L’hyponatrémie du cirrhotique Quelle valeur de sodium ? Quel traitement ? Philippe Sogni*

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TRAITEMENT DIFFICILE
L’hyponatrémie du cirrhotique
Philippe Sogni*
Quelle valeur de sodium ?
Quel traitement ?
En théorie, une natrémie inférieure à 135 mmol/l
(ou 136) définit une hyponatrémie. En pratique,
une prise en charge spécifique chez le patient
atteint de cirrhose est mise en œuvre si la natrémie
devient inférieure à 130 mmol/l. L’hyponatrémie du
cirrhotique est fréquente, puisqu’elle va toucher
respectivement 50, 22 et 6 % des patients pour des
natrémies inférieures à 135, 130 et 125 mmol/l (1).
Les options thérapeutiques dépendent du mécanisme de l’hyponatrémie (tableau I), du niveau de
natrémie et de l’association ou non avec une insuffisance rénale. En cas d’hyponatrémie associée à
une hypovolémie, il est recommandé d’arrêter les
diurétiques si la natrémie est inférieure à 120 mmol/l
avec une fonction rénale normale, ou si la natrémie
est inférieure à 125 mmol/l avec une insuffisance
rénale (2, 4, 6). De même, le principal traitement
recommandé en cas d’hyponatrémie associée à une
hypervolémie est la restriction hydrique (2, 4, 6).
En pratique, ces recommandations ne semblent pas
être applicables sans risque aux patients atteints
de cirrhose. Le risque majeur est de faire passer le
patient d’une hyponatrémie isolée témoignant d’un
excès de diurétiques ou simplement de la gravité de
la maladie du foie à une hyponatrémie associée à une
Quels mécanismes ?
Le mécanisme le plus fréquent (90 %) de l’hyponatrémie du cirrhotique est une hyponatrémie associée à une augmentation de la volémie et, dans une
minorité des cas (10 %), une hyponatrémie associée
à une diminution de la volémie (figure) [2]. D’autres
causes, non liées à la maladie hépatique, peuvent
être responsables d’une hyponatrémie chez un
patient par ailleurs atteint de cirrhose (3).
Quelles conséquences ?
Une hyponatrémie profonde peut entraîner une
encéphalopathie ou une aggravation de celle-ci pour
des valeurs inférieures à 125 mmol/l, même si les
données de la littérature sont rares (4). En revanche,
les autres complications neurologiques semblent
plus rares chez le patient cirrhotique (céphalées,
convulsions, déficits moteurs, engagement intracérébral), du fait probablement de l’évolution lente et
des modifications préexistantes des compartiments
extra- et intracellulaires.
La correction trop rapide (> 10 mmol/l/j) d’une
hyponatrémie sévère (< 120 mmol/l) expose à la
survenue de complications neurologiques irréversibles comme la myélinolyse centropontine (3).
Enfin, la survenue d’une hyponatrémie est un facteur
pronostique péjoratif chez le patient cirrhotique,
notamment en attente de transplantation hépatique (5). En revanche, il est probable que, dans ce
cas, la correction de l’hyponatrémie ne modifie pas
l’histoire naturelle de la maladie, même si la prise
en charge s’en trouve simplifiée.
Compartiment
extracellulaire
* Service d’hépatologie, hôpital
Cochin, Paris ; institut Cochin, université Paris-Descartes, CNRS (UMR
8104) ; Inserm U567, Paris.
Compartiment
intracellulaire
A : normal
B : cirrhose avec
natrémie normale
C : cirrhose avec
hyponatrémie
et hypervolémie
(90 %)
D : cirrhose avec
hyponatrémie
et hypovolémie
(10 %)
Figure. Mécanismes de l’hyponatrémie chez les patients atteints de cirrhose (d’après 2, 3).
Les compartiments extracellulaire et intracellulaire représentent respectivement 40
et 60 % de l’eau du corps chez le sujet normal (A ; sodium ; potassium). En cas de
cirrhose, il existe une augmentation de la volémie (B), d’autant plus marquée que la
maladie hépatique est grave. Dans la majorité des cas, l’hyponatrémie du cirrhotique
est associée à une hypervolémie (C). Dans une minorité de cas, elle est associée à une
hypovolémie absolue ou relative (D).
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 33
TRAITEMENT DIFFICILE
Tableau I. Options théoriques du traitement de l’hyponatrémie du cirrhotique (2, 4, 6).
Options thérapeutiques
Hyonatrémie et hypervolémie
Hyponatrémie et hypovolémie
Restriction hydrique
Aquarétiques ?
Arrêt des diurétiques
Remplissage vasculaire
Tableau II. Prise en charge en pratique de l’hyponatrémie du cirrhotique.
Natrémie (mmol/l)
Fonction rénale
Prise en charge
125 < natrémie < 130
Normale
Arrêt des diurétiques
Restriction hydrique
120 < natrémie < 125
Normale
Arrêt des diurétiques
Restriction hydrique
Remplissage vasculaire
Natrémie < 120
Normale
Arrêt des diurétiques
Restriction hydrique
Remplissage vasculaire
Apport de NaCl
Natrémie < 130
Anormale
Arrêt des diurétiques
Remplissage vasculaire
(apport de NaCl)
insuffisance rénale, dont le traitement est plus difficile et le pronostic plus réservé. La prise en charge
pratique repose sur une évaluation prudente de la
situation (tableau II). Trois éléments, notamment,
méritent d’être discutés. Tout d’abord, le mécanisme
exact de l’hyponatrémie est habituellement difficile
à préciser chez un patient donné. Ensuite, la fonction rénale est facilement surévaluée chez le patient
cirrhotique. Enfin, la restriction hydrique, quand
elle est bien faite (500 ml/j de liquide quelle qu’en
soit la forme), expose à un risque non négligeable
d’insuffisance rénale.
Quant aux aquarétiques, cette classe de molécules
est représentée essentiellement par les inhibiteurs
des récepteurs de type 2 à la vasopressine (antiV2,
vaptan), actuellement en cours de développement.
Les antiV2 entraînent une augmentation de l’excrétion de l’eau libre et apparaissent donc comme
particulièrement indiqués en cas d’hyponatrémie
associée à une hypervolémie. Si les données à
court terme montrent une correction plus rapide
de l’hypo­natrémie et la diminution de la fréquence
des paracentèses, en revanche, les données préliminaires à long terme ne montrent pas de bénéfice
sur la mortalité, avec peut-être un risque majoré
d’insuffisance rénale.
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Références bibliographiques
1. Angeli P, Wong F, Watson H, Ginès P. Hyponatremia in
cirrhosis: Results of a patient population survey. Hepatology
2006;44:1535-42.
2. Moreau R. Hyponatremia in cirrhosis. Pathophysiology,
prevalence, prognostic value, treatment. Acta Gastroenterol
Belg 2008;71:379-85.
3. Adrogué HJ, Madias NE. Hyponatremia. N Engl J Med
2000;342:1581-9.
4. Ginès P, Guevara M. Hyponatremia in cirrhosis: pathogenesis, clinical significance, and management. Hepatology
2008;48:1002-10.
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5. Kim WR, Biggins SW, Kremers WK et al. Hyponatremia
and mortality among patients on the liver-transplant waiting
list. N Engl J Med 2008;359:1018-26.
6. Verbalis JG, Goldsmith SR, Greenberg A, Schrier RW,
Sterns RH. Hyponatremia treatment guidelines 2007:
expert panel recommendations. Am J Med 2007;120:S1-S21.
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