Urgences

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diabétologie
Urgences en endocrinologie,
et maladies métaboliques
Hyponatrémie de dilution sévère
dans le cadre du syndrome de sécrétion
inappropriée d’hormone antidiurétique
Severe hyponatremia revealing an inappropriate antidiuretic
hormone secretion
H. Lefebvre*
Introduction, définition
La natrémie représente le principal
déterminant de l’osmolalité plasmatique. Elle doit donc être maintenue
en permanence dans des limites
étroites (135-145 mmol/l), notamment
grâce à l’intervention de plusieurs
hormones régulant le capital sodé et
le volume d’eau total. L’hormone
antidiurétique (ADH), ou arginine
vasopressine (AVP), joue un rôle
majeur dans le contrôle de l’homéostasie hydrique en stimulant la réabsorption d’eau libre au niveau du
néphron distal. Sa sécrétion par
l’hypothalamus est normalement
activée par l’hyperosmolalité plasmatique et l’hypovolémie. En dehors
de ces deux situations, l’augmentation de la libération d’ADH dans la
circulation est inadaptée et caractérise le syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique
(SIADH). L’excès d’ADH va favoriser une rétention hydrique et une
augmentation de la volémie. La stimulation de la sécrétion de facteur
natriurétique auriculaire qui en résulte
va entraîner une inflation de la natriurèse. Le SIADH se traduit par une
hyponatrémie de dilution le plus souvent sans traduction clinique. Néanmoins, l’excès d’ADH peut parfois
induire l’apparition d’une hyponatrémie sévère (< 125 mmol/l) respon* Service d’endocrinologie, diabète et maladies
métaboliques, CHU de Rouen.
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sable de signes cliniques, notamment
neurologiques, nécessitant une prise
en charge thérapeutique rapide.
Cadre de survenue
Le SIADH peut compliquer l’évolution d’une maladie déjà connue,
telle qu’une néoplasie bronchique,
par exemple, ou constituer la circonstance révélatrice d’une affection encore non diagnostiquée nécessitant souvent un traitement spécifique
(1). Les causes de SIADH sont très
nombreuses (tableau). Elles incluent
divers médicaments capables de
stimuler la sécrétion d’ADH ou de
potentialiser son action rénale, ainsi
qu’une grande variété de pathologies neurologiques, pulmonaires,
endocriniennes et tumorales. Les
étiologies endocriniennes des SIADH
comportent l’insuffisance corticotrope et l’insuffisance thyroïdienne,
qu’elles soient isolées ou associées
dans le cadre de l’insuffisance antéhypophysaire.
Diagnostic positif
Signes cliniques
L’hyponatrémie de dilution est habituellement bien supportée sur le
plan clinique. L’apparition de signes
cliniques est corrélée à sa profon-
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
deur, mais surtout à sa vitesse d’installation. Ainsi, une hyponatrémie
sévère chronique (115-125 mmol/l)
peut être bien tolérée. En règle générale, les signes cliniques s’installent
lorsque la natrémie s’abaisse rapidement au-dessous de 125 mmol/l.
Ils associent des signes d’encéphalopathie hyponatrémique : nausées,
céphalées, asthénie, voire désorientation, troubles de la conscience,
convulsions et coma. En revanche,
malgré l’inflation hydrique, il n’y a
pas d’œdème en raison de l’élévation du facteur natriurétique plasmatique responsable d’une fuite
sodée urinaire.
Diagnostic biologique
Le diagnostic biologique du SIADH
sévère repose en premier lieu sur la
mise en évidence de l’hyponatrémie,
classiquement inférieure à 125 mmol/l
dans ce cadre. Les pseudohyponatrémies liées aux hyperlipidémies
majeures et aux hyperprotidémies
monoclonales satellites de la maladie de Waldenström ou du myélome
multiple seront suggérées par le
contexte pathologique, par l’aspect
lactescent du sérum ou par la mise
en évidence d’une hyperprotidémie
considérable. Outre l’hyponatrémie,
les examens biologiques usuels
montrent une kaliémie normale et
des signes d’hémodilution : hypoprotidémie et abaissement du taux
d’hématocrite. Une hypo-uricémie
Troisième partie : Hypophyse-Surrénales
Tableau. Principales étiologies du SIADH.
Causes endocriniennes
– Insuffisance corticotrope
– Hypothyroïdie
– Insuffisance antéhypophysaire
Causes neurologiques
et psychiatriques
– Infections méningées ou cérébrales
– Tumeur primitive ou secondaire
– Traumatisme cérébral
– Thromboses vasculaires, hémorragie
méningée, hématome sous-dural
– Hydrocéphalie
– Psychose
– Delirium tremens
– Affections diverses : sclérose en
plaques, syndrome de Guillain et
Barré, neurosarcoïdose, porphyrie
aiguë intermittente
Causes pulmonaires
– Pneumopathies bactériennes ou
virales, tuberculose
– Pneumoconioses
– Insuffisance respiratoire aiguë
– Pneumothorax
– Atélectasie
Causes tumorales
– Carcinomes bronchiques, notamment
à petites cellules
– Tumeurs digestives
– Carcinome prostatique
– Thymomes malins
– Leucémies
Médicaments ou toxiques
Stimulant la production d’ADH
– Neuroleptiques
– Antidépresseurs tricycliques
et sérotoninergiques,
inhibiteurs de la monoamino-oxydase
– Carbamazépine
– Antimitotiques : cyclophosphamide,
vincristine, vinblastine
– Bromocriptine
– Nicotine
Potentialisant l’action rénale de l’ADH
– Chlorpropamide
– Clofibrate
– Oméprazole
– AINS, salicylés
– Carbamazépine
– Cyclophosphamide
– Colchicine
Surdosage en ADH d’origine exogène
– Desmopressine
– Ocytocine
Nausées importantes répétées
Période postopératoire
SIADH idiopathique
est fréquemment rencontrée et
constitue un excellent signe de
SIADH. L’absence d’insuffisance
rénale fonctionnelle (l’urémie est
même souvent abaissée) est également un bon indice diagnostique
dans la mesure où elle permet
d’écarter une éventuelle hyponatrémie de déplétion. Les dosages urinaires montrent une concentration
de sodium supérieure à 20 mmol/l
ainsi qu’une osmolalité urinaire
inappropriée (> 100 mosmol/kg)
contrastant avec l’hypo-osmolalité
sanguine (< 280 mosmol/kg). Enfin,
le dosage de l’ADH circulante n’a
pas d’intérêt dans le cadre de la
prise en charge rapide du SIADH
sévère.
favoriser l’apparition d’une hyponatrémie parfois sévère. La recherche
de signes cliniques d’insuffisance
antéhypophysaire doit être systématique (2). En revanche, l’hypothyroïdie isolée ne peut entraîner une
hyponatrémie profonde, à l’exception
du coma myxœdémateux, qui fait
l’objet d’un chapitre spécifique du
présent ouvrage. Lorsque l’enquête
étiologique n’a pas permis de préciser
le mécanisme causal du SIADH, la
réalisation d’examens complémentaires radiologiques (échographie,
scanner) et d’une fibroscopie bronchique est indiquée pour rechercher
un éventuel processus néoplasique
profond. Les SIADH inexpliqués
sont relativement rares, sauf chez la
personne âgée où leur fréquence
peut atteindre 60 % (3).
Diagnostic étiologique
La détermination de la cause du
SIADH est une étape importante de
la prise en charge en urgence de
l’hyponatrémie de dilution sévère,
et ce pour deux raisons principales :
l’hyponatrémie résiste souvent au
traitement symptomatique lorsque
son étiologie n’a pas été traitée ; la
maladie causale peut nécessiter
l’instauration rapide d’une thérapeutique spécifique. Les circonstances de survenue et les données
cliniques permettent le plus souvent
de préciser la cause du SIADH.
L’interrogatoire doit rechercher en
premier lieu les prises médicamenteuses ainsi que les antécédents
médicaux et chirurgicaux. L’apparition d’un SIADH en période postchirurgicale n’est pas exceptionnelle puisqu’elle concerne environ
1 % des opérés. Il faut également
rappeler qu’un SIADH transitoire
peut survenir six à dix jours après la
résection transphénoïdale d’un adénome hypophysaire. Plusieurs affections ne posent aucun problème diagnostique, comme les pneumopathies
ou les maladies neurologiques évolutives. La potomanie chez un patient
psychiatrique traité par neuroleptique ou par antidépresseur peut
Conduite à tenir
La prise en charge thérapeutique du
SIADH sévère répond à deux grands
principes généraux :
✓ elle doit impérativement comprendre deux volets : le traitement
de l’affection causale et la correction de l’hyponatrémie ;
✓ le traitement de l’hyponatrémie
symptomatique obéit à des règles
strictes dans la mesure où, si les
risques de l’hyponatrémie sévère
sont bien connus, sa correction trop
rapide ou excessive (amenant la
natrémie à des valeurs supérieures à
140 mmol/l) est susceptible d’entraîner des lésions cérébrales à type de
myélinolyse centropontine et extrapontine. Il faut malgré tout souligner que la correction rapide d’une
hyponatrémie aiguë est mieux tolérée que celle d’une hyponatrémie
chronique (4, 5).
En pratique, la conduite suivante
peut être proposée (6) :
✓ arrêt de la médication responsable
du SIADH si le contexte pathologique le permet, ce qui n’est pas
toujours le cas. À titre d’exemple, il
est souvent impossible d’arrêter
brutalement un traitement psycho-
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
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diabétologie
Urgences en endocrinologie,
et maladies métaboliques
trope chez des patients atteints de
dépression endogène ou de psychose chronique ;
✓ traitement spécifique de l’étiologie : antibiothérapie en cas de
pneumopathie, exérèse chirurgicale
d’une tumeur sécrétrice d’ADH
après correction (au moins partielle)
de l’hyponatrémie si cette dernière
est symptomatique.
En cas de forte suspicion d’insuffisance corticotrope (présence de
signes d’insuffisance antéhypophysaire, antécédent de corticothérapie,
d’adénome et/ou de chirurgie hypophysaire), il est indispensable d’administrer, sans délai, de l’hydrocortisone par voie parentérale (lire le
chapitre consacré à l’insuffisance
surrénale aiguë) après avoir effectué un prélèvement veineux pour
dosage ultérieur de la cortisolémie.
De même, l’hypothyroïdie profonde
avec hyponatrémie de dilution sera
prise en charge selon les modalités
décrites dans le chapitre consacré au
coma myxœdémateux.
Le traitement de l’hyponatrémie sera
mené selon les modalités suivantes :
✓ lorsque l’hyponatrémie est peu ou
pas symptomatique, la restriction
hydrique modérée à sévère (1 200 à
500 ml/j), éventuellement associée à
un apport sodé oral ou parentéral,
permet en règle générale la normalisation progressive de la natrémie ;
✓ si l’hyponatrémie est symptomatique, il est nécessaire de perfuser
du chlorure de sodium isotonique,
voire hypertonique, notamment en
cas de manifestations neurologiques
graves. La vitesse de remontée de la
natrémie peut être initialement élevée (2 mmol/l/h pendant les quatre
premières heures). Par la suite, le
rythme de perfusion du chlorure de
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sodium devra être ralenti pour que
l’augmentation de la natrémie ne
dépasse pas 12 à 15 mmol/l au
terme des 24 premières heures et
25 mmol/l au bout de 48 heures (7).
L’apport en sel est associé à une restriction hydrique lorsque la régression des symptômes neurologiques
permet la reprise de l’alimentation ;
✓ lorsque l’association restriction
hydrique/apport sodé ne permet pas
d’obtenir une natrémie supérieure à
130 mmol/l, le recours au furosémide à petite dose (40 à 60 mg/j en
deux prises) peut être proposé en
compensant les pertes électrolytiques. L’urée administrée par voie
orale (30 g/j dilués dans 100 ml
d’eau) a également fait la preuve de
son efficacité. Elle permet en effet
d’entretenir une diurèse significative
en générant une charge osmotique
urinaire importante. La déméclocycline (Ledermycine®), une tétracycline qui s’oppose à l’action de
l’ADH, peut être délivrée sur prescription hospitalière lorsque la
natrémie reste inférieure à 125 mmol/l
malgré les mesures thérapeutiques
citées précédemment. La posologie
recommandée est de 900 à 1 200 mg
par jour en deux prises pour les dix
premiers jours, puis de 600 mg par
jour par la suite. Elle nécessite une
surveillance étroite de la fonction
rénale en raison de sa néphrotoxicité. Le lithium, qui diminue la sensibilité du tubule rénal à l’ADH, a
lui aussi été utilisé dans ce cadre,
mais sa toxicité potentielle le rend
difficile à manier. Enfin, des antagonistes du récepteur rénal de
l’ADH (récepteur V2), tels que le
conivaptan et le tolvaptan, sont
actuellement développés par l’industrie pharmaceutique. Les études
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
cliniques déjà publiées confirment
l’efficacité de ces molécules dont la
tolérance paraît satisfaisante.
Prévention
Les déficits endocriniens, les insuffisances surrénale et thyroïdienne,
doivent bien sûr être correctement
substitués. Les patients insuffisants
corticotropes doivent, en outre, parfaitement connaître les mesures de
prévention de l’insuffisance surrénale aiguë (lire le chapitre “Insuffisance surrénale aiguë chez l’adulte”
p. 212). Chez les patients atteints de
maladies chroniques potentiellement
responsables de SIADH ou traités
au long cours par un médicament
stimulant la sécrétion ou les effets
de l’ADH, il est logique de proposer
une limitation des apports hydriques
pour maintenir la natrémie dans les
valeurs normales.
Références
1. Anderson RJ, Chung HM, Kluge R et al. Hyponatremia: a prospective analysis of its epidemiology and the pathogenetic role of vasopressin. Ann
Intern Med 1985;102:164-8.
2. Oelkers W. Hyponatremia and inappropriate
secretion of vasopressin (antidiuretic hormone) in
patients with hypopituitarism. N Engl J Med
1989;321:492-6.
3. Hirshberg B, Ben-Yehuda A. The syndrome of
inappropriate antidiuretic hormone secretion in
the elderly. Am J Med 1997;103:270-3.
4. Berl T. Treating hyponatremia: damned if we
do and damned if we don’t. Kidney Int 1990;
37:1006-18.
5. Sterns RH. The treatment of hyponatremia:
first, do no harm. Am J Med 1990;88:557-60.
6. Decaux G, Soupart A. Treatment of symptomatic hyponatremia. Am J Med Sci 2003;326:25-30.
7. Arieff AI. Management of hyponatremia. Brit
Med J 1993;307:305-8.
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