La Lettre du Cardiologue - n° 389 - novembre 2005
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INFORMATIONS
L
es effets des traitements anti-inflammatoires sur le
système cardiovasculaire font actuellement l’objet
d’un large débat. Les questions posées sont d’une très
grande importance, tant pour le clinicien que pour les patients,
en raison de la coexistence fréquente de pathologies cardiovas-
culaires (HTA, athérosclérose) chez des patients souvent âgés,
présentant des pathologies rhumatologiques chroniques (arthrose,
polyarthrite rhumatoïde) et chez lesquels ces traitements sont fré-
quemment prescrits, généralement pendant de longues durées.
L’inflammation est un processus naturel essentiel de défense
contre les agents infectieux et les agressions diverses, mais on
sait maintenant qu’un grand nombre de situations pathologiques,
fréquemment associées au vieillissement, sont le résultat de
réponses inflammatoires inadéquates et/ou anormales. Il en est
ainsi de l’athérosclérose : les phénomènes inflammatoires, via le
recrutement et l’activation de plusieurs types cellulaires ou
médiateurs spécifiques, sont présents à tous les stades de son
développement, depuis le recrutement initial des monocytes et
leur transformation en macrophages dans la paroi artérielle jus-
qu’à la plaque instable, sa rupture et ses conséquences thrombo-
tiques (Libby. Circulation 1995; Ross. N Engl J Med 1999; Libby.
Nature 2002). Cela a conduit à proposer d’utiliser les marqueurs
de l’inflammation (protéine C réactive, ligand soluble CD40, etc.)
pour identifier les patients à risque de complications de l’athé-
rosclérose, et à envisager des interventions thérapeutiques pré-
coces sur les facteurs de risque pro-inflammatoire durant l’athé-
rogenèse afin de diminuer le risque athérothrombotique (Libby.
Am J Cardiol 2003).
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont une com-
posante importante du traitement des patients présentant des dou-
leurs chroniques, particulièrement en cas d’arthrose, mais ils sont
également fréquemment utilisés dans les douleurs aiguës. Leur
mécanisme d’action principal est l’inhibition de la cyclo-oxygé-
nase (COX), inhibition qui altère au niveau de la paroi vasculaire
la transformation de l’acide arachidonique en prostaglandines,
prostacycline et thromboxane A2 (Dubois et al. FASEB J 1998).
Il a été proposé d’inhiber spécifiquement l’isoforme COX-2 (ce
qui inhiberait l’inflammation) sans altérer l’isoforme COX-1 (en
évitant ainsi la toxicité des AINS et leurs effets sur la synthèse
du thromboxane A2), d’où le développement d’inhibiteurs spé-
cifiques de COX-2 (“coxibs”). On sait maintenant qu’une large
part de la synthèse de la prostacycline (dont le rôle vasodilata-
teur est important) par les cellules endothéliales résulte de l’ac-
tivation de COX-2. L’étude VIGOR (Vioxx Gastrointestinal Out-
comes Research) (Bombardier et al. N Engl J Med 2000),réalisée
avec le rofécoxib chez des patients ayant une polyarthrite rhu-
matoïde, a montré dès le 80
e
jour de traitement une augmenta-
tion significative des accidents cardiovasculaires thromboembo-
liques (incluant les infarctus du myocarde) avec ce coxib, par
comparaison avec le groupe sous naproxène. L’étude CLASS
(Celecoxib Long-term Arthritis Safety Study) (White et al. Am J
Cardiol 2002),qui a comparé chez des patients présentant une
arthrose ou une polyarthrite rhumatoïde un autre coxib, le célé-
coxib, au diclofénac et à l’ibuprofène, n’a pas montré de diffé-
rence entre le célécoxib et ces deux AINS en termes de risque
d’événements thrombotiques ischémiques cardio- ou cérébro-
vasculaires. Dans les deux études, le coxib étudié a permis une
réduction significative de la toxicité digestive (incidence des
ulcères gastro-duodénaux symptomatiques et de leurs complica-
tions) par rapport aux AINS. La constatation d’un risque aug-
menté d’infarctus du myocarde et d’accidents vasculaires céré-
braux thrombotiques après 18 mois sous rofécoxib au cours de
l’étude APPROVe (Adenomatous Polyp PRevention On Vioxx),
destinée à évaluer versus placebo l’effet préventif du rofécoxib,
sur la récidive des polypes colorectaux (Bresalier et al. N Engl
J Med 2005),a conduit à l’arrêt de cette étude et au retrait du
marché du rofécoxib, en octobre 2004. Les données des études
pharmacodynamiques et cliniques montrent des effets indési-
rables dose-dépendants du rofécoxib (pression artérielle,
œdèmes) et une incidence accrue d’infarctus du myocarde pour
des doses supérieures à 25 mg/j. De tels effets ne sont pas retrou-
vés avec le célécoxib, ni avec d’autres coxibs (valdécoxib, paré-
coxib, étoricoxib et lumiracoxib). Ainsi, dans l’étude TARGET
(Therapeutic Arthritis Research and Gastrointestinal Event
Trial),réalisée chez des patients arthrosiques, le risque d’événe-
ments cardiovasculaires (incluant les infarctus du myocarde et
les accidents vasculaires cérébraux) n’est pas apparu significati-
vement augmenté sous lumiracoxib par comparaison avec le
naproxène (Farkouh et al. Lancet 2004).
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J.P. Sauvanet*
*Policlinique de médecine interne, hôpital Saint-Louis, Paris.
Traitements anti-inflammatoires et risque
cardiovasculaire : considérations cliniques