Congrès Congrès Congrès Congrès Congrès Brest, 26-27 novembre 2009 Tabac et santés 3e congrès de la Société française de tabacologie M. Rakem* La 3e édition du congrès de la Société française de tabacologie s'est déroulée avec succès et a réuni environ 250 participants. Henri-Jean Aubin, son président, a rappelé dans son introduction que beaucoup d'efforts restent à accomplir : "Il est de la responsabilité de tous les professionnels de santé d’investir une juste part de leurs efforts pour encourager les fumeurs à s’engager dans une démarche d’arrêt du tabac et à fournir une aide à sa mise en œuvre. L’ambition de ce congrès est de permettre des échanges entre professionnels de différents horizons". Ces efforts vont du conseil minimal à un fumeur, que les médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, sages-femmes ou infirmières peuvent donner systématiquement, jusqu'au remboursement des traitements disponibles et efficaces décidé par l'État. E n France, chaque année, 66 000 morts sont imputables au tabagisme, alors qu’il s’agit de la première cause évitable de mortalité prématurée. En 2009, le tabagisme reste au centre des problèmes de santé publique et de la prévention de nombreuses maladies. Une séance plénière et un atelier ont été consacrés à préciser la place et la démarche de chacun des acteurs dans la lutte contre le tabagisme. Suite logique de l’édition 2008 intitulée "la tabacologie au carrefour des disciplines médicales", l’ambition de l’édition 2009 était de permettre des échanges autour des aspects scientifiques, cliniques et politiques du tabagisme, échanges entre professionnels de différents horizons, différentes spécialités, différentes régions et nationalités. POINTS D’ACTUALITÉ Jacques Lehouezec, chargé de La Lettre SFT consacrée à l’actualité scientifique, a sélectionné et présenté des résultats d’études pertinentes pour la pratique. En voici quelques exemples : 4 L’étude de Perkins (1) sur la variation de l’intensité du craving et des symptômes de manque durant la journée. En effet, selon cette étude, "le craving du matin n’est pas forcément le plus élevé, il a tendance à augmenter pendant la journée". D’où l’intérêt d’effectuer des mesures multiples au lieu de l’unique mesure habituelle à midi et d’adapter la thérapeutique. 4 Des nouveautés telles que le nouveau substi* Médecin journaliste, Vitry-sur-Seine. tut nicotinique, développé en Suède, sous forme de spray oral dosé à 4 mg de nicotine (Zonnic® Pouch) qui soulagerait plus rapidement le craving (p = 0,002) et serait plus efficace contre l’irritabilité (p = 0,01) que les gommes Thornley (2). 4 L’étude de Piper (3), menée auprès de 1 504 fumeurs sur la durée de l’arrêt (au moins 10 cigarettes par jour durant les 6 derniers mois) et comparant 5 pharmacothérapies différentes à 1 placebo, a confirmé la supériorité du duo gagnant timbre nicotinique + substituts oraux par rapport au placebo. En effet, le taux de rechute à 6 mois chez les patients traités par le duo patch + gommes est significativement le plus bas (p = 0,001). 4 Les résultats d’un essai mené par Sofuoglu et al. (4) chez les fumeurs sevrés, effectué dans le but de préciser les actions de la varénicline sur les effets dose-dépendants de la nicotine, concluent que la varénicline, agoniste partiel α4β2, atténue certains des effets subjectifs et physiologiques de la nicotine administrée par voie i.v. chez l’homme. Exemple : "La varénicline s’oppose à l’effet de la nicotine sur le rythme cardiaque et diminue l’effet ressenti lors de la prise de nicotine". TENIR COMPTE DES TROUBLES PSYchologiques La souffrance psychologique du fumeur et sa prise en charge aont fait l’objet d’une plénière durant laquelle Gilbert Lagrue et Didier Touzeau ont présenté leurs travaux sur "Les troubles psychopathologiques méconnus chez les fumeurs dépendants", suivie de la commu- Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 32 nication de Pierre Bodenez sur la place des antidépresseurs dans le sevrage tabagique. Les deux communications recommandent une plus grande vigilance quant au profil psychologique et les antécédents psychopathologiques éventuels. Une prise en charge adaptée à chaque fumeur doit tenir compte de la co-occurence fréquente entre troubles psychiatriques et tabagisme : 70 % des troubles bipolaires I et II, 50 % dans les syndromes dépressifs majeurs et les troubles anxieux. Un trouble psychiatrique latent associé à un tabagisme important constitue toujours un élément de gravité supplémentaire, un facteur de risques majeurs de complications ultérieures et d’un mal-être psychologique. LES BONS DOSAGES Parmi les symposia, celui organisé par les laboratoires Pierre Fabre, où l’intérêt et les règles de prescription des bonnes posologies de substituts nicotiniques ont été clairement expliqués. En effet, l’intervention de Jean Perriot, pneumologue tabacologue addictologue (dispensaire Émile-Roux, Clermont-Ferrand) était particulièrement "libératrice" vis-à-vis de la prescription de traitements nicotiniques de substitution (TNS) et pertinente quant aux posologies initiales : "Il faut systématiquement utiliser de fortes doses de nicotine, toutes formes galéniques confondues, pour agir efficacement. Car, lors d’un sevrage tabagique, un apport insuffisant en nicotine entraîne un syndrome de sevrage et craving, lesquels sont causes de rechute", disait-il (voir, dans ce numéro, son article "L’aide à l’arrêt du tabagisme des fumeurs irréductibles"). Idéalement en pratique, il est donc conseillé de prendre le temps de bien évaluer les besoins du patient grâce à la clinique et à la biologie (dosage de la cotinine qui est un métabolite stable de la nicotine ayant une demi-vie plus longue, 24 heures versus 2 heures en moyenne). Et aussi de privilégier l’association des formes transdermique et orale, ainsi que le confirment les études, et de garder à l’esprit la notion de variabilité interindividuelle du métabolisme de la nicotine (sa demi-vie varie selon les individus de 1 à 4 heures). Le seul danger des TNS est le déficit d’apport et l’arrêt trop précoce du traitement. "Lorsqu’il n’est pas possible d’effectuer un dosage de cotinine car coûteux (et par conséquent non disponible dans toutes les structures de soins) et non remboursé, la règle est pour un fumeur de moins de 25 cigarettes par jour, on substitue chaque cigarette par au moins 1 mg de nicotine en patch. Au-delà de 25 cigarettes par jour, le dosage de cotinine est indispensable pour prescrire une posologie suffisante de TNS". Durant ce même symposium, Laurence Galanti, de Belgique, a consacré sa présentation au dosage de la cotinine. Métabolite primaire de la nicotine, Congrès Congrès Congrès Congrès Congrès la cotinine est actuellement considérée, avec une demi-vie plus longue que la nicotine (24 heures versus 2 heures), comme le marqueur biologique de choix pour objectiver le degré d’imprégnation à la nicotine du fumeur actif, confirmer l’exposition à la fumée environnementale ou valider un arrêt du tabac depuis plusieurs jours. La concentration en cotinine dans le sang, les urines ou la salive permet de quantifier les besoins spécifiques en substitution nicotinique de chaque fumeur, et d’ajuster la posologie. Cette adaptation est, on le sait, l’une des solutions pour améliorer l’efficacité du traitement chez les fumeurs dépendants. En particulier, ce dosage est important lors du suivi du sevrage tabagique de groupes spécifiques, tels les femmes enceintes, les adolescents et les patients souffrant d’une pathologie cardio-vasculaire. Par ailleurs, le dosage d’autres biomarqueurs issus de la nicotine permet d’évaluer son métabolisme qui semblerait être un facteur déterminant de la consommation tabagique. Enfin, Daniel Thomas, de l’institut de Cardiologie (groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière), répond à la question "Faut-il encore craindre la substitution nicotinique chez le patient coronarien ?" "Beaucoup de confrères cardiologues n’ont toujours pas intégré les substituts nicotiniques dans leur pratique. Alors que le tabagisme est un facteur de risque à prendre en charge par le cardiologue tout comme les autres facteurs de risque", disait-il. De fait, une enquête menée auprès des cardiologues français a permis d’identifier les 5 prin- cipales raisons qu’ils invoquent pour ne pas prescrire les TNS. Réponse la plus fréquente (29 % des cas) : "Pas mon rôle" ou "Doit être fait par quelqu’un d’autre". Selon D. Thomas : "De la part d’un cardiologue, cette attitude est aussi grave que s’il ne prenait pas en charge une hypercholestérolémie !" La substitution nicotinique (SN) est un outil essentiel et d’efficacité parfaitement démontrée dans le sevrage tabagique. Elle est à présent accessible à tous puisqu’elle peut être vendue en OTC (Over The Counter). Il est donc licite de s’assurer de son innocuité. De rares cas cliniques d’accidents cardio-vasculaires, survenus chez des patients traités par TNS et diffusés dans les médias, ont longtemps inquiété la population et incité les médecins à être prudents et à éviter de les prescrire à des patients coronariens. En fait, les études expérimentales ont montré que les TNS n’ont pas d’incidence sur la thrombose et probablement pas sur la fonction endothéliale. Leurs effets sympathomimétiques éventuels sont très atténués du fait de leur pharmacocinétique (libération lente de la nicotine) et de la tolérance acquise par le fumeur vis-à-vis de la nicotine. Par ailleurs, les études cliniques ne montrent pas d’excès d’accidents cardio-vasculaires avec la SN, tant dans la population générale des fumeurs que chez des coronariens stables. Même si nous manquons d’études randomisées concernant son utilisation dans les suites immédiates d’un syndrome coronaire aigu, le risque absolu de les utiliser dans cette situation est certainement très inférieur à celui de la poursuite du tabagisme. L’ensemble de ces données ont conduit l’AFSSAPS, dès 2003, à en recommander l’utilisation chez les patients coronariens fumeurs, y compris immédiatement après un accident coronaire aigu, tel un infarctus du myocarde. Malgré cette recommandation, peut-être insuffisamment diffusée, une enquête récente montre qu’ils sont encore trop peu prescrits par les cardiologues français pour aider leurs patients coronariens fumeurs. v Références bibliographiques 1. Perkins KA, Briski J, Fonte C, Scott J, Lerman C. Severity of tobacco abstinence symptoms varies by time of day. Nicotine Tob Res 2009;11(1):84-91. 2. Thornley S, McRobbie H, Lin RB et al. A singleblind, randomized, crossover trial of the effects of a nicotine pouch on the relief of tobacco withdrawal symptoms and user satisfaction. Nicotine Tob Res 2009;11(6):715-21. 3. Piper ME, Smith SS, Schlam TR et al. A randomized placebo-controlled clinical trial of 5 smoking cessation pharmacotherapies. Arch Gen Psychiatry 2009;66(11):1253-62. 4. Sofuoglu M, Herman AI, Mooney M, Waters AJ. Varenicline attenuates some of the subjective and physiological effects of intravenous nicotine in humans. Psychopharmacology 2009;207(1):153-62. 5. Aboyans V, Pinet P, Lacroix P, Laskar M. Knowledge and management of smoking-cessation strategies among cardiologists in France: a nationwide survey. Arch Cardiovasc Dis 2009;102:193-9. vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv BPCO : les femmes aussi ! avec la forte augmentation du tabagisme chez les femmes. En France, en effet, la proportion de fumeurs réguliers, c’est-à-dire fumant au moins une cigarette par jour, était, en 1953, de 17 % chez les femmes et de 72 % chez les hommes. Cette proportion est passée en 2007 à 25 % chez les femmes (+47 %) et à 34 % (-53 %) chez les hommes. L’objectif principal de cette mobilisation (affiches dans les salles d’attente des pneumologues et médecins généralistes ; livret patient sur la BPCO et l’importance de son dépistage ; brochure destinée aux médecins concernant ses spécificités chez les femmes) est d’informer et d’alerter les femmes sur cette pathologie afin de favoriser un dépistage et une prise en charge plus précoces. v De janvier à septembre 2010, six femmes pneumologues (Drs Anne Prud’homme du centre hospitalier de Bigorre [Tarbes], Élisabeth Biron de l’hôpital privé Jean-Mermoz [Lyon], Cécilia Nocent-Ejnaini du centre hospitalier de la Côte Basque [Bayonne], Camille Taillé de l’hôpital Bichat [Paris] et les Prs Chantal Raherison de l’hôpital Haut-Lévêque [Pessac] et Isabelle Tillie-Leblond de l’hôpital A. Calmette [Lille]), avec le soutien du laboratoire AstraZeneca, mobilisent les femmes pour lutter contre la BPCO, encore considérée, à tort, comme une maladie réservée aux hommes. Pourtant, 40 % des malades en France sont des femmes ! Plus sensibles aux méfaits du tabac, elles ont une altération de la fonction respiratoire plus rapide que les hommes. En mai 2009, à l’occasion du congrès de l’American Thoracic Society (ATS), les résultats d’une étude menée auprès de 954 patients atteints de BPCO ont démontré que les femmes développent une BPCO plus sévère que les hommes, pour un niveau de tabagisme plus faible. Les causes en sont encore inconnues, mais la taille des poumons et un métabolisme différent pourraient en partie l’expliquer. D’ailleurs, selon l’InVS, le taux de mortalité de la BPCO a augmenté, entre 1979 et 1999, de 78 % chez les femmes contre seulement 21 % chez les hommes. La BPCO progresse donc plus rapidement chez les femmes que chez les hommes. Aux États-Unis, le nombre de nouveaux cas de BPCO a augmenté de 36 % dans la population féminine entre 1980 et 2000 contre une baisse de 21 % chez les hommes. Ce constat peut être mis en parallèle – Housset B, Godard P, Crestani B. État des lieux de la BPCO en France en 2005. Rev Mal Resp 2006;23:8S9-8S12. – Gan WQ, Man SF, Postma DS, Camp P, Sin DD. Female smokers beyond the perimenopausal period are at increased risk of chronic obstructive pulmonary disease: a systematic review and meta-analysis. Respir Res 2006;7:52. – Fuhrman C. Mortalité liée à la BPCO en France métropolitaine, 1979-2003. BEH thématique 3 juillet 2007:27-8. – Mannino DM, Homa DM, Akinbami JL, Ford SE. Chronic obstructive pulmonary disease surveillance. United States, 1971-2000. Disponible à l’adresse : http://www.cdc. gov/mmwr/preview/mmwrhtml/ss5106a1.htm – "International Tobacco Control", projet d’évaluation des politiques publiques de lutte antitabac. Rapport national ITC France : février 2009. Disponible à l’adresse : http:// www.inpes.sante.fr/ITC/PDF/ITC_RAPPORT_FR.PDF – Gold DR, Wang X, Wypij D, Speizer FE, Ware JH, Dockery DW. Effects of cigarette smoking on lung function in adolescent boys and girls. N Engl J Med 1996;26,335(13):931-7. – Soerheim IC et al. Gender differences in COPD – Are women more susceptible to smoking effets? Abstract présenté lors du congrès de l’American Thoracic Society en mai 2009. P. de P. 33 Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010