La Lettre du Rhumatologue - n° 297 - décembre 2003
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TRIBUNE
Depuis leur commercialisation, il y a envi-
ron trois ans, les coxibs accumulent les
données scientifiques. De très nombreux
travaux, parfois contradictoires mais
toujours sources de réflexion, ont per-
mis de découvrir ou de “revisiter” cer-
tains grands processus allant des
mécanismes physiopathologiques à
la prise en charge des malades “dou-
loureux”. À une époque où la méde-
cine fondée sur les preuves (l’evi-
dence based medicine de nos
collègues anglo-saxons) est devenue
une référence, nous avons souhaité
répondre aux grandes questions soule-
vées à propos des coxibs en se fondant
uniquement sur ces données scientifiques.
La rédaction
1. Quelle efficacité peut-on
attendre des coxibs par rapport
aux AINS conventionnels ?
M. Dougados, service de rhumatologie B,
hôpital Cochin, Paris
Depuis l’avènement des AINS dans les
années 1960, tout nouvel AINS s’est pré-
senté comme “aussi efficace et mieux
toléré” que les précédents. Les études
menées après l’obtention de l’AMM ont
souvent démenti cette affirmation en mon-
trant que, dans le cadre de la pratique quo-
tidienne, ces nouveaux AINS avaient en
fait une efficacité ET une toxicité simi-
laires à celles des précédents AINS, dès
lors qu’ils étaient utilisés à des posologies
“optimales” en pratique quotidienne.
Est-ce que nous avons assez de recul
aujourd’hui pour savoir si les coxibs déro-
gent à cette règle ?
Comment répondre à cette ques-
tion ?
Il faut au préalable bien comprendre la
méthodologie à utiliser pour fournir cette
réponse de la manière la plus objective et
la plus scientifique possible.
C’est ainsi que trois éléments intriqués
nous semblent devoir être pris en compte :
la population intéressée, les critères d’éva-
luation, le type d’études cliniques. Les élé-
ments (critères, études) nécessaires à la
réponse peuvent être différents aux yeux
du malade ou de son médecin.
C’est ainsi que, pour le patient, l’utilité
sera au mieux évaluée par sa satisfaction,
satisfaction mesurée directement (ques-
tionnaire patient) ou indirectement par les
variations des symptômes qu’il ressent,
avant tout douleur et impotence fonction-
nelle. De même, cette satisfaction peut être
évaluée par le taux de maintenance théra-
peutique (un médicament symptomatique
sera pris d’autant plus longtemps qu’il
satisfait le patient).
Pour le médecin, l’avis de ses patients est
primordial. Dans des études de recherche
clinique, ce concept peut être approché par
des travaux évaluant la préférence du
patient. Cette notion de préférence sous-
entend qu’un même patient est capable de
porter un jugement comparatif sur deux ou
plusieurs modalités thérapeutiques. Cela
est possible dans les études dites “étude
comparative où le malade est pris pour son
propre témoin” (cross-over design pour
nos collègues anglo-saxons).
On peut évaluer l’utilité thérapeutique en
estimant l’impact d’un nouveau médica-
ment sur la consommation d’autres théra-
peutiques. Ici, outre l’impact sur la
consommation des protecteurs gastriques
(qui évalue le côté “sécurité d’emploi”),
on peut évaluer l’impact sur la consom-
mation d’antalgiques potentiellement
toxiques comme les dérivés morphi-
niques.
Dernier point, et non le moindre, on
peut également évaluer l’effet des
coxibs (traitement symptomatique
efficace) chez des patients nécessi-
tant un tel traitement symptomatique,
mais qui en étaient privés jusque-là en
raison de la toxicité potentielle des
AINS conventionnels. L’exemple le plus
flagrant est celui du patient en période
opératoire, où le chirurgien craignait et
craint toujours de prescrire des AINS
conventionnels en raison du risque hémor-
ragique opératoire et du risque de surve-
nue d’un ulcère dû au stress de l’interven-
tion.
Pour que la réponse à ces questions soit
fondée sur les données chiffrées, il est
nécessaire de la faire reposer sur des études
de recherche clinique de bonne qualité
ayant porté sur des patients tels qu’on les
voit en pratique quotidienne (c’est-à-dire
différents de ceux ayant participé aux
essais thérapeutiques et ayant permis l’ob-
tention de l’autorisation de mise sur le
marché).
Quels sont les éléments de
réponse ?
Préférence du patient. Des études utili-
sant la technique du malade pris pour son
propre témoin ont été menées pour com-
parer l’effet symptomatique des coxibs
(célécoxib) à celui des antalgiques (para-
cétamol) chez des patients arthrosiques
douloureux (1). Ces études concluent à une
très nette supériorité des coxibs. Des
études utilisant une méthodologie similaire
sont nécessaires pour comparer les coxibs
aux AINS conventionnels.
Satisfaction du patient. Dans l’étude
PREUVES (étude évaluant notamment
l’efficacité et la tolérance du rofécoxib chez
Les coxibs
en pratique :
questions/
réponses
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des patients arthrosiques dans le cadre de
la pratique quotidienne) (2), cinq questions
étaient posées aux patients en fin d’étude
(six mois), évaluant leur degré de satisfac-
tion quant à la prise en charge de leurs
symptômes. Plus de 80 % des patients ont
considéré que leur douleur était parfaite-
ment (score d’au moins 75 sur une échelle
allant de 0 à 100) prise en compte.
Amélioration des symptômes. Toutes les
études menées dans le cadre proche de la
pratique quotidienne (comme l’étude
PREUVES) ont confirmé les données d’ef-
ficacité des études menées préalablement
à l’obtention de l’AMM des coxibs. C’est
ainsi que, dans l’étude PREUVES, la dou-
leur évaluée sur une échelle allant de 0 à
100 a diminué de près de 20, alors que l’on
sait qu’à l’échelle d’un groupe de patients,
une variation de 10 sur une échelle de 0 à
100 est habituellement considérée comme
cliniquement pertinente.
Cette efficacité s’est montrée persistante
(au moins un an) et d’intensité similaire à
celle du diclofénac administré à la dose de
150 mg par jour (chez des patients arthro-
siques) (3) et à celle du naproxène admi-
nistré à la dose de 1 000 mg par jour chez
des patients souffrant de polyarthrite rhu-
matoïde (4).
À signaler également que, dans l’arthrose,
il existe un débat autour de la place res-
pective de l’utilisation du paracétamol et
des anti-inflammatoires. Une étude récente
comparant le rofécoxib à la dose de 25 mg
par jour au paracétamol à la dose de 4 g
par jour a conclu à la supériorité du rofé-
coxib (5).
Taux de maintenance thérapeutique.
Dans une vaste étude menée au Québec, il
a été récemment rapporté que la durée
moyenne du traitement par coxibs était
significativement plus longue que sous
AINS conventionnels, et qu’il y avait
notamment un pourcentage de patients
toujours sous traitement après un et trois
mois plus élevé sous coxibs, suggérant par
là que les coxibs seraient plus utiles que
les AINS conventionnels dans le cadre de
la pratique quotidienne (6).
Consommation d’autres thérapeu-
tiques. Chez des patients nécessitant le
recours à des dérivés morphiniques en rai-
son de la douleur engendrée par un acte
chirurgical, il a été montré non seulement
une réduction de la consommation de ces
dérivés morphiniques grâce à l’utilisation
conjointe de coxibs (rofécoxib), mais aussi
une diminution des effets indésirables de
ces dérivés morphiniques (nausées, vomis-
sements, troubles du sommeil) (7).
Patients en période opératoire. Chez les
patients nécessitant la mise en place d’une
prothèse de genou, l’utilisation des coxibs
a montré, outre une réduction de la
consommation de dérivés morphiniques,
une amélioration plus rapide de l’état fonc-
tionnel de la prothèse évaluée indirecte-
ment par le temps au bout duquel le patient
pouvait fléchir son genou prothésé d’au
moins 90 ° (7).
En conclusion
L’évaluation des coxibs a permis de pré-
ciser certaines modalités thérapeutiques,
notamment la supériorité nette des AINS
par rapport au paracétamol, dans l’arthrose
et, par ailleurs, de confirmer leur facilité
d’utilisation chez des patients qui étaient
jusque-là “privés” du recours aux AINS,
notamment ceux en période pré-, per- et
postchirurgicale.
En termes d’efficacité symptomatique, le
recul est à l’heure actuelle suffisant pour
affirmer que les coxibs n’ont pas déçu et
que, à la dose optimale recommandée, ils
sont au moins aussi efficaces que les AINS
conventionnels aux doses maximales
recommandées. n
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2. Qu’apportent les coxibs en
termes de tolérance digestive,
et à quels patients ?
B. Combe, service d’immuno-rhumatologie,
CHU Lapeyronie, Montpellier
Les AINS “classiques” sont l’une des
classes médicamenteuses les plus pres-
crites au monde, mais ils sont également
responsables d’un grand nombre d’effets
indésirables, essentiellement digestifs. Ils
exposent aux ulcères gastroduodénaux et à
leurs complications, les hémorragies diges-
tives et les perforations, qui peuvent mettre
en jeu le pronostic vital. Ils exposent aussi,
ce qui est moins bien connu, aux lésions
muqueuses intestinales, lesquelles peuvent
avoir des conséquences parfois gravis-
simes. Ces médicaments sont responsables
d’au moins 2 000 à 2 500 décès par an,
dans des pays comme la France ou la
Grande-Bretagne. Des études de cohortes
récentes montrent de façon concordante
que la complication digestive peut surve-
nir à n’importe quel moment, quelle que
soit la durée de traitement, et qu’elle est
imprévisible, survenant dans 60 à 80 % des
cas sans symptômes prémonitoires.
Les coxibs ont été développés dans le but
de respecter la cyclo-oxygénase de type 1,
qui joue un rôle physiologique majeur,
notamment dans l’agrégation plaquettaire
et dans la protection de la muqueuse gastro-
duodénale.
Les études endoscopiques ont été les pre-
mières à confirmer cette hypothèse de
départ en montrant pour tous les coxibs
actuellement sur le marché, ou proches de
l’être, une incidence d’ulcères gastroduo-
dénaux, similaires au placebo et nettement
inférieurs aux AINS “classiques” chez les
sujets sains ou atteints de pathologie rhu-
matismale (1-3).
Les études de développement de phase II
et III ont confirmé l’excellente tolérance
digestive des coxibs actuels (célécoxib,
rofécoxib, étoricoxib, valdécoxib, lumira-
coxib), montrant une diminution impor-
tante du risque de complications digestives
graves par rapport aux AINS “classiques”
comparateurs (le plus souvent naproxène,
diclofénac, ibuprofène) (1-3).
À ce jour, c’est l’étude VIGOR (4) qui est
la meilleure démonstration de l’intérêt
majeur des coxibs en termes de tolérance
digestive. Il s’agit d’une étude randomisée
portant sur 8 000 patients traités en
moyenne pendant 9 mois, soit par rofé-
coxib, soit par naproxène. À la demande
des autorités américaines, cette étude a été
menée dans des conditions suprathérapeu-
tiques, en considérant que la sécurité d’em-
ploi serait encore meilleure dans les condi-
tions usuelles d’utilisation. Ainsi, les
patients traités par rofécoxib ont reçu une
posologie de 50 mg/j, soit deux fois la dose
maximale recommandée, alors que ceux
traités par naproxène recevaient
1 000 mg/j, soit la posologie usuelle.
L’étude a également porté sur une patho-
logie à risque, patients atteints de polyar-
thrite rhumatoïde et âgés de plus de 50 ans
à l’inclusion. L’étude VIGOR a ainsi mon-
tré que le rofécoxib permettait de réduire
les événements gastroduodénaux graves
(ulcères cliniques, saignements, perfora-
tions) de plus de 50 % par rapport aux
patients traités par naproxène. Ce résultat
a été pris en compte par différentes agences
d’enregistrement internationales. Par
ailleurs, une analyse ultérieure de l’étude
VIGOR a permis également de démontrer
que le rofécoxib permettait une réduction
dans 50 % des cas des complications intes-
tinales graves par rapport au naproxène
(5). Une autre étude contrôlée très récente,
l’étude ADVANTAGE, réalisée dans des
conditions proches de la pratique quoti-
dienne, a aussi montré la réduction du
risque digestif sous rofécoxib chez
5 557 patients atteints d’arthrose, y com-
pris chez ceux recevant de l’aspirine en
protection cardiovasculaire (6).
Les données de pharmacovigilance sont,
elles aussi, venues confirmer la très bonne
tolérance digestive du rofécoxib et du célé-
coxib.
Enfin, un autre travail récent indique qu’un
traitement par coxib est au moins équiva-
lent sur le plan de la tolérance digestive à
l’association AINS-inhibiteur de la pompe
à protons. Dans cette étude, les patients à
haut risque, car ayant présenté une hémor-
ragie digestive récente, ont été randomisés
dans deux groupes, l’un recevant du célé-
coxib (400 mg/j), l’autre du diclofénac
(150 mg/j) associé à de l’oméprazole
(20 mg/j). Pendant les 6 mois de l’étude,
les récidives d’hémorragies digestives ont
été observées chez 4,9 % des patients sous
célécoxib versus 6,4 % de ceux recevant
diclofénac + oméprazole. Cette différence
n’était pas significative, mais il faut noter
que dans le groupe diclofénac + omépra-
zole, on a également observé un cas de per-
foration intestinale mortelle et deux cas
d’anémie inexpliquée (7).
Le prescripteur a bien compris l’intérêt
digestif des coxibs, puisque les données
d’utilisation en France, pendant la période
de juillet 2001 à juin 2002 (Thalès), mon-
trent que les coxibs ont été prescrits chez
des sujets à risque, car âgés en moyenne
de plus de 15 ans par rapport à ceux rece-
vant des AINS “classiques” et ayant plus
fréquemment des antécédents digestifs.
Cette constatation est cependant en contra-
diction avec les données scientifiques,
puisque l’étude VIGOR (4) montre que la
réduction des risques digestifs graves s’ap-
plique dans toutes les populations, et est
au moins aussi importante chez les sujets
sans risque digestif.
Des données scientifiques extrêmement
solides ont donc permis de confirmer l’in-
térêt clinique majeur des coxibs en termes
de tolérance digestive, et ce quelle que soit
la population à traiter. Il faut d’ailleurs s’at-
tendre, lorsque nous disposerons de plus
de molécules sur le marché, à ce que les
coxibs remplacent les AINS “classiques”
dans notre arsenal thérapeutique. Com-
ment penser en effet que le prescripteur et
le patient pourront encore accepter sur un
plan strictement médical de prescrire et de
recevoir des médicaments d’efficacité
équivalente, mais plus toxiques ? n
Bibliographie
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3. Doit-on faire une différence
entre coxibs et AINS classiques
en termes de tolérance cardio-
vasculaire ?
T
.
Schaeverbeke, service de rhumatologie,
hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux
Un essai clinique de grande ampleur,
l’étude VIGOR, conçu pour comparer la
tolérance digestive du rofécoxib et du
naproxène sodique, a révélé de façon inat-
tendue des différences de tolérance car-
diovasculaire entre ces deux produits (1).
Ces résultats, largement repris dans la
presse, ont été à l’origine d’interrogations
et de polémiques sur la tolérance cardio-
vasculaire respective des coxibs et des
AINS classiques. Ces molécules ont-elles
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un impact différent sur l’appareil cardio-
vasculaire ? Faut-il préférer telle ou telle
molécule chez des sujets à risque cardio-
vasculaire ?
Pour répondre de façon pragmatique à ces
questions, nous envisagerons un à un les
différents impacts vasculaires des AINS et
des coxibs, et nous dégagerons, pour cha-
cun d’entre eux, les conséquences pra-
tiques qui s’imposent au prescripteur.
Impact rénal des AINS et des
coxibs
Deux prostaglandines ont un rôle impor-
tant dans la régulation de la fonction
rénale : la PGE2, qui diminue la réabsorp-
tion tubulaire du sodium, et la PGI2, dont
l’effet principal est d’augmenter le débit de
filtration rénale par vasodilatation de l’ar-
tériole glomérulaire afférente. L’inhibition
de la PGE2 induit donc une rétention sodée,
avec pour conséquences l’augmentation de
la pression artérielle, le développement
d’œdème, la majoration d’une insuffisance
cardiaque congestive. L’inhibition de la
synthèse de PGI2 diminue le flux de per-
fusion glomérulaire pouvant conduire à
l’insuffisance rénale fonctionnelle. Fait
capital, COX-1 et COX-2 sont exprimées
de façon constitutive par le parenchyme
rénal. L’expression de la COX-2 rénale est
majorée par un régime hypersodé ou une
diminution des apports hydriques, et inhi-
bée par l’angiotensine II et l’aldostérone.
La sélectivité des coxibs ne change donc
rien à la tolérance rénale des AINS (2).
Conséquences pratiques de l’impact
rénal des coxibs et des AINS classiques.
Pour le praticien, il n’y a pas de différence
notable entre l’impact rénal des AINS
conventionnels et celui des coxibs. Ces
produits doivent être utilisés avec la même
vigilance chez des sujets hypertendus, des
personnes âgées, déshydratées, chez des
patients recevant des diurétiques ou des
inhibiteurs de l’enzyme de conversion, et
chez des malades présentant une insuffi-
sance cardiaque congestive. Face à ces dif-
férentes situations, la question n’est pas de
savoir s’il faut préférer un coxib ou un
AINS conventionnel : le problème est de
déterminer si l’on peut prescrire un AINS,
quel qu’il soit.
Impact des AINS classiques et des
coxibs sur l’agrégation plaquet-
taire
Le thromboxane A2 (TXA2) est un activa-
teur majeur de l’agrégation plaquettaire. Il
est produit par la plaquette elle-même, et
sa synthèse dépend exclusivement de la
COX-1. Les coxibs, inhibiteurs spécifiques
de la COX-2, respectent strictement les
fonctions plaquettaires : ils n’ont donc
aucun effet antiagrégant. Cette propriété
fondamentale est à l’origine d’un test qui
permet de caractériser un coxib : adminis-
tré à dose suprathérapeutique, il ne modi-
fie pas le temps de saignement. À l’inverse,
la COX-1 est inhibée par les AINS clas-
siques et par l’aspirine. Cependant, l’aspi-
rine a une propriété originale qui la dis-
tingue des AINS classiques : elle bloque la
COX-1 de façon irréversible ; comme la
plaquette ne peut synthétiser de nouvelle
enzyme (elle est dépourvue de noyau), l’im-
pact de l’aspirine sur l’agrégation plaquet-
taire durera le temps de renouvellement des
plaquettes : de 7 à 10 jours. Les AINS clas-
siques ont, quant à eux, un impact plus ou
moins prolongé, en fonction notamment de
leur demi-vie plasmatique.
Conséquences pratiques du respect des
fonctions plaquettaires par les coxibs.
Les coxibs n’ont aucun effet sur l’agréga-
tion des plaquettes. Ils devront donc être
associés à un antiagrégant plaquettaire
chez les patients présentant une insuffi-
sance coronarienne ou un risque thrombo-
tique. Mais cette propriété a également des
avantages : les coxibs peuvent être utilisés
avant un geste chirurgical, puisqu’ils ne
majorent pas le risque hémorragique.
D’autre part, ils peuvent être associés à
un traitement anticoagulant, puisqu’ils
n’ajoutent à ce traitement aucun effet anti-
agrégant plaquettaire et qu’ils n’induisent
aucune lésion digestive susceptible de sai-
gner. Cependant, les coxibs, comme les
AINS classiques, se fixent sur les mêmes
récepteurs albuminiques que les antivita-
mines K (AVK), et leur administration est
donc susceptible d’augmenter la fraction
libre de ces derniers ; chez un sujet sous
AVK, la prescription d’un coxib impose la
réévaluation de l’INR à J3 et à J8, afin
d’ajuster si nécessaire la posologie des
AVK.
Impact des AINS et des coxibs sur
la cellule endothéliale
La thrombophilie résulte d’un équilibre
entre la synthèse de thromboxane A2 par
la plaquette (procoagulante) et la synthèse
de prostacycline par la cellule endothéliale,
qui prévient l’adhésion de la plaquette sur
l’endothélium. La prostacycline est syn-
thétisée à la fois par la COX-1 et la COX-
2.
Les coxibs, qui inhibent spécifiquement
la COX-2, inhibent partiellement la syn-
thèse de prostacycline par l’endothélium,
alors qu’ils ne modifient pas le throm-
boxane plaquettaire ; ils sont donc sus-
ceptibles de rompre l’équilibre entre pros-
tacycline et thromboxane, et pourraient
ainsi favoriser la thrombose. Toutefois, la
COX-2 endothéliale est essentiellement
exprimée en réponse à une lésion vascu-
laire. Ainsi, l’inflammation de l’endothé-
lium est un phénomène majeur dans la
genèse des plaques d’athérome ; la COX-2
est surexprimée au niveau des plaques
d’athérome, et l’inhibition de cette enzyme
pourrait avoir un rôle protecteur...
Pertinence clinique de l’impact
des AINS et des coxibs sur la
thrombophilie : les résultats de
l’étude VIGOR
Ces données contradictoires quant à
l’éventuel effet prothrombogène des
coxibs ont reçu un écho tout particulier lors
de la publication des résultats de l’étude
VIGOR. L’objectif de cette étude était de
comparer l’efficacité et la tolérance diges-
tive du rofécoxib et du naproxène sodique
chez des patients présentant une polyar-
thrite rhumatoïde. Les résultats ont été les
suivants : efficacité comparable des deux
produits, et meilleure tolérance digestive
du rofécoxib. Cependant, de façon totale-
ment imprévue, une différence faible mais
significative du taux d’infarctus du myo-
carde était constatée dans le groupe de
patients traités par rofécoxib par rapport à
celui sous naproxène. Avant de proposer
la moindre interprétation de ces résultats,
plusieurs éléments doivent être soulignés.
Tout d’abord, cette étude concernait des
patients atteint de polyarthrite rhumatoïde,
pathologie à risque cardiovasculaire élevé
(la pathologie cardiovasculaire est la pre-
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mière cause de mortalité au cours de la
polyarthrite rhumatoïde). Ensuite, afin
d’éviter toute interférence en termes de
tolérance digestive, l’utilisation de l’aspi-
rine était proscrite ; ainsi, des patients à
risque vasculaire avéré ont été inclus dans
l’étude sans la moindre protection vascu-
laire dans le groupe rofécoxib, produit
dépourvu d’effet antiagrégant. Enfin, le
rofécoxib a été utilisé à posologie double
(50 mg/j) de la dose quotidienne recom-
mandée, à la demande de la Food and
Drug Administration (FDA), afin de prou-
ver de façon indiscutable la bonne tolé-
rance digestive du produit. Quoi qu’il en
soit, ce résultat témoigne-t-il d’un effet
thrombogène du rofécoxib ou d’un effet
cardioprotecteur du naproxène ? Plusieurs
études ont, depuis, apporté des réponses à
ces questions.
Les coxibs augmentent-ils le risque
de thrombose ?
À la suite de la publication de l’étude
VIGOR, plusieurs études de cohorte ont
tenté d’évaluer le risque d’infarctus du
myocarde ou d’événements thrombotiques
chez des patients ayant reçu du rofécoxib
ou un AINS classique. L’interprétation de
telles études de cohorte est toujours déli-
cate, du fait du caractère rétrospectif de
l’analyse et de l’inhomogénéité des
groupes de patients. Leurs résultats ne peu-
vent être réellement pris en considération
que lorsqu’ils sont concordants. Dans le
cas présent, ces études de cohorte
concluent de façon totalement contradic-
toire. La démonstration ne peut donc venir
que des essais cliniques contrôlés, et nous
disposons désormais de plusieurs travaux
méthodologiquement parfaitement conduits,
dont les résultats sont très cohérents. Une
méta-analyse regroupant l’ensemble des
essais cliniques menés avec le rofécoxib
ne montre aucun surcroît d’infarctus du
myocarde chez les patients traités par rofé-
coxib comparés à des patients sous placebo
ou à des patients traités par un AINS dif-
rent du naproxène (3). Notons que
ces études représentent un total de
14 000 patients-années de traitement. Un
large essai clinique, randomisé, comparant
la tolérance respective du rofécoxib et du
naproxène chez des sujets présentant une
arthrose, a permis d’inclure 5 557 patients.
Cet essai est particulièrement intéressant,
car une proportion importante de ces
patients étaient âgés, et il associait d’im-
portants facteurs de comorbidité, notam-
ment des facteurs de risques cardiovascu-
laires. Aucune différence n’a été observée
quant à l’incidence d’événements cardio-
vasculaires thrombotiques entre les deux
groupes de traitement (4). Enfin, au cours
d’un essai thérapeutique évaluant l’impact
de la prise prolongée d’AINS sur la pro-
gression de la maladie d’Alzheimer, l’in-
cidence des événements cardiovasculaires
s’est révélée là encore strictement iden-
tique chez les malades ayant été traités par
rofécoxib et ceux ayant reçu un placebo
(5).
Les preuves d’un effet cardioprotecteur
du naproxène. Une étude conduite à la
demande de la FDA a montré que, parmi
différents AINS testés, le naproxène est le
produit ayant l’activité antiagrégante la
plus importante (proche de l’aspirine à
dose faible). Diverses études cas-témoins
concordantes ont montré que le risque
d’infarctus du myocarde paraît diminué
chez des patients soumis à une prise pro-
longée de naproxène, comparés à des
patients prenant un autre anti-inflamma-
toire ou ne consommant pas d’AINS.
Conséquences pratiques. Ainsi, il appa-
raît de façon indiscutable que le résultat de
VIGOR est la conséquence d’un effet car-
dioprotecteur du naproxène. Aucune don-
née clinique ne permet de penser que les
coxibs ont un effet prothrombogène. Chez
un sujet à risque coronarien, il n’y a donc
pas de contre-indication à proposer un
coxib : il faudra simplement adjoindre à
ce traitement l’antiagrégant plaquettaire
justifié par la pathologie coronarienne.
Conclusion
Comme dans bien d’autres domaines,
l’avènement des coxibs aura eu pour effet
d’améliorer considérablement les connais-
sances médicales sur le retentissement car-
diovasculaire des AINS dans leur
ensemble. Les nombreuses données accu-
mulées ces dernières années permettent
d’utiliser les coxibs et les AINS classiques
de façon rationnelle, quelle que soit la
situation particulière qui se présente au
praticien. Les très larges études en cours
concernant l’impact cardiovasculaire des
AINS et des coxibs permettront certaine-
ment de répondre sans ambiguïté aux der-
nières interrogations quant à l’impact des
coxibs sur la thrombophilie. n
Bibliographie
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4. Quel anti-inflammatoire
choisir chez un patient sous
aspirine à faible dose en pré-
vention cardiovasculaire ?
J. Sibilia, service de rhumatologie, CHU Hau-
tepierre, Strasbourg
Cette question est particulièrement impor-
tante, puisque, actuellement, près de
1,2 million de patients prennent de l’aspi-
rine en prévention cardiovasculaire en
France. Pour répondre à cette question, il
y a deux préalables indispensables :
1. Il faut s’assurer de la bonne indication
de l’AINS et de l’absence d’autre alterna-
tive thérapeutique. En pratique, c’est très
souvent le cas dans de nombreuses affec-
tions chroniques douloureuses quand l’ef-
ficacité des antalgiques est insuffisante.
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