n°19 Les probLèmes CHANGeANts de L’éCoNomie iNFormeLLe B

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n°19
24 Avril 2009
Les problèmes CHANGeants de
l’économie INFORMeLlE
Bojan Dobovŝek
Dans le cadre du WP 5 - Économie informelle et Crime organisé
en Europe – un atelier sur ‘L’économie informelle, le travail
illégal et les politiques publiques’ s’est tenu à la Faculté de la
Justice Pénale et de la Sécurité de l’Université de Maribor. Ce
dernier s’est déroulé du 2 au 4 Avril 2008, en tant que partie
intégrante du projet international CRIMPREV - Évaluer la
Déviance, la Criminalité et la Prévention en Europe. Politiques
publiques et législation européennes influant sur l’économie
informelle ont été les principales questions abordées lors de
cette rencontre.
Assessing Deviance, Crime and Prevention in Europe. Projet CRIMPREV. Action de Coordination du 6° PCRD, financée par la Commission Européenne. Contrat n° 028300.
Date de début: 1er juillet 2006. Durée 36 mois. Projet coordonné par le CNRS – Centre National de la Recherche Scientifique. Site internet : www.crimprev.eu. E-mail [email protected]
Cette réunion avait pour but de débattre des résultats des
recherches menées sur l’économie informelle et le travail
illégal ainsi que de l’élaboration de politiques visant à traiter
ces problèmes croissants. On y a, par ailleurs, dénoncé les
conséquences de certaines des ‘nouvelles’ politiques ainsi
que leur influence sur les problèmes sociaux en Europe. Les
participants ont également tenté de déterminer dans quelle
mesure la criminalité économique était un construit social
ainsi que les insécurités qu’elle engendre en Europe et au-delà.
Différents points de vue nationaux sur le rôle des politiques
publiques liées à la criminalité économique, à ses conséquences
et aux changements sociaux ont aussi été débattus. Un aperçu et
une évaluation des études réalisées sur le thème de l’économie
informelle et du travail illégal ont constitué l’essentiel de cet
atelier : l’évolution de la criminalité économique en Europe, les
liens existant entre la criminalité économique et les politiques
publiques, les influences politiques, les atteintes aux biens et
le commerce illicite des objets d’art, la corruption, l’économie
informelle, le rôle des changements sociaux, en particulier
pour ce qui est de la façon dont la prévention est présentée
et du rôle de la politique (sociale) dans le maintien de la paix
(sociale) en Europe.
La réunion s’est articulée autour de cinq axes thématiques.
Neuf papiers ont été présentés aux 19 participants venant de
sept pays différents (Allemagne, Grande-Bretagne, France,
Belgique, Pays-Bas, Italie et Slovénie). Le résumé suivant
illustre les présentations ainsi que les débats ayant eu lieu.
I – Principaux problèmes, conclusions et suggestions
1 – L’économie informelle
La première question qui se pose est celle de la définition
du concept d’économie informelle’. Ce problème est apparu
particulièrement évident lors de cette réunion car, bien que
les membres de l’Union européenne partagent une législation
commune dans des domaines juridiques fondamentaux, cette
définition varie d’un pays à l’autre. L’économie informelle
est un phénomène qui existe dans tous les pays, toutes les
économies et tous les systèmes politiques du monde. On
peut la définir comme la face cachée de l’économie, celle
dont les bénéfices ne sont pas déclarés aux autorités du pays,
entraînant ainsi le non paiement d’impôts. L’UNESCO définit
l’économie informelle de façon brève et claire : l’échange de biens
et services n’apparaissant pas avec précision dans les chiffres et la
2
comptabilité du gouvernement. L’économie informelle, généralement
non imposée, concerne habituellement des biens et services tels
que les garderies, les leçons particulières ou les transactions sur le
marché noir. (UNESCO, 2008). Les rapports de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE)
montrent que l’économie illégale produit en moyenne 16,3%
du PIB, et 42,8% du PIB des pays en voie de développement
(OCDE, 2008). Il existe plusieurs types d’économie informelle,
les plus courants étant le travail illégal ainsi que les marchés
gris et les marchés noirs. Par ailleurs, la phase de transition que
connaissent certains pays européens a influencé les différentes
formes revêtues par l’économie informelle, et a également
favorisé toutes sortes de réformes au sein de l’administration
publique. De nouvelles formes de criminalité économique se
sont donc développées : par exemple, les ventes sur Internet
sont de plus en plus nombreuses. Parallèlement, des formes
de corruption inédites ont également fait leur apparition.
L’économie informelle est un domaine très vaste et varié. C’est
pour cette raison, mais aussi à cause de la variabilité des critères
et de l’absence d’une définition unique, qu’il est difficile de
mesurer précisément l’importance de ce phénomène. Tout
pays désireux d’avoir une ‘économie de marché saine’ doit être
vigilant et méthodique dans sa façon d’observer l’ampleur de
l’économie illégale et son évolution. Comme nous l’avons déjà
évoqué, l’économie informelle revêt, le plus souvent, la forme
du travail illégal. Ce problème est malheureusement présent
dans toute la zone de l’Union européenne et, selon un rapport
de la Commission européenne (European Commission, 2008),
les chiffres augmenteraient tous les ans. Le travail illégal
touche plus particulièrement les domaines du bâtiment, du
commerce, de la restauration et du tourisme, de l’industrie
textile, des transports et, plus récemment, les services de
santé, l’enseignement privé, les transactions immobilières ou
les services liés aux affaires.
‘Qui participe à l’économie informelle ?’ Ceci est une question
fondamentale pour les chercheurs et tous ceux qui s’intéressent
à ce problème ; Shapland (2008) a fait remarquer que les
enquêtes menées en Grande-Bretagne avaient démontré que
les groupes impliqués dans l’économie informelle étaient les
migrants, les jeunes, les individus socialement exclus ainsi
que les jeunes sans papiers mais ayant des compétences et des
diplômes (les sans-papiers sont souvent qualifiés et en bonne
santé – les contacts et les liens linguistiques/ethniques sont
primordiaux).
Lors de la réunion, une autre inquiétude concernant l’économie
3
informelle a été soulevée ; une économie informelle solide
peut faire en sorte que les gens finissent par la considérer
comme normale, ce qui pourrait avoir une incidence sur les
valeurs sociales. Les participants ont convenu que le principal
problème concernant la détection et l’évaluation de l’économie
informelle et du travail illégal au sein de l’Union européenne
étaient les différences existant entre les pays membres. En
effet, ces derniers ont recours à des législations, des politiques
et des moyens très différents pour traiter ce phénomène. En
outre, les méthodes de mesure diffèrent elles aussi ; il est donc
difficile d’établir des comparaisons et de mener des enquêtes
fiables. Il ne faut toutefois pas oublier qu’il est impossible
d’abolir totalement le travail clandestin mais qu’il est possible
de réduire son ampleur. Les participants ont ainsi évoqué le
renforcement des mécanismes de contrôle et les sanctions, la
coopération internationale, l’harmonisation de la législation
et la sensibilisation des employeurs, des employés et de la
société.
2 – Travail illégal et politiques publiques
Les décisions politiques et la façon dont les politiques sont
mises en œuvre à l’échelle européenne (UE) et nationale ont
une influence directe sur le travail illégal, le travail au noir ou
le travail contraire aux règlementations légales. Les politiques
publiques visant à évaluer la situation du travail illégal ont
instauré des stratégies de travail qui constituent la base pour
d’autres actions de la part des institutions compétentes du
pays. Elles définissent, par ailleurs, ce qui est illégal ou illicite.
En matière d’élaboration de politiques, les réglementations
communautaires relatives à l’emploi et les normes nationales
jouent un rôle de plus en plus important. Les politiques
publiques ont mis l’accent sur l’approche répressive. Cette
dernière est basée sur la définition du travail illégal et les
perceptions qui en découlent ainsi que sur la mise en œuvre
de restrictions concernant l’embauche des étrangers. Bien
qu’elles ne résolvent pas les problèmes sociaux, ces politiques
publiques ont une certaine influence sur la migration des
travailleurs à l’échelle internationale.
Shapland (2008) a fait remarquer que différentes politiques
sociales encourageaient de diverses façons l’économie
informelle, ayant notamment mentionné : les politiques qui
constituent un obstacle au renoncement à la criminalité ; les
politiques qui génèrent des exclus ; les politiques relatives
aux niveaux d’imposition et à la sous-traitance (visibilité) ;
4
les politiques relatives aux réglementations, les politiques
migratoires et les politiques qui engendrent une dépendance
par rapport aux travailleurs à faibles salaires.
1. Les politiques qui constituent un obstacle au renoncement à la
criminalité entre vingt et trente ans : l’absence de politiques
de réinsertion suite à une peine de prison ou un séjour en
institution ; la nécessité de diplômes officiels pour des emplois
peu qualifiés ; les ententes limitant l’emploi pour certains
groupes sociaux/ethniques ;
2. Les politiques qui engendrent des exclusions : les politiques
du logement qui ‘enferment’ les individus dans des cités
dépotoirs, en particulier lorsqu’il y a une concentration de
familles à problèmes et que, par conséquent, les ressources
sociales sont faibles ;
3. Les politiques associant impôts élevés et sous-traitance ;
4. Les politiques qui proposent de nombreuses réglementations mais
peu de contrôles ou un faible niveau d’application ;
5. Les politiques migratoires : la migration a une incidence sur
l’offre de travailleurs, pas de marchandises (bien que les routes
puissent accueillir les deux). La migration illégale cause des
problèmes aux pays d’accueil mais aussi aux migrants, surtout
lorsque le fait de ‘rentrer dans la légalité’ exige la perpétration
d’actes illégaux ou attire le crime organisé ;
6. Les politiques visant à compenser le manque de travailleurs natifs:
cas où l’économie d’une nation dépend des travailleurs à bas
salaires mais, où parallèlement, le nombre de travailleurs
natifs est insuffisant.
II – Que faut-il étudier dans le domaine de l’économie
informelle et comment s’y prendre?
Différents facteurs influent sur l’économie informelle.
Ces derniers sont, par exemple : l’offre et la demande du
marché (principalement de l’emploi et des marchandises
illégales (drogues, marchandises volées/troc)), les possibilités
d’emplois (offre d’emplois, contacts et réseaux sociaux) et les
opportunités géographiques (influence de la globalisation).
Van de Bunt et al. (2002) ont démontré qu’une économie
formelle plus sévère pourrait entraîner une augmentation de
l’économie informelle et illégale, tel qu’indiqué au schéma
1 ci-dessous. Le schéma 2, à la page suivante, nous montre
comment la contrôler. Le schéma 1 nous indique les trois
économies pouvant exister ainsi que la transformation des
capitaux provenant de l’économie illégale de façon à pouvoir
être réutilisés dans l’économie légale. Cette transformation est
non seulement difficile à détecter mais également (presque)
impossible à éviter.
5
1 - Blanchiment de capitaux
Thème récurrent lors des réunions de ce workpackage, le
blanchiment de capitaux a été identifié comme une forme
d’économie informelle de plus en plus fréquente. Différentes
tendances, expériences et méthodes visant à contrecarrer et à
empêcher le blanchiment de capitaux ont fait leur apparition
à la fin des années 1980 et au début des années 1990, époque à
laquelle ce problème a été mis en évidence aux États-Unis. Suite
aux débats sur la prévention de la criminalité liée à la drogue,
il en a été conclu que les capitaux illégalement gagnés sont de
plus en plus souvent transformés en capitaux légaux ; de plus
en plus d’institutions sont à l’affût des transactions financières.
Ainsi, de plus en plus de pays sont prêts à apporter leur aide
dans la lutte contre la criminalité associée au blanchiment de
capitaux.
Économie
illégale
Économie
informelle
Économie
formelle
Schéma 1 : Blanchiment de capitaux : transformation des capitaux provenant
de l’économie illégale de façon à pouvoir être réutilisés dans l’économie légale
(Verhage, 2008).
Toutefois, la question qui se pose en ces temps de globalisation
est la suivante : est-il réaliste de demander une telle
contribution à des sociétés commerciales axées sur le profit
dans la mesure où elles sont contraintes d’agir contre leurs
propres intérêts commerciaux ? La Belgique se distingue des
autres pays membres de l’Union Européenne car elle a une
approche différente vis-à-vis de la lutte contre le blanchiment
international de capitaux. Elle possède un système unique et
efficace qui diffère, dans une certaine mesure, des stratégies
européennes. Verhage (2008) a déclaré que la politique belge tout comme toutes les politiques européennes reposant sur le
cadre établi par l’Union Européenne - mettait l’accent sur une
approche préventive en forçant des sociétés bien précises à
mettre en œuvre une vaste gamme de principes, de contrôles et
de procédures liés à l’identification de clients et à la détection
d’individus, de sociétés ou de flux monétaires suspects. Elle
présente toutefois une particularité par rapport à la politique
6
générale de l’Union Européenne. Il s’agit de l’introduction
d’une profession chargée spécifiquement de la mise en œuvre
de cette énorme mission de lutte contre le blanchiment de
capitaux (LBC). En outre, la fonction de conformité est la seule
fonction qui ait été légalement stipulée et rendue obligatoire
au sein des établissements bancaires belges.
2 – Corruption
Après le blanchiment de capitaux, la corruption ainsi que
le recours aux relations et aux réseaux informels sont les
principaux fléaux de l’ ‘économie grise’ des pays de l’Europe
de l’Est, en particulier des Balkans. Les réseaux informels ne
deviennent un problème que lorsque leurs membres décident
d’ignorer les lois et les règles de la société dans le but de
bénéficier de certains avantages pour eux-mêmes et/ou pour
leurs collègues de réseau. Dobovšek (2008) a inventé une
nouvelle expression, la ‘capture criminelle de l’État’1, dont les
processus laissent perplexes les chercheurs. Actuellement, le
fonctionnement de ce phénomène s’articule principalement
autour de trois étapes : la première implique la prise de contrôle
du secteur public ou privé ; la seconde implique l’infiltration,
ou plutôt une prise de contrôle des sphères légales et de l’État;
et la troisième inflige des pertes et de la souffrance au public
en général. Certaines caractéristiques propres à ce phénomène
ont été observées dans des pays en phase de transition (en
particulier des pays postcommunistes). Ces caractéristiques
nous montrent à quel point il est important de mieux
reconnaître ce concept de ‘capture d’État’ afin d’identifier des
activités peu transparentes dans ces pays.
Économie
illégale
Économie
informelle
Économie
formelle
Schéma 2 : Différentes façons de transférer les capitaux et la ‘ligne’ du contrôle
(mission LBC) (Verhage, 2008).
1
La ‘Capture de l’État’ fait référence à l’influence d’individus, de groupes ou d’entités (du secteur
public ou privé) sur la formulation des lois, des règlements, des décrets et d’autres politiques
gouvernementales à des fins privées et au détriment de l’intérêt public (Dobovšek, 2008, 683684). Ceci se produit par le biais de dispositions illégales et non transparentes destinées aux
fonctionnaires de l’État dans le but de leur faire bénéficier de certains avantages (Philip, 2001,
4). L’expression ‘capture de l’État’ porte sur trois entités : (a) celui qui capture ; (b) le ‘capturé’
(les choses qui sont ‘capturées’ sont toujours des lois, des décrets et des règlements - c’est-àdire l’État) ; (c) le public qui est affecté (bien qu’indirectement, en général).
7
Ceci s’applique surtout à la corruption qui envahit de nouveaux
pays européens ayant un besoin spécifique de mesures
préventives bien précises contre la corruption. Les plans
d’intégrité, qui se sont avérés être une méthode très efficace dans
la lutte contre la corruption, font partie des principales mesures
préventives visant à freiner ce fléau. Ceci est la raison pour
laquelle toutes les institutions devraient, après avoir reconnu
que leurs propres activités sont vulnérables et exposées à la
corruption, élaborer des programmes anti-corruption. Ainsi, de
nombreux experts recommandent les plans d’intégrité comme
le meilleur moyen de s’attaquer à la corruption.
3 - Migration et Économie informelle
Dans son papier ‘Via Anelli : une étude de cas sur la ségrégation
et l’économie informelle’, Alvise Sbraccia s‘est penché sur les
relations institutionnelles et interethniques dans une zone bien
précise de Padoue, l’une des principales villes industrielles du
Nord Est de l’Italie. Depuis le début des années 1990, époque à
laquelle l’Italie est devenue une destination très convoitée par
un grand nombre d’immigrants en provenance d’Afrique du
Nord et des pays de l’Europe de l’Est, le quartier de Via Anelli
se caractérise par une installation de migrants croissante liée
au processus bien connu du remplacement de la population et
à la spéculation immobilière. 1 300 personnes environ, venant
principalement de la région du Maghreb et du Nigéria, vivent
à Via Anelli dans de petits appartements bondés, conçus à
l’origine pour accueillir juste quelques étudiants. Ce processus
urbain peut être perçu comme anormal en Italie, pays où les
nouveaux venus auraient généralement plutôt tendance à se
disperser. Cette zone dominée par de grands édifices, et située
à proximité du quartier commercial de Padoue, est donc
présentée, par les médias et au sein des débats politiques,
comme un environnement dans lequel ‘l’ennemi de l’intérieur’
serait en train de grandir. Cette alarme sociale est surtout due
à la présence de petits dealers et de prostituées, mais aussi au
bruit qu’ils font la nuit et aux bagarres. Avec ce cas d’étude,
Sbraccia (2008) voulait détruire l’image stéréotypée des
habitants de ce quartier (dont la plupart travaillent d’ailleurs
dans les économies informelles locales), et analyser les
pratiques de contrôle institutionnelles auxquelles on attribue
l’augmentation spectaculaire du niveau de criminalisation des
résidents et, par la même occasion, de leur risque d’expulsion.
Par ailleurs, il existe dans ce pays (et d’autres pays de l’Union
européenne) d’autres types de migration, l’économie informelle
8
étant étroitement liée à ces derniers.
Les Roms présents dans les villes italiennes sont un parfait
exemple du lien existant entre la migration et l’économie
informelle. Cette dernière est la principale source de revenus
et de progression sociale dans la ville de Mazara del Vallo,
en Sicile. On peut voir au travers de l’étude de Pietro Saitta la
façon dont un groupe de Roms venant du Kosovo, et vivant
dans cette région depuis les années 1970, essaie de survivre
grâce à différentes initiatives entrepreuneuriales telles que la
musique, l’artisanat improvisé et les petits deals de drogue.
Leur situation actuelle peut être largement attribuée aux
mauvaises relations qu’ils entretiennent avec l’État et les
autorités locales. Toutefois, ces individus ont su tirer profit
de l’ambivalence de la loi, et du caractère informel des
relations locales l’absence de formalité des relations locales,
pour s’installer. Bien qu’un point de vue très conformiste
puisse suggérer qu’ils se contentent de reproduire la pauvreté
de génération en génération, une analyse profonde de cette
étude montre que l’économie informelle représente un moyen
paradoxal de progression sociale.
4 – Suggestions en vue d’études et d’améliorations futures
Lors de la discussion finale, les participants ont convenu que
certains domaines exigeaient l’attention immédiate des experts
et des politiques publiques.
Il est tout d’abord nécessaire de protéger l’économie formelle,
en particulier lorsque l’État est faible. Ceci devrait être possible
grâce à :
₋₋ une vigilance et une expertise accrues au sein des
organisations privées ;
₋₋ plus de poursuites pénales pour ce qui est de la
criminalité liée à l’économie informelle (le résultat des
enquêtes pénales n’est pas clair ; il n’y a que très peu de
condamnations) ;
₋₋ une politique de lutte contre le blanchiment de capitaux et
un accès restreint (de l’argent sale) à l’économie formelle
et à ses institutions.
Ensuite, il ne faut pas oublier que le développement économique
a une incidence directe sur la criminalité. Les marchés noirs et les
marchés gris sont considérés comme ‘normaux’ dans les pays
sous-développés et certains pays en phase de transition.
De plus, il ne faut pas négliger la criminalité transfrontalière
qui a une forte influence sur l’économie (in)formelle. Il est
donc nécessaire de renforcer la coopération transfrontalière à
l’échelle locale et régionale.
9
En outre, pour ce qui est des politiques publiques et du
travail illégal, les politiques visant à compenser le manque de
travailleurs natifs doivent être réexaminées et complétées. De
plus en plus de pays de l’UE voient leurs économies nationales
dépendre de travailleurs à faibles salaires mais, parallèlement,
le nombre de travailleurs natifs est insuffisant. Ce problème
pourrait avoir un impact sur la santé économique globale car:
₋₋ il a une incidence sur le coût des systèmes d’aide sociale
ainsi que sur le prix des biens et services (plus les
travailleurs sont dans l’illégalité et moins le pays devra
payer en avantages sociaux, ce qui réduit les chances de
faire venir les familles) ;
₋₋ les pays ont adopté différentes ‘solutions’ à différents
moments : les travailleurs invités ; l’encouragement des
vagues de migration ; le déplacement du problème à
l’étranger ; le fait de tolérer les travailleurs illégaux dans
des emplois légaux à condition qu’on ne les voie pas
trop.
Par ailleurs, le problème des économies légales et illégales
devrait être repensé et reformulé, non seulement par rapport à
un contrôle strict ou léger de l’État, mais aussi en tant que lutte
de pouvoirs complexe entre l’État, les politiciens, les sociétés
et les habitants.
Toutes les approches susmentionnées peuvent engendrer des
problèmes. Elles peuvent souvent encourager le crime organisé,
en particulier lorsque l’économie informelle produit des biens
et des services de mauvaise qualité et que les conditions de vie
sont atroces. Toutefois, ceci ne devrait se produire que lorsque
la population considère ce type d’économie comme normal et
que cela entraîne la corruption. Finalement, le cercle enchanté
est fermé. Afin de pouvoir lutter de façon efficace contre
l’économie informelle et le travail illégal qui y est associé
(impacts et conséquences négatifs), il est nécessaire de mettre
en œuvre les stratégies interdépendantes stipulées par Carr et
Alter Chen (2001). Ces dernières s’articulent autour de quatre
axes : les programmes d’action directe ; les recherches et les
statistiques ciblées ; l’organisation locale et internationale de
travailleurs informels ; et le dialogue politique pertinent.
Enfin, tout le monde sait que l’économie informelle affaiblit
les structures de la société. C’est pour cette raison que cette
dernière doit être sensibilisée à l’ampleur et à l’impact de ce
phénomène. Sans cela, il sera extrêmement difficile (voire
impossible) d’appliquer les mesures nécessaires pour s’attaquer
à ce problème social. Toutefois, il faut avant tout retenir que
l’éducation est l’élément fondamental dans la lutte contre ce fléau.
10
III – Conclusion
Parvenir à évaluer l’ampleur et les différentes formes de
l’économie informelle est essentiel pour l’élaboration des
futures mesures de politique économique visant à réduire
le nombre d’activités lucratives non déclarées ainsi que le
travail au noir. Les programmes spéciaux destinés à freiner
l’économie informelle sont eux aussi extrêmement importants.
Pour avoir une chance de parvenir à enrayer ce fléau, deux
mesures indispensables s’imposent : supprimer ses causes
et instaurer des contrôles et des sanctions plus sévères à
l’encontre de tous ceux qui y participent. Par ailleurs, une
législation flexible constitue également un élément important.
Certains des experts ayant participé à ce colloque pensent
qu’un taux d’imposition plus faible, que des contrôles plus
sévères et plus efficaces, qu’une approche plus collective de
la part de toutes les institutions de l’État et que des politiques
économiques adaptées pourraient réduire l’ampleur de
l’économie informelle et permettre de se rapprocher des
faibles niveaux enregistrés dans certains pays. On entend par
‘faible niveau’ un niveau inférieur à 15% du PIB. Bien qu’un
tel résultat relève généralement de l’utopie, il semblerait qu’il
soit toutefois en passe de devenir réalisable dans des pays en
phase de transition comme la Slovénie.
Il a été déclaré, à la fin du colloque, qu’il nous fallait encore,
à l’heure actuelle, rétablir une limite claire entre politique
et économie. Dans une société moderne, les intérêts de ceux
qui se trouvent au gouvernement ne devraient, en aucun cas,
l’emporter. Il n’est pas acceptable que l’on puisse obtenir un
poste en faisant jouer ses relations, il faut mettre un terme au
népotisme et au clientélisme car un tel comportement entraîne
la méfiance des citoyens vis-à-vis de leur propre gouvernement.
Ce n’est qu’au travers d’intérêts et de priorités clairement
définis à tous les niveaux de la société et de la mise en œuvre
de politiques adéquates qu’il sera possible de lutter contre les
formes de corruption permettant d’obtenir des emplois grâce
à ses relations. En outre, les programmes et les politiques
adaptés, ainsi que leur mise en œuvre efficace, constituent un
formidable frein au travail au noir et à l’économie grise. Bien
que chaque État-membre de l’Union Européenne présente
des caractéristiques uniques en ce qui concerne l’économie
informelle, le travail au noir, la politique sociale et les troubles
sociaux, phénomènes qui engendrent une insécurité sociale
croissante et une augmentation de la population vivant à la
limite du seuil de pauvreté, des efforts doivent être déployés
11
afin d’instaurer une politique sociale uniforme. Les politiques
nationales, régionales et municipales doivent être modifiées
afin d’être conformes aux politiques de l’Union européenne.
Il faut également garder à l’esprit l’importance du pouvoir
juridictionnel et de sa forte influence. Meško et Kos (2008)
ont, quant à eux, souligné l’importance de la prévention de la
criminalité économique, étroitement liée à l’économie grise, et
du maintien de la paix sociale.
Ce colloque a clairement démontré qu’il était nécessaire
d’obtenir des résultats de recherches fiables et satisfaisants qui
devront déboucher sur des suggestions utiles et des solutions
efficaces. Les études et les papiers de recherches nationaux
doivent être ajustés et adaptés aux besoins et aux exigences des
études internationales, devant également suivre les objectifs de
l’Union européenne et du projet CRIMPREV. La formation d’un
‘réseau’ de travail - un réseau ‘CRIMPREV’ - devra constituer,
à l’avenir, l’une des priorités du projet. Il sera ainsi possible
de débattre de telles questions à un niveau paneuropéen. En
plus des liens nécessaires entre les différentes régions, il est
également important de tisser des liens avec les responsables
politiques (aussi bien au niveau national qu’international), de
leur expliquer l’importance et la nécessité de l’uniformisation
et de les impliquer dans la réalisation de cet objectif.
Parallèlement, la prévention constitue également un élément
fondamental, surtout en ce qui concerne l’éducation des
salariés et des jeunes dans la mesure où les valeurs de
ces derniers sont encore en plein développement. Il faut
également penser à accélérer l’enseignement et la formation
dans les domaines modernes de la sécurité afin de développer
la professionnalisation et les qualifications des employés des
institutions de l’État, tout en mettant l’accent sur la formation
des formateurs.
Participants
Les experts ayant participé à cet atelier en tant qu’auteurs de
papiers ou discuteurs étaient :
Antoinette Verhage (Ghent University, Belgique),
Hartmut Aden (Leibniz University, Hannover, Germany),
Gašper Tompa (Institute of Criminology at the Faculty of Law
Ljubljana, Slovenia),
Noah Charney (Association for Research into Crimes against
Art, Italie),
Joanna Shapland (University of Sheffield, UK),
Alvise Sbraccia (Université de Padoue, Italie),
12
Pietro Saitta (University of Messina, Italie),
René Lévy (CNRS - Directeur du GERN, France),
Vincenzo Ruggiero (Middlesex University, UK),
Paul Ponsaers (Ghent University, Belgique),
Gudrun Vande Walle (Ghent University, Belgique),
Laurence Massy (University of Liège, Belgique),
Matthew Bacon (University of Sheffield, UK),
Henk van de Bunt (Erasmus University Rotterdam, The
Netherlands),
Gorazd Meško (University of Maribor, Slovenia),
Bojan Dobovšek (University of Maribor, Slovenia),
Urša Kos (University of Maribor, Slovenia),
Katja Eman (University of Maribor, Slovenia),
Andrej J. Pirnat (University of Maribor, Slovenia).
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Bojan Dobovšek - Faculté de la Justice Pénale et de la Sécurité
Université de Maribor - Slovénie - Tel: +386 (0)1 300 83 00
Fax: +386 (0)1 230 26 87
[email protected]
Crimprev info n° 19 - 24 avril 2009
Traduit par Bojan Dobovŝek
Mentions légales : Directeur de la publication : René LEVY Dépôt légal : en cours ISBN n° 978 2 917565 39 1
Diffusion : Reproduction autorisée moyennant l’indication de la source et l’envoi d’un justificatif. Maquette : CampingDesign
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