On parle de plus en plus de l’inflammation chronique qui persiste chez les
personnes vivant avec le VIH, et ce même sous traitement antitroviral
efficace. Que sait-on de ses causes et de ses conquences ? Et surtout, y
a-t-il des interventions susceptibles d’y redier ? Par Renaud Persiaux.
Inflammation et VIH
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>> Dossier
REMAIDES #85
L’inflammation, sa vie, son œuvre
Si l’inflammation est une réaction normale du système immuni-
taire face aux agressions, elle peut, lorsqu’elle devient chronique,
favoriser le développement de nombreuses maladies.
Quelle est son rôle dans les troubles observés chez les personnes
vivant avec le VIH ? Lors du dernier congrès scientifique améri-
cain, la CROI, tenue à Atlanta en mars 2013, la chercheuse
australienne Sharon Lewin a fait, sur le sujet, une excellente revue
scientifique. Il en ressort que l’inflammation pourrait expliquer une
bonne part des troubles qui apparaissent chez les personnes
séropositives.
Quels marqueurs ?
Une des difficultés pour les chercheurs, c’est que l’inflammation
s’exprime par la production de nombreux composés différents.
Parmi les plus connus, il y a l’IL-6 (une cytokine, molécule qui favo-
rise l’inflammation), les CD14 solubles (des marqueurs de
l’activation immunitaire), les LPS (des fragments de membranes
bactériens circulant dans le sang, alors qu’ils ne le devraient pas),
ou encore les D-dimères (des marqueurs de coagulation du sang).
Certes, dans les grandes études (cohortes) qui suivent des per-
sonnes vivant avec le VIH pendant plusieurs années, ces
composés sont retrouvés comme étant très souvent associés aux
maladies les plus fréquemment rencontrées. Mais tous ne tradui-
sent pas les mêmes mécanismes et, même si de nombreuses
équipes de recherche y travaillent, on ne sait pas encore lesquels
suivre en pratique clinique pour avoir la meilleure prédiction de
tel ou tel risque de complications futures.
Les différentes causes de l’inflammation
Si l’inflammation persiste chez les personnes séropositives trai-
tées efficacement, c’est pour différentes raisons :
- d’abord, la réplication résiduelle du virus (même en dessous de
20 ou 50 copies, seuils courants d’indétectabilité) qui semble
capable en elle-même de provoquer des cascades pro-inflam-
matoires ;
- ensuite, la porosité de la muqueuse intestinale (détériorée par
le VIH dès la primo-infection) qui autorise le passage de bacté-
ries intestinales dans la circulation sanguine (augmentation des
LPS) ;
- les co-infections par d’autres virus comme le CMV (cytoméga-
lovirus) ou le VHC (hépatite C).
- sans oublier les facteurs comme l’âge, le mode de vie dont le
tabac (une bonne part des personnes vivant avec le VIH fume),
voire des caractéristiques génétiques individuelles.
Cercle vicieux
Ces différents effets se conjuguent et au total "les marqueurs
d’inflammation sont beaucoup plus élevés chez les personnes
vivant avec le VIH", souligne Jacqueline Capeau (CHU Saint-
Antoine, Paris), une des spécialistes françaises de la question.
Hyper sollicité en permanence pendant des années, le système
immunitaire finit par s’épuiser. "La suractivation immunitaire liée
au VIH entraîne la mort des CD4 : pendant une phase, il y a un
équilibre entre destruction et production, mais au bout de
quelques années, l’organisme ne peut plus fournir de nouvelles
cellules", souligne-t-elle.
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Baisse massive des CD4
Réponse immunitaire
anti-VIH (CD8, Ac)
Translocation bactérienne :
passage de fragments
bactériens dans le sang
Réactivation virale
(CMV, herpès virus simple)
Production de protéines du VIH
(g 120, nef, par exemple)
Persistance du processus
Dégradation du système immunitaire /sida
Activation immunitaire généralisée
Infection par le VIH et réplication
Cible principale : les CD4
Suicide cellulaire
(apoptose) des CD4
Mécanisme de régulation
de renouvellement des cellules
Activation de certains types de globules
blancs (monocytes et neutrophiles)
Sécrétion de molécules déclenchant
l’inflammation
Problèmes de santé liés à l’inflammation
= vieillissement lié à l’inflammation
Epuisement des ressources
immunitaires : immuno-sénescence
Atteintes
des tissus lymphoïdes
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Ils forment ainsi un cercle vicieux qui, une fois enclenché, s’en-
tretient et s’amplifie. Pire, "on suspecte qu’au bout d’un certain
temps, il puisse s’autonomiser : les signaux d’inflammation, la
translocation microbienne et les co-infections virales réactivées
suffisent à entretenir la suractivation chronique, même en l’ab-
sence de quantités importantes de virus", souligne le docteur
Jean-Daniel Lelièvre (CHU Henri-Mondor, Créteil). Ceci pourrait
expliquer d’une part le maintien d’une activation chronique
résiduelle sous médicaments anti-VIH et d’autre part la remon-
tée insuffisante et lente des CD4, et cela d’autant plus que l’on
part d’un taux de CD4 bas. Au total, environ 40 % des per-
sonnes, malgré la prise d’un traitement antitroviral efficace
et une charge virale indétectable, ont des CD4 qui ne remon-
tent pas au dessus de 500, considéré comme le seuil bas
d’immunité normale.
Commencer le traitement plus tôt ?
Aussi, afin de lutter contre le cercle vicieux, le plus efficace serait
de commencer le traitement plus tôt pour empêcher le VIH de
faire trop de dégâts, en contrôlant, très vite, sa réplication. Plus
tôt, voire dès la primo-infection, ces premières semaines suivant
la contamination pendant laquelle la réplication du virus est très
forte (charge virale de centaines voire millions de copies). Les per-
sonnes traitées dès cette période semblent être moins sujettes
aux phénomènes inflammatoires.
Mais pour les autres ?
Pour les autres, ceux qui n’ont pas commencé très tôt, les inter-
ventions peuvent en torie cibler trois étapes, avec à chaque fois
plusieurs pistes à l’étude :
- réduire les déclencheurs de l’inflammation : par exemple, tenter
d’intensifier le traitement (mais sans surdoser) pour faire bais-
ser encore la réplication résiduelle, ou tenter de restaurer la flore
intestinale avec des probiotiques ;
- bloquer ses chaînes d’amplification : évaluer l’intérêt dans le VIH
de médicaments déjà connus pour avoir certaines propriétés
anti-inflammatoires, comme l’aspirine à petites doses, les sta-
tines, ou encore développer et tester de nouvelles molécules
anti-cytokines.
- essayer de compenser ses conséquences : par exemple, trou-
ver des molécules capables de faire monter le nombre de CD4
(sans pour autant les épuiser) ou utiliser des anticoagulants
(contre le risque cardio-vasculaire).
Intensifier : effets mos
Côté intensification, les effets sont pour l’heure modérés. Ajouter
des molécules anti-VIH à une trithérapie déjà efficace, en espé-
rant réduire la réplication résiduelle, n’a pas montré de bénéfice
clair ; parfois, avec le cumul de toxicités et d’effets indésirables,
c’était même moins bien. Dans certaines études, avec l’utilisation
du raltégravir (Isentress), il a été observé une baisse du marqueur
D Dimère, mais il est bien trop tôt pour en tirer d’éventuelles
conséquences. L’ajout de l’anti-CCR5 maraviroc (Celsentri) a, lui
aussi, échoué à diminuer l’inflammation et à faire remonter signi-
ficativement les CD4 de personnes chez lesquelles ils ne
remontaient pas. Des espoirs sont placés dans un nouvel anti-
CCR5 expérimental, le cénicriviroc, qui a également un effet
contre les récepteurs CCR2, ce qui pourrait lui conférer un effet
anti-inflammtoire en bloquant certaines cascades de réactions.
Un effet théorique qui n’est pas encore démontré, loin de là.
Chloroquine : échec
Selon des résultats présentés lors de la CROI 2011, six mois
d’ajout d’hydroxychloroquine aux traitements antirétroviraux
semblaient capables d’augmenter (un peu, et de façon transitoire
seulement) les CD4 lorsqu’ils ne remontaient pas malgré une
charge virale indétectable. Il y avait aussi une diminution de cer-
tains marqueurs d’inflammation et de translocation bactérienne.
Cette ane, une autre équipe a testé la chloroquine, dont les pro-
priétés anti-inflammatoires sont connues, et qui est indiquée dans
des maladies auto-immunes (emballement du système immuni-
taire, qui se retourne contre nos propres cellules) comme le lupus
et la polyarthrite rhumatoïde. Echec : après 6 semaines d’ajout
aux antirétroviraux, ni gain de CD4, ni diminution de la sur-activa-
tion immunitaire.
Statines : elles ne semblent pas diminuer la sur-
activation immunitaire
L’essai Saturn-HIV s’est penché sur les statines, médicaments lar-
gement utilisés dans la réduction du taux de cholestérol, et dont
on suppose un effet anti-inflammatoire. Il escomptait une réduc-
tion de l’inflammation généralisée et de la sur-activation immune
chez des personnes vivant avec le VIH sous antirétroviraux avec
une charge virale de moins de 1 000 copies/ml. Cela n’a pas fonc-
tionné. En France, un essai pilote, CESAR, vise à évaluer la
capacité de la rosuvastatine à réduire l’activation des lympho-
cytes T chez les personnes vivant avec le VIH. Il ne faut pas oublier
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que les statines ont aussi leurs effets indésira-
bles : douleurs aux jambes, parfois au dos…
Probiotiques : y’a plus qu’à tester !
Cela fait environ cinq ans qu’on parle de la trans-
location microbienne et de tentatives pour
restaurer la barrière immunitaire de l’intestin, avec
des probiotiques ou des prébiotiques. Selon les défi-
nitions officielles, les probiotiques sont des
"microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont admi-
nistrés dans des quantités adéquates, confèrent un
bénéfice pour la santé", tandis que les prébiotiques sont des
éléments (des fibres d’origine végétale, par exemple) censés sti-
muler la croissance de microorganismes bénéfiques. On les
trouve dans les aliments, comme les yaourts, ou dans des com-
pléments alimentaires. Ils ne restent dans le tube digestif que le
temps du transit intestinal.
En 2011, ont été présentés des résultats de l’étude BITE qui étu-
diait l’impact du complément NR100157, une "formulation
nutritionnelle" développée par lindustriel Danone. Celle-ci
contenait des probiotiques, du colostrum bovin et de la N-acé-
tylcystéine (un fluidifiant des bronches antioxydant). La flore
digestive s’en trouvait modifiée pendant l’étude, et surtout, il y
avait une baisse de la suractivation des CD4 et de leur destruc-
tion. Depuis, pas de nouvelle, et plus globalement, rien de
nouveau chez l’être humain. En 2013, seule une nouvelle étude
a été psentée : elle portait sur difrents lactobacilles, mais
évalués chez le macaque. Si les résultats ne sont pas inintéres-
sants, ils sont encore très préliminaires.
C’est que jusqu’à présent, l’usage des probiotiques et pbiotiques
s’est fait à tâtons. Or, ces dernières années, les scientifiques ont
entrepris un grand séquençage du génome de notre flore intes-
tinale (appelé "microbiome") dans l’espoir de trouver des
moyens d’agir de façon précise pour obtenir certains effets sur
la santé. Cela permettrait alors de choisir tel ou tel prébiotique
ou probiotique pour les effets qu’on en attend, de la même
façon que le médecin ne prescrit pas un médicament au
hasard. Restera ensuite à évaluer chaque souche ou chaque
composé dans des conditions correspondant à son utilisation
afin de vérifier et définir le bénéfice pour la santé. Et il faudra
que tout cela soit également évalué chez les personnes vivant
avec le VIH. Toutes les capsules de probiotiques ou prébiotiques
ne se valent pas.
Manger du yaourt en
attendant mieux ?
En attendant, faut-il se mettre aux yaourts,
kéfir et autres produits laitiers fermentés
riches en probiotiques ? On ne le sait pas.
Actuellement, la seule allégation santé offi-
cielle reconnue par l’Autorité européenne
de sécurité alimentaire est celle du yaourt
standard contre l’intolérance au lactose.
Aucune ne l’est pour les yaourts contenant des
souches bactériennes particulières vendus à grand
renfort de publicités. Si on veut limiter les risques, on peut tou-
jours se décider à essayer différents types de yaourts et tenter
d’évaluer un mieux être éventuel.Attention, en revanche, à ne pas
se lancer dans la prise de médicaments anti-inflammatoires, dont
le rapport bénéfices/risques n’est pas encore évalué sur ces
questions, et qui ne sont forcément pas sans risque pour la santé
surtout si on les prend à long terme. Quant aux antioxydants, ils
souffrent eux aussi d’un manque chronique d’évaluation. Atten-
tion aussi à l’utilisation des ultra levures chez les personnes dont
le système est très immunodéprimé car une dissémination des
levures dans le sang est possible avec de graves problèmes de
santé à la clef.
Quoi qu’il en soit, l’inflammation chronique qui persiste même
sous traitement antirétroviral efficace, peut favoriser des troubles
et il convient d’agir sur des facteurs de risques traditionnels pour
les réduire. On peut ainsi améliorer son alimentation, arrêter le
tabac, avoir une activité sportive, lorsque c’est possible, etc.
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