans Lancet
Oncology (6). Comme la précédente, cette méta-
analyse a évalué l’apport de la radiochimiothérapie
préopératoire par rapport à celui de la chirurgie seule
et l’apport de la chimiothérapie préopératoire par
rapport à celui de la chirurgie seule. Elle a également
réalisé une comparaison entre la radiochimiothérapie
préopératoire et la chimiothérapie préopératoire :
concernant l’apport de la radiochimiothérapie
préopératoire par rapport à celui de la chirurgie
seule, cette méta-analyse a inclus 13 essais et
1 932 patients (contre 10 essais et 1 209 patients
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Points forts
»
L’endoscopie avec NBI
(Narrow Band Imaging)
améliore le taux de détection précoce des cancers
œsophagiens par rapport à l’examen en lumière blanche ; une étude française est en cours pour l’évaluer
par rapport à l’endoscopie avec coloration vitale par le lugol.
»La chimiothérapie néo-adjuvante réduit le risque de décès de 13 % par rapport à la chirurgie seule.
»
La radiochimiothérapie néo-adjuvante réduit le risque de décès de 22 % par rapport à la chirurgie seule.
»L’apport des biothérapies n’est pas prouvé.
Mots-clés
Cancer de l’œsophage
Chromoendoscopie
Chimiothérapie
Chimioradiothérapie
Traitement néo-
adjuvant
Thérapies ciblées
Highlights
»
Narrow Band Imaging
increases early detection of
esophageal cancers compared
to conventional white light
imaging; a French study is
ongoing to evaluate NBI vs
lugol-chromoendoscopy.
»
Neoadjuvant chemotherapy
when compared to surgery
alone reduce the risk of death
by 13%.
»
Neoadjuvant chemo-radio-
therapy compared to surgery
alone reduce the risk of death
by 22%.
»
The benefit of target thera-
pies is not yet proved.
Keywords
Esophageal cancer
Chromoendoscopy
Chemotherapy
Chemoradiotherapy
Neoadjuvant treatment
Target therapies
pour la précédente) : le bénéfice de la radiochimio-
thérapie pré opératoire est toujours très significatif
(p = 0,0001), avec une réduction du risque de décès
de 22 % ; il reste significatif dans les 2 types histo-
logiques ;
concernant l’apport de la chimiothérapie
pré opératoire par rapport à celui de la chirurgie
seule, cette nouvelle méta-analyse a inclus 10 essais
et 2 062 patients (contre 8 essais et 1 724 patients
pour la précédente) : le bénéfice de la chimiothérapie
préopératoire est devenu nettement significatif
(p = 0,005), avec une réduction du risque de décès
de 13 % ; comme dans la méta-analyse de V. Gebski
et al. (5), ce bénéfice reste significatif dans les
adénocarcinomes et non significatif dans les carci-
nomes épidermoïdes.
Le tableau I résume les résultats de ces 2 méta-
analyses comparées à celles de P. Thirion et al.
(présentées à l’ASCO® 2008 et à l’ESTRO 2008,
mais non publiées depuis) et montre que le gain de
survie à 2 ans escompté avec la radiochimiothérapie
est un peu plus important (+ 9 % en valeur absolue)
qu’avec la chimiothérapie préopératoire (+ 5 %).
Enfin, une comparaison entre la radiochimio-
thérapie préopératoire et la chimiothérapie préopé-
ratoire a été faite à partir des 2 essais de la littérature
(portant sur les seuls adénocarcinomes) : l’essai alle-
mand de Stahl et al., publié en 2009, portant sur
les adénocarcinomes de la jonction œso gastrique,
n’avait pu inclure que 126 patients du fait d’un
recrutement insuffisant. Les patients traités par
radiochimiothérapie avaient eu plus de réponses
pathologiques complètes (ypRC : 16 % versus 2 % ;
p = 0,03) et plus de downstaging ganglionnaire, mais
l’amélioration du taux de survie à 3 ans (47 % versus
28 %) n’était pas statistiquement significative
(p = 0,07). Un second essai randomisé comparant
chimiothérapie et radiochimiothérapie préopératoire
vient d’être publié en 2011 par l’équipe australienne
de B.H. Burmeister et al. : maheureusement, il s’agit
d’un essai de faisabilité de la radiochimiothérapie
préopératoire, et il n’a inclus que 75 patients (adéno-
carcinomes œsocardiaux). On retrouve une augmen-
tation du taux de ypRC (13 % versus 0 % ; p = 0,04),
une amélioration du taux de résection R0, mais
pas de différence de survie. La méta-analyse de ces
2 essais (6) ne permet pas non plus de montrer un
gain significatif de survie (HR = 0,77 ; IC95 : 0,53-1,12).
Radiochimiothérapie
et biothérapies ?
Deux essais de phase II évaluant la triple association
chimiothérapie + radiothérapie + biothérapie par
anti-Epidermal Growth Factor Receptor (EGFR) ont
été publiés en 2011 (tableau II) :
L’étude de F. De Vita et al. (7) a inclus 41 patients
qui ont reçu un traitement systémique par FOLFOX +
cétuximab, puis une association radiothérapie +
cétuximab : il y a eu 1 décès pendant le traitement
néo-adjuvant, 9 progressions tumorales et 1 refus
de la chirurgie, si bien que 30 patients ont pu être
opérés : 8 ypRC (soit 19,5 % en intention de traiter)
ont été observés. Il y a eu 2 décès postopératoires
(6 %) avec 1 lâchage anastomotique et 1 choc septique.
Tableau I. Résultats des méta-analyses récentes sur la radiochimiothérapie et la chimiothérapie préopératoires dans les
cancers de l’œsophage.
Radiochimiothérapie préopératoire Chimiothérapie préopératoire
Sjoquist
(6)
Gebski
(5)
Thirion
(ASCO® 2008)
Sjoquist
(6)
Gebski
(5)
Thirion
(7)
[ESTRO 2008]
Diminution risque décès
Adénocarcinome
Spino
– 22 %
oui
oui
– 19 %
oui
oui
– 18 %
oui
oui
– 13 %
oui
NS
– 10 %
oui
NS
– 13 %
Pas
d’interaction
Gain de survie à 2 ans + 9 % + 13 % + 7 % + 5 % + 7 % + 5 %
Gain de survie à 5 ans _ _ + 6,5 % _ _ + 4 %
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DOSSIER THÉMATIQUE
Les auteurs expliquent le taux plutôt faible (en tout
cas pas supérieur aux résultats habituels) de ypRC
par le caractère séquentiel de l’administration des
traitements.
L’étude du groupe suisse (SAKK 75/06) publiée
par T. Ruhstaller et al. (8) a inclus 28 patients qui
ont reçu une chimiothérapie par docétaxel + cispla-
tine associée à cétuximab, puis une radiothérapie +
cisplatine et cétuximab. La toxicité du traitement
néo-adjuvant a été assez marquée, avec notam-
ment 21 % de neutropénies fébriles et 26 % d’œso-
phagites de grade 3, mais il n’y a pas eu de décès
liés au traitement ; 25 patients ont pu être opérés
et ont tous eu une résection R0 : il y a eu 9 ypRC
(32 % en intention de traiter), et si l’on additionne
ces 9 réponses complètes (TRG 1) aux 10 résidus
microscopiques minimes (TRG 2), on obtient un
taux de réponses complètes ou presque complètes
de 68 %. Aucun décès postopératoire n’a été noté.
Compte tenu de ces résultats encourageants,
une étude de phase III a été lancée, à laquelle vont
se joindre certains centres français, sous l’égide
de la Fédération francophone de cancérologie
digestive (FFCD) et du groupe FRENCH.
L’étude française ERaFOX présentée à
l’ASCO
®
-GI (9) s’est, elle aussi, intéressée à la triple
association chimiothérapie (FOLFOX) + cétuximab,
radiothérapie et a porté sur 80 patients : le taux de
réponses cliniques est excellent (77 %) ; la chirurgie
était au choix des investigateurs, et la plupart des
patients n’ont pas été opérés ; les résultats chez
les opérés sont en cours d’analyse.
Conclusion
L’année 2012 devrait être une année riche pour les
équipes françaises avec la présentation et la publi-
cation des résultats de l’étude phase I-II PRODIGE 3
(5FU-cisplatine + cétuximab + radiothérapie en
situation néo-adjuvante), de l’étude de phase III
FFCD 9901, et de l’essai ERaFOX.
1. Ferlay J, Shin HR, Bray F, Forman D, Mathers C, Parkin DM.
Estimates of worldwide burden of cancer in 2008:
GLOBOCAN 2008. Int J Cancer 2010;127:2893-917.
2. Muto M, Minashi K, Yano T et al. Early detection of super-
ficial squamous cell carcinoma in head and neck region
and esophagus by Narrow Band Imaging: a multicenter
randomized controlled trial. J Clin Oncol 2010;28:1566-72.
3. Lecleire S, Antonietti M, Iwanicki-Caron I et al. Lugol
chromo-endoscopy versus Narrow Band Imaging for
endoscopic screening of esophageal squamous-cell
carcinoma in patients with a history of cured esopha-
geal cancer: a feasibility study. Diseases of the Esophagus
2011;24:418-22.
4. Ishihara R, Takeuchi Y, Chatani R et al. Prospective evalua-
tion of narrow-band imaging endoscopy for screening of
esophageal squamous mucosal high-grade neoplasia in
experienced and less experienced endoscopists. Diseases
of the Esophagus 2010;23:480-6.
5. Gebski V, Burmeister BH, Smithers BM et al. Survival bene-
fits from neoadjuvant chemoradiotherapy or chemotherapy
in oesophageal carcinoma: a meta-analysis. Lancet Oncol
2007;8:226-34.
6. Sjoquist K, Burmeister BH, Smithers BM et al. Survival
after neoadjuvant chemotherapy or chemoradiotherapy
for resectable oesophageal carcinoma: an updated meta-
analysis. Lancet Oncol 2011;12:681-92.
7. De Vita F, Orditura M, Martinelli E et al. A multicenter
phase II study of induction chemotherapy with FOLFOX-4
and cetuximab followed by radiation and cetuximab in locally
advanced oesophageal cancer. Br J Cancer 2011; 104:427-32.
8. Ruhstaller T, Pless M, Dietrich D et al. Cetuximab in combi-
nation with chemoradiotherapy before surgery in patients
with resectable, locally advanced esophageal carcinoma:
a prospective, multicenter phase IB/II Trial (SAKK 75/06).
J Clin Oncol 2011;29:626-31.
9. Lledo G, Michel P, Dahan L et al. Chemoradiation with
FOLFOX plus cetuximab in locally advanced cardia or
esophageal cancer: final results of a GERCOR phase II trial
(ERaFOX). J Clin Oncol 2011;29(4):Abstract 8.
Références bibliographiques
Tableau II. Essais de phase II évaluant l’association radiochimiothérapie + cétuximab dans les cancers localement avancés
de l’œsophage.
n SCC/ADC Chimiothérapie
+ biothérapie
Dose d’irradiation
(Gy) pRC (%) Survie médiane
(mois)
Safran et al. 2008
(in7)
60 12/48
Paclitaxel
+ carboplatine
+ cétuximab
50,4 27
De Vita et al. 2011
(7)
41 28/13 FOLFOX + cétuximab 50,4 19,5 17,3
Ruhstaller et al. 2011
(8)
28 13/15 CDDP + docétaxel
+ cétuximab 45 32 (TRG 1
+2 = 68 %) 86 % à 1 an
Lledo et al. 2011
(9)
80 53/25 FOLFOX + cétuximab 50,4 ORR = 77,2 %
SCC :
squamous cell carcinoma ;
ADC : adénocarcinome ; pRC :
pathological complete response ;
TRG :
Tumor Regression Grade ;
ORR :
overall response rate.
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