Des « réformes Hartz » à la loi

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UNIVERSITE DE LYON
UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LYON
Des « réformes Hartz » à la loi
sur l’introduction d’un salaire
minimum national: adaptation ou
évaporation du « modèle
allemand » des relations sociales
face aux défis du XXIème siècle ?
MARIE-LEA ROUSSEAU
Mémoire de recherche 2013-2014
« La construction européenne à la croisée des chemins : évaporation,
dislocation, approfondissement, fédéralisme »
Sous la direction de M. Laurent GUIHERY
Jury:
M. Laurent Guihery
M. Bernd Finger
Soutenu le : 2 septembre 2014
Rousseau Marie-Léa
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Rousseau Marie-Léa
Sommaire
PARTIE I.
: LES « LOIS HARTZ » : DES REFORMES DU MARCHE DU TRAVAIL AU CŒUR D’UNE
REFONDATION DE LA CONCEPTION DES RELATIONS SOCIALES DANS LE « MODELE ALLEMAND » ...............9
LE« MODELE ALLEMAND » FACE AUX DEFIS DE L’ENTREE DANS LE XXIEME SIECLE : VERS LA REMISE EN CAUSE
DU SYSTEME SOCIO-ECONOMIQUE ALLEMAND DE L’APRES-GUERRE ? ........................................................................10
A.
Le modèle capitaliste rhénan : un modèle socio-économique traditionnellement fondé sur un
dialogue social « stakeholder » ...........................................................................................................10
B.
L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe » au début des années 2000 : le « modèle allemand »
en perdition ? ......................................................................................................................................26
CHAPITRE.II.
LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE COMPETITIVITE-SALAIRE PAR UNE REFORME DU MARCHE DU
TRAVAIL DANS LES ANNEES 2000 : VERS UNE HYBRIDATION DU « MODELE ALLEMAND ..................................................36
A.
L’évolution des relations sociales par une réforme du marché du travail allemand : les lois Hartz
37
B.
Des conséquences sur les relations professionnelles de plus en plus controversées ....................53
CHAPITRE.I.
PARTIE II.
: L’INTRODUCTION D’UN SALAIRE MINIMUM NATIONAL: SIMPLE CORRECTION DES EFFETS
NEGATIFS DES « REFORMES HARTZ » OU EXPRESSION D’UN NOUVEAU CHANGEMENT DE CAP? ..............65
CHAPITRE.I. LA MISE EN PLACE DU SALAIRE MINIMUM : L’EXPRESSION D’UN CHANGEMENT DE CAP ...........................66
A.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : une solution qui a progressivement fait
consensus ...........................................................................................................................................66
B.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : la volonté de renforcer le système de la
Tarifautonomie ...................................................................................................................................83
CHAPITRE.II.
LE SALAIRE MINIMUM: RENFORCEMENT OU AFFAIBLISSEMENT DU « MODELE ALLEMAND »? ............104
A.
Le salaire minimum: une réponse efficace aux faiblesses du modèle allemand ? ......................104
B.
Après l’introduction d’un salaire minimum national: quelle avenir pour le « modèle allemand » ?
124
ANNEXES: ..................................................................................................................................................135
ANNEXE I : LE MANIFESTE BLAIR-SCHRÖDER .....................................................................................................135
ANNEXE II : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DES « LOIS HARTZ » ...........................................................................143
ANNEXE III : ENCADRE DU RAPPORT DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL 2012 .................................................144
ANNEXE IV : LA LOI SUR LE SALAIRE MINIMUM (MILOG) EN SCHEMAS ................................................................... 145
ANNEXE V: LES ETUDES SUR LE SALAIRE MINIMUM .............................................................................................148
TABLE DES MATIERES ................................................................................................................................152
BIBLIOGRAPHIE .........................................................................................................................................155
OUVRAGES/ REVUES ..............................................................................................................................155
SITOGRAPHIE ........................................................................................................................................157
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Rousseau Marie-Léa
Des « réformes Hartz » à la loi
sur l’introduction d’un salaire
minimum national: adaptation ou
évaporation du « modèle
allemand » des relations sociales
ème
face aux défis du XXI siècle ?
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Rousseau Marie-Léa
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont en premier lieu à mon directeur de mémoire, M. Laurent Guihery,
pour sa disponibilité, son enthousiasme et ses précieux conseils. Je tiens également à
remercier mes proches pour leur soutien, leur patience et leurs relectures durant cette
longue période de rédaction.
5
Rousseau Marie-Léa
Introduction
Depuis l’éclatement de la crise financière mondiale (2008) puis de la crise de l’euro
(2010), l’existence d’un « modèle allemand » suscitant à la fois admiration et rejet semble
une évidence au vu de l’abondante littérature qui lui est consacré. Depuis la réunification
du 3 octobre 1990 entre la République Fédérale d’Allemagne (Bundesrepublik
Deutschland) et la République Démocratique Allemande (Deutsche Demokratische
Republik), l’Allemagne ne cesse d’intriguer les observateurs qui l´érigent tour à tour
comme un modèle à suivre ou à ne surtout pas suivre. Cependant, que faut-il comprendre
par un tel concept? Dans le sens commun, un modèle renvoie à un exemple à reproduire, à
une référence vers laquelle tendre. Qualifier telle chose de « modèle » (ou de son
antonyme) revient à émettre un jugement sur la valeur sur celle-ci, impliquant
nécessairement un point de vue subjectif. Par ailleurs, lorsqu’il est question d’un modèle
national (français, suédois, etc…) cela renvoie également à un ensemble de caractéristiques
propres à un pays dont les autres chercheraient éventuellement à s’inspirer. Ce double
visage (modèle/contre-modèle) trouve son ancrage dans les années 90 lorsque
l’essoufflement inéluctable du modèle socio-économique allemand qui avait prévalu
depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale était prédit. L’inquiétude autour de la santé
économique de l’Allemagne, que la réunification devait consacrer « locomotive
européenne »1 de la croissance, a crû au cours des années 90 au point que le quotidien
britannique The Economist en vienne à qualifier ce pays d’« homme malade de l’Europe»2.
Quelles sont les caractéristiques spécifiques de ce supposé « modèle allemand » générant
tant de littérature à son propos? Dans le contexte de la réunification allemande,
l’économiste français Michel Albert a publié l’ouvrage Capitalisme contre capitalisme3
dans lequel il identifie deux modèles capitalistes qui s’affronteront dans le nouvel ordre
mondial succédant à la Guerre Froide. Pour Michel Albert, le système capitaliste défendu
par les Etats-Unis est indéniablement sorti vainqueur de son combat de quarante ans contre
1
HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu
?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217, p.
195
2
« The sick man of the euro » [En ligne] The Economist, Germany stalls, the euro falls, mis en ligne le 3
juin 1999, consulté le 25 mai 2014. URL : http://www.economist.com/node/209559
3
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p.
6
Rousseau Marie-Léa
le système communiste prôné par l’URSS. L’idéologie communiste ne représentant plus un
adversaire de poids, l’affrontement devrait avoir lieu entre deux modèles capitalistes ayant
leurs caractéristiques propres : le capitalisme rhénan contre le capitalisme anglo-saxon. La
thèse centrale du livre de Michel Albert est que le capitalisme rhénan représente certes le
modèle le plus vertueux des deux mais que dans le nouvel ordre mondial émergeant il
s’effacera progressivement face au capitalisme anglo-saxon en raison de ses rigidités
inhérentes. Michel Albert se montre particulièrement élogieux envers le capitalisme
rhénan, auquel il associe le système socio-économique allemand de l’après-guerre, en
raison du fonctionnement particulier des relations entre les acteurs. Ce mode
d’organisation, dont nous aurons l’occasion de décrire les mécanismes, repose sur la
stabilité des relations entre les parties prenantes. L’analyse montrera en quoi les bases du
« modèle allemand » ont été mises à mal par les difficultés persistantes du pays, et
pourquoi les réformes structurelles des années 2000 censées redresser le pays ont suscité
des débats houleux. Parmi les réformes menées, nous nous intéresserons particulièrement
aux lois de modernisation des prestations de services sur le marché du travail (Gesetze für
moderne Dienstleistungen am Arbeitsmarkt), plus connues sous le nom de « lois Hartz »
(Hartz-Gesetze). Nous analyserons les conséquences de ces réformes de flexibilisation du
marché du travail allemand sur l’évolution du rapport salarial, et par conséquent sur leur
rôle dans la pérennité ou le démantèlement des fondements « modèle allemand » des
relations sociales de l’après-guerre. Ces réformes ont-t-elles menées à un renouvèlement
ou à un affaiblissement du capitalisme rhénan en Allemagne comme le prédisait Michel
Albert ? Par ailleurs, les « lois Hartz » ont suscité de vives controverses, que leur impact
ait été considéré comme positif ou négatif. Elles auraient notamment encouragé
l’expansion des secteurs à bas salaires sur le marché du travail grâce à l’inexistence d’un
salaire minimum généralisé, amenant certaines instances à accuser l’Allemagne de faire du
dumping social par rapport à ses voisins européens. Ces critiques récentes de plus en plus
vives ont déplacées le débat sur les « lois Hartz » vers une autre mesure phare pour
l’évolution future du « modèle allemand » : l’introduction d’un salaire minimum généralisé
(der flächendecke Mindestlohn). L’arrivée au pouvoir en décembre 2003 de la seconde
Grande Coalition réunissant le parti démocrate-chrétien (CDU) et le parti social-démocrate
(SPD) dans le gouvernement Merkel III a précipité l’émergence d’une telle mesure.
Respectivement adopté le 3 et le 11 juillet 2014 par le Bundestag et le Bundesrat, le projet
de loi sur le salaire minimum (das Mindestlohngesetz, MiLOG) entrera en vigueur à partir
du 1er janvier 2015. Cette réforme représente un autre tournant pour le système socio7
Rousseau Marie-Léa
économique allemand qui n’a jamais connu de salaire minimum. Comment faut-il
comprendre la mise en place d’une telle mesure dix ans après celle des « lois Hartz »? La
question est de savoir quelle place occupe cette réforme phare dix ans après l’adoption des
lois de flexibilisation du marché du travail, c’est-à-dire si elle remet en cause ou complète
ces dernières. Par ailleurs, il faut également nous interroger sur l’impact futur de cette
réforme sur l’évolution du « modèle allemand » des relations sociales, c’est-à-dire si cette
loi sur le salaire renforcera ou affaiblira d’autant plus les bases fondamentales du système
socio-économique de l’après-guerre. Ces interrogations multiples nous amène au
questionnement central suivant : Les « réformes Hartz » du début des années 2000 ontelles conduit à l’adaptation ou à l’effacement de la conception rhénane des relations
sociales face à l’émergence d’un nouvel ordre mondial dans les années 90, et comment
interpréter l’adoption de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum national dix ans
après leur entrée en vigueur progressive ? Dans un premier temps, nous mettrons en avant,
d’une part, que les « réformes Hartz » sont la conséquence d’une adaptation nécessaire du
modèle capitaliste rhénan à la conjoncture mondiale, qu’il a été possible d’appliquer sans
heurts majeurs grâce à l’ancrage de la culture du consensus dans les entreprises
allemandes.
D’autre part, nous montrerons que les conséquences sociales des « lois
Hartz » ont conduit à davantage qu’une simple adaptation du modèle capitaliste rhénan à la
conjoncture mondiale, c’est-à-dire à une restructuration de ce modèle socio-économique
des relations sociales autour du conflit entre salaires et compétitivité, de sorte la question
de la pérennité de ce modèle se pose à long terme. Dans un second temps, nous nous
intéressons à la portée éventuelle de la récente loi sur l’introduction du salaire minimum
national en analysant d’une part les raisons à la fois nationales et européennes ayant
conduit à l’adoption d’une telle mesure. D’autre part, nous anticiperons les conséquences
d’une telle mesure sur la situation économique de l’Allemagne à partir d’études
comparatives tout en mettant en avant en quoi cette mesure constitue-t-elle un changement
de cap dans l’évolution du « modèle allemand ».
8
Rousseau Marie-Léa
Partie I. : Les « lois Hartz » :
des réformes du marché du
travail
au cœur d’une
refondation de la conception
des relations sociales dans le
« modèle allemand »
Dans un premier temps, l’analyse sera consacrée aux conséquences de l’évolution
du « modèle rhénan » depuis la fin des années 90 sur le fonctionnement des
rapports sociaux dans les entreprises allemandes, posant la question de la pérennité
de ce modèle suite aux transformations opérées en Allemagne au début du XXIème
siècle. Le « modèle rhénan » a en effet été positivement associé à l’Allemagne,
avant de connaitre une crise profonde après la fin de l’ordre bipolaire imposé par la
Guerre Froide. Amenée à s’adapter à une nouvelle conjoncture mondiale et
nationale, l’Allemagne a dû répondre à ses difficultés par des réformes qui
s’avéraient nécessaires, mais qui soulèvent le problème de la conformité des
mesures prises aux caractéristiques traditionnelles du « modèle rhénan ». En
d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur la thèse de Michel Albert, selon laquelle
le capitalisme anglo-saxon devait inéluctablement l’emporter sur le capitalisme
rhénan malgré la supériorité du second sur le premier4.
4
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p.
9
Rousseau Marie-Léa
Chapitre.I. Le« modèle allemand »
face aux défis de l’entrée dans le
XXIème siècle : vers la remise en cause
du
système
socio-économique
allemand de l’après-guerre ?
En premier lieu, il convient d’analyser les caractéristiques traditionnelles du
« modèle allemand » en tant que système socio-économique entrant dans le champ
du capitalisme rhénan défini par Michel Albert. Ce modèle est en effet perçu
comme vertueux en raison d’un mode de fonctionnement des relations
professionnelles intégrant toutes les parties prenantes au processus de décision,
basé sur des mécanismes privilégiant le consensus. Il nous faut démontrer pour
quelles raisons ce « modèle allemand » a été profondément remis en cause à la fin
des années 90, au point que la question de son éventuelle évaporation soit posée.
A.
Le modèle capitaliste rhénan : un modèle
socio-économique traditionnellement fondé
sur un dialogue social « stakeholder »
Premièrement, nous devons procéder à la description des caractéristiques du
« modèle allemand » associé au système socio-économique dit ordolibéral mis en
place durant la période de l’après-guerre. Plus précisément, il s’agit d’expliquer les
bases sur lesquelles repose le « modèle allemand » à l’aune du « capitalisme
rhénan » décrit par Michel Albert.
A.1.
Les fondements du capitalisme rhénan dans
l’Allemagne de l’après-guerre
D’une part, il nous faut définir précisément ce qu’est le « capitalisme rhénan » pour
ensuite expliquer sur quels fondements repose le modèle socio-économique
allemand de l’après-guerre.
10
Rousseau Marie-Léa
A.1.1.
Capitalisme rhénan contre capitalisme anglo-saxon :
conception « stakeholder » contre conception « stockholder »
Tout d’abord, nous allons définir ce à quoi se rapporte le capitalisme rhénan,
notamment dans Capitalisme contre Capitalisme de Michel Albert. Il faut d’emblée
préciser que le « capitalisme rhénan » ne se limite pas au cas de l’Allemagne, bien
que l’analyse se concentre exclusivement sur ce pays. En effet, Michel Albert
l’associe certes à l’Allemagne, mais aussi au Japon, en le qualifiant de modèle
« germano-nippon »
et en renommant par la même occasion les Japonais
« Allemands de l’Asie »5 (Albert, 1991). Par ailleurs, les pays « allant de l’Europe du
Nord à la Suisse » (Albert, 1991)6 y sont également inclus. Par conséquent,
l’Allemagne des années 90 décrite par Michel Albert n’est pas présentée comme un
cas isolé. Cette précision étant faite, nous pouvons procéder à la définition du
« capitalisme rhénan », que Michel Albert identifie d’emblée comme l’opposé du
capitalisme anglo-saxon, tout en reconnaissant cependant que « la terminologie «
modèle anglo-saxon » versus « modèle germano-nippon » n’est utile que si l’on
regarde les choses de loin » (Albert, 1991)7. Pour autant, il les différencie clairement
en qualifiant le premier de « capitalisme stockholder » et le second de « capitalisme
stakeholder », et en illustrant cette opposition par les propos du sociologue JeanGustave Padioleau : « Le spéculateur prend le dessus sur l’entrepreneur industriel ;
les gains faciles à court terme sapent les richesses collectives de l’investissement à
long terme » (Albert, 1991)8. Ainsi, le capitalisme anglo-saxon se caractériserait par
la prédominance de l’actionnaire dont l’objectif est d’accumuler des richesses le plus
rapidement possible, notamment par le biais de la spéculation et de la maximisation
des profits. Cette conception dite stockholder fait de l’entreprise un bien marchand
comme tous les autres, où la formation professionnelle des travailleurs tient une
place infime en raison des coûts immédiats de cet investissement à long terme. Or, le
« capitalisme anglo-saxon » privilégierait plutôt le court terme dans la mesure où son
5
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p., p. 21
6
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p. , p. 118
7
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p. p. 21-22
8
Cité dans : ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris,
immédiate, 1991, 350 p, p. 118
Éditions du Seuil, L'histoire
11
Rousseau Marie-Léa
crédo serait de « maximiser les profits immédiatement » (Albert, 1991)9. De même,
l’emploi est perçu comme un investissement de court terme dont les conditions au
sein de l’entreprise dépendent avant tout de l’impact de la conjoncture sur la santé
économique de cette dernière. Autrement dit, les modifications de salaires sont
tributaires non seulement de la réussite de l’entreprise mais surtout « des conditions
instantanées du marché » (Albert, 1991)10. Le capitalisme rhénan se caractériserait
au contraire par l’étroitesse des liens entre les acteurs du système économique.
L’entreprise correspond en effet autant à une communauté (community) qu’à un bien
marchand (commodity), ce qui souligne également l’étroitesse des liens entre les
acteurs qui s’y côtoient11. Par conséquent, cette conception stakeholder implique que
les relations entre les acteurs se construisent plutôt sur le long terme, notamment par
le biais d’emplois stables. Quant aux salaires, ils sont « largement fixés […] en
dehors de la productivité du salaire » (Albert, 1991)12, c’est-à-dire indépendamment
de la situation conjoncturelle de l’entreprise. Cependant, les deux capitalismes sont
bien de même nature de par leur appartenance au libéralisme économique en dépit
des différences décrites précédemment, ce qui amène à s’interroger sur celle du
système socio-économique de l’Allemagne de l’après-guerre.
A.1.2.
L’ordolibéralisme, base fondamentale du système socioéconomique de l’après-guerre le « modèle allemand » dans le
giron du « capitalisme rhénan »
Ensuite, nous devons expliquer les fondements sur lesquels repose le « modèle
allemand » décrit par Michel Albert au début des années 90, en insistant notamment
sur le fait que ses bases libérales en font bien un système socio-économique
capitaliste. Michel Albert s’étonne précisément de la difficulté de l’Allemagne à
faire reconnaitre son système socio-économique comme « authentiquement
9
ALBERT Michel Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p. p. 21
10
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350p. , p. 122
11
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p., p. 122
12
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350p, p. 122
12
Rousseau Marie-Léa
libéral »13, ce qui implique d’expliquer la nature des bases économiques à l’origine
du « modèle allemand». Cette confusion vient en premier lieu du rôle de
l’Allemagne bismarckienne de la fin du XIXème dans la construction d’un Etat
dépassant ses fonctions régaliennes pour permettre la mise en place du premier
système de protection sociale. En second lieu, la République de Weimar (19201933) est le premier régime politique en Europe à étendre réellement les fonctions
de l’Etat à un rôle social, et a esquissé les premières bases d’un Etat-Providence.
L’Allemagne a donc joué un rôle précurseur dans l’émergence des droits
économiques et sociaux, consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme (DUDH) de 1948 en tant que seconde génération des droits de l’Homme
En dépit de sa dimension sociale avant-gardiste, l’Etat allemand a pour autant
construit sa politique de l’après-guerre autour de fondements économiques
authentiquement libéraux qu’il convient d’analyser. L’économie sociale de marché
(Sozialmarktwirtschaft), dont le père fondateur est le démocrate-chrétien Ludwig
Erhard devenu ministre de l’économie en 1949, constitue l’adaptation majeure du
système socioéconomique traditionnel
durant la période de l’après-guerre
14
(Harding, 1999) . S’imposant comme pilier du « modèle allemand » dans les
années 50, elle aurait pour fondement théorique l’ordolibéralisme, défini comme
« le programme de recherche fribourgeois des règles constitutionnelles de
l’économie de marché » (Simonin, 2003)15. Ce système de pensée née à la fin des
années 30 a pour créateurs les économistes de l’Ecole de Fribourg, parmi lesquels
Walther Eucken et Franz Böhm. D’après eux, l’ordolibéralisme a pour fondement
l’Ordnungsthéorie qui en tant que « théorie constitutionnelle [analysant] les lois et
institutions de l’ordre économique » doit mener à une Ordnungspolitik, à savoir
« un
cadre
légal
et
institutionnel »
(Simonin,
2003)16.
Autrement
dit,
13
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350p, p. 138
14
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 72
15
SIMONIN Laurence, « Le choix des règles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et
théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux
sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p.6776, p.67
16
SIMONIN Laurence, « Le choix des régles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et
théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux
sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p.6776, p.72
13
Rousseau Marie-Léa
l’Ordnungstheorie consiste à prôner un rôle actif de l’Etat dans le processus
économique par la création d’un ordre économique (Wirtschaftsordnung)
empêchant la formation de monopoles dans le but d’assurer les conditions de libreéchange sur le marché. Pour Eucken, la Wirtschaftsordnung renvoit à « un système
cohérent et ordonné qui intègre facteurs et fonctions économiques, selon des
normes et principes donnant un sens à la vie économique d'une communauté »
(Constantinesco, 1960)17. Paradoxalement, l’Etat se fait ainsi le garant du respect de
la concurrence sur le marché face à l’intervention de tout acteur qui chercherait à
limiter celle-ci. Une telle conception peut effectivement paraitre singulière dans la
mesure où l’Etat intervient dans ce processus économique pour inhiber toute
« tendance planificatrice des pouvoirs économiques publics » (Simonin, 2003)18,
c’est-à-dire émanant éventuellement de lui-même. L’Etat se voit uniquement
reconnaitre un rôle de guide du processus économique dépassant certes ses
fonctions régalienne mais ne le prédisposant pas non plus à inhiber la concurrence
pure et parfaite sur le marché pour des raisons sociales. Dans cette conception, le
risque le plus redouté est donc l’interventionnisme excessif de l’Etat, ce qui fait
bien de l’ordolibéralisme une théorie authentiquement libérale. Par ailleurs, la
constitution d’un cadre légal assurant les conditions de la concurrence exige la mise
en place d’une Ordnungspolitik reposant sur des règles constitutionnelles, c’est-àdire sur un contrat entre l’Etat et les citoyens : la constitution économique (die
Wirtschaftverfassung). Dans les faits, aucune constitution économique n’est
intégrée dans la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) qui organise le système
politique de République Fédérale d’Allemagne depuis 1949. Cette expression fait
référence à l’idée de « structure économique de l’Etat » (Constantineo, 1960)19 et
ne doit en conséquence pas être confondu avec la constitution au sens juridique du
terme. Cependant, si la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) ne consacre pas
formellement un ordre économique ordolibéral, elle ne le reconnait pas moins
17
Cité dans: CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande »
[En ligne] Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.268
18
SIMONIN Laurence, « Le choix des régles constitutionnelles de la concurrence : ordolibéralisme et
théorie contractualiste de l’Etat ». Dans : COMMUN Patricia et al., L’ordolibéralisme allemand. Aux
sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, Travaux et documents du CIRAC, 2003, p.,
p.72
19
CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande » [En ligne]
Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.267
14
Rousseau Marie-Léa
implicitement (Constantinesco, 1960)20, de par le compromis entre une composante
libérale incarnée par les droits fondamentaux d’une part et une composante sociale
incarnée par l’Etat social d’autre part. En effet, si l’Etat doit avant tout créer un
ordre économique capable d’assurer le libre-échange face aux planifications, il n’en
possède pas moins une dimension sociale que l’économie sociale de marché tente
précisément de concilier avec la dimension économique. Dans cet ordre
économique, l’individu ne devrait disposer de ses droits qu’à la condition d’avoir
rempli ses devoirs, d’où l’idée que la liberté devrait être contrebalancée par la
responsabilité. L’Etat coordonne donc les règles qui assurent et limitent à la fois la
liberté des individus dans cet ordre économique nécessitant l’entente entre toutes
les parties prenantes. C’est pourquoi, le système socio-économique allemand de
l’après-guerre correspond-il bien au capitalisme stakeholder, qui privilégie plutôt
les relations entre les parties prenantes, plutôt qu’au capitalisme stockholder, qui
privilégie davantage l’appât du gain. L’analyse des fondements théoriques du
système socio-économique amène clairement à qualifier celui-ci de libéral ainsi
qu’à l’associer au capitalisme rhénan.
A.1.3.
Le fonctionnement du système socio-économique allemand:
un réseau limité d’acteurs partageant des liens étroits
Enfin, les relations traditionnelles entre les acteurs économiques allemands se
traduisent de fait par l’étroitesse des liens entre ces derniers, en premier lieu entre
les banques et les entreprises qui forment non seulement une « communauté
industrialo-bancaire » (Albert, 1991)21, et même une « communauté de travail »
(Albert, 1991)22. Cette relation de proximité s’explique par le caractère universel
des banques allemandes qui ne se contentent pas de faire des prêts mais participent
à la stratégie des entreprises sur le long terme. Cela les incite à inscrire leur
partenariat avec les entreprises dans la durée, et par conséquent à agir de sorte à
assurer les intérêts de ces dernières sur le long terme. La banque est donc un
interlocuteur privilégiée de l’entreprise allemande dans la mesure où son influence
20
CONSTANTINEO L.-J. « La constitution économique de la République fédérale allemande » [En ligne]
Revue économique, Volume11 n°2, 1960, p. 266-290, consulté le 15 mai 2014. URL :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1960_num_11_2_407406, p.279
21
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,
350p, p.132
22
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,
350p, p. 127
15
Rousseau Marie-Léa
dépasse la seule sphère financière. Par ailleurs, cette relation stable d’actionnariat
des banques tranche avec la relation instable d’actionnariat des spéculateurs qui
inscrivent leur partenariat avec l’entreprise en fonction de la rapidité des résultats.
En second lieu, ce système correspond à un « capitalisme négocié » (Utterwedde,
2003) 23 qui n’établit pas seulement des relations privilégiées entre les entreprises et
les banques mais qui favoriserait de fait le consensus entre tous les acteurs. Cette
importance du consensus dans le système socio-économique allemand a également
été mise en avant par Rebecca Harding qui soulignait le fait que « toute discussion
entre l’entreprise et les salariés d’une part, et l’entreprise et les actionnaires
d’autre part, dans les entreprises allemandes, doit tenir compte de l’intérêt des
autres parties » [Notre traduction] (Harding, 1999)24. Elle expliquait par la même
occasion que cette culture du consensus émane de la très forte interdépendance
entre tous les acteurs du système. Michel Albert évoque pour sa part l’existence
d’un « réseau d’intérêts croisés » réunissant un groupe d’individus qui finissent par
nouer des relations étroites en raison de leur nombre restreint (Albert, 1991)25. La
particularité du système économique allemand réside dans l’importance de son tissu
de Petites et Moyennes Entreprises (Mittelstand), dont la définition d’une part et le
poids d’autre part sont résumés par les Figure I et Figure II présentées ci-dessous26.
23
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003, p. 38
24
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 72: “Any discussion of either the relationship
between management and employees or the relationship between management and capital within
German companies has to take into account the interests of other parties”
25
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p, p.131
26
Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen Wirtschaft Köln (IW) [page
consultée le 3 juin 2014]. URL: http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstreckemittelstand-im-firmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687
16
Rousseau Marie-Léa
Figure I : Classification des entreprises selon leur taille en
fonction des définitions par l’Allemagne et l’Union Européenne
Source: Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen
Wirtschaft
Köln
(IW)
[page
consultée
le
3
juin
2014].
URL:
http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstrecke-mittelstand-imfirmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687
Figure II: Poids du Mittelstand en Allemagne (en %)
Source: Im Firmen-Puzzle dominiert der Mittelstand [En ligne] Institut der deutschen
Wirtschaft
Köln
(IW)
[page
consultée
le
3
juin
2014].
URL:
http://www.iwkoeln.de/de/infodienste/iwd/archiv/beitrag/grafikstrecke-mittelstand-imfirmen-puzzle-dominiert-der-mittelstand-117687
D’après la Figure I, le Mittelstand correspond selon la définition allemande aux
entreprises de moins de 500 salariés et au chiffre d’affaires inférieur à 50 millions
d’euros par an. Selon la définition de l’Union Européenne, il
engloberait les
entreprises de moins de 250 salariés, au chiffre d’affaires inférieur à 50 millions
17
Rousseau Marie-Léa
d’euros et au bilan inférieur à 43 millions d’euros par an. D’après la Figure II, le
poids des petites et moyennes entreprises (PME) est particulièrement important dans
l’économie allemande. En 2010, le Mittelstand regroupait presque la totalité des
entreprises (99,6%), plus de trois-quarts des stagiaires (83,2%), deux-tiers des actifs
(60%) et un-tiers du chiffre d’affaires (36,9%). Or, la présence d’une part aussi
importante de PME réparties sur l’ensemble du territoire allemand implique une
double conséquence. D’une part, l’étalement
de ce tissu sur tout le territoire
allemand permet d’éviter la concentration du pouvoir économique dans un pôle
unique, ce constat renvoyant à l’organisation du pouvoir politique qui n’est lui-même
pas centralisé. Cette répartition des centres de décisions a notamment conduit à
l’émergence de « capitales secrètes » telles Munich, Hambourg, Stuttgart,
Düsseldorf ou Francfort (Barmeyer & Davoine, 2008)27. D’autre part, le poids du
Mittelstand dans l’économie allemande permet d’envisager une conception des
relations sociales horizontale en comparaison à d’autres pays où la proportion de
PME est moins élevée. Ainsi, cette description des fondements théoriques et du
fonctionnement global du système socio-économique allemand de l’après-guerre à
l’aune des caractéristiques du capitalisme rhénan amène à analyser plus précisément
l’organisation traditionnelle des rapports sociaux au sein des entreprises allemandes.
A.2.
L’entreprise dans le « modèle allemand »: une
conception « stakeholder » des rapports sociaux
entre les partis prenantes
D’autre part, il nous faut analyser le mode de fonctionnement des relations
professionnelles dans les entreprises allemandes, en particulier leur impact sur le
parcours des individus. Cette culture du consensus associée au capitalisme rhénan en
Allemagne s’explique par la structure du système économique qui présente plusieurs
caractéristiques favorables à cela.
27
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1
18
Rousseau Marie-Léa
A.2.1.
Les particularités du « Tarifautonomie »: la constitution
d’un « esprit de branche »
Tout d’abord, la première particularité tient à la catégorisation des entreprises par
branche d’activités autonomes, au niveau desquelles des décisions spécifiques à
chacune d’entre elles sont prises. Les règles encadrant le fonctionnement des
entreprises sont négociées selon le principe constitutionnel du Tarifautonomie,
garanti par l’article 9.3 de la Loi Fondamentale (das Grundgesetz) selon lequel « le
droit de fonder des associations pour la sauvegarde et l'amélioration des conditions
de travail et des conditions économiques est garanti à tous et dans toutes les
professions »[Notre traduction]28. Ce principe implique donc le droit de réguler les
conditions de travail par des contrats de branche (Tarifverträge) à l’issue de
négociations entre les représentants de toutes les parties prenantes (entreprises,
salariés, syndicats, etc…). Dans ce mode de fonctionnement, l’Etat ne s’interpose pas
dans les négociations par branche, se contentant de jouer son rôle de garant de l’ordre
économique. Cette régulation sans l’Etat se fait à deux niveaux (Barmeyer &
Davoine, 2008)29 , à savoir au niveau des conventions collectives de branche
(Tarifvertragsgesetz)
et
au
niveau
de
l’entreprise
elle-même
(Betriebsverfassungsgesetz). Ainsi, c’est en raison de sa supposée non-conformité au
principe de l’autonomie des branches que l’instauration par d’un salaire minimum
généralisé par l’Etat fédéral suscite des controverses, ce que nous aurons l’occasion
de démontrer plus tard (voir p.65).
Par ailleurs, le système socio-économique
allemand accorde une place prépondérante aux syndicats en tant que représentant des
intérêts des parties prenantes dans la mesure où la plupart des décisions sont le fruit
de négociations branche par branche. La confédération syndicale la plus importante
est la Confédération des syndicats allemands (der Deutscher Gewerkschaftsbund,
DGB) qui regroupe 80% des adhérents et qui a fixé le principe initial: une entreprise,
un syndicat (Dribbusch, 2010)30. Ceci étant dit, les entreprises peuvent se répartir
28
GG-Einzelnorm (art.9) [En ligne] Bundesministerium für Justiz und Verbraucherschutz [page consultée le
18 juin 2014]. URL: http://www.gesetze-im-internet.de/bundesrecht/gg/gesamt.pdf : „Das Recht, zur
Wahrung und Förderung der Arbeits- und Wirtschaftsbedingungen Vereinigungen zu bilden, ist für
jedermann und für alle Berufe gewährleistet“
29
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 5
30
DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.1
19
Rousseau Marie-Léa
selon les huit syndicats interbranches adhérents à la DGB, comme le montre le
Tableau I (Dribbusch, 2010)31.
Tableau I: Syndicats membres de la DGB représentant les
principales branches allemandes
Source : Dribbusch Heiner, « Les syndicats en Allemagne : organisation, contexte,
enjeux », Friedrich-Ebert Stiftung, Janvier 2010, 1-13 p, p.11
En 1990, la DGB représentait huit millions d’adhérents avant de s’élever à presque
douze millions sous l’effet de la réunification entre la République Fédérale
d’Allemagne (die Bundesrepublik Deutschland) et la République Démocratique
Allemande (die Deutsche Demokratische Republik). En dehors du Deutscher
Gewerkschaftbund (DGB), deux autres confédérations syndicales existent : der
Beamtebund (le syndicat de la fonction publique) [Notre traduction], qui regroupait
1,8 millions d’adhérents en 2008 ; der Christlicher Gewerkschaftbund Deutschlands
(l’Union syndicale chrétienne allemande) [Notre traduction], qui regroupait 280 000
adhérents en 2008. Une telle configuration favorise de fait la constitution d’un
« esprit de branche » qui peut cependant laisser craindre des blocages importants lors
des négociations en raison d’intérêts certes croisés mais qui n’en demeurent pas
moins opposés (Albert, 1991) (Utterwedde, 2003)32. C’est pourquoi, une culture du
consensus entre les acteurs apparait essentielle pour éviter les blocages à répétition.
31
DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.11
32
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p.
20
Rousseau Marie-Léa
A.2.2.
Le rôle du système de formation professionnelle : la
« Berufausbildung » au cœur de la socialisation des
employés
Ensuite, cette culture du consensus se retrouve dans le fonctionnement de chaque
entreprise, qui favorise l’intégration de toutes les parties prenantes dans le processus
de décision, en particulier celle des salariés. Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine
ont d’ailleurs consacré un article au
système de management allemand qu’ils
qualifient de « machine bien huilée » pour reprendre l’expression de Geert
Hofstede33 en raison, d’une part, du système de formation professionnelle et, d’autre
part, de la pratique du pouvoir. D’une part, le système éducatif allemand participe de
cette « machine bien huilée » par la valorisation de l’apprentissage professionnel
(Berufsausbildung) autant que la formation universitaire. C’est pourquoi, une part
importante de la population allemande se tourne encore vers ces formations courtes
dites duales où l’apprenti apprend son métier pour une durée de trois ans au sein
d’un centre de formation intégré dans une entreprise. D’après Christoph I. Barmeyer
et Eric Davoine, 55% de la population active détenait un brevet de formation
professionnelle avant la réunification34. Cette tendance est confirmé par les chiffres
de Michel Albert qui affirmait que les formations professionnelles duales
représentaient 53% des actifs allemands contre 25% des actifs français35 Depuis une
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.34
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1
33
Cité dans : BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine
bien huilée ». Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion
en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de
l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p. 1
34
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p.1
35
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p, p.135
21
Rousseau Marie-Léa
vingtaine d’années, cette part est demeurée relativement stable, avec 52% des actifs
impliqués dans la formations duale en 2004 (voir Figure III)36.
Figure III: Structure d'une cohorte d’âge en fonction du
niveau de diplôme
Source : HIPPA-SCHNEIDER Uta, KRAUSE Martina, WOLL Christian, „Berufsbildung
in Deutschland. Kurzbeschreibung“, Cedefop Panorama series 136, Luxemburg: Amt für
amtliche Veröffentlichungen der Europäischen Gemeinschaften, 2007, p. 1-89, p.26
Par ailleurs, la formation professionnelle duale correspond à une « période de
socialisation
professionnelle »
(Barmeyer
&
Davoine,
2008)37
favorisant
l’identification du futur salarié non seulement à l’entreprise qui le forme mais
également à la branche d’activité auquel il appartient. Par ailleurs, Christoph I.
Barmeyer et Eric Davoine constatent que les particularités de la socialisation
professionnelle en Allemagne amènent à des conceptions différentes de l’évolution
des carrières dans l’entreprise entre l’Allemagne et la France. Le salarié allemand
voit sa carrière progresser lentement et acquérir progressivement une autorité
légitime sur les critères de l’ancienneté d’une part et des compétences techniques
36
HIPPA-SCHNEIDER Uta, KRAUSE Martina, WOLL Christian, „Berufsbildung in Deutschland.
Kurzbeschreibung“, Cedefop Panorama series 136, Luxemburg: Amt für amtliche Veröffentlichungen der
Europäischen Gemeinschaften, 2007, p. 1-89, p.26
37
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p.9
22
Rousseau Marie-Léa
d’autre part. Comme le montre la Figure IV
(Barmeyer & Davoine, 2008)38,
l’évolution des carrières dans le modèle allemand n’intervient qu’après une longue
phase d’identification à l’entreprise.
Figure IV: Comparaison des "modèles" latins et
"allemand"d'ascension des salariés dans l'entreprise
Source : Christoph I Barmeyer, Eric Davoine, “Culture et gestion en Allemagne : la
machine bien huilée » dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-Francois Chanlat
(dir.), Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et
plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-universités (UQAM), 2008, p. 11
Le parcours type d’un salarié allemand correspond à celui d’un « alpiniste »
(Barmeyer & Davoine, 2008)39 qui commence en bas de la hiérarchie pour gravir
lentement mais sûrement les échelons au gré de l’acquisition de compétences qui
font de lui un expert reconnu. L’entreprise s’impose donc comme une seconde
famille pour le salarié qui construit son parcours professionnel le plus souvent dans
la même entreprise, voire dans la même fonction (Barmeyer & Davoine, 2008)40
38
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 11
39
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 13
40
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 10
23
Rousseau Marie-Léa
A.2.3.
Le système de cogestion: des relations équilibrées entre le
capital et le salariat
Enfin, la structure du pouvoir dans les entreprises participe de cette « machine bien
huilée » en construisant les relations sociales autour de la
valorisation des
compétences à tous les niveaux hiérarchiques, ce qui implique une pratique du
pouvoir au sein de l’entreprise plutôt horizontale, c’est-à-dire davantage bottom-up
que top-down. La régulation des relations sociales au sein de l’entreprise est assurée
par un système de cogestion, aussi connu sous le nom de codétermination (die
Mitbestimmung), qui consiste « à négocier un équilibre entre les intérêts du capital,
de la gestion et des salariés » (Barmeyer & Davoine, 2008)41. Le pouvoir se répartit
surtout entre deux instances: le conseil d’établissement (der Betriebsrat) d’une part,
et le conseil de surveillance (der Aufsichtsrat) d’autre part. Le premier s’occupe de la
gestion de l’entreprise elle-même et représente les intérêts du patronat tandis que le
second s’occupe de la surveillance de l’entreprise et représente les intérêts des
actionnaires. Comme le fait remarquer Michel Albert, la coopération entre ces deux
instances correspond donc à un « système de check and balances entre actionnaires
et dirigeants » (Albert, 1991)42. Cependant, il permet surtout aux salariés d’avoir leur
place dans la prise de décision. Le système de cogestion remonte pour sa part au
milieu du XIXème siècle lorsque l’Assemblée Constituante du Parlement de Francfort
(die Frankfurter Nationalversammlung) réclama lors du Printemps des Peuples la
création de comité de fabrique pour défendre les intérêts des travailleurs. Plus tard, la
loi du 4 février 1920 imposa la création de conseils d’entreprise pour toutes les
entreprises employant plus de 20 travailleurs. Le système de cogestion n’émergea
réellement qu’avec la loi du 21 mai 1951 et celle du 7 aout 1956 mais se limitèrent
aux entreprises minières et sidérurgiques. La participation des salariés au conseil
d’établissement (der Betriebsrat) des entreprises de plus de 50 salariés est
actuellement
régulée
par
la
Constitution
d’Etablissement
(das
Betriebsverfassungsgesetz) du 11 octobre 1952. Ce conseil d’établissement, dont les
membres sont élus par les salariés, dispose d’un pouvoir de codécision « pour toutes
41
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 4
42
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p. p. 132
24
Rousseau Marie-Léa
les questions sociales de l’établissement » (Albert, 1991) (Barmeyer & Davoine,
2008)43. Autant l’accord du Betriebsrat sur les questions économiques est facultatif,
autant son approbation sur les questions sociales (recrutement, licenciement,
formation, règlement intérieure, conditions de travail, etc…) est obligatoire. La loi de
cogestion (Gesetz über die Mitbestimmung der Arbeiter) du 4 mai 1976 a pour sa
part imposé la création de conseils de surveillance paritaires dans lesquels les
représentants sont aussi nombreux que ceux des actionnaires. Cependant, la voix du
président du Conseil d’Administration compte double en cas d’égalité parfaite, ce qui
laisse malgré tout un avantage aux actionnaires. Pour les entreprises de 500 à 2000
salariés, un tiers des membres du conseil de surveillance sont des salariés. Quant au
dispositif de concertation général, il concernerait la totalité des grandes entreprises et
les trois quarts du Mittelstand (Barmeyer & Davoine, 2008) 44. Enfin, le mode de
représentation et la conception horizontale des rapports de pouvoirs au sein de
l’entreprise se révèlent particulièrement favorable pour les salariés, du moins dans
l’Allemagne du début des années 90 dépeinte par Michel Albert. Ce dernier lie
d’ailleurs directement la coresponsabilité avec le paradoxe qui permet aux salariés
allemands de disposer de rémunérations plus élevés que leurs homologues étrangers
tout en travaillant davantage (Albert, 1991)45. Si Michel Albert reconnait que le
processus de négociation à tous les niveaux peut paraitre paralysant, il affirme que ce
système s’avère en réalité favorable aux entreprises, plus précisément à la
compétitivité de ces dernières (Albert, 1991)46. En effet, il évoque l’attitude des
parties prenantes lors de la crise du début des années 80 au cours de laquelle les
salariés avaient accepté de limiter la hausse de leur salaire au point de perdre jusqu’à
quatre points de pouvoirs d’achat pour enrayer les difficultés de leur entreprise
43
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 6
44
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 6
45
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p., p. 134
46
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,
350 p, p. 132-133
25
Rousseau Marie-Léa
(Albert, 1991)47. Le « modèle allemand » d’après-guerre semble disposer de toutes
les recettes favorisant le sentiment d’appartenance non seulement à une entreprise,
mais aussi à un corps de métier, et plus généralement à une communauté de travail
qui tente de concilier les intérêts de toute les parties prenantes. Cette structure des
relations professionnelles se rapproche bien de la conception « stakeholder »
associée au capitalisme rhénan, que nous avons décrit précédemment. Ainsi, les
bases traditionnelles des relations sociales dans les entreprises allemandes ayant été
expliquées à partir des caractéristiques du capitalisme rhénan et des théories
économiques de l’après-guerre, les limites de ce modèle socio-économique doivent
être analysées à la lumières des difficultés rencontrées par l’Allemagne à la fin des
années 90.
B.
L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe »
au début des années 2000 : le « modèle
allemand » en perdition ?
Deuxièmement, l’Allemagne réunifiée de 1990 apparait dans Capitalisme contre
Capitalisme (Albert, 1991) comme un modèle à suivre, notamment en raison de son
système de cogestion permettant aux salariés de défendre leurs intérêts en obtenant
des salaires élevés et aux entreprises de défendre les leurs en protégeant leur
compétitivité. L’Allemagne de l’Ouest était de fait une puissance économique dans
la Communauté Economique Européenne (CEE) à la fin des années 80, et la
réunification du 3 octobre 1990 laissait entrevoir l’émergence d’une puissance
politique en devenir. Or, le « modèle allemand » dépeint par Michel Albert comme
une forme parmi tant d’autres du capitalisme rhénan a connu une crise profonde face
aux défis de la fin du XXème siècle. Ces difficultés qui ont suivi la parution de
Capitalisme contre capitalisme ont mis en lumière les fragilités du système
traditionnel et posé la question de sa pérennité.
B.1.
Le « modèle allemand » face aux bouleversements
D’une part, Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine constatent dans leur article
consacré à la culture managériale allemande que « le modèle évolue depuis le début
des années 90, sous l’influence d’un ensemble de facteurs » (Barmeyer & Davoine,
47
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p. p. 135
26
Rousseau Marie-Léa
2008)48. Le modèle allemand a dû en effet affronter des bouleversements au cours de
la décennie suivant la parution de Capitalisme contre Capitalisme (Albert, 1991) qui
ont amené l’Allemagne de l’espoir de devenir la « locomotive de l’Europe »49 à la
désillusion d’être devenu la « lanterne rouge » 50de l’Europe.
B.1.1.
L’Allemagne à la veille du XXIème siècle : de la « locomotive
européenne » à « l’homme malade de l’Europe »
Tout d’abord, l’Allemagne du début des années 90 connait un bouleversement
politique majeur avec la réunification du 3 octobre 1990 entre la République
Fédérale d’Allemagne (RFA) et la République Démocratique Allemande (RDA),
symbole de la fin de l’ordre mondial bipolaire maintenu pendant quatre décennies
par la Guerre Froide. L’Allemagne fraîchement réunifiée dépeinte par Michel Albert
dans Capitalisme contre capitalisme apparait économiquement en bonne santé. Par
ailleurs, la réunification allemande laissait entrevoir l’espoir d’une Allemagne jouant
le rôle de « locomotive de la croissance européenne » (Harasty & Le Dem, 1992)
(Benassy-Quéré & Villa, 1995)51. Dans un premier temps, elle a effectivement ravivé
la croissance de l’Allemagne en 1990, qui a égalé son meilleur résultat depuis 1976.
Quant au chômage, il a atteint un taux particulièrement bas durant l’année 1991 en
comparaison des années précédentes. Cette embellie a cependant été de courte durée
puisque l’Allemagne a connu un ralentissement de son activité économique dès
l’année 1992 pour se retrouver en situation de récession au cours de l’année 1993.
L’économie allemande a d’ailleurs connu une croissance faible au cours de la
période 1995-2001 avec une moyenne de 1,6% contre 2,5% dans les pays de l’OCDE
(2,8% pour la France) (Utterwedde, 2003)52. Parallèlement, la courbe du chômage
48
49
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 17
HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu
?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217,
p.195
50
SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,
Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S.
51
HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu
?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217
52
BENASSY-QUERE Agnès, VILLA Pierre, « Les options de politique économiques en Allemagne
réunifiée : un modèle dynamique », Economique internationale, n°61, 1er trimestre 1995, p.33-70, p.35
27
Rousseau Marie-Léa
est régulièrement montée à partir de 1991 jusqu’à atteindre la barre des 5 millions
d’actifs inoccupés en 2003. L’économiste Hans-Werner Sinn identifie d’ailleurs le
chômage comme le problème central de l’économie allemande dans un discours
prononcé le 15 novembre 2003 à la Ludwig-Maximilian Universität (Sinn, 2003)53.
Ce discours est resté célèbre car Sinn y a qualifié l’Allemagne d’« homme malade de
l’Europe » [Notre traduction] (Sinn, 2003)54, s’inquiétant non seulement de sa
situation par rapport à ses voisins mais surtout de son décrochage par rapport à la
France.
B.1.2.
L’identification des causes expliquant le retournement de
situation de l’Allemagne dans les années 90
Ensuite, parmi les facteurs responsables de l’enrayement de la « machine bien
huilée », la réunification d’une part et la mondialisation d’autre part sont les plus
citées. Roland Czada traite par exemple de la question du « modèle allemand » face à
ce « problème endogène » [Notre traduction] que représente la réunification d’une
part et ce « problème exogène » [Notre traduction] qu’est la mondialisation d’autre
part (Czada, 1998)55. Le processus de réunification de la République Fédérale
d’Allemagne avec la République Démocratique Allemande est un facteur perçu
comme responsable de la germano-sclérose dans cette nouvelle configuration
géopolitique succédant à l’ordre bipolaire de la Guerre Froide (Barmeyer & Davoine,
2008) (Harasty & Le Dem, 1992). Cependant, cet espoir s’est rapidement épuisé, en
témoigne les propos de Roland Czada qui affirme que « la réunification allemande
ne s’est malheureusement pas déroulé comme la plupart l’aurait attendu ou
souhaité » [Notre traduction] (Czada, 1998)56. Ce dernier analyse d’ailleurs la crise
du modèle ouest-allemand comme la conséquence direct de la réunification. En effet,
celle-ci a constitué un défi majeur dans la mesure où la RFA a dû intégrer les cinq
53
SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,
Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S.
54
SINN Hans-Werner, « Der kranke Mann Europas : Diagnose und Therapie eines Kathedersozialisten“,
Institut für Wirtschaftsforschung e.V. 2003, 12 S.
55
CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise
des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S
24-59, S. 27
56
CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise
des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S
24-59, S.24: „Die deutsche Vereinigung ist leider nicht so verlaufen, wie es die meisten erwartet und
gewünscht hätten“
28
Rousseau Marie-Léa
Länder de l’ancienne RDA, soit 17 millions d’habitants. L’intégration politique a été
réussie puisque l’Allemagne est dépeinte sept ans après la réunification comme « un
Etat politique et institutionnelle fortement intégré » [Notre traduction] (Czada,
1998)57. L’intégration économique a en revanche été plus délicate en raison de trois
conséquences majeures de la réunification, qu’il n’est pas utile d’expliquer en détail.
La première est l’immigration est-allemande vers l’Allemagne de l’Ouest. La
deuxième est la percée des produits ouest-allemands qui représentaient 80% des
importations de l’Allemagne de l’Est en 1991, ce qui a cependant engendré la
réduction d’un tiers de la production est-allemande en raison de la désaffection des
Ossis
58
pour les produits. La troisième est l’héritage de comptes sociaux est-
allemands profondément déficitaires. Le fossé économique entre les deux Allemagne
a donc dû être comblée par une politique de rattrapage à l’aide de transferts massifs
représentant 4% du PIB en 1990 et 5,5% en 1991 (Harasty & Le Dem, 1992)59 , de
sorte que l’endettement public de l’Allemagne réunifiée est passé de 46,3% du PIB à
57,8% au milieu de l’année 1993 (Benassy-Quéré & Villa, 1995)60 L’intégration
sociale a pour sa part donné lieu à des tensions en raison de différences culturelles,
conséquence de l’influence de deux systèmes idéologiques opposés pendant trente
ans. Commentant les travaux du psychologue allemand Michael Geyer comparant les
Wessis aux Ossis, Christoph I. Barmeyer et Eric Davoine supposent que les
anecdotes « [laissent] aisément imaginer ce que pouvaient être les différences de
comportement et de valeurs au travail » (Barmeyer & Davoine, 2008)61 entre ces
deux groupes en raison de leur histoire respective. D’autre part, l’Allemagne
réunifiée subit de plein fouet les conséquences de l’émergence d’un nouvel ordre
mondial depuis les années 80, que les auteurs identifient sous le nom de
57
CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise
des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S
24-59, p.24: „politisch-institutionnelle hoch integriertes Staatwesen“
58
Les Ossis désignent les Ex-Allemands de l’Est par opposition aux Wessis, Ex-Allemands de l’Ouest
59
HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu
?», Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p. 195-217, p.198
60
BENASSY-QUERE Agnès, VILLA Pierre, « Les options de politique économiques en Allemagne
réunifiée :
un modèle dynamique », Economique internationale, n°61, 1er trimestre 1995, p.33-70,p.44
61
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre et CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p. 18
29
Rousseau Marie-Léa
mondialisation. Roland Czada tire d’ailleurs le constat que l’identification de la
mondialisation comme cause de la crise du « modèle allemand » a été étudié plus
intensément que la réunification (Czada, 1998)62. Rebecca Harding définit la
mondialisation comme « un phénomène débuté dans les années 80 qui ne reconnait
aucune frontière géographique, et bouleverse la manière dont les entreprises
organisent leur production et leur transaction » [Notre traduction] (Harding,
1999)63. Gabriel Colletis opère pour sa part une différence entre la mondialisation,
qui a trait selon lui à l’interdépendance croissante des espaces en raison de la
mobilité des facteurs, et la globalisation, qui renvoie à l’internationalisation de la
stratégie des firmes. Il constate d’ailleurs que la croyance qui domine les publications
sur l’état économique de l’Allemagne dans les années 90 est que cette dernière
devrait s’adapter à la mondialisation, et que les caractéristiques du « modèle
allemand » de l’après-guerre constituent un obstacle à cela (Colletis, 2004)64. Henrik
Utterwedde, par exemple, corrobore cette analyse en mettant en avant dès le résumé
de son article que le « modèle allemand est mis à mal par la mondialisation »
(Utterwedde, 2003), tout en insistant sur la capacité du modèle allemand à se
maintenir dans cette nouvelle configuration65.
B.1.3.
La mise en lumière des rigidités inhérentes au système socioéconomique allemand
Enfin, ces deux phénomènes qui émergent dans les années 90 en réaction au
changement d’ordre mondial ne seraient en réalité pas responsables des difficultés de
l’Allemagne réunifiée. Ils seraient plutôt révélateurs de l’essoufflement du « modèle
allemand » qui menaçait déjà de s’affaiblir peu avant la réunification, c’est-à-dire au
moment même de la parution de Capitalisme contre capitalisme. Selon Hélène
Harasty et Jean Le Dem, la réunification a même représenté un sursis de courte durée
62
CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise
des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S
24-59, p.24
63
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p. 82
64
COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur
l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012.
URL : http://rea.revues.org/3793, p.12
65
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.34
30
Rousseau Marie-Léa
en provoquant l’arrivée massive des Ossis en Allemagne de l’Ouest (Harasty & Le
Dem, 1992)66. Ces deux phénomènes, en particulier la réunification, ont permis de
mettre en lumière les rigidités inhérentes au système socio-économique allemand
(Utterwedde, 2003)67. Pour Alain Fabre, la réunification
a permis de prendre
conscience du risque de « germano-sclérose » en raison du manque de flexibilité du
système de l’après-guerre (Fabre, 2013)68. Ainsi, le passage de « locomotive » à
« lanterne rouge » de l’Europe au début du XXIème siècle a fait naître des soupçon
quant à la validité du « modèle allemand » d’après-guerre face à cette nouvelle
conjoncture. Le capitalisme rhénan était-il pour autant destiné à disparaître?
B.2.
La mise en lumière des failles du « modèle
allemand »: un système dépassé ?
D’autre part, Henrik Utterwedde pose la question de la survie du capitalisme
rhénan, pierre angulaire du « modèle allemand » face aux défis précédemment
évoqués. Il se demande si le capitalisme rhénan n’est pas de facto condamné et si
par conséquent il ne constitue pas un « obstacle au renouveau allemand »
(Utterwedde, 2003)69. Le questionnement central de son analyse est de savoir si
l’Allemagne doit changer de capitalisme, et si le capitalisme-saxon finira par
s’imposer.
B.2.1.
Des critiques à l’égard des rigidités inhérentes aux
mécanismes du consensus du « modèle allemand »
Tout d’abord, ce raisonnement fait écho à la thèse centrale de Michel Albert dans
Capitalisme contre Capitalisme. Ce dernier se montre certes élogieux envers le
capitalisme rhénan qu’il considère comme supérieur au capitalisme anglo-saxon.
Pour autant, il prédit que c’est paradoxalement le modèle le moins vertueux qui
finira par l’emporter. Dans quelle mesure l’Allemagne se trouvait-elle au carrefour
66
67
68
69
HARASTY Hélène, LE DEM Jean, « Réunification allemande et croissance européenne un espoir déçu
?», Revue de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 39, Janvier 1992, p.195-217
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.36
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.20
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.36
31
Rousseau Marie-Léa
entre ces deux systèmes concurrents au début du XX ème siècle ? Les bases du
« modèle allemand » ont effectivement suscité des critiques de plus en plus
virulentes à la fin des années 90. Michel Albert reconnaissait lui-même que les
dispositifs régulant les rapports sociaux dans les entreprises pouvaient paraitre
lourds bien qu’il ait insisté sur leurs apports plutôt que sur leurs inconvénients
(Albert, 1991)70. Christoph I Barmeyer et Eric Davoine constatent, quant à eux, que
le système de cogestion est régulièrement critiqué par les représentants du patronat
depuis le milieu des années 90 en raison de la lenteur du processus de décision qui
oblige les entreprises à retarder la prise de décision au nom du consensus
(Barmeyer & Davoine, 2008)71. Or, la mondialisation, qui se caractérise par une
circulation des biens et des capitaux toujours plus rapide, exige de la part des
entreprises une capacité de réaction et d’adaptation de plus en plus vive pour
conserver leurs parts de marché. Henrik Utterwedde considère que la recherche du
consensus ne constitue pas le problème mais qu’elle dépend de l’usage qui en est
fait. Elle est susceptible d’en devenir un lorsqu’elle conduit à des blocages
importants entre les parties prenantes72.
B.2.2.
Des rigidités qui entravent la compétitivité des entreprises ?
Ensuite, cette culture du consensus a été mise à rude épreuve durant
l’administration Kohl (Harding, 1999)73 en raison de l’incapacité du système à
remplir les conditions qui faisaient le succès du « modèle allemand ». En effet, la
réussite du « modèle allemand » mise en avant par Michel Albert est la capacité de
ce système à allier efficacité et prospérité, en satisfaisant autant la compétitivité
des entreprises que le maintien d’emploi durables à rémunération élevés pour les
salariés (Albert, 1991)74. En effet, les salariés allemands pouvaient disposer de
70
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L’histoire immédiate, 1991,
350 p, p. 132-133
71
BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, “Culture et gestion en Allemagne : la machine bien huilée ».
Dans : DAVEL Eduardo, DUPUIS Jean-Pierre & CHANLAT Jean-Francois (dir.), Gestion en contexte
interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et
Télé-universités (UQAM), 2008, p.24
72
UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie allemande,
bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.38
73
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.70
74
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Editions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350 p., p.118
32
Rousseau Marie-Léa
salaires élevés en dépit d’un temps de travail plus faibles que leurs voisins, sans que
cela ne nuise à la compétitivité des entreprises ni à leur capacité à dégager des
excédents. Le « modèle allemand » remplissait les conditions du triptyque
salaires/compétitivité/excédents. Concernant les salaires ils n’ont pas enregistré de
baisse importante depuis le début des années 90 avec même une augmentation
constante des salaires nominaux entre 1991 et 2012 d’une part, et certes une
stabilisation à la baisse des salaires réels sur la même période. Cependant, ce
maintien des salaires s’est réalisé grâce à la diminution du temps de travail dans
certaines branches, qui avait commencé avec les accords de 1984 dans la
métallurgie (Chagny, 1998)75 D’après Michel Albert, les salariés allemands
travaillaient en moyenne 1633 heures par an dans l’industrie manufacturière, ce qui
prouve selon lui le paradoxe selon lequel l’Allemagne parvient à procurer des
salaires élevés aux travailleurs tout en les faisant travailler moins. En 1996, la
durée du travail était pour l’emploi total de 1 560 heures par an dans les
anciens Länder, et de 1 578 dans l’Allemagne réunifiée, soit encore moins qu’au
moment de la réunification (Chagny, 1998)76. La priorité dans la seconde moitié des
années 80 était la préservation du niveau de vie par le maintien des salaires, ce qui
passait par la réduction du temps de travail et une compensation salariale.
Cependant, la volonté de préserver l’emploi est depuis le milieu des années 90
privilégiée par rapport au maintien du niveau de vie, d’où les revendications au
recours à des mesures de flexibilisation qui ont abouti à la loi sur le temps de travail
de 1994. La compétitivité des entreprise, pour sa part, a été mise à mal au cours des
années 90 (voir Figure V)77.
75
CHAGNY Odile, « Flexibilité et réduction du temps de travail en Allemagne», Revue de l’OFCEObservations et diagnostics, n°67, Septembre 1998, p.229-284, p.233
76
CHAGNY Odile, « Flexibilité et réduction du temps de travail en Allemagne», Revue de l’OFCEObservations et diagnostics, n°67, Septembre 1998, p.229-284, p.230
77
SIEBERT Horst, “Verliert die deutsche Wirtschaft Wettbewerbsfähigkeit?”, Institut für Weltwirtschaft an
der Universität Kiel (IfW), 22 avril 2002, p.1-14, p.3
33
Rousseau Marie-Léa
Figure V: Evolution des parts de marché mondiales de
l'Allemagne entre 1975 et 2001
Source : SIEBERT Horst, “Verliert die deutsche Wirtschaft Wettbewerbsfähigkeit?”,
Institut für Weltwirtschaft an der Universität Kiel (IfW), 22 avril 2002, p.1-14, p.3
Mais qu’entend-on exactement par compétitivité? Celle-ci se rapporterait « à la
capacité à maintenir ou augmenter ses parts de marché face à la concurrence »
(Mathis et al. 1988)78. Elle se mesure d’une part par la compétitivité-prix, qui porte
sur le prix du produit, et d’autre part par la compétitivité hors-prix, qui porte sur la
qualité du produit. L’Allemagne a en effet enregistré des pertes de parts de marché
au cours des années 90, passant de 12% à 9%. La compétitivité des entreprises
n’étant plus assurée à la fin des années 90, posant la question des stratégies à adopter
pour regagner des parts de marché à l’international, les raison de telles pertes doivent
être analysées. Cette « asphyx[ie] » de la compétitivité allemande aurait été généré
par la progression régulière des dépenses sociales depuis les années 80, qui ont
connu une forte progression en raison des transferts à hauteur de 4% du PIB vers les
cinq Länder de l’Est (Fabre, 2013)79. Le système de cogestion se retrouve également
accusé d’être « un handicap à la compétitivité des entreprises »80.
78
Cité dans : CHAGNY Odile, HUSSON Michel, LERAIS Frédéric, « Les salaires : aux racines de la crise
de l’euro ? », La Revue de l’IRES, n°73, 2013, p.69-95, p.70
79
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.24
80
LASERRE René, « La cogestion allemande à l’épreuve de la globalisation », Regards sur l'économie
allemande [En ligne], 72 | juillet 2005, document 1, mis en ligne le 16 avril 2008, consulté le 22 juin
2014. URL : http://rea.revues.org/246
34
Rousseau Marie-Léa
B.2.3.
Le « modèle allemand », condamné à disparaitre ?
Enfin, les chercheurs étaient partagés sur l’avenir du capitalisme rhénan à la fin des
années 90, la question étant de savoir si le capitalisme était capable de se renouveler
sans pour autant remettre en cause les bases qui le différencient du capitalisme anglosaxon. Or, l’émergence de la mondialisation avec la montée en puissance des
marchés financiers animés par la logique de la shareholder value fait craindre aux
observateurs dans la lignée de Michel Albert que les bases traditionnelles du
« modèle allemand » ne succombe au capitalisme anglo-saxon au cours du XXIème
siècle, ce qui est précisément la question posée par Henrik Utterwedde. Ce dernier se
veut cependant rassurant : le capitalisme rhénan devrait pouvoir s’adapter sans perdre
son identité, notamment parce que le capitalisme anglo-saxon n’est pas aussi adapté à
la mondialisation qu’il peut le paraitre. Reprenant la formule de Michael Porter, il
affirme que la course à la compétitivité « est un marathon, pas un sprint »
(Utterwedde, 2003)
81
. Par conséquent, la stratégie des entreprises, et plus
généralement de l’Allemagne, doit s’envisager sur le long terme. Rebecca Harding
partage le même optimisme qu’Henrik Uterwedde sur l’avenir du capitalisme rhénan
en raison de « sa capacité à s’adapter progressivement sans perdre sa base » [Notre
traduction] (Harding, 1999)82. Elle partage également la même analyse sur l’apport
d’un changement de modèle : le capitalisme anglo-saxon n’est pas efficace sur le
long terme. Or, selon elle, l’importance des réseaux est plus forte que celle des
marchés (Harding, 1999)83. Quant à Gabriel Colletis, il estime que le capitalisme
anglo-saxon constitue une impasse en raison de ses instabilités, notamment dans la
sphère financière (Colletis, 2004)84 Par conséquent, le capitalisme rhénan en
Allemagne devrait davantage s’adapter que se transformer profondément. En
revanche, d’autres auteurs sont plus sceptiques sur la pérennité du capitalisme rhénan
comme c’est le cas de Roland Czada. Pour ce dernier, le « modèle allemand » se
81
Cité dans: UTTERWEDDE Henrik, « Le capitalisme rhénan n’est pas mort », Regards sur l’économie
allemande, bulletin économique du CIRAC, no 40/2003. p.38
82
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.72: “its capacity to adapt to change gradually
without losing its core competence”
83
HARDING Rebecca, “Standort Deutschland in the globalising economy: An end to the economic
miracle?”, German Politics, Vol. 8, n°1, p. 66-88, p.82
84
COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur
l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012.
URL : http://rea.revues.org/3793, p.12
35
Rousseau Marie-Léa
trouve sur la voie de l’échec » [Notre traduction] (Czada, 1998)85.Ainsi, nous avons
montré que ce « modèle allemand » du début des années 90 s’est retrouvé face à des
difficultés économiques importantes qui ont mené à une remise en cause de
l’efficacité des
fondements mêmes du système socio-économique traditionnel.
L’Allemagne a réagi au début des années 2000 par la mise en place de réformes de
flexibilisation du marché du travail dans le but de restaurer la compétitivité des
entreprises.
Chapitre.II. La mise en place d’une
politique de compétitivité-salaire par
une réforme du marché du travail
dans les années 2000 : vers une
hybridation du « modèle allemand
En second lieu, il convient de décrire les solutions mises en œuvre par le
gouvernement de coalition rouge-vert (SPD-Grünen/Bundnis 90) sous l’autorité du
chancelier Gerhard Schröder. Donnant raison à la conviction d’Hans-Werner Sinn
selon laquelle le chômage était le problème majeur de l’Allemagne au début des
années 2000, le gouvernement a cherché à contrer la mise en échec du « modèle
allemand » par des réformes d’ampleur sur le marché du travail : les « lois Hartz ».
L’analyse se concentrera sur l’efficacité de ces réformes, c’est-à-dire si elles ont
réussi à atteindre les objectifs initiaux fixés par le gouvernement d’une part, et quel
l’impact sur l’évolution des relations sociales au sein de l’entreprises en a résulté.
Les lois Hartz ont-elles permis de préserver le «modèle allemand » de l’après-guerre
ou ont-elles franchi une étape de plus vers la fin du « capitalisme rhénan » en
Allemagne ?
85
CZADA Roland, „Vereinigungskrise und Standortdebatte. Der Beitrag der Wiedervereinigung zur Krise
des westdeutschen Modells“, Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, Heft 1, 26 Jahrgang,1998, S
24-59, p.24: „Das deutsche Modell steht am Scheideweg“
36
Rousseau Marie-Léa
A.
L’évolution des relations sociales par une
réforme du marché du travail allemand : les
lois Hartz
Premièrement, il nous faut analyser les principales mesures prises au début des
années 2000 pour préserver le « modèle allemand » de l’échec en se focalisant sur
les mesures de flexibilisation du marché du travail connues sous le nom de
« réformes Hartz ». Nous verrons en quoi ces mesures qui ont démontré leur
efficacité concernant l’objectif de réduction du taux de chômage sont cependant de
plus en plus controversées. Ces réformes ont-elles réellement permises au système
socio-économique allemand de s’adapter ou ont-elles contribué à son érosion ?
A.1.
Les « réformes Hartz » au cœur des mesures
d’adaptation du marché du travail face aux défis
du 21ème siècle
D’une part, l’Agenda 2010 mis en place par le gouvernement Schröder constitue
l’axe majeur de la réponse allemande aux difficultés structurelles de l’aprèsréunification par un ensemble de réformes révolutionnant les règles du marché du
travail. Certains auteurs l’analysent d’ailleurs comme la réforme des politiques de
l’emploi « la plus importante […] depuis la dernière décennie» [Notre traduction]
(Eichhorst, 2007)86, voire « la plus grande réforme du marché du travail de tous les
temps » (Lestrade, 2013)87
A.1.1.
« The Third Way/Die neue Mitte »: le Manifeste BlairSchröder comme prélude aux “réformes Hartz »
Tout d’abord, il faut rappeler le contexte précis dans lequel l’Agenda 2010 est mis
en place, à savoir sous le deuxième gouvernement Schröder, ancré à gauche en
raison de la coalition entre le parti social-démocrate (Sozialdemokratische Partei
Deutschlands) et le parti vert (Die Grünen/Bündnis 90). Celle-ci arrive au pouvoir
86
EICHHORST Werner, „Der Arbeitsmarkt in Deutschland: Zwischen Strukturreformen und
sozialpolitischem Reflex“, IZA Discussion Paper n° 3194, Bonn, November 2007, S.1-42, S.12: „Die vor
etwas mehr als fünf Jahren mit der Bericht der Hartz-Kommission initiierten Arbeitsmarktreformen
verkörpern das wichtigste von Veränderungen an den rechtlichen Rahmenbedingungen des
Arbeitsmarktes […] während der letzten Jahrzehnte“
87
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.1
37
Rousseau Marie-Léa
le 27 octobre 1998 après quatorze années d’administration par le parti démocratechrétien (Christlich Demokratische Union Deutschlands) et le parti libéral (Freie
Demokratische Partei). Le gouvernement Schröder hérite d’un taux de chômage de
4, 3 millions de personnes contre 2,5 millions en 1990, 2 millions en 1983 et 1
million en 1980 (Fabre, 2013)88. Comment cette coalition de gauche, confrontée à
la crise du « modèle allemand » va-t-elle aborder les défis de l’entrée dans le
XXIème siècle ? D’après Alain Fabre, elle a été rapidement confrontée à l’état
préoccupant du pays au point qu’une seule alternative se présentait: « les réformes
ou la faillite » (Fabre, 2013)
89
. Paradoxalement, la volonté du gouvernement
allemand de réformer en profondeur s’est manifesté pour la première fois dans un
document cosigné le 8 juin 1999 par le chancelier Gerhard Schröder et le premier
ministre britannique Tony Blair en vue des élections au Parlement Européen. Resté
célèbre sous le nom de « Manifeste Blair-Schröder », « La Troisième Voie » - ou
« The Third Way » ou encore « Die Neue Mitte » - invite la gauche à se moderniser
face à la nouvelle conjoncture mondiale en prônant l’émergence de la socialdémocratie face à la gauche traditionnelle (voir Annexe I ). Trois idées principales
en ressortent. Premièrement, la conjoncture mondiale a changé et il faut en
conséquence s’adapter en mettant sur pied « des politiques publiques […] capables
de relever les défis du 21ème siècle » (voir Annexe I 90. Le « Manifeste » affirme que
cette adaptation à « une économie en voie de mondialisation» (voir Annexe I )91 ne
concerne pas seulement l’Allemagne et la Grande-Bretagne, mais également les
autres pays membres de l’Union Européenne dans son ensemble. Par ailleurs, le
« Manifeste » insiste par deux fois sur la nécessité de trouver des solutions réalistes
face à ces défis, sans préciser réellement ce que cela implique. Deuxièmement, la
gauche doit se moderniser en incarnant une troisième voie entre le néolibéralisme et
le socialisme qui sont autant dépassés l’un que l’autre. Si la critique du
néolibéralisme n’est guère surprenante, celle du socialisme peut le paraitre
88
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.24
89
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
90
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte » [En ligne] Juin 1998.
p.1 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
91
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
38
Rousseau Marie-Léa
davantage. Le « Manifeste » critique avant tout l’interventionnisme qui a mené au
développement excessif de l’Etat-Providence et finalement à l’augmentation
continue des déficits publics en une vingtaine d’années. Pour autant, le
« Manifeste » insiste bien sur la volonté, non pas de démanteler, mais de
moderniser l’Etat-Providence. Troisièmement, cette adaptation passe par des
mesures favorisant la baisse du chômage qui est présenté comme « [la meilleure
garantie] d’une société soudée » (voir Annexe I ). Or, le «Manifeste » tire le
constat que le chômage structurel est beaucoup trop élevé dans la plupart des pays
européens, ce qui constitue un défi majeur à relever. Il propose comme solution un
compromis entre la nécessité de faire évoluer les bases traditionnelles tout en
restant fidèle à l’esprit sur lequel celles-ci reposent. Par ailleurs, la mise en place de
réformes s’avérait nécessaire au début des années 2000, la situation ayant de fait
empiré à la fin de la première mandature de Gerhard Schröder. Ce dernier avait en
effet promis de ramener le chômage à 3,5 millions de personnes d’ici 2002. Bien
que la courbe ait stagné au cours des quatre années du gouvernement Schröder, le
chômage représentait 4,5 millions de personnes à la veille des élections législatives
de 2002. Quant à la croissance, Alain Fabre affirme que la croissance allemande
durant la période 1995-2003 était bien inférieure celle de l’Union Européenne, tout
comme nous avons précédemment mis en avant qu’elle était nettement en dessous
de la moyenne de l’OCDE. Elle a même plongé l’Allemagne dans la récession au
cours de l’année 2003 avec un recul de 0,4% du PIB, soit dix ans après la récession
de 199392.
A.1.2.
Les lois Hartz : des réformes de flexibilisation du marché du
travail
Ensuite, le chancelier Schröder décida au début des années 2000 la mise en place de
l’Agenda 2010, qui s’inscrit tout comme le « Manifeste » dans une logique
européenne selon Alain Fabre. En effet, cet ensemble de mesures se revendiquait
clairement de l’application de la stratégie européenne d’économie compétitive de
Lisbonne en 2000 (Fabre, 2013)93 . L’Agenda 2010 fut lancé par un discours du
Chancelier Schröder devant le Bundestag le 14 mars 2003, un peu plus d’un an après
92
93
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.23
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.27
39
Rousseau Marie-Léa
la mise sur pied de la « Commission pour la réduction du chômage et la
restructuration de l’Office fédéral du travail » (Kommission zum Abbau der
Arbeitslosigkeit und zur Umstruktierung
der Bundesamt für Arbeit) autour de
l’économiste Peter Hartz. Englobant quatre lois, l’Agenda 2010 se donne pour
objectif de flexibiliser le marché du travail par des mesures favorisant la
responsabilité individuelle. Selon Alain Fabre, l’esprit de l’Agenda 2010 repose sur
l’idée de mettre fin à la dérive de l’Etat social pour remettre le principe d’équité
plutôt que d’égalité au centre du lien social (Fabre, 2013)94. Ces « lois pour la
modernisation des prestations de services sur le marché de l’emploi » (Gesetze für
moderne
Dienstleistung
am
Arbeitsmarkt)
er
dites
« réformes
Hartz »
sont
er
progressivement entrées en vigueur entre le 1 janvier 2003 et le 1 janvier 2005. Il
apparait nécessaire pour la conduite de l’analyse de rentrer dans le détail de ces lois
à partir du tableau synthétique réalisé par Odile Chagny (voir Annexe II)
La loi dite « Hartz I » du 1er janvier 2003 a pour principale disposition la
création d’Agences de Services Personnelles (Personal Service
Agenturen) dont le rôle est d’accompagner les chômeurs de longue durée
en leur fournissant des emplois intérimaires. Par ailleurs, elle contraint
les chômeurs célibataires sans enfants à la mobilité dès lors qu’une
possibilité d’emplois s’offre à eux. Enfin, chaque chômeur peut
bénéficier d’un bon de formation si la probabilité est quasi-certaine qu’il
retrouve un emploi par la suite.
La loi dite « Hartz II » du 1er avril 2003 facilite le recours à toutes les
formes d’emplois partiels, tout en permettant notamment le cumul de ces
emplois. Les principales dispositions concernent la libéralisation des
Minijobs, rémunérés 400 euros par mois, et la création de Midijobs,
rémunérés entre 400 et 800 euros de l’heure. L’objectif est de
développer le secteur à bas salaires pour permettre aux personnes les
plus touchées par le chômage d’occuper un emploi plutôt que de toucher
des prestations de chômage. Par ailleurs, « Hartz II » encourage la
création d’entreprises unipersonnelles par les personnes touchant
94
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
40
Rousseau Marie-Léa
l’assistance chômage à travers la mise en place d’un statut d’autoentrepreneur appelé l’« Ich-AG ».
La loi dite « Hartz III » du 1er avril 2004 se concentre quant à elle sur les
conditions de gestion et de versement de l’assurance chômage en
durcissant son accès pour les chômeurs. Il ne faut plus avoir cotisé un an
mais deux ans avant de toucher les allocations. De plus, la durée
d’indemnité, qui pouvait aller de 12 à 32 mois, est réduite à 12 mois
pour les actifs de moins de 55 ans et 18 mois pour les actifs de plus de
55 ans. Enfin, les chômeurs sont obligés d’accepter les emplois proposés
par l’Agence Fédérale pour l’Emploi, crée par la loi pour remplacer
l’Office du Travail de Nuremberg. Un seul motif de refus est considéré
comme valable : le chômeur est tenu de prouver en quoi le refus d’un
post est justifié, à savoir en quoi celui-ci est « inacceptable »
(zumutbar). Or, un emploi ne peut être perçu comme inacceptable que si
il est rémunéré 30% en dessous du poste précédent.
La dernière loi dite « Hart IV » du 1er janvier 2005 réforme le régime
d’assistance sociale en s’attaquant aux deux piliers de celui-ci,
l’Arbeitslosenhilfe d’une part, et la Sozialhilfe d’autre part. Jusqu’à la
réforme Hartz IV, les deux aides n’étaient non seulement pas limitées
dans le temps mais pouvaient être cumulées. Depuis l’entrée en vigueur
de cette loi, les deux indemnités ne sont plus cumulables. La Sozialhilfe,
pour sa part, n’est désormais accessible qu’aux personnes apportant la
preuve d’une incapacité à travailler plus de trois heures par jours. Quant
à l’Arbeitslosenhilfe, les conditions de son versement demeurent
inchangées : elle correspond toujours à l’aide accordée aux chômeurs
qui ne perçoivent plus l’assurance chômage et prend le nom
d’« Arbeitslosengeld II ».
A.1.3.
L’Allemagne dans les crises mondiales et européennes : de la
« lanterne rouge » à la « locomotive européenne »
Enfin, l’Allemagne du début des années 2000 que Hans-Werner Sinn qualifiait d’
« homme malade de l’Europe » espérait sortir de son marasme économique grâce
aux réformes engagées par le gouvernement Schröder. Or, ces réformes n’ont
41
Rousseau Marie-Léa
apparemment pas eu d’impact positif dans l’immédiat puisque l’Allemagne se
trouvait toujours face à ses difficultés économiques au milieu des années 2000.
Bien qu’ayant progressé durant la période 2000-2005, la croissance allemande
demeurait pourtant faible (voir Figure VI)95
Figure VI: Evolution du PIB allemand sur la période 19922013
Source: Wirtschaftswachstum Deutschland - Veränderung des BIP zum Vorjahr bis
2013 | Statistik [En ligne] Statista [page consultée le 11 juin 2014]. URL:
http://de.statista.com/statistik/daten/studie/2112/umfrage/veraenderung-desbruttoinlandprodukts-im-vergleich-zum-vorjahr/
L’Allemagne a effectivement connu une embellie de sa croissance à la fin des
années 90, marquant son entrée dans le 21ème siècle par son taux de croissance le
plus élevé depuis 1992 : 3,1%. Cette recrudescence de la croissance laissait
espérer au gouvernement Schröder la sortie des difficultés économique, démentie
par le taux de croissance nulle de 2002 puis la récession de 2003. Or, les
« réformes Hartz » adoptées dans ce contexte n’ont pas eu d’impact positif
immédiat sur l’économie allemande, de sorte que le taux de croissance demeurait
faible au moment des élections législatives de 2005. En revanche, l’Allemagne a
connu un véritable rebond de sa croissance économique sur la période 2006-2008,
au cours de laquelle elle a enregistré une augmentation de 8,1% sur ces trois ans.
Bien que l’année suivante ait été marquée par une récession record de 5,1%, Alain
95
Wirtschaftswachstum Deutschland - Veränderung des BIP zum Vorjahr bis 2013 | Statistik [En ligne]
Statista
[page
consultée
le
11
juin
2014].
URL :
http://de.statista.com/statistik/daten/studie/2112/umfrage/veraenderung-des-bruttoinlandprodukts-imvergleich-zum-vorjahr/
42
Rousseau Marie-Léa
Fabre met en avant que les « réformes Hartz » n’auraient paradoxalement déployé
leurs effets qu’à partir de 2009 en pleine contraction de l’activité économique
dans le contexte de la crise mondiale96. Par la suite les années 2010 et 2011 ont à
nouveau été marquées par des taux de croissance forte. Mais surtout, c’est le fait
que les indicateurs semblent être au beau fixe pour l’Allemagne par rapport à ses
voisins d’après la série de données suivante qui l’érigent en modèle par rapport
aux autres pays membres de l’Union Européenne (voir Figure VII, Figure VIII et
Figure IX)97.
Figure VII: Croissance du PIB en volume entre 1998 et 2014
Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone
euro ? »,
Recherche
économique
n°
519,
pp.1-7,
URL :
http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.2
96
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p. 32
97
ARTUS Patrick « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone euro ? » [En ligne] Recherche
économique n° 519, Juin 2014, p.1-7. URL : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564
43
Rousseau Marie-Léa
Figure XVIII: Evolution de la balance courante de l'Allemagne
(en % du PIB valeur) entre 1998 et 2014
Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone
euro
?
»,
Recherche
économique
n°
519,
pp.1-7,
URL
:
http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.3
Figure IX: Evolution du taux de chômage (en %) entre 1998 et
2014
Source : Artus, P. (Juin 2014), « L’Allemagne soutient-elle les autres pays de la zone
euro
?
»,
Recherche
économique
n°
519,
pp.1-7,
URL
:
http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=77564, p.3
Tout d’abord, la progression de la croissance allemande a été globalement plus
faible que la moyenne établie par ses voisins européens jusqu’en 2009. En
revanche, sa croissance se révèle supérieure par rapport aux autres membres de la
zone euro à partir de 2010 après avoir subi une récession globalement plus forte
44
Rousseau Marie-Léa
l’année précédente. Cependant, la différence se révèle encore plus importante
lorsque l’on observe l’évolution d’autres indicateurs. Ensuite, la balance courante
allemande, qui correspond à l’addition de trois soldes intermédiaires (balance des
biens et des services ; balance des revenus ; balance des transferts courants), est
largement excédentaire en comparaison de la moyenne de la zone euro. Les deux
balances étaient pourtant déficitaires et pratiquement au même niveau au début des
années 2000 pour ensuite fortement diverger. Enfin, le taux de chômage de
l’Allemagne a fortement reculé par rapport à la moyenne de la zone euro au cours
de cette même décennie. Tout comme les balances courantes, les taux de chômage
se confondaient au début des années 2000, notamment en 2002. Par la suite, le taux
de chômage de l’Allemagne est certes régulièrement monté jusqu’en 2005 pour
ensuite fortement décélérer de manière quasi-continue jusqu’en 2014. Le taux de
chômage allemand n’est que légèrement remonté au moment de la forte récession
de 2009 puis a inexorablement baissé alors que celui de la zone euro a dans le
même temps constamment augmenté. Par conséquent, alors que le taux de chômage
actuel en Allemagne s’élève à peine 5 %, celui de la zone euro se trouve à 14%. Ce
ne sont certes que quelques indicateurs parmi tant d’autres mais ils font partis de
ceux qui ont été le plus mobilisés pour faire de l’Allemagne la nouvelle locomotive
européenne dans la crise. Ainsi, ces indicateurs largement commentés dans la
presse autant que dans les publications scientifiques ont soulevé la question de la
viabilité du système économique en tant que modèle à suivre. Or, la position de
leadership prêtée à l’Allemagne a suscité autant d’enthousiasme que de rejet en
raison de la perspective de devoir importer un modèle ayant apporté la preuve de sa
capacité à se renouveler mais dont la cause supposée du renouvèlement est sujette à
polémique. Il nous faut donc mesurer l’impact des « lois Hartz » dans le
retournement de situation économique de l’Allemagne, en mettant en lumière
autant les atouts que les failles d’une telle solution.
A.2.
Les « lois Hartz » : des mesures efficaces mais
controversées
D’autre part, il nous faut analyser les effets des « lois Hartz » dix ans après leur
introduction progressive, même si Eugen Spitznagel admet que du recul manque
45
Rousseau Marie-Léa
encore pour en mesurer définitivement l’efficacité (Spitznagel, 2009)98. Toujours
est-il que ces réformes se révèlent controversées du point de vue de certains
chercheurs et décideurs politiques, à un niveau tel que la politique allemande est
même devenue l’objet de « querelles françaises » (Fabre, 2013)99. Comme
l’analyse l’a montré précédemment, l’Allemagne suscite à la fois fascination et
rejet quant au choix de ses mesures de sortie de crise, dont son voisin d’OutreRhin désormais en difficulté, hésite à s’inspirer.
A.2.1.
Des mesures efficaces en termes de lutte contre le chômage
Tout d’abord, les « réformes Hartz » ont effectivement permis de réduire le
chômage de masse dont souffrait l’Allemagne depuis la fin des années 1990, lui
permettant finalement d’atteindre l’objectif fixé par le « Manifeste BlairSchröder », même si les effets sur le marché de l’emploi ont été tardifs. Le taux de
chômage a en effet continué à augmenter pour atteindre 4,7 millions de personnes
en 2005 (Spitznagel, 2009)100. En revanche, les effets des réformes se sont fait
ressentir lorsque l’Allemagne a vu sa situation économique soudainement
rebondir au cours de la période 2006-2008. Parallèlement, le pays a connu le
phénomène « Job Wunder » qui s’est traduit par la diminution drastique du
chômage durant cette même période (voir Figure X)101 .
98
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.13
99
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.9
100
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.5
101
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.1
46
Rousseau Marie-Léa
Figure X: Evolution du nombre d'actifs occupés et inoccupés
en Allemagne entre 1991 et 1998
Source : Spitznagel, E. (2009). Un marché du travail en mutation. Regards sur
l'économie allemande, n°91, pp. 5-16. p.1
Alors que le nombre de chômeurs montait régulièrement depuis 1991 pour
atteindre son point culminant en 2005, ce chiffre a drastiquement diminué en
l’espace de deux ans, passant de 4,7 millions en 2006 à 3,2 millions en 2008. Pour
Alain Fabre, les « réformes Hartz » n’auraient paradoxalement déployé leurs
effets qu’à partir de 2009 en pleine contraction de l’activité économique dans le
contexte de la crise mondiale102, en passant de 4,9 millions à 2,3 millions d’actifs
inoccupés entre 2005 et 2012, soit de 11,3% à 5,5%. Dans le même temps, le taux
de chômage des jeunes de moins de 25 ans est descendu de 15,6% à 8,1%, alors
que celui de la France est monté de 21,3% à 24,6% (Fabre, 2013)103. La
comparaison entre l’Allemagne et la France concernant l’évolution de leur taux de
chômage respectif sur la période 2000-2012 met en lumière l’écart croissant entre
les deux pays (voir Tableau II) (Fabre, 2013)104.
102
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.32
103
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.15
104
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.32
47
Rousseau Marie-Léa
Tableau II: Comparaison des taux de chômages allemand et
francais en fonction de l'age de la population active entre 2000
et 2012
Source : Fabre, A. (2013). Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ?, Les Notes
du Benchmark, Septembre, pp. 1-71. p.32
Selon Alain Fabre, c’est la division par deux du chômage de longue durée, passé
de 2 millions à 1 million de personnes, qui est la principale cause du recul du
chômage allemand en général. Par exemple, le nombre de semaines passées au
chômage chez les bénéficiaires de Hartz IV est passé de 98 à 71 semaines entre
2005 et 2012 (Fabre, 2013)105. Par ailleurs, il faut également s’intéresser à
l’évolution de la structure des emplois. La période 2006-2008 a été propice à la
création d’emplois à temps plein (550 000) en raison de l’augmentation du
volume d’heures travaillées de 3,7% (Spitznagel, 2009)106. Le nombre de postes
vacants a quant à lui augmenté, amenant mêmes certaines entreprises à constater
un manque de main d’œuvre. Cependant, il ne faut pas occulter que la réduction
du chômage a été possible grâce à l’évolution de la structure des emplois vers des
formes partielles. Intéressons-nous au tableau d’Eugen Spitznagel sur l’évolution
de la structure des emplois entre 2000 et 2007
(Spitznagel, 2009)107 .Pour
commencer, la part des contrats à durée déterminés (CDD) a certes peu augmenté
durant cette période, mais représentait quand même 40% des embauches en 2007.
Par ailleurs, le nombre de travailleurs intérimaires a effectivement doublé,
105
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71. p.32
106
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.8
107
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.8
48
Rousseau Marie-Léa
passant de 328 à 715 millions de personnes, mais le poids reste minime dans la
mesure où ils ne représentaient que 2% des emplois en 2007. Sur l’ensemble la
période 2006-2008, les emplois intérimaires ont généré 25% de hausse d’emploi
et 60% de la création de postes à temps plein. Quant à la croissance des emplois
partiels, elle a certes été forte après les « réformes Hartz » mais pas autant qu’à la
fin des années 90. Entre 1999 et 2001, la majeure partie des emplois crées étaient
partiels, parmi lesquels 778 000 Minijobs. En revanche, la création de ces emplois
s’est ralenti entre 2006 et 2008, avec seulement 130 000 Minijobs crées. Il y a
donc bien eu une évolution vers une part plus importante des emplois partiels,
mais celle-ci a en réalité été moins manifeste qu’à la fin des années 90.
A.2.2.
Une politique de compétitivité par la pression sur les coûts
salariaux
Ensuite, ce « miracle de l’emploi » a pu avoir lieu grâce à ces mesures de
flexibilisation du marché du travail, non seulement en raison de l’augmentation des
formes d’emplois partiels mais aussi de l’augmentation de la compétitivité des
entreprises. Les réformes de flexibilisation du marché du travail ont clairement
permis de rétablir « la compétitivité perdue lors de la décennie précédente »108. Ces
réformes engagées par le gouvernement Schröder au début des années 2000 sont
avant tout le reflet d’une politique
de « nouvelle désinflation compétitive »109
exerçant des pressions sur les coûts salariaux, qu’ils soient unitaires ou réels.
D’après la définition de l’INSEE, le coût salarial est « constitué par l'ensemble des
dépenses qui incombent à l'entreprise pour l'emploi d'un salarié »110. Le coût
salarial unitaire (CSU) renvoie pour sa part « aux coûts salariaux par unité de
valeur ajoutée produite »111, à savoir aux salaires brut (rémunérations, primes,
congés payés, commissions et honoraires, etc…) augmentés des charges patronales.
108
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71
109
CREEL Jerôme, LE CACHEUX Jean, "La nouvelle désinflation compétitive européenne.", Revue de
l’OFCE, n°98, Juillet 2006, p.9-36
110
INSEE - Définitions et méthodes - Coût salarial [En ligne] Institut national de la statistique et des études
économiques
(INSEE)
[page
consultée
le
18
juin
2014].
URL :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/cout-salarial.htm
111
INSEE - Définitions et méthodes - Coûts salariaux unitaires [En ligne] Institut national de la statistique et
des études économiques (INSEE) [page consultée le 18 juin 2014].
URL :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/cout-salariaux-unitaires.htm
49
Rousseau Marie-Léa
Selon Jérôme Creel et Jacques Le Cacheux, cette stratégie de désinflation
compétitive s’explique avant tout par l’évolution du rapport de forces entre salariés
et actionnaires du fait de l’importance toujours plus forte des marchés financiers,
caractéristique associée au capitalisme anglo-saxon. Pour Alain Fabre, la mise
d’une politique de compétitivité par les salaires s’avérait nécessaire en raison d’une
évolution plus rapide des coûts salariaux que de la productivité du travail, qui
remontait au-delà de la réunification allemande
de 1990.
Les « lois Hartz »
auraient notamment permis aux entreprises de pratiquer la modération salariale et
par conséquent d’améliorer leur compétitivité en raison l’augmentation moins
rapide du cout du travail par rapport à leur productivité (Fabre, 2013)112. Alain
Fabre affirme même que, du point de vue de l’évolution du coût du travail,
l’Allemagne et la France ont échangé leur position entre les années 90 et les années
2000. Alors que les salaires allemands évoluaient plus vite que la productivité entre
1991 et 1999 (3,95% > 3,29%), la situation s’est inversé entre 2000 et 2008 (1,56%
< 3,03%). Sur les deux mêmes périodes, la France a connu exactement les
situations inverses à celles de l’Allemagne. Cependant, la véritable différence entre
l’Allemagne et la France dans les années réside dans l’écart du coût du travail (voir
Tableau III)113.
112
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p. .29
113
NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), « L'Allemagne, un exemple pour la
France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.16
50
Rousseau Marie-Léa
Tableau III: Comparaison des couts et des salaires horaires
allemands et français en 2006
Source : NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), «
L'Allemagne, un exemple pour la France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23.
p.16
Le Tableau III nous montre que le salaire brut annuel moyen est plus élevé en
Allemagne qu’en France aussi bien d’après les statistiques d’Eurostat que de
l’OCDE. Par ailleurs, le salaire brut apparait également légèrement plus élevé en
Allemagne qu’en France selon Eurostat. En revanche, le coût du travail horaire
apparait pour sa part moins élevé en Allemagne selon Eurostat. Quant aux
cotisations sociales, elles s’avèrent deux fois moins élevées en Allemagne qu’en
France : un employeur allemand doit payer 28 euros de charges pour un salaire
brut de 100 là où un employeur français devrait payer 50 euros pour le même
montant. Cela s’explique par le fait que le cout du travail a augmenté deux fois
plus vite en France qu’en Allemagne au cours des années 2000 : 39,2% contre
19,2% entre 2001 et 2011 (Fabre, 2013)114 Ce fait est prend d’autant plus
d’ampleur lorsqu’il est question des différences de prélèvement aux entreprises,
notamment les cotisations sociales (voir Figure XI)115.
114
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.29
115
NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe), « L'Allemagne, un exemple pour la
France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23. p.15
51
Rousseau Marie-Léa
Figure XI: Comparaison des prélèvements obligatoires entre la
France et l'Allemagne en 2006 (en % du bénéfice)
Source : NOUEL Bertrand (avec la collaboration de FRANCOIS Philippe),«
L'Allemagne, un exemple pour la France? ». Société civile n°98, Janvier 2010, p.12-23.
p.15
La stratégie de compétitivité est devenue une véritable source de croissance pour
l’Allemagne car la modération salariale a permis de contrôler le niveau de
l’inflation aboutissant au gain de parts de marché par l’exportation de produits bons
marchés. Par conséquent, la balance commerciale de l’Allemagne est devenue
excédentaire grâce à la stagnation durable des salaires allemands. Cependant, nous
verrons que cette stratégie suscite des critiques de plus en plus vives car l’excédent
commercial de l’Allemagne renforcerait les déficits des autres pays membres de
l’Union Européenne. Le pays est ainsi régulièrement accusé de pratiquer du
dumping social, pratique théoriquement interdite par l’Union Européenne, en
profitant de l’absence de salaire minimum généralisé pour recourir à des emplois
très peu rémunérés (voir p.66).
A.2.3.
Des mesures controversées: des réformes responsables d’une
hausse de la précarité?
Enfin, il nous faut expliquer pourquoi les « réformes Hartz » sont controversées
bien qu’elles aient atteint leurs objectifs initiaux. L’évolution du marché du travail
suscite des critiques car les réformes sont accusées par leurs détracteurs d’avoir
engendré de la précarité. Premièrement, les réformes auraient entrainé le
développement des bas salaires, ce qui pose potentiellement problème dans la
mesure où la préservation des emplois passe par l’octroi de rémunérations
52
Rousseau Marie-Léa
insuffisantes pour couvrir les besoins des salariés (Spitznagel, 2009)116. Cela
oblige, soit ces derniers à cumuler des emplois, soit l’Etat à créer de nouveaux
dispositifs contre la pauvreté. Deuxièmement, la multiplication des emplois nontraditionnels serait également créatrice de précarité à long terme car ils
permettent rarement de mener à un emploi stable. Les critiques se concentrent
également sur les Minijobs qui ne rémunèrent leurs détenteurs qu’à hauteur de 400
euros par mois. En 2012, 7,3 millions de personnes travaillaient dans le cadre d’un
Minijob, devenu le symbole de la précarité allemande. Pourtant, leur nombre a
fortement augmenté fortement entre 1996 et 2006 mais a stagné depuis.
Troisièmement, la pauvreté aurait augmenté, d’où les critiques virulentes à l’égard
des réformes. Pourtant, le taux de pauvreté aurait augmenté plus vite en
Allemagne (3,6%) qu’en France (1%) sur la période 2005-2011 (Fabre, 2013)117.
Parallèlement, la diminution de des prélèvements pouvait laisser craindre des
difficultés à financer l’Etat social. Or, les réformes de flexibilisation du travail ont
permis de faire reculer les dépenses publiques consacrées au chômage de 31
milliards d’euros, soit une baisse de 35,7%, entre 2005 et 2011 (Fabre, 1999).
Ainsi, ces dépenses ne représentaient plus que 56,4 milliard d’euros en 2011, soit
2,2% du PIB, contre 87,7 milliard en 2005, doit 3,7% du PIB. Quant aux
prestations de chômage, elles ont presque diminué de moitié sur la même période,
passant de 22,2 milliard d’euros à 12,1 milliards. Les uns interprètent le recul de
ces dépenses comme un sauvetage de l’Etat social alors que d’autres y présagent
le démantèlement de ce dernier.
B.
Des conséquences sur les relations
professionnelles de plus en plus controversées
Deuxièmement, la question centrale reste de savoir si le « modèle allemand »
traditionnel a su se renouveler sans remettre en cause ses principes de base les
réformes des années 2000, que les réformes de flexibilisation du marché du travail
soient perçues comme un échec ou une réussite. Les réformes de flexibilisation ontelles fait évoluer les relations sociales au sein de l’entreprise d’une conception
116
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.13
117
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.34
53
Rousseau Marie-Léa
« stakeholder » à une conception « stockholder » ?
Concernant l’Allemagne,
Michel Albert a t-il eu la bonne intuition en affirmant que le capitalisme anglosaxon l’emporterait sur le capitalisme rhénan?
B.1.
Une évolution vers le « modèle anglo-saxon »…?
D’une part, il nous faut montrer en quoi les « lois Hartz » peuvent être
légitimement analysées comme des réformes conformes à une conception anglosaxonne des relations sociales au sein de l’entreprise, pouvant ainsi corroborer la
thèse de l’évaporation du « capitalisme rhénan » au profit du « capitalisme anglosaxon ».
B.1.1.
Des réformes à l’esprit social-libéral ?
Tout d’abord, il faut rappeler que si l’Allemagne et la Grande-Bretagne se sont
associées en 1990 par la signature d’un manifeste commun, c’est avant tout en
raison de l’admiration du chancelier Schröder pour la social-démocratie incarnée
par Tony Blair en Grande-Bretagne et par Bill Clinton aux Etats-Unis. Or, cette
volonté de rapprochement avec les pays capitalistes dit anglo-saxons pose la
question de leur influence sur l’évolution du système socio-économique de
l’Allemagne. Le « Manifeste Blair-Schröder » a d’ailleurs suscité des critiques non
seulement en raison de sa remise en cause de la gauche traditionnelle mais aussi du
tournant libéral prôné par ses auteurs. Sur le papier, ce document se veut en effet
rassurant sur la volonté des deux dirigeants à se montrer « fidèles à leurs
valeurs »118, notamment celle de ne pas démanteler l’Etat-Providence, garant de la
solidarité. Ils cherchent notamment à montrer leur volonté d’incarner une troisième
voie conciliant précisément les valeurs auxquelles ils souhaitent rester fidèles (ex :
solidarité) avec celles auxquelles ces dernières s’opposent idéologiquement (ex :
esprit de responsabilité). Or, si cette volonté de conciliation semble réelle,
l’inquiétude qu’a pu susciter ce document est légitime en raison d’éléments se
rapportant clairement au modèle capitaliste anglo-saxon. Le « Manifeste » affirme
vouloir moderniser l’Etat plutôt que le démanteler mais construit sa critique contre
l’Etat-Providence, autour des dérives de la justice sociale qui aurait entrainé deux
confusions. D’une part, la justice sociale aurait été confondue avec l’égalité, qui
118
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
54
Rousseau Marie-Léa
aurait pour effet pervers de dissuader la créativité des individus et par conséquent
d’encourager la médiocrité. D’autre part, la justice sociale aurait été confondue
avec l’augmentation continue des dépenses publiques, soit une extension croissante
des interventions de l’Etat dans tous les domaines, notamment sur les marchés où il
n’est censé que construire un cadre légal. La priorité aux valeurs comme la justice
sociale, l’égalité et la solidarité, aurait ainsi contribué à la formation d’un système
socio-économique dans lequel les droits auraient été élevés au-dessus des
obligations. Par ailleurs, le « Manifeste » affirme que l’équilibre entre les actions
individuelles et les actions collectives a été rompu, et insiste en particulier sur la
responsabilité individuelle de chacun à travers « la construction autonome de soi »,
« le succès personnel » ou encore «l'esprit d'entreprise ». L’Etat devrait donc être
réformé de sorte à laisser chacun responsable de la situation dans laquelle il se
trouve en témoigne la volonté des auteurs de « transformer la bouée de sauvetage
des droits sociaux en un tremplin pour la responsabilité individuelle »119. Par
ailleurs, les individus devraient être à l’origine de la réussite des entreprises dont le
rôle dans la création de richesses aurait été par ailleurs sous-évalué et par la même
occasion inhibé par les interventions excessives de l’Etat. Le « Manifeste » propose
donc de libérer l’esprit d’initiative en soulageant les entreprises de l’excès de
charges qui les incombe120, ce qui revient précisément à limiter l’action de l’Etat
dans ce domaine. Pour terminer, le « Manifeste » insiste sur l’importance de la
performance, notamment de la performance individuelle121. Or, cette importance du
rôle du marché, cette méfiance envers l’Etat, cet appel à la responsabilisation
individuelle impliquant la performance sont autant de traits associés au capitalisme
anglo-saxon défini au tout début de notre analyse.
B.1.2.
Le « modèle anglo-saxon », moteur des réformes de
flexibilisation du marché du travail ?
Ensuite, les deux pays livrent leur conception commune de l’emploi et du chômage
dans le « Manifeste Blair-Schröder ». Ils font le constat que l’économie mondiale,
119
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.6 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
120
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.1&6.URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
121
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.3 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
55
Rousseau Marie-Léa
de fait, ne permet plus aux individus d’occuper un emploi à vie, d’où le risque
grandissant de périodes de chômage et la montée inexorable des emplois partiels.
La vision chère au « modèle allemand » du salarié alpiniste, gravissant petit à petit
les échelons dans la même entreprise sur plusieurs décennies, s’en trouve par
conséquent fragilisée. Par ailleurs, ces emplois partiels sont perçus comme un mal
nécessaire puisque les bas salaires qui leurs sont associés sont considérés comme
valant mieux que le chômage car ils sont censés représenter « une passerelle vers
des emplois stables et mieux payés »122. Le « Manifeste » sous-entend par ailleurs
que les actifs inoccupés ne se saisiraient pas suffisamment des opportunités
d’emplois qui leur seraient proposés, entretenant ainsi l’idée d’abus du système
d’allocation chômage. C’est pourquoi, il prône la mise en place d’une politique
dynamique de l’emploi qui encourage, voire oblige, les chômeurs à renoncer à leur
inactivité en acceptant les propositions à leur disposition. Or, les mesures prises
dans le cadre de l’Agenda 2010 vont dans le sens d’une conception anglo-saxonne
de l’emploi. Par exemple, la loi « Hartz I » de janvier 2003 s’inspirait directement
du modèle britannique des Jobs Centers en créant les Personal Service Agenturen,
mesure pourtant abrogées en 2008 (Fabre, 2013)123. De même, elle contraint les
chômeurs célibataires à accepter un emploi loin de leur domicile si une opportunité
se présente à eux.
B.1.3.
Le « modèle allemand » remis en cause ?
Enfin, les évolutions engendrées par les « lois Hartz » posent la question de
l’effacement du modèle allemand face au « modèle anglo-saxon » comme l’avait
pressenti Michel Albert. Tout d’abord, le recours toujours plus important au temps
partiel ainsi que le cumul des « petits boulots » représentent une remise en cause de
l’idéal-type des relations sociales cher au « modèle allemand » : comment
construire un sentiment d’appartenance envers une seule et même entreprise lorsque
les contrats de travail sont à durée limitées, et obligent par conséquent les salariés à
changer régulièrement d’employeurs ? Si cette logique est suivie, le lien social
traditionnel
basé
sur
la
stabilité
des
relations
professionnelles
devrait
122
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.7. URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
123
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.23
56
Rousseau Marie-Léa
progressivement se distendre. Par ailleurs, l’évolution des carrières
tendrait à
reposer davantage sur la performance des individus plutôt que leur ancienneté.
Michel Albert mettait déjà en avant que l’évolution fulgurante des carrières
caractéristique du capitalisme anglo-saxon présentait plus d’attrait pour les jeunes
salariés que la progression « sage » du salarié allemand dans l’entreprise124. De
plus, les « réformes Hartz » ont révélé une préférence pour l’emploi plutôt que sur
le salaire, ce qui signifie que l’un ne pouvait être préservé sans sacrifice de
l’autre125. Or, l’Allemagne de l’après-guerre était parvenue à satisfaire le triptyque
salaire/compétitivité/excédents. Concernant les conditions de travail, les salariés
allemands étaient non seulement peu touchés par le chômage, recevaient les salaires
les plus élevés de la Communauté Economique Européenne (CEE) et bénéficiaient
de surcroît de la diminution du temps de travail dans certaines branches. Force est
de constater que ces conditions ont été mises à mal en raison de l’arbitrage entre
compétitivité et salaires. Les salaires n’ont pratiquement pas augmenté depuis le
milieu des années 90, les emplois ont pu être préservés au prix du recours au temps
partiel et les salariés ont dû accepter des augmentations de temps de travail dans le
cadre d’accords compétitivité-emploi. Pour terminer, ces réformes ont mis à mal la
culture du consensus en raison des vives oppositions qu’elles ont suscitées au
moment de leur adoption. Le gouvernement Schröder a d’ailleurs payé le prix de
ses réformes au moment des élections de 2005 à l’issue desquelles le chancelier
sortant s’est vu refuser la confiance du Bundestag, notamment de la part de l’aile
gauche du SPD qui jugeait ces réformes trop libérales.
B.2.
...ou un retour aux sources du « modèle rhénan »?
D’autre part, la présence d’éléments allant dans le sens d’une anglicisation du
« modèle allemand » ne doit pas faire occulter le rôle prépondérant de ces réformes
dans la survie de ce système socio-économique d’après-guerre. Précisément, ces
réformes nécessaires à la survie du « modèle allemand » n’auraient-elles pas permis
un retour aux sources plutôt qu’elles n’auraient menées à son évaporation ?
124
ALBERT Michel, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Éditions du Seuil, L'histoire immédiate, 1991,
350p, p. 138
125
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.32
57
Rousseau Marie-Léa
B.2.1.
La responsabilité individuelle placée au cœur des réformes
Tout d’abord, il faut rappeler, comme précisé plus haut, que l’Allemagne subit des
critiques concernant les conséquences des « lois Hartz » en raison de la dimension
sociale de son système socio-économique qui fait souvent occulter sa nature
profondément libérale. D’après certains auteurs, l’Allemagne n’a en réalité fait que
revenir aux fondements idéologiques de son modèle socioéconomique. Selon Eugen
Spitznagel, l’Agenda 2010 devait renouer avec le pacte d’origine du modèle rhénan
qui devait faire correspondre l’existence de droits à celle de devoirs. 126 Pour Alain
Fabre, ces réformes avaient pour objectif de revenir à « l’esprit d’origine » de la
conception rhénane de l’Etat, ce qu’il appelle « l’aide à l’auto-assistance » (Fabre,
2013)127. Il explique que, dans cette conception, l’Etat ne se substitue pas à la
responsabilité individuelle mais la complète lorsqu’elle est insuffisante. L’individu
doit en conséquence prouver qu’il a mérité ce recours à la solidarité collective, dans
la mesure où la responsabilité individuelle tend vers le collectif. Celle-ci s’inscrit en
effet dans le cadre d’une communauté de devoirs qui légitime l’accès à une
communauté de droits. Au-delà de ses composantes anglo-saxonnes, le
« Manifeste » porte également bien la marque de la conception allemande de la
responsabilité individuelle qui doit contribuer au sentiment collectif. En effet, la
critique du « Manifeste » porte sur le fait que les droits ont été placés au-dessus des
devoirs alors qu’« on ne peut pas se débarrasser de ses responsabilités, envers soimême, sa famille, son voisinage ou l’ensemble de la société, sur l’Etat et s’en
remettre à lui seul »128.Cette conception avait été affirmé par le président Horst
Köhler au moment de son discours inaugural le 2 juillet 2004 dans lequel il estimait
qu’il fallait « changer les mentalités, pour trouver un nouvel équilibre entre la
responsabilité individuelle et la protection collective » (Fabre, 2013)129. Comme
mis en avant plus tôt dans l’analyse, c’est parce que le modèle allemand est
126
SPITZNAGEL Eugen, « Un marché de l’emploi en mutation », Regards sur l'économie allemande » [En
ligne], 91 | 2009, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 01 janvier 2013. URL :
http://rea.revues.org/3671, p.36
127
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
128
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte ». [En ligne] Juin 1998.
p.2 URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
129
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.37
58
Rousseau Marie-Léa
authentiquement libéral qu’il a cherché à lutter contre les excès de l’Etat social en
remettant la responsabilité individuel au centre du lien social qui permet aux
citoyens de former une communauté. C’est pourquoi, le slogan de l’Agenda 2010 se
résumait en la formule « Soutenir et Exiger » (Fördern und Fordern)130 qui devait
incarner cet équilibre entre responsabilité individuelle et protection collective. Cette
conception de la responsabilité individuelle devait théoriquement permettre à
chaque individu de nouer le lien social avec l’ensemble de la communauté de droits
et de devoirs, d’où le second slogan, « Activation et Participation » (Aktivierung
und Teilhabe), qui consacre également les deux faces d’une même pièce
(Spitznagel, 2009)131
B.2.2.
La dimension sociale du système socio-économique allemand
toujours présente
Ensuite, les réformes ont certes représentées des sacrifices davantage que des
avancées sociales132, mais la dimension sociale du modèle allemand n’a pour autant
pas disparu. Comme l’affirme Alain Fabre, l’admiration de Gerhard Schröder pour
la social-démocratie incarnée par Bill Clinton aux Etats-Unis et Tony Blair au
Royaume-Uni ne l’a pas amené à « répudie[r] la dimension sociale de son modèle
économique»133. Par ailleurs, il soutient que les critiques visant la responsabilité des
« lois Hartz » dans la précarisation de la société allemande « relèvent pour
l’essentiel de la rhétorique »134. Tout d’abord, si les entreprises ont pratiqué la
modération salariale depuis une dizaine d’années, les salaires allemands demeurent
supérieurs à la moyenne européenne. Bien qu’ils aient peu augmenté depuis le
milieu des années 90, ils ont repris leur progression à partir de 2010 : 1,6% en
130
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p. 12
131
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
132
COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur
l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012.
URL : http://rea.revues.org/3793, p.11
133
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
134
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.12
59
Rousseau Marie-Léa
2010, 1,5% en 2011, 2,6% en 2012135. La part des bas salaires est certes passée de
14 à 22% entre 1998 et 2010 mais leur progression la plus forte aurait eu lieu avant
les « réformes Hartz » qui auraient conduit à leur stabilisation à partir de 2006. Les
réformes n’auraient donc pas engendré l’explosion des emplois à bas salaires, en
témoigne les propos de Michael Hüther, directeur de l’Institut d’Etudes
Economiques de Cologne : «Nous ne constatons toujours aucune augmentation à
long terme de la part de l’emploi à bas salaires »136. De plus, le taux de pauvreté137
se situait à 15,8% de la population (12,8 millions de personnes) en 2011, soit une
progression de 3,6 point par rapport à 2005. Sur la base d’un indice général
multicritères de pauvreté (monétaire relative, monétaire subjective, privation
matérielle et difficultés financières), Christoph Schröder a établi que l’Allemagne
se trouvait en septième position dans l’Europe des 27. Enfin, les inégalités de
revenu se seraient stabilisées durant la crise alors qu’elles auraient globalement
augmenté dans la zone de l’OCDE dans la mesure où la modération salariale n’a
pas été de pair avec la fin de la redistribution des richesses (Fabre, 2013)138. Par
conséquent, la perception de la pauvreté en Allemagne est différente de celle de son
voisin d’Outre-Rhin, en témoigne les écarts entre les ménages français et allemands
sur leur estimation du degré de difficulté à « joindre les deux bout » (Tableau IV).
135
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p. 29
136
Cité dans : FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du
Benchmark, Septembre 2013, p.1-71, p. 29
137
D’après Eurostat : taux de pauvreté relative après impôts et transferts avec un seuil de 60 % du revenu
médian, soit un revenu annuel inférieur à 11 278 € par an
138
Cité dans : FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du
Benchmark, Septembre 2013, p.1-71, p. 48
60
Rousseau Marie-Léa
Tableau IV: Comparaison du degré d´incapacité à joindre les
deux bout des ménages allemands et français entre 2005 et
2011
Source : Fabre, A. (2013). Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ?. Les Notes
du Benchmark, Septembre, pp. 1-71. p. 29. p.48
Cette comparaison des différences de perceptions des ménages allemands et français
sur leur niveau de difficulté à « joindre les deux bouts » fait apparaitre des résultats
édifiants. D’une part, les trois premières lignes du tableau montrent que les ménages
allemands représentent une proportion moindre que les ménages français à boucler
difficilement leur fin de mois. D’autre part, leur part a régressé sur la période 20052011 alors que celle des ménages français a au même moment augmenté. La
quatrième ligne « Sous total avec difficulté » est d’autant plus instructive : la part des
ménages allemands concernés a reculé de 26,2% sur la période 2005-2011 alors que
celle des ménages français a augmenté de 4,3%. Tout ceci amène Alain Fabre à
conclure que ces réformes de flexibilisation du marché du travail ont permis
d’assurer la longévité de l’Etat social plutôt que de la démanteler139
139
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.13
61
Rousseau Marie-Léa
B.2.3.
La modération salariale, fruit de ce système consensuel
Enfin, il nous mettre en avant que la modération salariale au cœur des critiques
visant les réformes de flexibilisation du travail a été paradoxalement obtenu par le
biais de cette culture du consensus mise en avant plus tôt dans l’analyse. Tout
d’abord, les réformes ont certes été adoptées dans un climat parlementaire tendu
mais sont le fruit de compromis multiples et complexes entre le Bundestag et le
Bundesrat, l’Etat fédéral et les Länder et enfin le patronat et les syndicats140. Par
ailleurs, les gouvernements ayant succédé à l’administration Schröder n’ont pas
cherché à remettre en cause ces réformes,
jusqu’à ce que la question de
l’instauration d’un salaire minimum soit soulevée. De plus, le « Manifeste BlairSchröder », en dépit d’éléments se rapprochant du capitalisme anglo-saxon, porte
malgré tout la marque du modèle rhénan cher au système socio-économique
allemand. Il est ainsi précisé que le gouvernement social-démocrate avait pour
ambition de créer une Alliance pour l’Emploi, la Formation et la Compétitivité des
entreprises qui devait regrouper toutes les parties prenantes autour du thème de
l’évolution du rapport salarial. Cette structure devait reposer sur deux objectifs :
d’une part, le gouvernement souhaitait que le partage de la valeur ajoutée donnât
lieu à des négociations entre salariés et employeurs ; d’autre part, le gouvernement
voulait réaffirmer son soutien aux droits des salariés face aux changements sur le
point de s’opérer. Or, les « sacrifices » des salariés face à la mauvaise conjoncture
de leur entreprise évoqués par Gabriel Colletis font partie intégrante du processus
de négociation entre les acteurs concernés141. Le poids de la responsabilité
individuelle dans le « modèle allemand » implique de se résigner à des conditions
de travail moins rémunératrices pour préserver l’ensemble du groupe. Michel
Albert avait été déjà mis en avant le fait que les salariés avaient concédé, dans le
but de préserver leurs emplois, des baisses de salaires diminuant de trois à quatre
points leur pouvoir d’achat jusqu’à ce que la conjoncture s’améliorât. Dans les
années 2000, plusieurs accords de compétitivité-emploi au sein d’entreprises ont été
conclus dans ce sens. Les premiers datent de février 2004 lorsque l’entreprise
industrielle IG-Metall et le syndicat Gesamtmetall ont conclu à Pforzheim (Bade140
FABRE Alain, « Allemagne, miracle de l'emploi ou désastre social ? », Les Notes du Benchmark,
Septembre 2013, p.1-71, p.35
141
COLLETIS Gabriel, « Mutation du « modèle rhénan » et avenir du modèle européen », Regards sur
l'économie allemande [En ligne], 67 | 2004, mis en ligne le 08 octobre 2009, consulté le 16 octobre 2012.
p.11.URL : http://rea.revues.org/3793
62
Rousseau Marie-Léa
Wurtemberg) des accords engageant l’entreprise à ne pas délocaliser en échange de
l’allongement du temps de travail de 35 à 40 heures hebdomadaires sans
compensation salariale. En 2004 et 2006, 850 accords de cette nature ont été
conclus pour permettre aux entreprises de s’adapter à la concurrence sans impliquer
de pertes d’emplois pour leurs salariés.
Ainsi, il a été question de comprendre ce qui définit non seulement le capitalisme
rhénan, mais surtout le « modèle allemand » de l’après-guerre. L’analyse a montré
que le capitalisme rhénan correspond à une forme de capitalisme dit stakeholder
dont le fonctionnement se base sur l’importance des relations entre les parties
prenantes. Le système économique, et plus précisément l’entreprise, y sont perçus
comme des communautés d’intérêts où le consensus entre les parties prenantes est
particulièrement important. Une telle conception se retrouve dans le système
économique allemand de l’après-guerre qui s’est construit autour de l’économie
sociale de marché, elle-même issue de l’ordolibéralisme. L’Etat ayant uniquement un
rôle de guide du processus économique par la création d’un cadre légal favorisant la
concurrence, les négociations sont menées par les acteurs directement impliqués dans
le processus de décision. Cela entraine une conception du pouvoir horizontale qui
favorise l’existence de plusieurs pôles de décisions sur tout le territoire allemand
grâce à la répartition géographique du Mittelstand. Par ailleurs, ce refus du dirigisme
s’observe également au sein des entreprises ou la Mitbestimmung permet d’intégrer
toutes les parties prenantes, y compris les salariés, au processus de décision. De
même, le parcours traditionnel d’ « alpiniste » permet aux salariés de devenir des
membres à part entière de leur entreprise, et de s’identifier à cette dernière. Ce
modèle défini comme vertueux par Michel Albert a cependant été remis en question
par les bouleversements des années 90, en particulier la réunification, qui ont mis en
lumière les rigidités de ce système. Or, Michel Albert prévoyait que ce modèle
vertueux finirait par s’estomper au profit du capitalisme anglo-saxon, évolution qui
divisait les chercheurs à la fin des années 90. L’Allemagne a réagi à ses difficultés
par la mise en place des « réformes Hartz » qui ont notamment favorisé le recours
aux emplois partiels pour lutter contre le chômage, quitte à exiger des sacrifices de la
part des salariés en termes de conditions de travail et de rémunération. Ces réformes
sont de fait parvenues aux objectifs fixés et ont par la même occasion renoué avec
63
Rousseau Marie-Léa
l’esprit initial du « modèle allemand » selon lequel les droits sont conditionnés par
les devoirs. En revanche, elles sont aussi accusées d’avoir encouragé une certaine
précarité parmi la population active allemande, bien que la précarité en Allemagne ne
soit dans la moyenne européenne et moins forte que chez son voisin français.
Cependant, nous allons voir que ces critiques sont devenues plus incisives ces
dernières années et qu’elles ont notamment émané d’institutions internationales et
européennes qui ont incité l’Allemagne à remédier à certains effets des « lois
Hartz ». L’adoption récente de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum
national pose la question d’un nouveau tournant dans la politique de l’emploi de
l’Allemagne et dans l’évolution future du « modèle allemand » des relations sociales.
64
Rousseau Marie-Léa
Partie II. :
L’introduction
d’un
salaire
minimum
national: simple correction
des effets négatifs des
« réformes
Hartz »
ou
expression d’un nouveau
changement de cap?
Dans un second temps, l’analyse sera consacrée au projet de loi sur l’introduction
d’un salaire minimum généralisé (der flächendeckende Mindestlohn) en Allemagne
tel que le prévoyait l’accord signé le 27 novembre 2013 à l’issue de longues
tractations entre le parti démocrate-chrétien (CDU) et le parti social-démocrate
(SPD) après les élections législatives du 22 septembre 2013. Or, l’instauration d’un
salaire minimum généralisée constitue non seulement un tournant majeur par
rapport aux « réformes Hartz » menées dix ans plus tôt mais également par rapport
au système socio-économique allemand de l’après-guerre dont l’évolution apparait
de plus en plus contestée. Bien que nous ayons conclu sur l’adaptation plutôt que
l’évaporation du « modèle rhénan » sous l’effet des « lois Hartz », des critiques de
plus en plus virulentes se sont élevées contre les effets négatifs des mesures de
flexibilisation du travail. En dépit du fait que ces mesures aient eu pour objectif de
remettre la responsabilité individuelle au cœur du système allemand des relations
professionnelles, elles n’en restent pas moins accusées par leurs détracteurs d’avoir
fragilisé le rapport d’équilibre entre patronat et salariat. L’introduction d’un salaire
minimum généralisé peut-elle renforcer les bases du « modèle allemand»?
65
Rousseau Marie-Léa
Chapitre.I. La mise en place du
salaire minimum : l’expression d’un
changement de cap
En premier lieu, il convient d’analyser les raisons qui ont progressivement mené au
consensus parmi les parties prenantes du système socio-économique allemand
(partis politiques, syndicats, opinion publiques, etc...) quant à l’introduction d’un
salaire minimum national. La mise en place d’une telle mesure n’apparait pourtant
pas comme une solution évidente au vu des fondements du « modèle allemand » de
l’après-guerre. C’est pourquoi, cette question occasionne des débats vifs à partir du
milieu des années 90, qui se sont fortement intensifiés à partir du milieu des années
2000.
A.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire
minimum :
une
solution
qui
a
progressivement fait consensus
Premièrement, il nous faut procéder à la description du projet de loi sur
l’introduction du salaire minimum (MiLOG) qui a été adopté récemment par le
Bundestag et le Bundesrat, et dont les dispositions entreront en vigueur dès le 1 er
janvier 2015.
A.1.
Le salaire minimum : une solution qui a fait
progressivement consensus en Allemagne à partir
des années 90
D’une part, il nous faut décrire précisément le contexte qui a mené à ce que l’idée
de l’introduction du salaire minimum fasse consensus dans la classe politique
allemande.
A.1.1.
L’Allemagne face aux critiques
internationales et européennes
des
institutions
Tout d’abord, l’accord du 27 novembre 2013 signé par la CDU et le SPD intervient
dans un contexte de critiques de plus en plus virulente contre les « réformes Hartz »
66
Rousseau Marie-Léa
qui ont pourtant permis à l’Allemagne de sortir du marasme économique au milieu
des années 2000 et de faire face aux crises mondiales et européennes depuis 2008.
L’Allemagne, désormais perçue comme la locomotive de l’Union Européenne, se
voit régulièrement reproché son manque de loyauté en basant sa réussite sur des
relations déséquilibrées avec ses partenaires européens. Parmi les critiques
formulées, certaines ont émanée d’institutions internationales et européennes qui
ont enjoint l’Allemagne de changer de cap quant à sa politique de l’emploi. Il nous
parait utile de citer trois exemples particulièrement récents. La première critique
provient d’un rapport du Bureau International du Travail (rattaché à l’Organisation
Internationale du Travail), intitulé « Tendances mondiales de l’emploi 2012 :
prévenir une aggravation de la crise de l’emploi ». Ce rapport de 129 pages, publié
le 24 janvier 2012, consacre un encadré à l’évolution des salaires en Allemagne
(voir Annexe III) (Bureau International du travail, 24 janvier 2012). Dans le titre
de l’encadré, le Bureau International du Travail fait d’emblée le lien entre
l’évolution des salaires en Allemagne depuis la réunification allemande et les
difficultés de la zone euro. En se basant sur les chiffres de l’Organisation de
Coopération et de Développement Economique (OCDE), le Bureau International du
Travail (BIT) met en avant que la nécessité de surmonter l’épreuve de la
réunification a conduit l’Allemagne à pratiquer une déflation salariale en faisant
pression par le bas sur les salaires allemands. Le tableau de l’OCDE utilisé montre
que la productivité par rapport aux autres pays de l’OCDE est demeurée stable en
1995 et 2010 alors que les salaires réels ont significativement diminué dans le
même temps. D’après le BIT, cette politique des bas salaires renforcée par les
« réformes Hartz » a non seulement limité la consommation des ménages, pourtant
si importante pour le dynamisme de l’activité économique dans une perspective
keynésienne, mais elle a surtout eu un impact sur celle des autres pays européens
qui auraient tendances à considérer la déflation salariale comme la solution à leurs
problèmes de compétitivité. Sans l’affirmer explicitement, le BIT semble imputer à
l’Allemagne la responsabilité des difficultés dans la zone euro en raison du cap
qu’elle a choisi pour sortir de son propre marasme économique dix ans auparavant.
La seconde critique émane de la Commission Européenne lorsque celle-ci a décidé
d’ouvrir une enquête le 13 novembre 2013 sur les excédents allemands. Le rapport
sur le mécanisme d’alerte de 2013, rendu public par un communiqué de presse le 28
novembre 2012, préconisait « un bilan approfondi de l’évolution des déséquilibres
67
Rousseau Marie-Léa
macroéconomiques dans 14 pays membres »142 (Belgique, Bulgarie, Danemark,
Espagne, France, Italie, Chypre, Hongrie, Malte, Pays-Bas, Slovénie, Finlande,
Suède et Royaume-Uni). Il n’était donc nullement question de l’Allemagne, qui ne
faisait pas partie des pays visés. En revanche, la publication du rapport du
mécanisme d’alerte 2014 le 28 novembre 2013 a donné lieu à l’ouverture
d’examens approfondis sur 16 pays, dont l’Allemagne faisait cette fois-ci partie.
Cependant, au-delà de l’examen approfondi, c’est l’ouverture d’une enquête sur les
excédents commerciaux qui a visé l’Allemagne. Or, les résultats d’une enquête
peuvent éventuellement mener à des sanctions de la part de la Commission
Européenne à l’égard de l’Etat concerné à hauteur de 0,1% du PIB si le plafond fixé
par les institutions européennes est dépassé. L’Allemagne a notamment été
critiquée par José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne dans
un discours du 5 octobre 2013 dans l’église Saint-Paul de Francfort, soit quelques
semaines avant l’ouverture officielle de l’enquête143. Ce dernier avait notamment
souligné que l’Allemagne devait apporter sa contribution à la résolution des
déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. Il visait en particulier les
excédents commerciaux allemands, conséquences du fait que l’Allemagne exporte
davantage qu’elle n’importe depuis 1952. L’excédent commercial de l’Allemagne,
le plus élevé du monde avec 6,9% du produit national brut allemand, dépasse de
fait le seuil de 6% au-delà duquel il est jugé excessif car facteur de déséquilibre
envers les partenaires de la zone euro. Or, cette problématique de la balance
commerciale excédentaire peut être reliée à celle des salaires allemands : elle est en
effet le fruit d’une
compétitivité des produits qui est elle-même en partie la
conséquence de la faible croissance des salaires des années 90 qui entraine une
faible progression de la consommation des ménages. Le député socialiste français
Liêm Hoang-Ngoc, membre de la commission des affaires économiques et
monétaires a d’ailleurs réagit à l’ouverture de cette enquête en résumant la situation
de la manière suivante :
142
EUROPA - COMMUNIQUES DE PRESSE - Communiqué de presse - La gouvernance économique de
l'UE en clair [En ligne], Europa.eu Press release database, mis en ligne le 10 avril 2014, consulté le 2 août
2014. URL : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-318_fr.htm?locale=FR
143
“Barroso urges Germany to act on euro imbalances”[En ligne], EurActiv | EU News & policy debates,
across languages, mis en ligne le 6 novembre 2013, consulté le 2 aout 2014. URL :
http://www.euractiv.com/euro-finance/barroso-urges-germany-act-euro-i-news-531535
68
Rousseau Marie-Léa
« Les déséquilibres en termes de performances économiques et
sociales minent les fondements même de la zone euro : si la Grèce
ne peut pas vivre éternellement à crédit, l'Allemagne ne peut pas
non plus se satisfaire d'exporter sa forte production de biens vers
ses partenaires tout en affichant plus de 8 millions de travailleurs
pauvres»144
La Commission a publié les conclusions de cette quatorzième enquête sur un pays
membre le 7 mars 2014, sachant qu’aucune des précédentes n’avait abouti à des
sanctions. L’Allemagne a de fait évité les sanctions mais n’a pour autant pas été
épargnée par les critiques concernant son excédent commercial. La troisième
critique que nous évoquerons provient de l’affaire opposant la Belgique à
l’Allemagne concernant le montant des salaires dans l’industrie de la viande. Le 19
mars 2013, Johan Vande Lanotte, ministre belge de l’économie, et Monica de
Coninck, ministre belge de l’emploi, ont conjointement porté contre l’Allemagne
devant la Commission Européenne pour dénoncer des pratiques de concurrence
déloyales. D’après eux, le secteur de la viande allemand emploie massivement des
travailleurs des pays de l’Est environ 60 heures par jour et à environ trois à quatre
euros de l’heure. Les deux ministres ont ainsi accusé l’Allemagne de pratiquer du
dumping social, pratique interdite par l’Union Européenne, qui consiste à faire
augmenter sa compétitivité au mépris des règles sociales. Or, les deux ministres ont
précisément critiqué l’absence de salaire minimum dans l’industrie de la viande qui
permet de pratiquer cette concurrence déloyale qui consiste à attirer les entreprises
par le biais de salaires anormalement bas145. Ainsi, le poids des critiques à l’échelle
européenne a donné de l’écho aux principaux acteurs internes revendiquant la mise
en place d’un salaire minimum, alors que cette mesure n’apparaissait pas évidente.
D’une part, le salaire semble remettre en question les « lois Hartz » de
flexibilisation du travail pourtant mises en place au début des années 2000 et
d’autre part il représente une réforme majeure quant au système allemand de
144
« Bruxelles s'interroge sur l'excédent commercial allemand » [En ligne], EurActiv | EU News & policy
debates, across languages, mis en ligne le 13 novembre 2013, consulté le 2 aout 2014. URL :
http://www.euractiv.com/euro-finance/barroso-urges-germany-act-euro-i-news-531535
145
« Faire découper la viande en Allemagne coûte beaucoup moins cher, polémique » [En ligne],
RTBF.be|Info, mis en ligne le 19 mars 2014, page consultée le 31 mars 2014. URL :
http://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-belgique-denonce-le-dumping-social-de-lallemagne?id=7950659
69
Rousseau Marie-Léa
l’après-guerre, ce qui pose la question de la place de cette mesure dans l’évolution
du « modèle allemand ».
A.1.2.
Le salaire minimum : une solution qui fait désormais
consensus
Ensuite, la complexité de l’introduction du salaire minimum généralisé réside dans
le fait qu’une telle mesure n’a jamais existé. La loi de 1952 intitulé Gesetz für die
Festsetzung von Mindestarbeitsbedingungen146 constitue l’une des seules réformes
sur les conditions de travail issue de l’Etat fédéral. Cette loi fixe les conditions de
travail minimales que les entreprises sont tenues de respecter dans trois cas précis
(Löwisch, 2008)147 :
Les syndicats ou associations de travailleurs ou n’existent pas dans
un secteur de l’économie ou qu’ils ne regroupent qu’une minorité
d’actifs
La mise en place de conditions minimales de travail apparait
essentielle pour satisfaire les besoins économiques et sociaux des
actifs
La règlementation des rémunérations ou de toutes autres conditions
de travail censées s’appliquer à tous les salariés concernés par un
tarif de branche ne s’applique pas correctement
L’idée
d’introduire
un
salaire
minimum
généralisé
en
Allemagne
est
« l’aboutissement d’un long processus initié au milieu des années 2000 [ayant]
conduit à un relatif consensus sur la nécessité de mieux protéger les salariés du
dumping salarial en vigueur dans certains secteurs ou certaines entreprises »
(Chagny & Lebayon, 2014)148. La Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB) a été le
146
« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,
consulté
le
17
juillet
2013.
URL
:
http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn
147
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.7-8
148
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En
ligne], Sciences Po Paris OFCE, mis en ligne le 11 juillet 2014, consulté le 13 juillet 2014. URL :
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grandpas-pour-lallemagne/
70
Rousseau Marie-Léa
premier syndicat à se prononcer officiellement pour l’instauration d’un salaire
minimum généralisé, et depuis la plupart des syndicats défendant les intérêts des
travailleurs ont adopté la même position. Parmi les partis politiques, le SPD et les
Verts ont été les premiers à opérer un revirement alors que leur coalition sous le
gouvernement Schröder était pourtant l’instigatrice des « lois Hartz ». Pour sa part,
la CDU/CSU s’est rallié très récemment à l’idée d’introduire un salaire minimum
généralisé. Le 4 novembre 2011, l’Antragskommission149 s’est d’ailleurs exprimé
sur le sujet lors du congrès de la CDU à Leipzig, affirmant que le parti se
prononçait pour des seuils (Lohnuntergrenze) dans les branches mais refusait
l’introduction d’un salaire minimum généralisé, selon les termes suivants :
"Die CDU Deutschlands hält es für notwendig, eine allgemeine
verbindliche Lohnuntergrenze in den Bereichen einzuführen, in
denen ein tarifvertraglich festgelegter Lohn nicht existiert. Die
Lohnuntergrenze wird durch eine Kommission der Tarifpartner
festgelegt, die Höhe der Lohnuntergrenze soll sich am
Tarifabschluss für Zeitarbeitnehmer orientieren. Wir wollen eine
durch die Tarifpartner bestimmte und damit marktwirtschaftlich
organisierte
Lohnuntergrenze
und
keinen
politischen
Mindestlohn“.
La formation de la première grande coalition à l’issue des élections législatives de
2005 n’avait abouti à aucun accord entre la CDU et le SPD quant à la mise en place
d’un salaire minimum généralisé. En revanche, le traité de coalition comportait bien
une clause prévoyant d’étendre le salaire minimum à plusieurs branches de
l’économie allemande selon deux procédures. L’une consiste à autoriser les
syndicats et les fédérations patronales à conclure des salaires minimums dans le
cadre d’une convention de branche. Le gouvernement peut leur conférer force de
loi par le biais de la procédure d’extension prévue par la Loi sur les travailleurs
détachés (Arbeitsentsendegesetz) à deux conditions : d’une part, ces conventions
doivent valoir sur l’ensemble du territoire allemand et d’autre part, elles doivent
concerner au moins la moitié de l’ensemble des salariés de la branche. En juin
2007, la Grande Coalition est parvenu à un accord prévoyant explicitement
l’extension de la Loi sur les travailleurs détachés à plusieurs branches 150. Les
149
L‘Antragkommission correspond à l’organe d’un parti politique, chargé d’organiser les congrés
71
Rousseau Marie-Léa
demandes auprès du gouvernement fédéral pouvaient être déposées par les parties
prenantes des branches jusqu’à la fin du mois du mars 2008 151. Deux conditions
pour accéder à la mise en place d’un salaire minimum généralisé à l’ensemble de la
branche devaient être remplies : d’une part, seules les conventions tarifaires
couvrant la moitié des salariés pouvaient faire l’objet d’une demande pour être
étendues à l’ensemble de la branche ; d’autre part, la loi de 1952 sur les conditions
minimales de travail devait être remplacée au profit d’une loi prévoyant
explicitement le salaire minimum dans les secteurs économiques comportant des
conventions tarifaires minoritaires ou qui tout simplement inexistantes (Löwisch,
2008)152. L’extension des salaires minimum aux branches s’est donc fait en deux
étapes distinctes. La première étape a consisté à laisser les parties prenantes des
branches conclure elles-mêmes des accords portant sur la mise en place d’un salaire
minimum dans la tradition du système économique allemand de l’après-guerre.
L’Etat se contente donc de créer un cadre et de laisser les acteurs économiques
prendre eux-mêmes leurs décisions. La deuxième étape
a consisté en une
intervention de l’Etat par la modification des dispositions de la loi de 1952 pour
permettre de fait l’extension des conventions tarifaires à l’ensemble des salariés
d’une branche. Les modifications de la loi sont entrées en vigueur le 28 avril
2009153, et permettent à l’Etat de fixer de nouveaux standards minimum selon la
procédure suivante. Une « Commission principale », réunissant des représentants
des syndicats, du patronat et des milieux scientifiques, est chargée de déterminer si
les conditions de travail dans une branche constitue une situation « d’urgence
sociale » (soziale Verwerfungen). Si une telle situation est constatée, une
« Commission technique » (Fachausschuss) est mise sur pied pour déterminer le
montant d’un salaire minimum154. En revanche, le gouvernement noir-jaune de la
151
« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,
consulté
le
17
juillet
2013.
URL:
http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn
152
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, p.1-35, p.7-8
153
Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne], www.lohn-info.de - Informationen zur Lohn
und Gehaltsabrechnung, mis en ligne en 2014, consulté le 1 er aout 2014. URL: http://www.lohninfo.de/mindestlohn.html
154
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.30. URL : http://rea.revues.org/3900
72
Rousseau Marie-Léa
CDU et de la FDP réaffirme dans son traité de coalition son opposition au salaire
minimum généralisé : «Nous refusons le salaire minimum généralisé » [Notre
traduction]155. Depuis, tous les partis politiques au Bundestag hormis le FDP sont
désormais favorables au salaire minimum. L’opinion publique allemande se révélé
d’ailleurs très majoritairement favorable à la mise en place du salaire minimum.
Entre 2008 et 2012, la part des partisans du salaire minimum est passée de 55% à
72%, soit de la moitié au trois-quarts de l’opinion en l’espace de quatre ans (Brenke
& Müller, 2013)156. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs utilisé cet argument sur le
site suivant157, rattaché au Ministère du Travail et des Affaires Sociales158. D’après
la Figure XIII, environ 80% de chaque classe d’âge approuve l’introduction du
salaire minimum
155
« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,
consulté
le
17
juillet
2013.
URL
:
http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn : „Einen einheitlichen
gesetzlichen Mindestlohn lehnen wir ab“
156
BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,
DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25.
September 2013, S.3-16, S.16
157
Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient [En ligne] Bundesministerium für Arbeit und
Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohnkommt.de/ml/DE/Startseite/start.html
158
Der Mindestlohn - Was denken die Deutschen [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt
sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet
2014. URL: http://www.der-mindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografikmindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile
73
Rousseau Marie-Léa
Figure XIII: Sondage d'opinion de la population allemande sur
le salaire minimum national en fonction de l'âge
Source: Der Mindestlohn - Was denken die Deutschen [En ligne], Der Mindestlohn
kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales,
mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
Par ailleurs, l’approbation du salaire minimum est également largement
majoritaire en fonction de l’appartenance politique (voir Figure XIV)159. Alors
que 98% des sympathisants de la Gauche (Die Linke), soit presque la totalité,
contre 74% des sympathisants de la CDU/CSU, soit les trois-quarts, estiment que
le salaire minimum est gage de justice. Au minimum trois-quarts des
sympathisants de chaque groupe politique estiment que le salaire minimum est
une bonne chose pour l’économie.
159
Einstellung zum Mindestlohn in Deutschland nach Parteipräferenz | Umfrage [En ligne], Focus Statista
2014,
consulté
le
24
juillet
2014.
URL:
http://de.statista.com/statistik/daten/studie/207474/umfrage/einstellung-zum-mindestlohn-in-deutschland/
74
Rousseau Marie-Léa
Figure XIV: Sondage d'opinion de la population allemande sur
le salaire minimum national en fonction de l'appartenance
politique
Source: Einstellung zum Mindestlohn in Deutschland nach Parteipräferenz | Umfrage
[En ligne], Focus Statista 2014, consulté le 24 juillet 2014. URL:
http://de.statista.com/statistik/daten/studie/207474/umfrage/einstellung-zummindestlohn-in-deutschland/
Etant donné l’évolution de l’opinion publique sur la question du salaire minimum,
les parties prenantes au dialogue pouvaient difficilement ne pas prêter attention à
cette tendance.
A.1.3.
L’adoption du projet de loi sur l’introduction d’un salaire
minimum généralisé en Allemagne
Enfin, il nous faut décrire en quoi consiste précisément la Mindestlohngesetz
(MiLOG) dont les dispositions entreront en vigueur dès le 1 er janvier 2015. Comme
le souligne la ministre du Travail et des Affaires Sociales Andrea Nahles dans son
discours du 3 juillet 2014 devant le Bundestag, l’arrivée du salaire minimum
généralisé était explicitement prévu par la signature de l’accord de coalition du 27
novembre 2013 entre la CDU et le SPD160. Le salaire minimum constitue la première
mesure emblématique à avoir été menée à terme par le gouvernement de Grande
160
Der Mindestlohn – Zeitplan für den Gesetzgebungsprozess [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht
geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne 2014, consulté le 21
juillet
2014.
URL:
http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
75
Rousseau Marie-Léa
Coalition en à peine six mois. Celle-ci a donc commencé avec les négociations dans
les branches qui ont permis d’aboutir à la présentation d’un projet de loi le 19 mars
2014 par le ministère du Travail et des Affaires Sociales. Par la suite, le Bundesrat,
par le biais du Conseil des Ministres (Bundeskabinett) réunissant les Premiers
Ministres (Ministerpräsident) des Länder, a pris position sur ce projet de loi au cours
du mois d’avril et a procédé à la première lecture au cours du mois de mai tandis que
celle au Bundestag a commencé au mois d’avril. La dernière lecture au Bundestag
s’est tenue lors de la session du 3 juillet 2014, au cours de laquelle Andrea Nahles a
prononcé un discours. Elle souligne notamment le fait que ce projet de loi constitue
« une étape majeure dans la politique sociale et de l’emploi de la République
Fédérale d’Allemagne »161 Le compte-rendu du Bundestag parle quant à lui d’une
décision à la portée historique162. La ministre souligne notamment que les
caractéristiques accolées à de nombreux actifs - « travailleurs, bon marché, sans
protection » [Notre traduction] vont prendre fin avec l’arrivée du salaire
minimum163. Elle met également en avant que la protection des actifs par la fixation
d’un salaire minimum est une question de concurrence loyale, l’inverse étant
reproché à l’Allemagne par ses partenaires européens. Par ailleurs, elle insiste sur le
fait que la loi concerne tous les actifs aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est, dans tous les
Länder et dans toutes les branches. Elle concède quelques exceptions, que nous
aurons l’occasion de détailler lors de la description précise du projet de loi. Bien que
le consensus sur la nécessité d’introduire un salaire minimum se soit installé dans la
classe politique allemande, les prises de positions des différents partis ont donné lieu
à des débats enflammés sur certains détails. Klaus Ernst, député de l’opposition (die
Linke) a critiqué le projet de loi et réclamé une « salaire minimum généralisé sans
161
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html:
Es
ist
nicht
übertrieben, zu behaupten : Wir setzen heute einen Meilenstein in der Arbeitss-und Sozialpolitik der
Bundesrepublik Deutschland
162
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen[En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014],
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: Als Entscheidung
mit historischer Tragweite haben Redner aller Fraktionen die Zustimmung des Bundestages zur
Einführung eines flächendeckenden Mindestlohns in Deutschland ab 2015 gewürdigt
163
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html:
"Fleißig,
billig,
schutzlos, das ist bisher Realität für Millionen Arbeitnehmer. Und damit ist jetzt Schluss"
76
Rousseau Marie-Léa
exception »164. Brigitte Pothmer, députée de l’opposition (Bundnis 90/Die Grünen) a
certes reconnu la dimension historique de la loi mais a estimé qu’elle n’était pas
assez juste en raison des exceptions qui subsistent. Karl Schwiewerling, député de la
coalition (CDU/CSU) a mis en avant le fait que la loi revenait aux fondements du
système allemand de l’après-guerre basé sur la Tarifautonomie en soulignant que la
loi permettrait un équilibre entre le capital et le travail. Katja Mast, députée de la
coalition (SPD) a quant à elle souligné la fierté des députés du SPD d’avoir mené la
réforme au bout. Malgré quelques différences de positions, le résultat du vote a été
sans appel. Sur 631 sièges au total, la Grande Coalition en disposait de 504 sièges, ce
qui permettait de lui assurer une large majorité165. Au total, 535 députés ont approuvé
le projet de loi, 61 se sont abstenus et 5 l’ont refusé166. De même, les amendements
de l’opposition ont été rejetés de façon très majoritaire. La Gauche (die Linke) a vu
son amendement 18/2019 sur l’annulation des exceptions sur les personnes de moins
de 18 ans et pour les chômeurs de longue durée rejeté avec 479 voix contre et 122
voix pour. De même, l’amendement 18/2021 proposé par les Verts qui préconisant
également de supprimer les exceptions au salaire minimum. Quatre autres
amendements de la Gauche (18/2017, 18/2018, 18/2020 et 18/590), de même ont
également été rejetés à une majorité large 167, dont l’amendement 18/590 qui
préconisait la mise en place d’un salaire minimum à hauteur de 10 euros pour tous
les actifs. Quant au Bundesrat, il a approuvé le projet de loi sur l’introduction du
salaire minimum le 11 juillet 2014 en deuxième lecture. Le projet de loi a par
conséquent été définitivement adopté et pourra entrer en vigueur comme prévu le 1 er
janvier 2015.
164
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL:
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: „Wir brauchen
einen flächendeckenden Mindestlohn ohne Ausnahmen.“
165
Wahlergebnis [En ligne] Brandenburgische Landeszentrale politische Bildung, Der neu gewählte
Bundestag wird nach dem endgültigen amtlichen Ergebnis, mis en ligne 9 décembre 2013, consulté le 3
juin 2014. URL: http://www.politische-bildung-brandenburg.de/node/9626
166
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL:
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268: „Wir brauchen
einen flächendeckenden Mindestlohn ohne Ausnahmen.“
167
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL:
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268
77
Rousseau Marie-Léa
A.2.
Les dispositions de la loi sur l’introduction d’un
salaire minimum généralisé
D’autre part, il nous faut expliquer les principales dispositions de la loi sur le
salaire minimum (MiLOG), et la façon dont est celle-ci est censée s’appliquer une
fois entrée en vigueur.
A.2.1.
Le rôle de la «Mindestlohnkommission»
Tout d’abord, la Mindestlohngesetz (MiLOG) prévoit la mise en place d’une
Mindestlohnkommission, sur le modèle de la Low Pay Commission en GrandeBretagne (Bruckmeier & al, 2014)168, qui sera chargée de faire appliquer
progressivement les dispositions à partir du 1er janvier 2015. Elle se composera de
neuf membres qui seront élu tous les cinq ans comme le montre la Figure XXIX
(voir Annexe IV ). Le président devra être élu à la fois par les représentants du
salariat et du patronat. Il en va de même pour six autres membres, les trois premiers
devant être issus des représentants du salariat et les trois autres des représentants du
patronat. Les deux derniers membres doivent être des scientifiques compétents sur
le sujet, nommés par le gouvernement, réputés pour leur indépendance. La
principale mission de cette Commission est de déterminer l’ajustement adéquat du
salaire minimum en fonction de la conjoncture. Le projet de loi prévoit que les
dispositions de la loi entrent pleinement en vigueur le 1er
janvier 2018. La
Commission devra donc se prononcer sur la hauteur du salaire minimum à compter
de cette date au cours de l’année 2016169, et en tout cas ne pas dépasser la date
fatidique du 20 juin 2017 selon l’article 9 du projet de loi170. A partir du 1er janvier
2018, elle devra procéder à cet ajustement tous les ans. Chaque décision de la
Commission doit faire l’objet d’une justification écrite. La procédure de décision au
sein de la Commission est résumée par la Figure XXX (voir Annexe IV ). Pour
168
BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen
gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, p.128
169
Fragen und Antworten zum Mindestlohn [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern
verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014.
URL:
http://www.der-mindestlohn-kommt.de/ml/DE/Ihre-Fragen/Fragen-und-Antworten/faq-zummindestlohn-info.html
170
Entwurf eines Gesetzes zur Stärkung der Tarifautonomie (Tarifautonomiegesetz) [En ligne],
Bundesministerium für Arbeit und Soziales, Gesetzentwurf der Bundesregierung, mis en ligne le 2 avril
2014, consulté le 10 avril 2014. URL: http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDFPressemitteilungen/2014/2013-04-02-gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationFile
78
Rousseau Marie-Léa
qu’une décision soit adoptée par la Commission, il faut qu’une majorité simple se
dégage parmi les membres ayant le droit de vote. Les deux scientifiques nommés
par le Bundesregierung sont les seuls à ne pas en disposer. Quant au président, il est
tenu de s’abstenir au cours du vote. Une majorité de quatre contre deux est donc
nécessaire pour que la décision s’applique. Si la majorité simple n’est pas atteinte,
le président doit présenter aux autres membres une proposition intermédiaire entre
les deux positions (der Vermittlungsvorschlag). Si la majorité n’est de nouveau pas
atteinte à l’issue de cette seconde étape de la procédure, alors la voix du président
compte. La mission confiée à la Commission relève d’une importance haute
puisque c’est sur elle que va reposer le montant du salaire minimum à partir du 1 er
janvier 2018, et par conséquent le niveau de salaire des actifs. Le poids du dilemme
suivant pèse donc sur elle: d’un côté, le salaire minimum est censé assurer aux
actifs un niveau de revenu suffisamment élevé par rapport à la valeur de leur
travail ; d’un autre côté, le niveau du salaire minimum ne doit pas conduire á des
pertes d’emplois trop importantes. Comme le résument Andreas Knabe et al. , « le
débat sur le salaire minimum tourne autour de la question de savoir dans quelle
mesure le salaire minimum aide à atteindre le premier objectif, et à ne pas mettre
en danger le second » (Knabe, et al., 2014)171.
A.2.2.
La période d’adaptation jusqu’à l'entrée en vigueur complète
des dispositions de la loi
Ensuite, il nous faut décrire les dispositions les plus importantes de la
Mindestlohngesetz. D’une part, la loi est censée s’appliquer à tous les salariés, sauf
aux quelques rares exceptions qui ont été déterminées par le Bundesregierung dans
un premier temps puis adopté par le Parlement allemand. Dans son discours devant
le Bundestag, Andrea Nahles a expliqué pourquoi la loi ne s’appliquerait pas à
certains groupes de personnes. Ces exceptions (Ausnahmen) sont clairement
énumérées à l’article 22 de la loi. Le site suivant procure un schéma récapitulatif à
destination des citoyens (voir Annexe IV.C, Figure XXXI)172 :
171
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, Der flächendeckende Mindestlohn, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, p.1
172
Der Mindestlohn – Für fünf Gruppen gelten besondere Regeln [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht
geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le
21
juillet
2014.
URL:
http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
79
Rousseau Marie-Léa
Les jeunes en dessous de 18 ans (die Jugendliche unter 18 Jahre alt)
Comme l’explique Andrea Nahles dans son discours devant le Bundestag concède
cette exception tout en affirmant que celle-ci est justifiable. Selon elle, l’attrait du
salaire minimum ne doit pas encourager les jeunes en difficulté scolaire à écourter
leurs études173
Les apprentis (die Auszubildende)
Concernant les apprentis, la ministre du Travail et des Affaires Sociales n’en parle
absolument pas dans son discours. L’article 22 se contente d’affirmer que la loi ne
régule pas les conditions de rémunérations des personnes suivant une formation
professionnelle.
Les stagiaires (die Praktikanten)
Concernant les stagiaires, la ministre du Travail et des Affaires Sociales conteste le
fait que les règles spéciales s’appliquant aux stagiaires constituent une exception174.
Les stages obligatoires au cours de la scolarité, des études ou des formations
professionnelles ne sont pas soumis au paiement d’un salaire minimum. En
revanche, un stage volontaire au-delà de trois mois soumet automatiquement
l’employeur à verser un salaire minimum. Bien qu’Andrea Nahles soutienne qu’il
ne s’agit pas d’une exception, cette affirmation est contestable. La plupart des
stages volontaires dure rarement au-delà de trois mois, et une telle mesure pourrait
d’ailleurs dissuader les employeurs d’accepter des stagiaires volontaires d’une
durée supérieure. On peut donc supposer que pratiquement aucun stagiaire ne
pourra toucher un salaire minimum dans les faits.
Les chômeurs de longue durée (die Langzeitsarbeitslose)
173
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Gerade schwache
Schulabgänger sollen nicht durch einen ungelernten Job davon abgehalten werden, eine Ausbildung zu
machen“
174
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Ich sage es ganz
klar: die sogenannte Ausnahme „Praktika“ ist keine Ausnahme“
80
Rousseau Marie-Léa
Concernant les chômeurs de longue durée, la ministre du Travail et des Affaires
Sociales s’est justifiée sur le fait que la loi n’obligera les employeurs à payer un
actif sortant d’une longue période de chômage qu’au bout de six mois. Cette
exception a été particulièrement critiquée par les membres de l’opposition qui ont
accusé la loi de ne pas protéger les actifs les plus fragiles face à la conjoncture sur
le marché du travail. La ministre a répondu à ces critiques en rappelant ce qu’elle
estime être la réalité : « Il y à peine assez d’employeurs qui sont prêts à donner une
chance à des chômeurs de longue durée » [Notre traduction]175. La crainte de la
ministre est que la mise en place d’un salaire minimum pour les actifs inoccupés de
longue durée désinciterait d’autant plus les employeurs à leur donner un emploi.
Andrea Nahles se montre cependant prudente et admet qu’elle ne sait pas si cette
règle spéciale (Sonderregel) va porter ses fruits. Elle a ajouté qu’en conséquence,
une évaluation de celle-ci devrait être menée d’ici deux ans pour en mesurer
l’efficacité.
Les bénévoles (die Ehrennamtliche)
Concernant les bénévoles, La ministre n’a pas évoqué cette exception. D’après la
loi, le bénévolat n’entre pas dans la définition d’un travail qui donnerait lieu au
versement d’un salaire minimum.
D’autre part, des exceptions par rapport au salaire minimum vont également
s’appliquer dans les branches pendant la période d’adaptation (die Übergangszeit)
régulée par l’article 23 de la Mindestlohngesetz. L’adaptation des salaires dans les
branches concerne celles qui possèdent déjà un salaire minimum en deça de 8,50
euros de l’heure, et dont les conventions tarifaires ont été étendues à l’ensemble de
la branche dans le cadre de l’Arbeitnehmer-Entsendegesetz. Les parties prenantes
doivent conclure des accords de branches qui prévoient le relèvement progressif du
salaire minimum au niveau requis par la loi d’ici le 31 décembre 2016 (Lesch, et
al., 2014)176. Par conséquent, les dispositions de la loi n’entreront réellement en
vigueur qu’à partir du 1er janvier 2017 pour les conventions tarifaires procurant des
175
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, consulté
le 3 juillet 2014, consulté le 5 juillet 2014. URL : http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/AndreaNahles/rede-14-07-03.htm: „Wir finden kaum genügend Arbeitgeber, die überhaupt bereit sind,
Langzeitarbeitslosen eine Chance zu geben“
176
LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste
ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.3
81
Rousseau Marie-Léa
bas salaires177. Jusqu’à cette date, les entreprises couvertes par ces conventions
pourront donc repousser de deux ans l’application de ces dispositions.
A.2.3.
Le contrôle et l’évaluation des dispositions de la loi sur
l’instauration sur le salaire minimum
Enfin, la loi ne pourra réellement s’appliquer si elle ne fait pas l’objet d’un
véritable contrôle qui permette de sanctionner les branches et les entreprises ne se
conformant pas aux dispositions dans le délai imparti. Comme l’a expliqué Andrea
Nahles, la mise en place d’une telle mesure nécessite le recrutement de 1600
employés de plus au sein du Finanzkontrolle Schwarzarbeit (FKS) afin de renforcer
le dispositif de surveillance. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, 6800
fonctionnaires travaillaient au service de l’inspection du travail en 2013 et
l’adaptation au salaire minimum nécessiterait au moins 2000 fonctionnaires de plus
(Chagny & Lebayon, 2014)178. Elles affirment par ailleurs dans un autre document
que le contrôle doit être considérablement renforcé dans la mesure où « 36% des
salariés percevant moins de 8,5 euros brut par heure n’ont pas de durée du travail
fixée dans leur contrat de travail [et] 70% des salariés qui perçoivent moins de
8,50 euros de l’heure travaillant dans des établissements sans conseil
d’établissement » (Chagny & Lebayon, 2014)179. A ce sujet, Karl Brenke et
Gert.G.Wagner soutiennent la meme position: « Il faut en premier lieu prêter
attention au fait que le décompte et la surveillance des salaires horaires sera
difficile pour tous les métiers pour lesquels il n’existe aucune règlementation sur la
durée du travail » [Notre traduction] (Brenke & Wagner, 2014)180. Quant à
177
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014. URL :
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268
178
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, Juin 2014, p.1-18,
p.14
179
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En
ligne], Sciences Po Paris OFCE, date de publication : 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] :
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grandpas-pour-lallemagne/
180
BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken
der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p.
751-757,
mis
en
ligne
en
2013,
consulté
le
23
juin
2014.
URL :
http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/: „Dabei
ist zum Ersten zu beachten, dass die Berechnung und Überwachung von Stundenlöhnen bei all denjenigen
Jobs schwierig werden wird, bei denen es überhaupt keine Regelung über die Dauer der Arbeitszeit gibt“
82
Rousseau Marie-Léa
l’évaluation des effets de l’introduction du salaire minimum, la loi prévoit de
l’effectuer en 2022.
B.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire
minimum : la volonté de renforcer le système
de la Tarifautonomie
Deuxièmement, il nous faut mettre en avant les principaux arguments avancés par
les partisans de l’introduction d’un salaire minimum national, parmi lesquels
l’affaiblissement inéluctable du système de l’autonomie tarifaire.
B.1.
Les arguments des défenseurs de l’introduction
d’un salaire minimum
D’une part, il nous faut esquisser les principaux arguments qui justifient la mesure
prise par le gouvernement de second gouvernement de Grande Coalition.
B.1.1.
Le salaire minimum existe dans la très grande majorité des
pays
Tout d’abord, le premier argument qui revient régulièrement dans les publications
consultées est que le salaire minimum généralisé existe dans la plupart des pays. Le
premier salaire minimum a été instauré en Nouvelle-Zélande en 1896, et a été pour
la première fois introduit sur le continent européen au Royaume-Uni en 1909
(Schulten, 2013)181. D’après Thorsten Schulten, il existe trois catégories de salaire
minimum dans le monde (Schulten, 2013)182: le salaire minimum national ; le
salaire minimum régional; le salaire minimum de branche (branchenspezifische
Mindestlohne). Par définition, le salaire minimum national vaut sur l’ensemble du
territoire national. C’est la forme la plus répandue étant donné que la moitié des
pays en posséderait un (Brenke & Wagner, 2014)183, voire les deux-tiers (Schulten,
181
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3
182
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3
183
BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken
der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p.
751-757,
mis
en
ligne
en
2013,
consulté
le
23
juin
2014] :
http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/
83
Rousseau Marie-Léa
2013)184. En reprenant les chiffres d’un rapport de l’Organisation Internationale du
Travail (OIT), Thorsten Schulten affirme que le salaire minimum existe dans plus
de cent pays (Schulten, 2014)185. Le salaire minimum régional est pour sa part
beaucoup moins répandu et peut agir comme complément au salaire minimum
national. Par exemple, aux Etats-Unis, tout Etat peut fixer un salaire minimum
régional dès lors qu’il est au-dessus du salaire minimum national (Schulten,
2013)186. Le salaire minimum par branche est quant à lui le fruit de négociations
salariales entre les différentes parties prenantes du secteur économique et serait
présent dans 40% des pays du monde (Schulten, 2013)187. Plus important encore, le
salaire minimum national est largement majoritaire dans l’Union Européenne
puisqu’il existe dans 20 membres sur les 28. Les pays n’en disposant pas sont :
l’Allemagne, l’Autriche, la Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède
(Schulten, 2013)188. Le salaire minimum en Europe varie très fortement d’un Etat à
l’autre, entre 157 euros brut mensuel en Bulgarie (0,91 euros par heure) contre
1874 euros brut mensuel au Luxembourg (11,10 euros par heure) comme le montre
la Figure XV (Schulten, 2013)189. Avec 8,50 euros brut par heure, l’Allemagne
deviendrait le cinquième pays de l’Union Européenne à disposer du salaire
minimum brut le plus élevé derrière le Luxembourg, la France, les Pays-Bas, la
Belgique et l’Irlande (voir Figure XVI) (Schulten, 2014)190
184
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 3
185
SCHULTEN Thorsten, WSI-Mindestlohnbericht 2014–stagnierende Mindestlöhne, WSI Mittellungen,
Februar 2014, p. 132-139, p.132
186
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 5
187
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 5
188
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 6
189
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 7
190
SCHULTEN Thorsten, WSI-Mindestlohnbericht 2014–stagnierende Mindestlöhne, WSI Mittellungen,
Februar 2014, p. 132-139, p.132
84
Rousseau Marie-Léa
Figure XV: Salaire minimum dans les pays membres de
l'Union Européenne
Source: SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als
behauptet, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.
85
Rousseau Marie-Léa
Figure XVI: Classement des salaires minimums dans les pays
membres de l'Union Européenne
Source:
SCHULTEN
Thorsten,
WSI-Mindestlohnbericht
Mindestlöhne, WSI Mittellungen, Februar 2014, p. 132-139, p.132
B.1.2.
2014–stagnierende
Le système de la Tarifautonomie mis à mal dans les années
90
Ensuite, le second argument consiste à défendre l’idée que le système de la
Tarifautonomie s’est affaibli depuis la réunification et que cette tendance doit être
enrayée. C’est pourquoi, la loi sur le salaire minimum (MiLOG) est aussi connu sous
le nom de « loi pour le renforcement de l’autonomie tarifaire » (Gesetz für die
Stärkung der Tarifautonomie) qui s’inscrit d’emblée dans la filiation avec
l’économie sociale de marché comme base fondamentale du modèle allemand. La
ministre Andrea Nahles a d’ailleurs insisté sur le fait que l’objectif de renforcement
du système de la Tarifautnomie doit être compris comme étant la substance de cette
loi tout en qualifiant cette mesure d’« économie sociale de marché moderne au 21ème
siècle »191. Selon nombres d’auteurs, la perte d’influence du système de la
Tarifautonomie depuis la réunification allemande ne fait aucun doute. D’après
Heiner Dribbusch, le compromis social de l’après-guerre s’est fissuré dès le milieu
191
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL
:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html: „Das ist moderne
soziale Marktwirtschaft im 21. Jahrhundert“
86
Rousseau Marie-Léa
des années 80192. L’appartenance syndicale a, par exemple, régulièrement baissé pour
tomber à moins de 6,5 millions d’adhérents en 2008, soit une diminution d’environ
50% depuis la réunification (Dribbusch, 2010)193. Selon Eva Rindfleisch, les
syndicats et associations de travailleurs sont confrontés à des difficultés
grandissantes (Rindfleisch, 2012)194, et le système de la Tarifautonomie est de plus
en plus confronté au spectre de l’affaiblissement. Pour Odile Chagny et Sabine Le
Bayon, le taux de couverture par une convention collective a considérablement chuté
au cours depuis la fin des années 90195. Comme le montre la Figure XVII196, la
moitié des salariés dans les Länder de l’Ouest était couvert en 2013 contre presque
trois-quarts en 1996 alors qu’à peine un tiers des salariés dans les Länder de l’Est
étaient couverts en 2012 contre un peu plus de la moitié en 1996.
192
DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.10
193
DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.11
194
RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse
und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4
195
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.5
196
Der Mindestlohn – Branchentarifbindung der Beschäftigte [En ligne], Der Mindestlohn kommt-Nicht
geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014, page
consultée
le
21
juillet
2014.
URL:
http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
87
Rousseau Marie-Léa
Figure XVII: Comparaison de l'évolution des conventions de
branches dans les anciens et les nouveaux Länder entre 1996 et
2013
Source : Der Mindestlohn – Branchentarifbindung der Beschäftigte [En ligne], Der
Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit
und Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.dermindestlohn-kommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografikmindestlohn-umfrage.pdf?__blob=publicationFile
La répartition des salariés selon leur protection par les conventions collectives et les
Betriebsrat se fait selon quatre modalités qui sont résumé par la Figure X (Chagny
& Lebayon, 2014)197
Salariés couverts par les conventions collectives (au niveau de la
branche) et représenté par un conseil d’établissement (au niveau de
l’entreprise)
Salariés couverts par les conventions collectives mais non représenté
par un conseil d’établissement
Salariés non couvert par les conventions collectives mais représentés
par un conseil d’établissement
Salariés ni couverts par les conventions collectives ni représentés par
un conseil d’établissement
197
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7
88
Rousseau Marie-Léa
Figure XVIII: Comparaison des couvertures des salariés dans
les anciens et les nouveaux Länder en 2012
Source : CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum
général en Allemagne : genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international
de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7
Plus précisément, 34% des salariés des Länder de l’Ouest contre 45% des salariés
des Länder de l’Est ne sont couverts ni par des conventions collectives au sein des
branches, ni par un Betriebsrat au sein des entreprises. Ils n’ont donc aucune
protection qui leur soit assurée par le système de la Tarifautonomie. Par ailleurs,
cette couverture des salariés dépend également de la taille de l’entreprise.
D’ailleurs, 10% des entreprises de petite taille (5 salariés et plus), qui représentent
presque la moitié de la totalité des entreprises allemandes, ont un comité
d’entreprise. En revanche, 90% des entreprises de grande taille (500 salariés et
plus) dans les Länder de l’Ouest et 85% dans les Länder de l’Est en possèdent un
(Dribbusch, 2010)198.
198
DRIBBUSCH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p. 7
89
Rousseau Marie-Léa
Figure XIX: Comparaison des couvertures tarifaires dans les
pays de l'Union Européenne
Source: Europäische Union: Über due Hälfte der Arbeitnehmer wird nach Tarif
bezahlt| Destatis [En ligne] Destatis : Europa in Zahlen, page consultée le 15 juillet
2014.URL:https://www.destatis.de/Europa/DE/Thema/BevoelkerungSoziales/Arbeitsmar
kt/Tarifbindung.html;jsessionid=6F1F08891775765CF114E6226EF93422.cae1
De façon plutôt surprenante, la comparaison européenne en matière de négociations
collectives (Tarifbindung) ne place pas l’Allemagne parmi les meilleurs élèves de
l’Union Européenne comme le montre la Figure XIX199. Sur l’ensemble des pays
membres, 62% des actifs en 2010 étaient rémunérés selon des conventions tarifaires
alors que seule la moitié des salariés allemands l’était. Dans le but d’insister sur
l’affaiblissement du système de la Tarifautonomie, il peut être mis en avant que la
généralisation des conventions tarifaires au sein de certaines branches représente en
réalité une part très faible de l’ensemble des conventions tarifaires. En 2012, seuls
506 conventions tarifaires sur les 68 000 conventions tarifaires valent sur
l’ensemble des branches, c’est-à-dire à peine 0,74% de toutes ces conventions
(Schulten, 2013)200. Le système de la Tarifautonomie apparait donc en voie de
199
Europäische Union: Über due Hälfte der Arbeitnehmer wird nach Tarif bezahlt| Destatis [En ligne]
Destatis :
Europa
in
Zahlen,
page
consultée
le
15
juillet
2014.
URL:
https://www.destatis.de/Europa/DE/Thema/BevoelkerungSoziales/Arbeitsmarkt/Tarifbindung.html;jsessi
onid=6F1F08891775765CF114E6226EF93422.cae1
200
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.11
90
Rousseau Marie-Léa
désagrégation, ce qui peut être relié à un autre phénomène contre lequel la loi est
censée lutter : l’extension du secteur des bas salaires.
B.1.3.
L’absence de salaire minimum cimente la précarité
Enfin, le troisième argument utilisé pour justifier l’introduction du salaire minimum
est ce que le gouvernement considère comme la conséquence logique de la perte en
influence de la Tarifautonomie. Certains auteurs sont d’ailleurs de cet avis, comme
c’est notamment le cas de Gérard Bosch. Ce dernier se demande comment un pays
comme l’Allemagne, où les inégalités étaient si faibles dans les années 90, a pu
laisser le secteur des bas salaires s’étendre ? Son opinion est que l’absence de
salaire minimum ou même de « planchers salariaux contraignants » (Bosch,
2009)201combinée à l’affaiblissement de la politique tarifaire a facilité cette
extension Cependant, cette tendance s’est effectivement accompagnée de la volonté
de « créer un segment des bas salaires pour soutenir l’emploi en général et plus
particulièrement celui des actifs á bas salaire » (Bosch, 2009)202. Odile Chagny et
Sabine Lebayon sont d’un avis similaires : elle explique que l’incapacité du
système de la Tarifautonomie à assurer son rôle dans la construction de relations
équilibrées salariat et patronat est à l’origine de l’extension du secteur des bas
salaires en raison de zones d’hyperflexibilité de plus en plus nombreuses qui
s’expliquent davantage par cette affaiblissement du système face aux évolutions du
marché que par les « lois Hartz » elle-même (Chagny & Lebayon, 2014)203. De
fait, l’évolution des salaires en Allemagne se révèle faible depuis ces dix dernières
années. D’après la Figure XX (Dribbusch, 2010)204, l’évolution des salaires a été
certes positive mais faible entre 2000 et 2003 et est devenu négative entre 2004 et
2009, impliquant par conséquent un léger recul des salaires en raison du fait que les
syndicats n’ont pu décrocher d’augmentation significative. Si l’on se réfère à une
201
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.26. URL : http://rea.revues.org/3900
202
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.26. URL : http://rea.revues.org/3900
203
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7
204
DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux, Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.4
91
Rousseau Marie-Léa
comparaison européenne de l’évolution des salaires réels entre 2000 et 2009, celle
des salaires allemands a été inférieure à la moyenne des pays membres de l’Union
Européenne, et plus faible que celle des onze pays choisis à titre de comparaison.
Alors que les salaires dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne ont
augmenté de presque 8% au cours de cette période, ceux de l’Allemagne ont
augmenté d’à peine 1,3% dans le même temps. (voir Figure XXI).
Figure XX: Augmentation des salaires allemands sur la période
2000-2009
Source : DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte,
enjeux, Friedrich Ebert Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.4
92
Rousseau Marie-Léa
Figure XXI : Comparaison de l'augmentation des salaires réels
des travailleurs dans 12 pays membres de l'Union Européenne
Source : DRIBBUSH Heiner, Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte,
enjeux, Friedrich Ebert Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p.5
En conséquence, Heiner Dribbusch conclut sur le fait que la part d’actifs pauvres, c’est-àdire payés en dessous des deux tiers du salaire moyen, a augmenté de moitié entre 1995 et
2007 en Allemagne. Ces travailleurs pauvres représentaient 6,5 millions d’actifs
(Dribbusch, 2010)205. Quant à Brigitte Lestrade, elle estime que 8 millions d’actifs gagnent
moins de 9,15 euros de l’euro, soit presque l’équivalent du SMIC français (Lestrade,
2013)206. Concernant la taille de l’entreprise, la part des salariés gagnant des bas salaires
est en moyenne de 17% en dessous de 8,50 euros et de 26% en dessous de 10 euros.
Cependant, les situations varient en fonction de certains paramètres, notamment en
fonction de la taille de l’entreprise d’une part et des branches d’autre part comme le montre
le Tableau V207. La part des salariés percevant des bas salaires est d’autant plus forte que
l’entreprise est de petite taille. Concernant les branches, la part des salariés avec des bas
salaires varie énormément selon les branches. La part la plus élevée (<8,50 euros: 36% ;
<10 euros : 49%) se trouve dans la branche de l’Agriculture et de la Pêche (Land-und
Fortwirtschaft, Fisherei) tandis que la part la moins élevée (< 8,50 euros : 6%; <10 euros :
205
DRIBBUSH Heiner, « Les syndicats en Allemagne : Organisation, contexte, enjeux », Friedrich Ebert
Stiftung, Analyses et Documents, Janvier 2014, p.1-13, p. 7
206
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.28
207
BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,
DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25.
September 2013, S.3-16, S.8
93
Rousseau Marie-Léa
9%) se trouve dans la branche des fonctionnaires (Staat, Interessenvertretungen). De
même, les situations varient en fonction de la région choisie comme le montre le Tableau
VI208, qui laisse entrevoir des inégalités entre l’Ouest et l’Est. Les écarts entre les deux
anciennes République Fédérale d’Allemagne et République Démocratique Allemande sont
d’autant plus forts que le salaire est élevé. La part moyenne des salariés gagnant en dessous
de 5 euros s’élève à 3,2 euros et l’écart Ouest-Est est très faible, à peine 1,4 %. La part
moyenne des salariés en dessous de 10 euros s’élève à 25, 5% et l’écart Ouest-Est est
élevé, à savoir de 17,5%.
Tableau V: Part des actifs gagnant des salaires bas en fonction
des branches et de la taille des entreprises
Source : BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein
verteilungspolitischer Allheilmittel, DIW Berlin _ Deutsches Institut für
Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25. September 2013,
S.3-16, S.16
208
LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste
ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.4
94
Rousseau Marie-Léa
Tableau VI: Répartition des actifs en fonction du montant
horaire de leur salaire dans les anciens et les nouveaux Länder
Source : LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche
Mindestlohngesetz: Eine erste ökonomische Bewertung, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, p.1-22, p.4
Karl Brenke et Kai-Uwe Müller affirment qu’un seizième des Allemands sont
menacés de pauvreté et mettent en avant que cette pauvreté touche invariablement
les salariés en fonction de leur niveau d’études : deux tiers des salariés touchant un
salaire faible ont une formation professionnelle. Par effet d’accumulation, les
salariés gagnant des bas salaires sont aussi ceux qui sont le plus touchés par les
heures supplémentaires non rémunérées (Brenke & Müller, 2013)209 Citant les
travaux de Brenke et Müller, Odile Chagny et Sabine Lebayon mettent en avant
qu’une grande partie que les personnes gagnant moins de 8,50 euros sont en sousemploi puisque qu’ils « travaillent en moyenne en moyenne 31 heures par semaine,
contre 37 heures pour les autres » (Chagny & Lebayon, 2014)210. A la lumière de
ces éléments, Gérard Bosch appelle à un changement de cap par l’instauration d’un
salaire minimum qu’il qualifie d’ « uniforme et de généralisé » car il devrait
s’imposer à toutes les branches avec un montant identique qu’il fixe à 7,50 euros de
209
BRENKE Karl, MÜLLER Kai-Uwe, Gesetzlicher Mindestlohn, kein verteilungspolitischer Allheilmittel,
DIW Berlin _ Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung.e.V, DIW Wochenbericht nr. 39/2013, 25.
September 2013, S.3-16, S.4
210
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.15
95
Rousseau Marie-Léa
l’heure (Bosch, 2009)211. Brigitte Lestrade appelle également à la mise en place
d’un salaire minimum généralisé tout en se montrant plus mesurée. Elle prévient
notamment que le salaire minimum ne constitue pas une recette miracle pour
permettre aux actifs de sortir de la précarité, et que dans tous les cas cette mesure
ne saurait être le seul facteur pour lutter contre ce problème (Lestrade, 2013)212.
B.2.
Le
salaire
minimum:
un
instrument
progressivement introduit dans certaines branches
d’activité pour lutter contre l’évolution de la
Tarifautonomie
D’une part, il nous faut montrer que le salaire minimum par branche a déjà été un
recours dans la lutte contre l’extension des bas salaires en raison des difficultés du
système de la Tarifautonomie.
B.2.1.
L’introduction des salaires minimums de branche : une
logique de contrepartie aux « lois Hartz »
Tout d’abord, l’extension du secteur des bas salaires depuis le milieu des années 90
a effectivement justifié la mise en place de salaires minimum dans certaines
branches, et l’extension progressive du salaire minimum à un nombre croissant
d’entre elles ces dernières années. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, il
n’existait aucun salaire minimum en Allemagne jusqu’à ce que la branche du
bâtiment (BTP) s’empare du débat au milieu des années 90, au moment où la plus
grande partie des syndicats et de la classe politique se prononçait contre une telle
mesure (Chagny & Lebayon, 2014)213. Ce qui a prévalu dans l’introduction du
salaire minimum dans la branche du BTP était précisément la lutte contre le
dumping social en raison du recours massif des entreprises à des travailleurs
étrangers qui, en l’absence de tout seuil réglementaire, pouvaient être payés selon
les normes de leurs pays. A l’époque, les réformes de flexibilisation du marché du
211
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900
212
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p. 31
213
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7
96
Rousseau Marie-Léa
travail n’avaient pas encore été mises en place ni même esquissées. Comme le
montre Gérard Bosch, les secteurs économiques ont été plus fortement impactés
que leurs voisins par les directives de l’Union Européenne sur l’ouverture à la
concurrence des anciens services publics (télécommunications, transports urbains,
services postaux, etc…). En effet, l’absence de plancher salarial permet aux
employeurs d’être « libres de pratiquer tout salaire accepté sur le marché,
conduisant à la mise en place de modèles économiques basés sur la concurrence
salariale » (Bosch, 2009)214. Cette tendance est d’autant plus facilitée par le fait
que les décisions de justice, qui sont prises au regard de la législation en vigueur, ne
fixent pas de seuil précis. D’après Odile Chagny et Sabine Lebayon, la seule
restriction en vigueur est la prohibition de « salaires contraires aux bonnes
mœurs » qui selon les auteures n’a aucun contenu réel puisqu’une décision du
tribunal de Cottbus d’avril 2014 (en plein débat sur le salaire minimum généralisé)
a estimée qu’un salaire de 1,54 euros de l’heure n’entrait pas dans cette catégorie.
De même, l’absence de durée légale du travail facilite le recours aux heures
supplémentaires non rémunérées comme nous l’avons mis en avant précédemment
(Chagny & Lebayon, 2014)215. Par ailleurs, Gérard Bosch soutient que cette
tendance a été encouragée par les pouvoirs publics qui ont souhaité créer et étendre
un secteur des bas salaires dans une logique de conservation des emplois. Les « lois
Hartz » découlent directement de cette logique, d’autant plus facilité par l’absence
de salaire minimum dans le modèle allemand (Bosch, 2009)216. Pour Brigitte
Lestrade, c’est l’absence de salaire minimum qui a cimenté la précarité plutôt que
les « lois Hartz » elles-mêmes qui ne peuvent expliquer à elles seules cette
évolution (Lestrade, 2013)217. C’est pourquoi, le débat sur les « lois Hartz » s’est en
réalité déplacé vers le salaire minimum. Bien que les réformes aient eu des effets
214
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.23. URL : http://rea.revues.org/3900
215
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.7
216
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900
217
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.27
97
Rousseau Marie-Léa
bénéfiques sur les dépenses publiques, cette tendance à la précarisation des salariés
représente malgré tout un coût non négligeable pour la collectivité. Les aides pour
les travailleurs pauvres (Aufstocker) versées par Hartz IV ont généré pas moins de
53 milliards d’euros entre 2007 et 2011 en raison de revenus trop bas (Lestrade,
2013)218. Les « lois Hartz » n’auraient finalement été que la conséquence de cette
absence de salaire minimum qui a permis de pousser la logique des bas salaires. S’il
est incontestable que ces réformes ont permis efficacement à l’Allemagne de sortir
de la spirale du chômage et de résister face aux crises de ces dernières années, le
salaire minimum peut être perçu comme une contrepartie aux sacrifices de la
population active allemande. Cette logique de contrepartie a d’ailleurs certainement
prévalu dans l’extension des salaires minimums à plusieurs branches.
B.2.2.
L’extension progressive des salaires minimum de branches
Ensuite, le débat sur le salaire minimum en Allemagne est cependant plus ancien
puisqu’il remonte au milieu des années 90, la réunification allemande (et la fin de
la Guerre Froide en général) a entrainé l’immigration massive d’une main d’œuvre
dite bon marché venue de l’ancienne République Démocratique Allemande et des
pays de l’Est a tiré les salaires vers le bas. Le premier salaire minimum par branche
a été mis en place en 1996 dans la branche du bâtiment (Bauhauptgewerbe) par le
biais de La loi sur les travailleurs détachés (Arbeitsnehmerentsendegesetz, 1996)
précisément pour cette raison (Schulten, 2013)219. L’objectif était alors clairement
de contrer la tendance selon laquelle une « main d’œuvre croissante issue des Etats
du sud, du centre et de l’est de l‘Europe [était employé dans ce secteur] selon les
normes salariales en vigueur dans leur pays d’origine »220. Cette tendance
entraînait une concurrence déloyale entre les entreprises du bâtiment, ainsi qu’entre
les salariés allemands et étrangers. Cependant, le salaire minimum dans la branche
du bâtiment est demeuré une exception en raison de l’opposition que suscitait une
218
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.30
219
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 11: „Um diesen Lohnwettbewerb zu verhindern,
wurde 1996 das Arbeitnehmerentsendegesetz erlassen“
220
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.29. URL : http://rea.revues.org/3900
98
Rousseau Marie-Léa
telle mesure parmi les acteurs du dialogue social. Les syndicats s’opposaient en
effet massivement à l’extension du salaire minimum à d’autres branches,
considérant que le salaire minimum aurait abouti à une compression des salaires.
Cette mesure a donc été laissé de côté par les différentes parties prenantes jusqu’au
milieu des années 2000, lorsque les « lois Hartz » ont commencé à avoir de l’effet
et à être tenues responsables par leurs détraqueurs de l’extension des bas salaires.
Le salaire minimum a été étendu en 2009 à sept branches, qui sont les suivantes: les
services spécialisés dans le secteur minier (Bergbau-Spezialgesellschaften);
l’entretien des bâtiments (Gebäudereinigerhandwerk); la gestion des déchets
(Abfallwirtschaft); les métiers de l’électricité (Elektrohandwerk); les peintres en
bâtiments (Maler- und Lackiererhandwerk); les couvreurs (Dachdeckerhandwerk);
les teintureries (Wäschereien im Objektkundengeschäft); le secteur des soins
(Pflegebranche) (Bosch, 2009)
(Schulten, 2013)221.
Par la suite, le salaire
minimum a été étendu aux branches suivantes : les sociétés de surveillance (Wachund Sicherheitsgewerbe) depuis le 1er juin 2011222; les entreprises d’installation
d’échafaudages (Gerüstbauhandwerk) depuis le 1er novembre 2011 ; les métiers de
la formation continue (Berufliche Aus- und Weiterbildung) depuis le 1er juillet
2012;
Par ailleurs, il existe des branches possédant juridiquement un salaire
minimum mais qui ne sont pas entrés en vigueur ou ont été abandonnés. Les
représentants du secteur des services postaux (Briefdienstleistungen) avaient
programmé
un salaire minimum en novembre 2007, avant que la Cour
Constitutionnelle (Bundesverfassungsgericht) ne le juge anticonstitutionnel. Le
secteur du démontage et de la démolition navale (Abbruch-und Abwrackgewerbe)
avait également instauré un salaire minimum variant de 9,10 à 11,96 euros mais qui
a pris fin le 31 décembre 2008. Le secteur de l’extraction minière
(Bergbauspezialarbeiten auf Steinkohlebergwerken) avait pour sa part institué des
salaires minimums différenciés en fonction de la qualification (11,53 euros pour les
221
BOSCH GERHARD, « La progression des bas salaires en RFA plaide pour un salaire minimum légal »,
[En ligne], Regards sur l'économie allemande, 93 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 05
juillet 2014, p.32. URL : http://rea.revues.org/3900
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.12
222
“Mindestlohn im Wach-und Sicherheitsgewerbe gilt”| Bundesregierung [En ligne] Die Bundesregierung,
mis en ligne le 13 mai 2011, page consultée le 15 août 2014. URL :
http://www.bundesregierung.de/ContentArchiv/DE/Archiv17/Artikel/2011/05/2011-05-04-mindestlohnim-wach-und-sicherheitsgewerbe-beschlossen.html
99
Rousseau Marie-Léa
ouvriers contre 12,81 pour les ouvriers spécialisés) qui ont disparu le 31 mars 2013.
Le secteur des services de nettoyage et de blanchisserie (Wäschereidienstleistungen
im Objektkundengeschäft) avait quant à lui introduit des salaires minimums
différenciés en fonction de la région (7,51 euros à l’Ouest contre 6,36 euros à l’Est)
qui ont également disparu le 31 mars 2013. Par définition, le salaire minimum par
branche implique des différences plus ou moins importantes de rémunérations entre
les salariés en fonction des secteurs économiques concernés. En 2012, les salariés
travaillant dans la branche de la blanchisserie (Wäschereibetrieb) touche un salaire
minimum de 6,36 euros de l’heure contre 13 euros pour les salariés travaillant dans
la branche du bâtiment (Baugewerbe (Rindfleisch, 2012)223. Ces différences de
salaire minimum dans les branches s’observent encore une fois entre l’Ouest et
l’Est (voir Figure XXII)224. Seules quatre branches sont réglementées par un salaire
minimum au même niveau à l’Ouest comme à l’Est : la branche de gestion des
déchets (Abfallwirtschaft) : 8,68 euros ; la branche d’installation d’échafaudage
(Gerüstbauerhandwerk) : 10 euros ; la branche des peintres en bâtiments (Malerund
Lackerhandwerk) :
9,90
euros ;
la
branche
des
couvreurs
(Dachdeckerhandwerk) : 11,55 euros. Toutes les autres branches procurent aux
salariés de l’Est des salaires inférieurs à ceux de l’Ouest. Sur les toutes les branches
citées, cinq ont un salaire minimum inférieur à 8,50 euros, dont une seule à l’Ouest
comme à l’Est, et vont devoir relever celui-ci durant la période d’adaptation.
223
RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse
und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, S.1-8, S.5
224
Branchen mit tariflichen Mindestlöhnen in Euro/Stunde, nach dem Arbeitnehmer-Entsendegesetz [En
ligne] Institut Arbeit und Qualifikation der Universität Duisburg Essen (IAQ), Kommentierung und
Methodische Hinweise,
April 2014, S1-4, S.1, page consultée le 17 juillet 2014. URL:
http://www.sozialpolitik-aktuell.de/tl_files/sozialpolitik-aktuell/_Politikfelder/EinkommenArmut/Datensammlung/PDF-Dateien/abbIII4a.pdf
100
Rousseau Marie-Léa
Figure XXII: Comparaison des salaires minimum en fonction
des branches en avril 2014
Source: Branchen mit tariflichen Mindestlöhnen in Euro/Stunde, nach dem
Arbeitnehmer-Entsendegesetz [En ligne] Institut Arbeit und Qualifikation der Universität
Duisburg Essen (IAQ), Kommentierung und Methodische Hinweise, April 2014, S1-4,
S.1, page consultée le 17 juillet 2014. URL: http://www.sozialpolitikaktuell.de/tl_files/sozialpolitik-aktuell/_Politikfelder/EinkommenArmut/Datensammlung/PDF-Dateien/abbIII4a.pdf
Par ailleurs, les branches des métiers de l’électricité (Elektrohandwerk), du bâtiment
(Baugewerbe), du nettoyage industriel (Gebäudereinig) et de la formation continue
(Aus-und Weiterbildung) ont procédé à des augmentations de leur salaire minimum
en janvier 2014225. Malgré cette extension progressive, les salaires minimums de
branches touchent à peine 3,85 millions de la population, soit moins de 10 % de la
population. S’ils ont pu protéger les salariés contre de faibles rémunérations, ils n’ont
contribué qu’à une protection pour le moins sélective (Lestrade, 2013)226.
L’introduction du salaire minimum sera donc progressive et n’aura d’impact dès
2015 que pour les salariés non couverts par une convention collective. Pour les
225
Mindestlohn nach Branchen [En ligne] mindestlohn.org, Verein für soziales Leben e.V, consulté le 31
juillet 2014. URL: http://www.mindest-lohn.org/branchen/
226
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.27
101
Rousseau Marie-Léa
autres, soit le plancher de 8,50 euros s’applique déjà, soit un calendrier de
convergence sera adopté pour permettre d’atteindre le niveau de 8,50 euros au
plus tard au 1er janvier 2017.
B.2.3.
Des branches et des Länder anticipant la future loi sur
l’introduction du salaire minimum
Enfin, certaines branches, voire certains Länder, ont anticipé l’arrivée prochaine du
salaire minimum en négociant l’augmentation progressive de leur propre seuil.
Dans le secteur de la viande (Fleischwirtschaft), la convention tarifaire a été signé
le 13 janvier 2014 avec pour objectif d’éradiquer les différences Est/Ouest autant
que se mettre aux normes de la future loi227. Conformément à ce document, le
salaire minimum a dû être relevé à 7,75 euros de l’heure le 1 er juillet 2014 et devrait
atteindre 8,75 euros au 1er décembre 2016. Par ailleurs, le secteur de la coiffure
(Friseurhandwerk) a également anticipé la nouvelle loi en généralisant le salaire
minimum à l’ensemble de la branche dans un document publié le 13 décembre
2013. La première augmentation avait eu lieu dans les faits dès le 1 er novembre
2013 avec l’instauration d’un salaire différencié entre Ouest (7,50 euros) et Est
(6,50 euros). La seconde augmentation a eu lieu au 1er aout 2014 avec pour objectif
de réduire l’écart Ouest-Est (8 euros contre 7,50). La dernière augmentation devrait
avoir lieu au 1er aout 2015 et devrait permettra non seulement de se conformer
précisément à la loi tout en éradiquant le décalage Est/Ouest228. La branche
journalistique (die Zeitungsbranche) a pour sa part prévu que le salaire minimum
des distributeurs de journaux devait représenter 75% de celui prévu par la loi en
2015, 85% en 2016 et 100% en 2017229. Parmi les seize Länder en Allemagne,
certains, dont la Sarre, se sont également emparés du débat sur le salaire minimum
et les partis au pouvoir ont fini par proposer un projet de loi sur l’introduction d’un
salaire minimum national de 8,50 euros. Ce projet venant des Länder avait été
adopté le 1er mars 2013 par le Bundesrat (où le SPD et les Verts venaient d’obtenir
227
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.9
228
Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne] Lohn-infog.org: Informationen zu Lohn und
Gehaltsabrechnung [consulté le 18 juillet 2014]. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.htm
229
Deutscher Bundestag - Arbeit und Soziales: Mindestlohn von 8,50 Euro ab 2015 beschlossen [En ligne],
Deutscher Bundestag, mis en ligne le 3 juillet 2014, consulté le 7 juillet 2014]. URL :
http://www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/kw27_de_tarifautonomie/286268
102
Rousseau Marie-Léa
la majorité) mais le Bundestag (où la CDU et le FDP avaient encore la majorité) s’y
était à l’époque fermement opposé (Lestrade, 2013)230. Le 28 novembre 2011, le
Land Baden-Württemberg a introduit son propre salaire minimum. Depuis, les
entreprises ne se conformant à un salaire minimum de 8,50 euros de l’heure ne sont
plus autorisées à candidater pour l’obtention des marchés publics. Le
Ministerpräsident Winfried Kretschmann (Bundnis 90/die Grünen) a justifié cette
mesure en déclarant que le « dumping social ne peut pas être un modèle de
société »[Notre traduction](231. Par ailleurs, Brême a été le premier Land à conclure
une Landesmindestlohngesetz le 17 juillet 2012 à hauteur de 8,50 qui est entré en
vigueur le 1er septembre 2012. La loi s’applique pour les catégories suivantes
(Schulten, 2013):
Les actifs de la ville hanséatique, de la communauté de commune
et du port de Brême (§ 3)
Les actifs travaillant pour le compte d’entreprises publics et de
structures majoritairement financées ou dont la direction est
surveillé par le Land ou la ville de la communauté de commune
de Brême. (§ 4)
Les actifs travaillant pour le compte d’organisations et
d’associations recevant des financements de la part de Brême (§
5)232
Cette décision peut notamment s’expliquer par le fait que le Landesarbeitsgericht
de Brême avait décidé qu’un salaire minimum de cinq euros par heure est
anticonstitutionnel dans la mesure où ce salaire se trouvait un tiers en dessous du
salaire fixé par les conventions tarifaires (Schulten, 2013)233. Hambourg a fait de
230
LESTRADE Brigitte, « Entre réussite économique et précarité sociale : l’Allemagne dix ans après les lois
Hartz », Institut francais des relations internationales (Ifri), Comité d’étude des relations francoallemandes, Notes du Cerfa, n°101a, Mai 2013, p. 1-34, p.31
231
Baden-Württemberg führt Mindestlohn ein [En ligne] Verkehrs RUNDSCHAU| Das Portal für Spedition,
Transport und Logistik, mis en ligne le 28 novembre 2012, page consultée le 4 juin 2014. URL :
http://www.verkehrsrundschau.de/baden-wuerttemberg-fuehrt-mindestlohn-ein-1183360.html
232
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13
233
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13
103
Rousseau Marie-Léa
même le 24 avril 2014 en imposant par une Landesmindestlohngesetz un salaire
minimum de 8,50 euros aux entreprises qui emploient des salariés dans le Land. Le
sénateur Detlef Scheele (SPD) a également justifié cette mesure en soutenant que
« le travail doit être rémunéré à sa valeur » (Schulten, 2013)234.
Chapitre.II. Le salaire minimum:
renforcement ou affaiblissement du
« modèle allemand »?
En second lieu, il nous faut nous demander dans quelle mesure l’introduction du
salaire minimum constitue non seulement une solution efficace quant aux
problèmes auxquels fait face le « modèle allemand », y compris depuis les « lois
Hartz », mais aussi dans quelle mesure il peut renforcer ce dernier.
A.
Le salaire minimum: une réponse efficace aux
faiblesses du modèle allemand ?
Premièrement, nous allons nous interroger sur l’efficacité du salaire minimum
national à partir d’études menées non seulement au niveau international mais aussi
sur les secteurs économiques concernés par les salaires minimum de branche.
A.1.
Les effets du salaire minimum d’après les études
internationales
D’une part, nous déterminerons l’impact du salaire minimum, notamment sur la
politique de l’emploi, tel que différentes études internationales l’analysent.
A.1.1.
L’étude des salaires minimum: des résultats contradictoires
Tout d’abord, il nous faut d’emblée reconnaitre que les multiples études consultées
pour les besoins de l’analyse concluent pour la plupart soit à des résultats
contradictoires, soit à des résultats peu évidents. Pour commencer, les études sont
bien évidemment imprégnées par les théories économiques dont découle une prise
de position par rapport aux effets attendus du salaire minimum. Ainsi, nombre
d’études consultées citent la théorie néoclassique pour laquelle le salaire minimum
234
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p.13
104
Rousseau Marie-Léa
ne peut avoir que des effets négatifs car celle-ci fait l’hypothèse de l’existence d’un
marché parfait remplissant précisément les conditions d’une concurrence pure et
parfaite235. L’offre (salarié) et la demande (employeur) de travail sont censées
s’ajuster d’elle-même, notamment en fonction du niveau de rémunération recherché
par l’offre et proposé par la demande. Or, le salaire minimum constitue une règle
rigide qui ne peut que mener à une augmentation du chômage car la rémunération
des actifs est censée s’adapter à la conjoncture de sorte que les entreprises ne se
retrouvent pas en difficultés. Sans cette option de flexibilité, les entreprises sont
poussées à une moindre embauche en cas de conjoncture difficile. De même, le
salarié qui estime que son salaire est inférieur à sa productivité changera
d’employeur, d’où l’émergence de la notion de chômages volontaire qui correspond
à la durée de recherche d’un nouvel emploi (Rindfleisch, 2012)236. Bien que la
théorie keynésienne n’ait pas été citée dans les études consultées, il nous parait
essentiel de la décrire brièvement à partir de nos propres connaissances dans la
mesure où elle est considérée comme l’opposé à la théorie néoclassique.
L’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) a publié en 1936 son
ouvrage le plus célèbre, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie,
dans le contexte de la Grande Dépression ayant succédé au Krach Boursier du 24
octobre 1929. Keynes conteste la notion de « chômage volontaire » en mettant en
avant que des millions d’Américains étaient prêts durant ces années à travailler
pour des salaires extrêmement faibles. Or, il considère que la solution pour créer de
la croissance, et ainsi sortir du marasme économique, consiste à augmenter les
salaires pour encourager la consommation des ménages qui permet par la suite de
booster la production et in fine de créer des emplois. Cela accrédite la théorie du
marché imparfait selon laquelle l’ajustement de l’offre et de la demande sur le
marché ne se fait jamais dans des conditions parfaites qui permette à la première
d’égaler la seconde, ce qui peut justifier une intervention extérieure au marché. Il
en résulte que cette théorie laisse une « place importante au salaire minimum »
235
SCHETTKAT Ronald, „50 Millionen Gutmenschen für gesetzlichen Mindestlohn in Deutschland“, WSI
Mitteilungen, Volume n° 60, September 2007, S.466.
236
RINDFLEISCH Eva, Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse
und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4
105
Rousseau Marie-Léa
[Notre traduction] (Bruckmeier & al, 2014)237. Par ailleurs, l’analyse des études sur
l’impact du salaire minimum d’une balance entre la politique salariale et la
politique de l’emploi (Löwisch, 2008)238. Ce choix constitue un dilemme dans la
mesure où
le salaire minimum devrait conduire à une augmentation de la
productivité des travailleurs sans pour autant que son niveau n’aboutisse à une
contraction du marché du travail (Rindfleisch, 2012)239. Or, nombre d’études
précisent à quel point les conséquences de l’introduction d’un salaire minimum sont
incertaines et difficilement quantifiables. Pour Karl Brenke et Kai-Uwe Müller,
l’introduction du salaire minimum est « un champ expérimental qui devrait être
regardé avec circonspection » [Notre traduction] (Brenke & Wagner, 2014)240. Ils
ajoutent même que les effets du salaire minimum, notamment sur l’emploi sont
incertains (Brenke & Müller, 2013)241. De même, Manfred Löwisch affirme qu’il
s’agit d’« une grande expérimentation aux résultats incertains » [Notre traduction]
(Löwisch, 2008)242. L’Internationale Währungsfonds (IWF) prévoit également que
les « effets espérés du salaire minimum sont peu fiables»[Notre traduction]243.
237
BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen
gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, p.128, p.12
238
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.18
239
RINDFLEISCH Eva, „Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?“, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse
und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, p.1-8, p.4
240
BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken
der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p.
751-757, date de publicaation : 2013 [date de consultation : 23 juin 2014] . URL :
http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/:
„Die
Einführung eines allgemeinen Mindestlohns in Deutschland wäre ein Feldexperiment, das mit Bedacht
angehangen werden sollte“
241
BRENKE Karl, WAGNER Gert. G., Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken
der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p.
751-757, date de publicaation : 2013 [date de consultation : 23 juin 2014]. URL :
http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/:
„Die
Einführung eines Mindestlohns ist ein Feldexperiment, dessen erfolgreicher Ausgang keineswegs gewiss
ist - insbesondere hinsichtlich seiner Beschäftigungseffekte“
242
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, p.1-35, p.17: „Der Mindestlohn ist ein volkswirtschaftliches
Großexperiments mit ungewissem Ausgang“
243
Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter
Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet
2014. URL: http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfonds-
106
Rousseau Marie-Léa
Andreas Knabe et al., pour leur part, estiment qu’il est nécessaire de se montrer
prudent quant à l’interprétation des résultats des études sur les salaires minimum et
affirment que l’introduction du salaire minimum national en Allemagne est « une
grande expérimentation liée à des risques sociaux importants » (Knabe, et al.,
2014)244. De même, l’incertitude pèse sur les effets financiers de la
Mindestlohngesetz selon l’étude du Bundesministerium für Arbeit und Soziales
(BMAS)245, notamment sur l’augmentation des prix qu’il est impossible de
quantifier. Par ailleurs, au-delà du fait que les résultats sont incertains, ils peuvent
aussi se révéler contradictoires. Selon Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf, les
études sur les salaires minimums ont évolué depuis leurs débuts dans les années 30.
A l’origine, elles concluaient systématiquement à des effets négatifs du salaire
minimum sur l’emploi. Depuis, une nouvelle génération d’études est arrivée et ont
généralement conclu que le salaire minimum n’avait globalement pas d’effet
négatif sur l’emploi (Bosch & Weinkopf, 2014)246. Cependant, cette tendance ne
semble pas confirmée sur le Tableau VII trouvé sur le site de la Bundeszentrale
Politische Bildung (voir Annexe V.A)247. Ce dernier montre que sur 37 études
portant sur les effets sur salaire minimum sur l’emploi dans dix pays de régions
différentes, les résultats rassemblés dans le tableau sont partagés. Autant d’études
concluent à des effets négatifs et positifs sur l’emploi. De même, Thorsten Schulten
reprend l’analyse de Neumann et Wascher menée en 2006 et dont les résultats
apparaissent dans la Figure XXXII (voir Annexe V.B). Sur 99 études rassemblées
dans ce graphique, la majorité aboutissait à un impact négatif du salaire minimum
warnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm:
Mindestlohns sind dabei unsicher”
“Die
erhofften
Wirkungen
des
244
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, p.16: „Die Einführung des
flächendeckenden gesetzlichen Mindestlohns von 8,50 Euro ist ein großes,
mit
vielen
sozialpolitischen Risiken verbundenes Experiment“
245
Gesetzentwurf eines Gesetz zur Stärkung der Tarifautonomie [En ligne] Bundesministerium für Arbeit
und Soziales, Gesetzentwurf der Bundesregierung, mis en ligne le 2 avril 2014, consulté le 10 avril 2014.
URL:
http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDF-Pressemitteilungen/2014/2013-04-02gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationF
246
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,
Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.1
247
« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,
consulté
le
17
juillet
2013.
URL:
http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn
107
Rousseau Marie-Léa
sur le marché du travail (Schulten, 2013)248. Roland Bachmann et al. vont
également dans ce sens en montrant que les résultats des études sur le salaire
minimum concluent à un impact plutôt négatif, que ce soient des études empiriques
traditionnelles ou des études « quasi-expérimentales. Nous avons résumé les
chiffres de Bachmann et al. dans le Tableau VIII (voir Annexe V.C) (Bachmann &
al, 2008) 249
A.1.2.
Les études sur les effets du salaire minimum aux Etats-Unis
Ensuite, la plupart des études portant sur le salaire minimum se concentrent sur les
Etats-Unis où un salaire minimum national existe depuis 1938, dans les années qui
ont suivi la Grande Dépression (Knabe, et al., 2014)250. A cela s’ajoute des salaires
minimums spécifiques aux Bundesstaat à condition qu’ils soient plus élevés que le
salaire minimum national, à hauteur de 7,25 dollars en ce moment même.
L’administration Obama a d’ailleurs proposé que le ce salaire minimum soit
augmenté en trois étapes de sorte à atteindre 10,10 dollars par heure d’ici 2016, ce
qui devrait mener à des pertes à hauteur de 500 000 emplois d’après le bureau
fédéral du budget (Alni & al., 2014)251. L’intérêt pour les études sur le salaire
minimum s’est accru au début des années 90 et le projet de l’administration Obama
a mené à une intensification des études sur les effets du salaire minimum. Les
conclusions se révèlent cependant très différents d’une étude à l’autre. Certaines
d’entre elles mènent à des résultats qui ne sont pas significatifs comme l’affirment
notamment Andreas Knabe et al. (Knabe, et al., 2014) 252. Selon eux, les premières
études qui avaient été menées peu de temps après 1938 par le département
américain du travail n’ont conclu à aucun effet significatif sur le marché du travail
248
SCHULTEN Thorsten, „Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet“, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 33
249
BACHMANN Ronald et al. , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,
Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, 2008, S.1-56, S.53
250
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42
251
ALNI Patrick et al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,
Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28
252
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.28
108
Rousseau Marie-Léa
mais dont les résultats furent cependant contestés (Knabe, et al., 2014)253. Par
ailleurs, des études sur le salaire minimum ont été menées à la suite du
rehaussement du salaire minimum en 1977. Ces études ont conclu que
l’augmentation du salaire minimum a certes conduit à des conséquences plutôt
négatives pour les jeunes de 16 à 19 ans, de même pour les jeunes de 20 à 24 ans.
En revanche, aucun effet significatif pour les autres actifs n’a été constaté. Gerhard
Bosch et Claudia Weinkopf ont quant à eux repris les travaux de Doucouliagos et
Stanley (2009) qui ont conduit une analyse sur les résultats de 64 études
américaines menées entre 1972 et 2007 pour mettre en avant que la plupart d’entre
elles ne constataient aucun effet sur le marché du travail254. D’autres études
concluent pour leur part à des effets qui ne sont pas négatifs sur le marché du
travail. D’après Andreas et al. , une étude menée par l’OCDE en 1998 dans neuf
pays a conclu à des effets négatifs du salaire minimum sur l’emploi des jeunes
(Knabe, et al., 2014)255. Neumark et Wascher ont également deux études
respectivement en 2007 et 2008, rassemblant pas moins de 100 études sur le salaire
minimum, qui ont conclu à des effets globalement négatifs sur l’emploi (Bosch,
2009)256. En revanche, aucune de ces études citées ne révèle d’effets clairement
positifs sur l’emploi.
A.1.3.
Les études sur le salaire minimum dans les pays de l’Union
Européenne
Enfin, les études sur les salaires minimums dans les différents Etats membres de
l’Union Européenne ont mené à des résultats tout aussi divers. Comme nous
l’avons déjà cité, 20 Etats sur 28 ont un salaire minimum national. D’après Andreas
Knabe et al., ces expériences sont régulièrement citées pour justifier l’introduction
du salaire minimum en Allemagne car le salaire minimum n’aurait pas mené à de
253
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.7
254
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7
255
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.13
256
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,
Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.13, S.10
109
Rousseau Marie-Léa
« vastes effets négatifs pour les emplois » (Knabe, et al., 2014)257. Les travaux de
Beldman et Wolfson (2013), qui ont analysé les résultats de 27 études menées à
partir de 2000, ont conclu que les effets du salaire minimum sont faibles, voire
particulièrement faible (Bosch & Weinkopf, 2014)258. Nous allons nous concentrer
sur les expériences du salaire minimum dans deux pays ou un nombre suffisant
d’études ont été menées : la Grande-Bretagne d’autre part et la France d’autre part.
En Grande-Bretagne, le salaire minimum a été introduit en 1909 et a fait figure de
première expérience en Europe. Il a été supprimé sous l’ère Thatcher (1980-1991)
jusqu’au retour au pouvoir du Labor Party à travers le gouvernement de Tony
Blair. Jusqu’en 1993, il existait des Wages Council qui étaient chargés d’établir des
salaires minimums dans des branches d’activité, ce qui signifie que pendant six ans
plus aucun de salaire minimum de toute sorte n’existait plus en Grande-Bretagne.
Une Low Pay Commission, qui va servir de modèle à la Mindestlohnkommission en
Allemagne, a été d’emblée instauré pour réintroduire un salaire minimum à partir
du 1er avril 1999259. Cette Low Pay Commission est également chargée d’évaluer les
effets du salaire minimum sur l’emploi et sur la fiscalité de sorte à adapter
l’augmentation ou la diminution de ce salaire en conséquence. La plupart des
analyses en Grande-Bretagne ont conclu que l’introduction du salaire minimum n’a
mené à aucun effet ou à des conséquences mineures sur le marché du travail
(Bruckmeier & al, 2014)260. Dolton et al. (2012) ont également analysé les effets du
salaire minimum en Grande-Bretagne pour le compte de la Low Pay Commission et
ont conclu à un impact positif sur le marché du travail mais aussi sur la réduction
des inégalités (Alni & al., 2014)261. Entre 1999 et 2012, les salaires ont réellement
augmenté en moyenne de 17,9 % et le salaire minimum de 28,2%, ce qui signifie
que le second aurait augmenté plus vite que le second. Cette tendance se vérifie
257
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42
258
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.7
259
« Mindestlohn » [En ligne], Bundeszentrale für politische Bildung, mis en ligne le 15 novembre 2011,
consulté
le
17
juillet
2013.
URL
:
http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn
260
BRUCKMEIER Kerstin & al., Zur Stärkung der Tarifautonomie und Einführung eines allgemeinen
gesetzlichen Mindestlohns, Institut für Arbeit und Berufsforschung, IAB-Stellungnahme, Mars 2014, S.128, S.9
261
ALNI Patrick et al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,
Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.6
110
Rousseau Marie-Léa
certes en Grande-Bretagne mais aussi en France262. En France, le salaire minimum
interprofessionnel garanti (SMIG) a été introduit par la loi du 11 février 1950 avant
d’être remplacé par loi du 2 janvier 1970 sur le salaire minimum interprofessionnel
de croissance (SMIC) (Lesch, et al., 2014)263. Cette mesure avait été justifiée par la
Constitution de 1946 qui garantit les droits économiques et sociaux et introduit
ainsi la seconde catégorie des droits de l’Homme. Actuellement, le SMIC est le
second salaire minimum le plus élevé dans l’Union Européenne avec 9,53 euros
brut de l’heure. Une étude d’Eurostat à la fin de l’année 2012 a conclu qu’un quart
des jeunes en dessous de 25 ans sont sans-emplois, et que le salaire minimum
pouvait en être la cause264. En revanche, selon Patrick et al. (2014), le salaire
minimum aurait contribué plus que dans d’autres pays à réduire des inégalités entre
les salaires élevés et faibles (Alni & al., 2014)265. En revanche, d’après Andreas
Knabe et al., le salaire minimum en France ne permet pas de tirer des conclusions
probantes sur l’impact éventuel du salaire minimum futur sur le marché du travail
allemand266
A.2.
Les effets du salaire minimum en Allemagne
D’une part, il s’agit maintenant d’évaluer l’impact des salaires minimums dans les
différentes branches ou ils ont été introduits, en particulier dans le secteur des
transports.
262
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.20
263
LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste
ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, S 1-22,
S.9
264
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.17
265
ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,
Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28
266
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42, S.19
111
Rousseau Marie-Léa
A.2.1.
Les effets de l’introduction du salaire minimum dans les
branches
Tout d’abord, la première étude sur les effets du salaire minimum dans le secteur du
bâtiment a été publiée par König et Möller en 2008267. En 1997, ce salaire
correspondait à 8,69 euros dans les Länder de l’Ouest et à 8 euros dans les Länder
de l’Est. D’après Andreas Knabe et al. (2014), les Länder où le salaire minimum a
entrainé un changement de structure des salaires ont vu le niveau d’emploi reculer
(Knabe, et al., 2014)268. Cependant, de manière générale, aucun effet négatif n’a été
observé à l’Ouest et peu d’impact négatif a été constaté à l’Est (Bosch & Weinkopf,
2014)269. Tout comme dans les études internationales, les résultats des études sur
les salaires minimums de branche sont divers. Certaines enquêtes ne permettent
pas d’aboutir à des effets significatifs. D’après Möller (2012), la plupart des études
sur les salaires de branche n’ont pas mené à des résultats significatifs sur l’emploi
en raison de données incertaines (Knabe, et al., 2014)270. Gerhard Bosch et Claudia
Weinkopf ont quant à eux recensé différentes enquêtes menées dans six branches :
le secteur de la gestion des déchets (Abfallwirtschaft), le secteur du bâtiment
(Bauhauptgewerbe), le secteur des couvreurs (Dachdecker), les métiers de
l’électricité
(Elektrohandwerk),
l’industrie
du
nettoyage
industriel
(Gebaüdereinigung) et le secteur des peintres/vernisseurs (Maler/Lackier). Les
principaux résultats ont été résumés dans le Tableau
(Bosch & Weinkopf, 2014)
(voir Annexe VI ). Dans l’industrie des déchets (Abfallwirtschaft) aucun résultat
probant n’a pu être mesuré si on se réfère à l’enquête de Gürtzgen et al. (2012)
repris par Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf. Cette affirmation peut être
confirmée à la lecture de l’article de Thorsten Schulten (Schulten, 2013)271 qui cite
également les travaux de Gürtzgen et al. (2012) en reprenant leur conclusion selon
267
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.14
268
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, Zusammenfassung
269
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung
nicht,,Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
270
Cité dans: KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie
Universität Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42
271
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.22-23
112
Rousseau Marie-Léa
laquelle le salaire minimum n’a mené à aucun effet significatif. Dans le secteur des
bâtiments, des résultats similaires sont observés par Appel et al. (2012)272 pour qui
les effets sur l’emploi n’étaient pas mesurables. Thorsten Schulten a eu une
interprétation légèrement différente des résultats de cette enquête : tout en
constatant une diminution respective de l’emploi à hauteur de 6,1% à l’Ouest et de
6,2% à l’Est, il se rallie au fait que ses résultats ne sont pas significatifs (Schulten,
2013)273 Dans le secteur des couvreurs (Dachdecker), Aretz et al. (2011)274 ont
conclu que le salaire minimum n’a apparemment pas modifié le marché de
l’emploi. Les conséquences du salaire minimum ne laissent d’ailleurs pas apparaitre
de résultats significatifs. Thorsten Schulten, cette fois-ci, fait une interprétation des
résultats différente par rapport à l’enquête qu’il cite. Selon lui, les résultats sont au
contraire sans appel : le salaire minimum a clairement eu des effets négatifs sur le
taux d’activité de la branche dans les Länder de l’Est275. Dans les métiers de
l’électricité, Bookmann et al. (2011)276 concluent que le salaire minimum n’a pas eu
d’effets négatifs sur l’emploi. Thorsten Schulten conclue quant à lui également que
le salaire minimum ne semble pas avoir eu d’effets significatifs et que les résultats
négatifs doivent être considérés avec prudence en raison de problèmes
statistiques277. Dans le secteur du nettoyage industriel, Bosch et al. (2012) 278 ont
tiré des conclusions similaires, selon lesquelles le salaire minimum n’a pas eu
d’effet négatif sur l’emploi. Reprenant les résultats de l’enquête, Thorsten Schulten
conclue que « les effets positifs du salaire minimum sont globalement dominants»
272
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
273
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.24
274
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
275
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.25
276
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
277
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S. 1-42, S.25-26
278
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
113
Rousseau Marie-Léa
(Schulten, 2013)279. Quant au secteur des peintres et vernisseurs, Bookmann et al.
(2011)280 affirment qu’aucun impact fort du salaire minimum n’a été constaté.
Thorsten Schulten conclue pour sa part que des effets négatifs ont été observés mais
que ces résultats sont faussés par des problèmes d’estimation (Schulten, 2013)281.
Par ailleurs, ce dernier a également réuni des études sur deux autres branches. Dans
la branche des soins (Pflegebranche), il cite l’étude d’Harsch et de Verbeek (2012)
pour conclure qu’aucun effet significatif n’a pu être constaté (Schulten, 2013)282.
Dans les services de nettoyage (Wäscherdiensleistungen), l’enquête de Messaro et
Weinkopf (2012)283 a conclu que les résultats sont incertains quant aux effets
positifs ou négatifs du salaire minimum, bien qu’au premier abord il semble que le
taux d’activité ait été réduit284. Par ailleurs, le ministère du Travail et des Affaires
Sociales a publié une étude en 2010 portant sur l’évaluation du salaire minimum
dans huit branches avec pour résultat que le salaire minimum ne menait
globalement pas à des effets négatifs sur l’emploi. Comme pour les études
internationales, nous pouvons constater que les effets ne sont (presque) jamais
évalués comme clairement positifs en termes d’emplois, au mieux comme ne
produisant pas d’effets négatifs (lorsqu’ils ne sont pas incertains ou immesurables).
Il est donc difficile de tirer une conclusion unanime sur l’efficacité des salaires
minimums à la lumière de ces enquêtes. Il nous faut cependant tenter de déterminer
les effets futurs du salaire minimum généralisé en Allemagne.
279
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.27: „Die positive Wirkung der Erhöhung des
Mindestlohns überwiegt insgesamt (Bosch et al., 2012, 227)“
280
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
281
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.27-28 : „Zwar sind einige der Effekte signifikant
negativ, statistische Schätzprobleme begrenzen jedoch die Aussagekraft der Ergebnisse“
282
SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der deutschen
Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.28 : „ Insgesamt gesehen können keine signifikanten
Effekte für die finanzielle noch für die personelle Betroffenheit der Beschäftigten vom Mindestlohn
festgestellt werden (Harsch/Verbeek, 2012, 371)“
283
Cité dans: SCHULTEN Thorsten, Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet, Institut der
deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, S.1-42, S.28: „Zusammenfassend lässt sich auf Basis
der Befragungsergebnisse nicht sagen, ob Mindestlöhne das Beschäftigungswachstum in positiver oder
negativer Weise beeinflusst haben (Mesaros/Weinkopf, 2012, 292)“
114
Rousseau Marie-Léa
A.2.2.
Les possibles effets sur l’emploi de l’introduction du salaire
minimum généralisé en Allemagne
Ensuite, les possibles effets du futur salaire minimum prévu par la Gesetz für die
Stärkung der Tarifautonomie doivent être anticipés bien que les études sur les
salaires minimum par branche n’aient pas abouti à des résultats probants. La loi
devrait toucher une fourchette de salariés dont le nombre dépend des critères
retenus pour prétendre à un salaire minimum. Or, Odile Chagny et Sabine Lebayon
mettent en avant qu’en raison d’une définition floue, « l’éventail va ainsi de 4,7
millions (13,6%) à 6,6 millions de personnes (19,2%)» (Chagny & Lebayon,
2014)285. D’après Hager Lesch et al., le salaire minimum devrait concerner 4,6
millions d’actifs, soit 13,7 % de l’ensemble de la population active (Lesch, et al.,
2014)286. Il devrait toucher différemment les actifs en fonction de leur temps de
travail (Tableau VII)287. La très grande majorité serait des Minijobers, en particulier
dans les Länder de l’Est où ces derniers représenteraient plus de 80% des actifs.
285
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18,
p.13
286
LESCH Hagen, MAYER Alexander, SCHMID Lisa, Das deutsche Mindestlohngesetz: Eine erste
ökonomische Bewertung, Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, Avril 2014, S.1-22,
S.2
287
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, p.1-42p.26
115
Rousseau Marie-Léa
Tableau VII: Population active potentiellement concernée par
un salaire minimum à 8,50 euros en fonction de la nature des
emplois
Source : KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende
Mindestlohn“, Freie Universität Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge,
Februar 2014, p.1-42,S.26
L’introduction du salaire minimum devrait avoir des effets plus ou moins négatifs
sur le marché du travail allemand. Trois situations sont possibles288 :
L’effet statique (statischer Effekt) : le salaire minimum ne
provoquerait aucune réaction particulière sur le marché du
travail, et la situation resterait inchangée
L’effet sur l’offre de travail (Arbeitsgeboteffekt) : le salaire
minimum entrainerait des rémunérations plus avantageuses pour
les actifs qui seraient encouragés à se présenter sur le marché du
travail
L’effet sur la demande de travail (Beschäftigungseffekt) : le
salaire minimum entraine mécaniquement une augmentation des
couts salariaux pour les entreprises qui peut décourager ces
dernières à embaucher
Nombre d’auteurs mettent en avant un risque d’effet sur la demande de travail avec
des destructions d’emplois plus ou moins élevés en fonction des études. Comme
pour les études précédentes, les auteurs sont en désaccords quant aux conséquences
288
ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,
Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28
116
Rousseau Marie-Léa
impliquées par l’instauration salaire minimum à l’échelle nationale. Manfred
Löwisch estime que la recherche sur le salaire minimum est trop peu développée et
peu utile pour tirer des conclusions. Il considère non seulement que les études sur
les salaires minimums dans les branches sont trop récentes mais également trop peu
précises pour anticiper les effets du salaire minimum généralisé. De plus, la
première vague d’études sur les salaires minimums de branche n’a pas abouti à des
résultats significatifs (Löwisch, 2008)289. Enfin, il met en avant que si la plupart des
études internationales montrent un impact négatif, les évaluations sur les salaires
minimums de branches ne constatent pas d’effets négatifs (Löwisch, 2008)290.
Concernant les études anticipant les conséquences du futur salaire minimum
national sur le marché du travail, les résultats sont également très contrastés d’une
étude à l’autre. Certaines études prévoient que le salaire minimum national
n’entrainera pas ou peu d’effets négatifs, sans pour autant avoir un impact
clairement positif. Il devrait permettre tout d’abord de dynamiser la croissance
allemande, la Deutsche Bundesbank prévoyant une croissance d’environ 2% dans
les deux années à suivre291. Gerhard Bosch et Claudia Weinkopf mettent en avant
que si de plus en plus de voix s’élèvent contre le salaire minimum, les études les
plus récentes se montrent majoritairement rassurantes sur le fait que le salaire
minimum ne mène pas à une contraction pas le marché du travail. Pour eux, la
question n’est pas de savoir s’il faut introduire ou non un salaire minimum mais
comment il doit être instauré (Bosch & Weinkopf, 2014)292. Cependant, la plupart
des études que nous avons pu consulter s’inquiètent de l’impact éventuellement
négatif du salaire minimum, notamment sur l’emploi. D’après Patrick Arni et al. ,
570 000 emplois devraient être perdus sous l’effet du salaire minimum 293. Manfred
289
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.10
290
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.22
291
Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter
Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet
2014. URL:
http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfondswarnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm
292
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,
Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.12
293
ALNI & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“, Forschungsinstitut
117
Rousseau Marie-Léa
Löwisch parvient également à la même estimation, ce qui représente des pertes
d’emplois pour 1,6% des actifs (Löwisch, 2008)294. Selon l’IWF, ce chiffre pourrait
varier entre 60 000 et 850 000 emplois perdus. Comme le confirme la Figure
XXI295, Ronald Bachmann et al. anticipent qu’un salaire minimum à hauteur de
7,50 euros ferait perdre leur emploi à environ 1 millions de personnes dans les
Länder de l’Ouest et 220 000 dans les Länder de l’Est (Bachmann & al, 2008)296.
Par ailleurs, l’étude de l’Institut der deutschen Wirtschaft du 16 octobre 2013
semble quant à elle aboutir à l’idée que le salaire minimum aura des effets négatifs
sur l’emploi, sans citer de chiffre précis297. Le Währungsfond ne se montre pas non
plus précis mais estime que le salaire minimum pourrait mener à des « pertes
d’emplois significatives »298.
zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.5
294
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35
295
BACHMANN Ronald & al, , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,
Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.10
296
BACHMANN Ronald & al, , „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,
Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.53
297
Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne] Lohn-infog.org: Informationen zu Lohn und
Gehaltsabrechnung [consulté le 18 juillet 2014]. URL: http://www.lohn-info.de/mindestlohn.html
Cité dans: „Währungsfonds warnt vor Arbeitlosigkeit durch Mindestlohn“ [En ligne] Frankfurter
Allgemeine Zeitung (FAZ)|Beschäftigung, mis en ligne le 21 juillet 2014, page consultée le 27 juillet
2014. URL: http://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/wirtschaftspolitik/beschaeftigung-waehrungsfondswarnt-vor-arbeitslosigkeit-durch-mindestlohn-13057381.htm: „Der Fonds selbst nennt keine Zahl, warnt
aber vor „bedeutenden Arbeitsplatzverlusten“
298
118
Rousseau Marie-Léa
Figure XXIII: Pertes d'emplois à anticiper sous l'effet du
salaire minimum en fonction du montant horaire de celui-ci
Source : BACHMANN Ronald & al. , „Mindestlöhne in Deutschland,
Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für
Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.9
Par ailleurs, la réaction des entreprises face au salaire minimum, se traduisant par
des destructions d’emplois, devrait différer en fonction des branches (voir Figure
XXIV). Le graphique ci-dessous retranscrit les résultats d’un sondage cherchant à
évaluer la part des entreprises qui réagirait par des suppressions d’emplois en
fonction de leur appartenance à telle branche. Les résultats laissent apparaitre des
écarts très importants d’une branche à l’autre. Les employeurs de la branche
technico-sanitaire (Sanitärtechnik) sont peu nombreux à prévoir des destructions
d’emplois (1,7% dans les Länder de l’Est contre 10% dans les Länder de l’Ouest)
en réaction au salaire minimum alors que la proportion d’employeurs dans le
secteur de la sécurité privé (Wachgewerbe) envisageant des destructions d’emplois
est beaucoup plus importante ( 75% dans les Länder de l’Ouest contre 21,5% dans
les Länder de l’Est). Par ailleurs, le graphique permet une nouvelle fois de constater
des écarts importants entre les Länder de l’Ouest et les Länder de l’Est.
119
Rousseau Marie-Léa
Figure XXIV: Pertes d'emplois anticipées dans les branches en
cas de salaire minimum horaire de 7,50 euros
BACHMANN Ronald & al. , „Mindestlöhne in Deutschland,
Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für
Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S.11
Source :
A.2.3.
Les possibles effets du salaire minimums sur les coûts
supportés par les entreprises
Enfin, l’introduction du salaire minimum devrait également avoir des effets sur les
coûts supportés par les entreprises. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon,
l’introduction du salaire minimum devrait aboutir à des revalorisations salariales
d’en moyenne 38% en se basant sur les rémunérations de l’année 2012 qui serait
différencié en fonction des secteurs et de la taille des entreprises (Chagny &
Lebayon, 2014)299. Pour Karl Brenke et Gert G.Wagner, le salaire minimum devrait
avoir des conséquences sélectives sur l’augmentation des rémunérations en fonction
de la situation des actifs, avec une augmentation pour un septième des salariés à
temps partiel contre un dixième des salariés à temps pleins d’une part, et une
augmentation pour un quart des salariés dans les Länder de l’Est contre un septième
des salariés dans les Länder de l’Ouest (Brenke & Wagner, 2014) 300. Cette
299
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18,
p.16
300
BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen die Tücken
der Umsetzung [En ligne] Wirtschaftsdienst: Zeitschrift für Wirtschaftspolitik, 93. Jahrgang, Heft 11, p.
751-757,
mis
en
ligne
en
2013,
consulté
le
23
juin
2014.
URL :
http://www.wirtschaftsdienst.eu/archiv/jahr/2013/11/mindestloehne-die-tuecken-der-umsetzung/
120
Rousseau Marie-Léa
augmentation des rémunérations devrait générer des couts supplémentaires pour les
entreprises. D’après Andreas Knabe et al., un salaire minimum devrait entrainer une
augmentation de 57% chez un salaire net mensuel de 1017 euros. Il entrainerait
également une augmentation des couts salariaux de 70% chez un salaire brut de
1360 euros, soit 668 euros de plus301.De même, le salaire minimum devrait
engendrer des dépenses publiques supplémentaires, entrainant un déficit annuel à
hauteur de 4,3 milliards d’euros dans le modèle standard (théorie néo-classique) et
de seulement de 900 millions d’euros dans le modèle monopsone (Knabe, et al.,
2014)302. C’est pourquoi, Andreas Knabe et al. anticipent que le salaire minimum
ne devrait pas dépasser 6,22 euros pour limiter les effets négatifs (Knabe, et al.,
2014)303 Comme la Figure XXV (Bachmann & al, 2008)304 le montre, le salaire
minimum engendrerait des coûts importants pour l’Etat.
301
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30
302
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30
303
KNABE Andreas, Ronnie Schob, THUM Marcel, „Der flächendeckende Mindestlohn“, Freie Universität
Berlin, Fachbereich Wirtschaft, Diskussionsbeiträge, Februar 2014, S.1-42, S.30
304
BACHMANN Ronald & al., „Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“,
Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S..10
121
Rousseau Marie-Léa
Figure XXV: Effets fiscaux anticipés du salaire minimum en
fonction du montant horaire de celui-ci
Source :
BACHMANN
Ronald
& al.,
„Mindestlöhne
in
Deutschland,
Beschäftigungseffekte und fiskale Effekte“, Rheinisch-Westfälisches Institut für
Wirtschaftsforschung, Heft 43, RWI: Materialen, S.1-56, S..10
Par ailleurs, le salaire minimum ne peut en réalité être perçu comme un instrument de
la politique de l’emploi, notamment dans la lutte contre les inégalités comme
l’estiment Patrick Alni et al. qui affirment que le salaire ne constitue pas un
instrument de réduction des inégalités de revenus (Alni & al., 2014)305. Comme le
montre l’étude de Müller et Steiner (2013), le salaire minimum n’a pas d’effets
positifs sur la répartition des salaires306. Il pourrait même entrainer une compression
des salaires qui permettrait d’aboutir à une réduction des écarts de salaires par le bas,
c’est-à-dire en poussant les entreprises à réduire les salaires des actifs gagnant audessus du salaire minimum. Le salaire minimum aura également des conséquences
sur l’attitude des entreprises. D’après les travaux de Schmitt (2013)307, les entreprises
devraient compenser les augmentations des coûts salariaux en exigeant
305
ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“,
Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.17: „Der
Mindestlohn ist demnach kein besonders zielgenaues Instrument zur Verminderung von
Einkommensungleichheit“
306
Cité dans: ALNI Patrick & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche
Evaluation“,Forschungsinstitut zur Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.11
307
Cité dans: BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der
Beschäftigung nicht“,, Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
122
Rousseau Marie-Léa
l’augmentation de la productivité des travailleurs (dont une partie devrait être
encouragée par l’augmentation de leur salaire). L’introduction du salaire minimum
amène à s’interroger sur son impact sur la compétitivité des entreprises et leurs
réactions par rapport à cela. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, la compétitivité
des entreprises devrait varier d’un secteur à l’autre, le risque étant le plus élevé pour
l’industrie de la viande qui basait sa réussite sur le dumping social. Elles se montrent
rassurante en estimant que les entreprises devraient disposer de marges suffisantes
pour éviter de subir de plein fouet l’instauration du salaire minimum et ainsi être
obligées de répercuter les couts de production sur les prix de production (Chagny &
Lebayon, 2014)308. Le salaire minimum devrait enfin engendrer des attitudes
déviantes de la part des entreprises envers la Mindestlohngesetz. Odile Chagny et
Sabine Lebayon estiment que « plusieurs stratégies de contrournement de la
légilation sont pointées » (Chagny & Lebayon, 2014)309. Selon elles, la première
solution consisterait pour les entreprises à multiplier les heures supplémentaires non
rémunérées, puisqu’aucune limite légale du travail n’existe. La seconde option serait
de multiplier les salaires à la tâche (Werkvertrag) pour remplacer les contrats de
travail classiques (Arbeitsvertrag). Une troisième possibilité serait le recours d’autant
plus massifs aux Minijobs occupés par des chômeurs de longue durée, dont le contrat
ne fixe pas de durée de travail, et dont l’embauche n’oblige pas les entreprises à les
rémunérer à hauteur du salaire minimum avant six mois. Une quatrième conséquence
pourrait être l’augmentation du travail au noir310, qui est interdit par la législation
allemande, ce qui pose la question du contrôle de l’application de la loi. Le risque est
que la loi ne puisse s’appliquer réellement faute de contrôles suffisants, bien que
1600 fonctionnaires doivent être affectés à l’inspection du travail pour renforcer ces
contrôles
308
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En
ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] :
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grandpas-pour-lallemagne/
309
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18,
p.13
310
Mindestlohn - Branchen mit Mindestlöhnen [En ligne], www.lohn-info.de - Informationen zur Lohn und
Gehaltsabrechnung, mis en ligne en 2014, consulté le 1er aout 2014. URL: http://www.lohninfo.de/mindestlohn.html
123
Rousseau Marie-Léa
B.
Après l’introduction d’un salaire minimum
national: quelle avenir pour le « modèle
allemand » ?
Deuxièmement, il nous faut tenter d’anticiper l’impact de cette mesure en tant que
successeur des réformes de flexibilisation du marché du travail bien que très peu
d’études aient été menées sur ce sujet en raison de l’adoption rapide et récente de la
Mindestlohngesetz (MiLOG). Au-delà de l’éventuelle remise en cause des lois
Hartz, cette réforme remettra-t-elle d’autant plus en cause les fondements du
« modèle allemand » ou les renforcera-t-elle?
B.1.
Le salaire minimum national : une remise en cause
du principe des « lois Hartz » ?
D’une part, il nous faut nous interroger sur la place de cette mesure par rapport aux
« lois Hartz » de flexibilisation du travail en mettant en avant que si elles semblent
a priori remettre en cause celles-ci, on peut également supposer qu’elle les
complètent.
B.1.1.
Une mesure a priori en opposition avec les réformes de
flexibilisation du travail
Tout d’abord, il apparait a priori évident que la loi sur le salaire minimum constitue
une rupture par rapport aux mesures de flexibilisation
du marché du travail
incarnées par les « lois Hartz ». Le discours du 3 juillet 2014 de la ministre du
Travail et des Affaires Sociales Andrea Nahles semble d’ailleurs aller dans ce
sens comme le révèle les propos suivants : « Travailleurs, bon marché, sans
protection : c’est la réalité vécue par des millions d’actifs, et cela prend fin avec le
salaire minimum » [Notre traduction]311. Le salaire minimum est par conséquent
perçu comme une protection envers les travailleurs actifs contre les dérives de
l’extension des bas salaires. Or, comme le rappelle Gerhard Bosch, les « lois
Hartz » ont précisément répondu à cet objectif d’étendre le secteur des bas salaires
afin de limiter des coûts salariaux jugés trop élevés par les entreprises et ainsi
faciliter les créations d’emplois. Comme dit précédemment, la priorité de
311
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html : « Fleißig, billig,
schutzlos- das ist doch die Realität für Millionen Arbeitnehmer in Deutschland, und damit ist jetzt
Schluss”
124
Rousseau Marie-Léa
l’Allemagne au début des années 2000 était de sortir du marasme économique non
seulement par la lutte contre le chômage mais aussi par la lutte contre le déficit
grandissant de l’Etat. La flexibilisation du marché a été considérée comme la
solution la plus pertinente pour lutter contre ces problèmes persistants. A ce titre,
l’extension souhaitée du secteur des bas salaires a été d’autant plus facilitée par
cette absence de salaire minimum national. L’objectif des réformes était de
restaurer la compétitivité des entreprises, en difficulté persistante depuis le milieu
des années 90. Alors que le « modèle allemand » mis en avant par Michel Albert
avait été capable d’allier compétitivité pour les entreprises et salaires élevés pour
les actifs, les « lois Hartz » ont opéré un choix en faveur de la première, privilégiant
le maintien des emplois au prix de salaires bas. L’objectif était donc de permettre à
chacun d’avoir un emploi quitte à offrir des conditions de travail et de
rémunérations moins satisfaisantes. Ce choix opéré dix ans auparavant s’avérait
nécessaire pour permettre à l’Allemagne de se réformer. L’émergence du débat sur
le salaire minimum a remis à jour le dilemme entre politique des salaires
(Lohnpolitik) et politiques de l’emploi (Beschäftigungspolitik) dans la mesure où la
préoccupation des défenseurs de cette mesure est de permettre à chacun de vivre
décemment de son travail quitte à accepter une augmentation de la part des actifs
inoccupés. Par ailleurs, l’instauration du salaire minimum implique mécaniquement
une rigidification de la politique du marché du travail en limitant la marge de
manœuvre des entreprises sur la détermination des conditions de travail de leurs
employés. Le salaire minimum devrait notamment faire nettement reculer les
Minijobs, devenus le symbole de l’impact des « lois Hartz ». Il est donc tentant de
les percevoir comme un changement de cap dans la politique allemande de l’emploi
et dans la conception du rapport salariale.
B.1.2.
Une mesure qui complète les réformes de flexibilisation du
marché du travail
Ensuite, la loi sur le salaire minimum peut être également perçue comme la
conséquence logique des « réformes Hartz » de flexibilisation du travail, et par
conséquent compléter leur mission plutôt que de les remettre en cause. Comme
nous l’avons déjà mis en avant, les « lois Hartz » étaient nécessaires au début des
années 2000 et ont de fait contribué à réformer l’Allemagne de sorte que celle-ci a
pu résister aux crises de la fin des années 2000. Cependant, nous avons aussi
montré que ces réformes ont impliqué des sacrifices pour la population allemande,
125
Rousseau Marie-Léa
risquant de menacer l’équilibre entre les parties prenantes au dialogue social, si
important dans le « modèle allemand » traditionnel. La loi sur le salaire minimum
peut donc être considérée comme un geste à l’égard des travailleurs pour ne pas
rompre cet équilibre. Le site suivant, piloté par le Ministère du Travail et des
Affaires Sociales a même pour sous-titre : « Nicht geschenkt, sondern verdient »312.
Cette formulation sur un site officiel rattaché à un ministère n’a rien anodin. Elle
peut-être interprétée comme le fait que le salaire minimum n’est en aucun cas un
cadeau consenti par le gouvernement fédéral envers les actifs sans la moindre
contrepartie. Elle est au contraire l’expression d’une récompense suite aux efforts
consentis par les travailleurs allemands pour redresser la situation économique de
l’Allemagne. Plus généralement, elle est l’expression d’un souci éthique : qui
travaille doit percevoir une rémunération correspondant à la valeur de ses efforts
pour la collectivité. Selon Odile Chagny et Sabine Lebayon, « les préoccupations
d’ordre éthique ont joué aussi, voire plus important que les préoccupations d’ordre
économique » (Chagny & Lebayon, 2014)313 dans le débat sur l’instauration du
salaire minimum. Patrick Arni et al. estiment quant à eux que le salaire minimum
s’inscrit dans une logique de correction du marché de sorte à permettre à chacun de
pouvoir vivre de son travail (Alni & al., 2014)314. Le salaire minimum aurait donc
pour objectif éthique, que la mesure soit efficace ou non, de protéger les actifs
contre le dumping social. Par conséquent, la responsabilité, au cœur des « lois
Hartz », demeure une substance importante dans la loi sur le salaire minimum.
L’objectif de l’introduction du salaire minimum est donc non pas de remettre
complètement en cause les « lois Hartz » mais de corriger les dérives qui en ont
découlé de sorte à ce que celles-ci ne nuisent pas à long terme au lien social entre
les parties prenantes. Cette mesure peut donc être vue comme opérant un
312
Der Mindestlohn kommt [En ligne], , Bundesministerium für Arbeit und Soziales, mis en ligne en 2014,
page
consultée
le
21
juillet
2014.
URL :
http://www.der-mindestlohnkommt.de/ml/DE/Startseite/start.html
313
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18,
p.16
314
ALNI & al., „Kein Mindestlohn ohne unabhängige wissenschaftliche Evaluation“, Forschungsinstitut zur
Zukunft der Arbeit, IZA Standpunkte, n°65, März 2014, S.1-28, S.2: „Für die Einführung eines
Mindestlohns spricht der Vorsatz, die Verteilungswirkungen der Marktwirtschaft zu korrigieren und
"jeden von seiner Hände Arbeit leben zu lassen“
126
Rousseau Marie-Léa
mouvement de balancier consistant à faire des concessions aux salariés, après avoir
fait des concessions au patronat.
B.1.3.
Une mesure qui devrait malgré tout laisser les entreprises
conserver une certaine marge de manœuvre
Enfin, il ne faut pas oublier que si l’introduction du salaire minimum fait désormais
consensus au sein de la classe politique, le projet de loi n’en a pas moins été
critiqué par l’opposition comme nous l’avons précédemment montré. L’exception
sur les chômeurs de longue durée a fait l’objet des critiques les plus virulentes
contre le projet de loi, les opposants l’ayant accusé de ne pas protéger les actifs les
plus fragiles face à la conjoncture sur le marché du travail. La ministre du Travail et
des Affaires Sociales s’est justifiée sur le fait que la loi n’obligera un employeur à
payer au salaire minimum un actif sortant d’une longue période de chômage qu’au
bout de six mois La ministre a répondu à ces critiques en rappelant ce qu’elle
estime être la réalité : « Il y à peine assez d’employeurs qui sont prêts à donner une
chance à des chômeurs de longue durée »315. Sa crainte est que la mise en place
d’un salaire minimum pour les actifs inoccupés de longue durée désinciterait
d’autant plus les employeurs à leur donner un emploi. Andrea Nahles se montre
cependant prudente et admet qu’elle ne sait pas si cette règle spéciale (Sonderregel)
va porter ses fruits. Elle a ajouté qu’en conséquence, une évaluation de celle-ci
devrait être menée d’ici deux ans pour en mesurer l’efficacité. Malgré ces
explications, force est de constater que les critiques de l’opposition ne sont pas
infondées. Même si le salaire minimum devrait logiquement entrainer un recul du
secteur des bas salaires, il est à prévoir que les chômeurs de longue durée se verront
uniquement proposer des contrats de moins de six mois permettant aux employeurs
de compenser l’application du salaire minimum à l’ensemble des autres travailleurs
(hormis les quelques autres exceptions prévues par la loi). Les entreprises
conserveront une certaine marge de manœuvre de sorte qu’une minorité de
travailleurs sera d’autant plus touché par le risque de multiplier les contrats de
courte durée.
315
BMAS - Reden - Der Mindestlohn kommt [En ligne], Bundesministerum für Arbeit und Soziales, mis en
ligne
le
3
juillet
2014,
consulté
le
5
juillet
2014.
URL
:
http://www.bmas.de/DE/Service/Presse/Reden/Andrea-Nahles/rede-14-07-03.html : „Wir finden kaum
genügend Arbeitgeber, die überhaupt bereit sind, Langzeitarbeitslosen eine Chance zu geben“
127
Rousseau Marie-Léa
B.2.
Le salaire minimum national: renforcement ou
affaiblissement de la Tarifautonomie?
D’autre part, il nous faut nous interroger sur le rôle du salaire minimum dans le
« modèle allemand » des relations sociales qui a tant évolué depuis les années 90.
Le salaire minimum, mesure correctrice des lois Hartz, opèrera-t-il un retour vers
les bases initiales du capitalisme rhénan ?
B.2.1.
Le salaire minimum: une mesure qui, à première vue
remettre en cause les bases du modèle allemand
Tout d’abord, la Mindestlohngesetz semble à bien des égards constituer un
bouleversement des bases du système socio-économique allemand de l’aprèsguerre, en premier lieu car il n’a jamais existé de salaire minimum national sur le
territoire allemand et que l’introduction de salaires minimums de branches est non
seulement récente et peu étendue. Pour Odile Chagny, l’instauration d’un salaire
minimum généralisé constitue une rupture majeure pour le « modèle allemand »
non pas quant à éventuelle efficacité sur la situation économique mais quant au
« tournant opéré du point de vue de la conception de la valeur du travail » (Chagny
& Lebayon, 2014)316. Dans la conception traditionnelle du « modèle allemand » de
l’après-guerre, les différences de statuts, reconnaissance et de rémunération peuvent
se justifier sur la base de critères tels l’ancienneté et les compétences techniques.
Par ailleurs, une telle mesure peut légitimement se heurter au système de la
Tarifautonomie qui est aussi bien garantie par le droit constitutionnel allemand que
le droit européen. D’une part, la Tarifautonomie est garantie constitutionnellement
par l’article 9-3 de la Loi Fondamentale (Grundgesetz) comme nous l’avons déjà
évoqué. D’autre part, elle est également défendue par l’article 28 de la Charte des
droits fondamentaux (Grundrechtscharta) de l’Union Européenne (Löwisch,
2008)317. C’est pourquoi, bien que le projet de loi ait été adopté, il n’est pas exclu
qu’il fasse l’objet d’un examen devant la Bundesverfassungsgericht à la demande
d’opposants. Il est probable que ce projet de loi sur le salaire minimum ait été
316
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En
ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014, consulté le 13 juillet 2014, URL :
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grandpas-pour-lallemagne/
317
LÖWISCH Manfred, „Staatlicher Mindestlohn rechtlich gesehen - Zu den gesetzgeberischen
Anstrengungen in Sachen Mindestlohn“, Walter Eucken Institut, Freiburger Diskussionspapier zu
Ordnungsökonomik, Avril 2008, S.1-35, S.27
128
Rousseau Marie-Léa
habilement nommé das Gesetz für die Stärkung der Tarifautonomie par le Ministère
du Travail et des Affaires Sociales en raison de la prévisibilité des critiques à son
égard.
B.2.2.
Une loi qui laisse une place prépondérante aux acteurs de la
Tarifautonomie
Ensuite, la loi sur le renforcement de l’autonomie tarifaire aurait explicitement pour
objectif de remédier à l’affaiblissement du système de la Tarifautonomie depuis le
milieu des années 90 que nous avons constaté dans une section précédente. Bien
que l’Etat impose l’instauration d’un salaire minimum sur l’ensemble du territoire
et dans l’ensemble des branches sans exception, Odile Chagny met en avant que
« les partenaires sociaux garderont […] un rôle prépondérant » (Chagny &
Lebayon, 2014)318 de deux manières différentes :
Les syndicats des branches dont le salaire minimum se situe en
dessous de 8,50 euros sont chargés de déterminer eux-mêmes des
accords relevant progressivement ce seuil à celui exigé par la loi.
Comme révélé précédemment, certaines branches ont d’ores et déjà
conclu des contrats dans ce sens.
Les syndicats nommeront les membres de la Mindestlohnkommission
qui déterminera de manière indépendante l’évolution du salaire
minimum à partir de 2016.
La loi prévoit de faciliter l’extension des accords de branches portant sur
l’ensemble des conditions de travail (grilles salariale, congé, horaires, etc…) à tous
les salariés d’une branche. Odile Chagny et Sabine Lebayon reprennent la notion de
« quasi-négociation » forgée par Thorsten Schulten (2014) en mettant en avant
qu’il n’y aura pas de représentant du gouvernement dans la Mindestlohnkommission
par respect du principe de l’autonomie de décisions des parties prenantes (Chagny
318
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, Un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne [En
ligne], Sciences Po Paris OFCE, ajouté le 11 juillet 2014 [consulté le 13 juillet 2014] :
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/salaire-minimum-en-allemagne-un-petit-pas-pour-leurope-un-grandpas-pour-lallemagne/
129
Rousseau Marie-Léa
& Lebayon, 2014)319. Eva Rindfleisch met quant à elle en avant que la loi a l’intérêt
de préserver le système de la Tarifautonomie en remettant la décision de
l’adaptation du salaire minimum à la conjoncture entre les mains des partenaires
sociaux et par conséquent en faisant peser les conséquences de leurs décisions sur
eux-mêmes (Rindfleisch, 2012)320. Ulrich Preis et Daniel Ulber reconnaissent pour
leur part que l’introduction du salaire minimum constitue bien une intervention de
l’Etat dans le système de la Tarifautonomie mais contestent que cette mesure
n’affaiblisse celui-ci. Selon eux, cette mesure permettra au contraire de renforcer la
capacité fonctionnelle de la Tarifautonomie (Preis & Ulber, 2014)321.
B.2.3.
Une intervention de l’Etat pour définir un changement
d’orientation nécessaire
Enfin, l’intervention de l’Etat apparait paradoxalement nécessaire pour permettre ce
changement de cap dans la politique de l’emploi de la République Fédérale
d’Allemagne. Bien que l’article 9-3 consacre le principe de la Tarifautonomie,
l’article 74-1 garantit pour sa part une compétence partagée (konkurrierende
Gesetzgebungskompetenz) de l’Etat fédéral et des Länder en matière de droit du
travail. Gerhard Bosch explique que le salaire minimum est apparu tardivement
dans le secteur du bâtiment et dans d’autres branches car les parties prenantes
« [considéraient] que l’Etat n’était pas compétent en la matière » (Bosch,
2009)322.Un décret a cependant étendu les compétences de l’Etat fédéral en matière
de législation régulant non seulement l’instauration du salaire minimum mais aussi
la loi sur le travail au noir (Schwarzarbeitsbekämpfungsgesetz), la règlementation
des professions de l’artisanat, du commerce et de l’industrie (Gewerbeordnung), la
loi sur les travailleurs détachés (Arbeitnehmer-Entsendegesetz) et la loi sur le
319
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, « L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure », Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18,
p.9
320
RINDFLEISCH Eva, „Ein Mindestlohn für Deutschland- Aber wie?“, Konrad Adenauer Stiftung, Analyse
und Argumente, Ausgabe 101, Februar 2012, S.1-8, S.6-7
321
PREIS Pr.Dr. Ulrich, Ulber Daniel, „Die Verfassungsmäßigkeit des allgemeinen gesetzlichen
Mindestlohns“, Hans-Böckler Stiftung, Köln, Mai 2014, S.1-16, S.9
322
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung
nicht,,Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.11
130
Rousseau Marie-Léa
louage de main d’œuvre (Arbeitsnehmerüberlassungsgesetz)323. Les compétences
de l’Etat se sont donc étendues au-delà de celles prévues par la Loi Fondamentale,
sans que cela n’ait abouti à une remise en cause par la Bundesverfassungsgericht.
Pour Odile Chagny et Sabine Lebayon, la loi sur le salaire minimum constitue
certes une remise en cause du « principe de subsidiarité qui fonde l’Etat social
[allemand] » (Chagny & Lebayon, 2014)324. Selon elles, cette base fondamentale
du modèle allemand ne permet plus la garantie des droits des travailleurs depuis
une vingtaine d’années, ce qui justifie une intervention dans le sens d’une
protection renforcée des travailleurs. Leur thèse principale est résumée de la
manière suivante : « [L]’affaiblissement
des
acteurs
sociaux est tel qu’il
légitime une intervention de l’État contraire au principe de leur autonomie »
(Chagny & Lebayon, 2014)325.
323
Entwurf eines Gesetzes zur Stärkung der Tarifautonomie (Tarifautonomiestärkungsgesetz) [En ligne]
Bundesministerium für Arbeit und Soziales- Gesetzentwurf der Bundesregierung, S1-69, S.34, page
consultée le 12 juillet 2014. URL: http://www.bmas.de/SharedDocs/Downloads/DE/PDFPressemitteilungen/2014/2013-04-02-gesetzentwurf-tarifpaket-mindestlohn.pdf?__blob=publicationFile
324
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.3
325
CHAGNY Odile, LEBAYON Sabine, L’introduction d’un salaire minimum général en Allemagne :
genèse et portée d’une rupture majeure, Chronique international de l’IRES, n ° 146, juin 2014, p.1-18, p.3
131
Rousseau Marie-Léa
CONCLUSION
Ainsi, l’objectif de notre analyse était de mener une réflexion sur l’évolution du système
socio-économique allemand dont les bases traditionnelles sont souvent présentées comme
un modèle à suivre. Nous avons constaté que le capitalisme rhénan, pierre angulaire de ce
« modèle allemand » de l’après-guerre, a été remis en cause dans les années ayant suivies
la réunification de l’Allemagne. Ce système né dans le contexte de la reconstruction tant
économique que politique de l’Allemagne s’est construit autour de mécanismes rigides
favorisant le consensus entre toutes les parties prenantes dans le processus de décision.
Cependant, cette conception « stakeholder » a subi des critiques toujours plus fortes à la fin
des années 90 en raison de l’incapacité du pays à s’adapter au nouvel ordre économique
mondial ayant émergé avec la fin de la Guerre Froide. Le « modèle allemand » s’est donc
retrouvé au centre de cet affrontement entre capitalisme rhénan et capitalisme anglo-saxon
prédit par Michel Albert dans Capitalisme contre Capitalisme. Ce combat devait mener
inéluctablement à l’effacement du capitalisme rhénan, et par conséquent de la conception
allemande des relations sociales. L’Allemagne a mené des réformes d’envergure au début
des années 2000 dans le but non seulement de sortir du marasme économique mais aussi de
préserver son modèle menacée en particulier par la montée du chômage. Or, les « réformes
Hartz » qui flexibilisent le marché du travail ont été controversées car elles auraient de fait
affaibli l’identification des salariés aux entreprises en favorisant les emplois précaires qui
ne permettent plus de relations sociales stables entre les parties prenantes. Pour autant, les
défenseurs des réformes arguent en faveur de leur efficacité
à faire gagner de la
compétitivité aux entreprises allemandes, tout en ayant restauré l’esprit initial du « modèle
allemand » qui s’ancre dans une communauté de droits et de devoirs. En une dizaine
d’années, l’Allemagne est ainsi passé d’ « homme malade »
à la « locomotive de
l‘Europe » en devant certes adapter son modèle sans complètement renier ses bases de
sorte qu’un modèle hybride à mi-chemin entre capitalisme rhénan et capitalisme anglosaxon semble émerger. Pour autant, les critiques à l’égard de cette locomotive allemande
n’ont cessé de croitre parmi ses voisins européens, notamment en raison de l’inexistence
d’un salaire minimum généralisé. Ces critiques de plus en plus véhémentes au niveau
international et européen ont effectivement donné du poids aux opposants aux réformes de
flexibilisation du marché du travail. L’ouverture par la Commission Européenne d’une
132
Rousseau Marie-Léa
enquête sur les excédents allemands en novembre 2013 a en particulier constitué un signal
fort à l’adresse de l’Allemagne concernant sa pratique de la modération salariale. L’arrivée
de la deuxième « Grande Coalition » après les élections législatives de 2013 a mené à
l’adoption d’un salaire minimum généralisé de 8,5 euros de l’heure par le Bundestag et le
Bundesrat les 3 et 11 juillet 2014. Cette mesure inédite en Allemagne a été en particulier
motivée par la volonté de lutter contre une expansion trop forte du secteur des bas salaires,
bien que nous ayons démontré que celle-ci était limitée par rapport à celle des voisins
européens. Cette expansion est perçue comme la conséquence de l’absence de salaire
minimum national qui aurait encouragé la logique du dumping social par le biais des « lois
Hartz ». Plus précisément, l’affaiblissement de fait de la Tarifautonomie depuis les années
90 combiné à l’absence de salaire minimum, ne permet plus d’assurer un équilibre des
rapports entre les parties de prenantes. Paradoxalement, la mise en place de cette mesure
contraire au principe constitutionnel de la Tarifautonomie, base fondamentale du « modèle
allemand », s’est justifié par la volonté de renforcer ce système en difficulté. La loi sur le
salaire minimum pourrait donc a priori se comprendre comme l’opposé aux « lois Hartz »,
permettant en quelque sorte de réaffirmer la place du capitalisme rhénan face au
capitalisme anglo-saxon en Allemagne, de réaffirmer la stabilité face à la flexibilité des
relations sociales. Pour autant, il serait plus pertinent de les comprendre comme une
continuité avec les « lois Hartz », leur objectif étant de préserver ce « modèle allemand »
d’une autre façon. Les « réformes Hartz » ont en effet permis à l’Allemagne de sortir du
marasme économique qu’elle subissait depuis la période post-réunification, en privilégiant
la compétitivité des entreprises et le maintien des emplois quitte à exiger des sacrifices de
la part des salariés quant à leurs conditions de travail et de rémunérations. Ces réformes
paradoxalement réussi à préserver l’Allemagne de difficultés économiques graves depuis la
crise financière mondiale de 2008, ainsi que la confiance des Allemands envers leur
économie. Par ailleurs, l’objectif principal a été atteint puisque le chômage a reculé de
moitié. En revanche, les dix ans de l’Agenda 2010 ont été l’occasion de tirer le bilan de ces
réformes et de constater qu’une correction des effets négatifs était certainement nécessaire.
L’introduction du salaire minimum peut-être perçue comme un signal envoyé à la
population active allemande pour lui signifier que les sacrifices au cours de la décennie
précédente ont porté leurs fruits et que le gouvernement allemand est prêt à suivre
l’opinion publique. La question des effets de l’introduction du salaire minimum national
reste cependant posée car les nombreuses études consultées parviennent à des résultats
contradictoires, lorsqu’elles ne constatent pas que les effets ne sont pas suffisamment
133
Rousseau Marie-Léa
significatifs pour être mesurés. Toujours est-il que les principaux risques résident
précisément dans la montée du chômage, des coûts salariaux et des dépenses de l’Etat, à
savoir les problèmes qui avaient motivé la mise en place des « lois Hartz » dix ans plus tôt.
La question à se poser est désormais la suivante : les « réformes Hartz » ont-elles
suffisamment imprégné la politique économique allemande pour limiter les éventuels effets
négatifs de la future loi sur le salaire minimum ? Dans tous les cas, la combinaison de ces
deux mesures phares pour l’évolution du « modèle allemand » dans ce nouvel ordre
mondial en ce début de XXIème siècle devrait aboutir non pas à la réaffirmation ou à
l’évaporation mais à l’hybridation de ce dernier. Contrairement au système socioéconomique allemand décrit par Michel Albert, le système actuel peut plus difficilement
combiner la compétitivité des entreprises avec des emplois stables, biens rémunérés et un
taux de chômage faible pour la population active. Pour assurer sa pérennité, le système
devrait donc effectuer des mouvements de balancier pour satisfaire autant les intérêts du
patronat que du salariat.
134
Rousseau Marie-Léa
Annexes:
Annexe I : Le manifeste Blair-Schröder
La Troisième voie - Le Nouveau Centre
Par Tony Blair & Gerhard Schröder 326
Introduction
Les sociaux-démocrates sont au pouvoir presque tous les pays de l'Union Européenne. Si la social-démocratie a retrouvé
une nouvelle adhésion populaire, c'est parce qu'elle a engagé un renouvellement de ses idées et de son programme, dans
le respect de ses valeurs originelles. C'est aussi parce qu'elle a su s'engager non seulement pour la justice sociale, mais
également pour le dynamisme économique et pour la libération de la créativité et de l'innovation.
La marque de cette nouvelle approche, c'est le " nouveau centre " en Allemagne et la " troisième voie " au Royaume-Uni.
D'autres appellations ont cours ailleurs en Europe, mais au-delà des différences culturelles, institutionnelles ou de langue,
c'est partout la même motivation. La plupart des gens ont abandonné depuis longtemps la représentation du monde
inspirée du dogme de la droite et de la gauche. Et c'est à ces gens-là que les sociaux-démocrates doivent s'adresser.
Honnêteté et justice sociale, liberté et égalité des chances, solidarité et esprit de responsabilité envers autrui ces valeurs
sont intangibles et la social-démocratie n'en fera jamais le sacrifice. Mais les rendre opérantes dans le monde
ème
contemporain nécessite des politiques publiques réalistes et tournées vers l'avenir, capables de relever les défis du 21
siècle. La modernisation, c'est l'adaptation aux conditions nouvelles de notre époque, ce n'est pas la simple réaction aux
sondages d'opinion.
De la même manière, nos politiques publiques doivent être conçues dans un nouveau cadre économique, adapté aux
réalités d'aujourd'hui, avec une règle d'or : le gouvernement doit tout faire pour soutenir les entreprises et ne jamais
croire qu'il puisse s'y substituer. Le rôle essentiel des marchés doit être complété et amélioré par l'action publique, mais
non pas entravé par elle. Nous sommes pour une économie de marché, mais pas pour une société de marché.
Nous partageons un destin commun dans l'Union Européenne. Nous faisons face aux mêmes défis : développer l'emploi
et la prospérité, offrir à chacun les conditions de son épanouissement personnel, combattre l'exclusion sociale et la
pauvreté, réconcilier le progrès technique et le développement durable, s'affronter aux dangers communs qui menacent la
cohésion sociale (la criminalité, le trafic de drogues), et enfin faire de l'Europe une force politique pour le bien dans le
monde.
Nous avons besoin de renforcer nos politiques publiques en confrontant nos expériences en Angleterre et en Allemagne,
mais aussi avec les autres gouvernements de gauche en Europe et dans le monde. Nous avons à apprendre les uns des
autres et évaluer nos résultats grâce aux bonnes pratiques et aux expériences menées dans d'autres pays. Avec cet appel,
nous invitons les autres gouvernements sociaux-démocrates d'Europe, qui partagent nos ambitions réformatrices, à nous
rejoindre dans cette entreprise.
I - Ce que nous retirons de nos expériences passées
Nos deux pays peuvent être fiers de leur parcours jusqu'à aujourd'hui. Cependant, nous devons trouver des réponses
réalistes et viables face aux nouveaux défis de nos deux sociétés et de nos deux économies. Cela exige à la fois fidélité à
nos valeurs et volonté de changer nos approches et nos moyens d'action traditionnels. Dans le passé :
l'enjeu de la justice sociale était parfois confondu avec le mot d'ordre de l'égalité des revenus. La conséquence en
était le peu d'attention portée à la récompense personnelle dans l'effort et dans la responsabilité ; on risquait aussi
326
BLAIR Tony, SCHRÖDER Gerhard, « Europe : The Third Way/ Die Neue Mitte » [En ligne] Juin 1998.
p.1-8. URL: http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/dossiers/gauche/3voie/manifeste.html
135
Rousseau Marie-Léa
d'associer dans les esprits " social-démocratie " avec " conformité et médiocrité " au lieu d'incarner la créativité, la
diversité et la performance. Le coût du travail était alourdi par des charges toujours plus élevées.
Les outils pour avancer vers une plus grande justice sociale se sont identifiés avec toujours plus de dépenses
publiques, sans souci de leurs finalités ou de l'impact des impôts sur la compétitivité, l'emploi et le niveau de la vie
des personnes. Disposer de services publics corrects est une vraie préoccupation pour les sociaux-démocrates, mais
cela ne peut se mesurer à la seule aune de la dépense publique. La vraie évaluation passe par un examen attentif de
la dépense, de ses modalités concrètes et du bénéfice réel pour la population ainsi capable de se prendre en charge
par elle-même.
La croyance selon laquelle l'État devrait s'attaquer à tous les défauts ou lacunes du marché a trop souvent conduit à
une extension démesurée des missions de l'administration et à une bureaucratie croissante. L'équilibre entre les
actions individuelles et l'action collective a été rompu. Des valeurs importantes pour les citoyens - la construction
autonome de soi, le succès personnel, l'esprit d'entreprise, la responsabilité individuelle et le sentiment
d'appartenance à une communauté - furent trop souvent subordonnées aux garanties sociales universelles.
Trop souvent, les droits furent élevés au-dessus des obligations, mais on ne peut pas se débarrasser de ses
responsabilités, envers soi-même, sa famille, son voisinage ou l'ensemble de la société, sur l'État et s'en remettre à
lui seul. Si on oublie le principe d'obligation mutuelle, c'est le sentiment d'appartenance collectif qui s'affaiblit, ce
sont ses responsabilités envers ses proches ou ses voisins qui disparaissent, c'est la délinquance ou le vandalisme qui
augmentent, et c'est tout notre appareil légal qui ne peut plus suivre.
La capacité des gouvernements à régler avec précision leur économie nationale, afin de favoriser la croissance et
l'emploi, a été exagérée. L'importance des entreprises et des acteurs économiques dans la création de richesses a été
sous-évaluée. En fait, on a exagéré les faiblesses du marché et sous-estimé ses qualités.
II - De nouveaux programmes pour des réalités différentes
Nos idées ne devraient jamais devenir un carcan idéologique pour nous, gens de gauche.
Les politiques publiques du " Nouveau centre " et de la " Troisième voie " abordent toutes les préoccupations des gens
qui vivent et font face aux changements rapides de nos sociétés, à la fois ceux qui s'en sortent et ceux qui ne suivent plus.
Dans ce monde en émergence, les citoyens veulent des responsables politiques qui abordent les problèmes sans préjugés
idéologiques mais attachés à des valeurs essentielles, et qui recherchent [honnêtement] des solutions concrètes grâce à
des politiques publiques pragmatiques et durables. Les électeurs, de qui on attend initiative et adaptabilité dans leur vie
de tous les jours, ont la même exigence vis-à-vis de leurs gouvernements et de leurs responsables politiques.
Dans un monde où la mondialisation et les transformations techniques s'imposent de plus en plus vite, nous avons
besoin de créer les conditions les meilleures pour la prospérité et l'adaptation des entreprises existantes, comme pour
la création et le développement de nouvelles entreprises.
Les nouvelles techniques modifient en profondeur le travail humain et internationalisent l'organisation de la
production. D'un côté, elles tendent à déqualifier et rendre obsolètes de nombreuses entreprises, et de l'autre, elles
permettent la création de nouvelles entreprises et donnent leur chance à de nouveaux entrepreneurs. La tâche la plus
importante, c'est d'investir dans le capital humain : rendre les personnes et les entreprises adaptées à une nouvelle
économie basée sur le savoir.
Occuper le même emploi toute sa vie n'est plus concevable. Les sociaux-démocrates doivent marier les demandes
croissantes en faveur de la flexibilité et les exigences sociales en faveur de conditions de vie normales ; ils doivent
aider les familles à suivre le changement et redonner leur chance à tous ceux qui n'arrivent pas à suivre le rythme.
Nous avons devant nous un défi de plus en plus fort qui consiste à réconcilier le progrès technique nécessaire à la
société avec la préservation de l'environnement pour les futures générations. Nous devons marier la responsabilité en
matière d'environnement avec une approche économique moderne. Dans le domaine de la protection de
l'environnement, les techniques les plus modernes sont les plus économes en énergies et en matériaux ; elles ouvrent
la voie pour de nouveaux marchés et permettent la création de nouveaux emplois.
Le poids de la dépense publique sur le P.I.B. a atteint les limites de l'acceptable. L'inertie du budget de l'État nous
oblige à une réforme radicale de l'ensemble du secteur public afin d'assurer la valeur de la monnaie. Le secteur
public doit être au service du citoyen : nous n'hésitons pas à promouvoir les concepts d'efficacité, de compétition et
de haute performance.
Les systèmes de sécurité sociale ont besoin d'être rénovés pour tenir compte des transformations sociales :
augmentation de l'espérance de vie, nouvelles structures familiales, nouveaux rôles des femmes. Les sociauxdémocrates doivent trouver les moyens de combattre efficacement les problèmes croissants de la délinquance, de la
surconsommation de drogues, de la désaffiliation sociale. Nous avons à montrer l'exemple dans la reconnaissance de
droits égaux pour les hommes et les femmes.
136
Rousseau Marie-Léa
La criminalité est une question politique essentielle pour les sociaux-démocrates d'aujourd'hui. Nous considérons
que la sûreté dans les rues est un droit essentiel. Mener des politiques publiques en faveur de la ville vivable permet
de stimuler le sentiment d'appartenance à la communauté, de créer de nouveaux emplois de proximité, de sécuriser
les quartiers d'habitation.
La précarité demeure une préoccupation centrale, surtout lorsqu'elle atteint des familles avec enfant(s). Il faut mettre
en place des mesures à l'intention de ceux qui sont le plus menacés par la marginalisation et l'exclusion sociale.
Tout ceci exige de moderniser notre manière de gouverner :
l'Etat ne doit pas ramer, mais tenir le gouvernail : juste ce qu'il faut de contrôle, tel est le défi. Les solutions doivent
toujours être rattachées aux problèmes.
dans le secteur public, la bureaucratie doit être réduite à tous les niveaux ; des objectifs de résultats concrets doivent
être formulés ; la qualité des services publics évalués en permanence, et les dysfonctionnements éradiqués.
les sociaux-démocrates modernistes abordent les problèmes à la bonne échelle : certains d'entre eux ne peuvent l'être
qu'au niveau européen ; d'autres comme les récentes crises financières nécessitent une coopération internationale très
large. Mais, en règle générale, la compétence devrait être décentralisée à l'échelon le plus bas possible.
Pour le plein succès des nouvelles politiques publiques, il faut promouvoir une mentalité de gagnant et un nouvel
esprit d'entreprise à tous les niveaux de la société. Cela requiert :
une main-d'œuvre compétente et bien formée, qui soit désireuse de prendre de nouvelles responsabilités ;
un système de sécurité sociale qui donne une nouvelle chance, tout en encourageant l'esprit d'initiative, la
créativité et l'envie de relever de nouveaux défis ;
un climat favorable aux entrepreneurs, à leur indépendance et à leur esprit d'initiative. Il faut faire en sorte que
la création et la survie des petites entreprises soient facilitées ;
nous voulons une société qui met à l'honneur ses chefs d'entreprise, comme elle le fait pour les artistes et les
footballeurs, et qui revalorise la créativité dans tous les domaines de la vie.
Nos pays ont des modes de régulation et de négociation différents, entre l'Etat, les entreprises, les syndicats et les groupes
sociaux. Cependant, nous partageons la conviction que les conflits traditionnels du travail doivent être surmontés. Par
dessus tout, cela signifie qu'il faut renouer des liens entre l'esprit de communauté et la solidarité, le partenariat et le
dialogue entre tous les groupes sociaux. Cela signifie aussi qu'il faut adopter un nouveau consensus sur le changement et
les réformes. Nous voulons que tous les groupes sociaux partagent notre engagement réciproque exprimé par cette
Déclaration.
Immédiatement après sa prise de fonction, le gouvernement social-démocrate allemand a réuni autour d'une même table
les représentants du monde politique, du patronat, des syndicats de salariés afin de forger une Alliance pour l'Emploi, la
Formation et la Compétitivité des entreprises.
nous voulons voir s'engager un partenariat réel entre les salariés et les employeurs pour le partage des fruits de la
croissance ;
nous soutenons les syndicats qui protègent les droits des salariés contre les comportements arbitraires et qui
coopèrent avec les employeurs pour conduire les changements nécessaires et pour favoriser la prospérité durable.
En Europe, dans le cadre du Pacte Européen pour l'emploi, nous nous efforcerons de poursuivre un dialogue fructueux
avec les partenaires sociaux qui soutiennent les changements économiques indispensables, sans chercher à les entraver.
III- Une nouvelle politique de l'offre pour la Gauche
C
e qui attend désormais l'Europe, c'est de relever le défi d'une économie en voie de mondialisation tout en
préservant la cohésion sociale, dans un contexte d'incertitude réelle et ressentie. La diminution du chômage et la
croissance des offres d'emploi sont les meilleures garanties d'une société mieux soudée.
Ces vingt dernières années du laissez-faire (en français dans le texte) néo-libéral sont dépassées. Pour autant, il n'est pas
question de revenir aux vieilles recettes des années 1970 mêlant déficit public et interventionnisme de l'Etat. Une telle
approche ne serait plus judicieuse, aujourd'hui.
Nos économies nationales et nos relations avec le reste du monde ont connu de profonds changements. Il nous faut réévaluer nos idées classiques et promouvoir de nouveaux concepts à la lumière de ces nouvelles réalités.
137
Rousseau Marie-Léa
Dans de nombreux pays européens, le chômage est beaucoup trop élevé, et pour une part importante, il s'agit d'un
chômage structurel. Pour relever ce défi, les sociaux-démocrates européens doivent, tous ensemble, reformuler et mettre
en oeuvre une nouvelle politique de l'offre pour la Gauche.
Notre ambition est de moderniser l'Etat-providence, pas de le démanteler : se lancer dans de nouvelles voies favorisant la
solidarité et la responsabilité, cela ne veut pas dire de se baser sur le seul intérêt personnel des agents économiques.
Les principaux éléments de cette nouvelle approche sont les suivants :
Un cadre solide pour une économie de marché compétitive
La libre compétition entre les agents de production et le libre-échange sont essentiels pour stimuler productivité et
croissance. Pour cette raison, il est nécessaire de se doter d'un cadre qui permette aux forces du marché de fonctionner
convenablement : cela est essentiel pour la croissance économique et c'est une condition préalable à une politique efficace
en faveur de l'emploi.
L'UE doit continuer à agir en faveur de la libéralisation du commerce international ; elle doit contribuer à la réussite
complète du marché unique en renforçant un cadre économique propice à la croissance de la productivité.
Une politique fiscale en faveur d'une croissance durable
Dans le passé, les sociaux-démocrates étaient accusés d'être favorables aux impôts élevés, particulièrement à l'encontre
des entreprises. Les sociaux-démocrates modernistes admettent que, dans des circonstances particulières, la réforme
fiscale et la réduction des impôts peuvent contribuer à la réussite des politiques sociales.
Par exemple, les réductions d'impôts sur les entreprises augmentent la profitabilité de ces dernières et renforcent les
incitations à investir. Des investissements plus élevés favorisent l'activité économique et accroissent le potentiel
productif. Cela contribue à créer un cercle vertueux de croissance, elle-même favorable aux rentrées fiscales et aux
cotisations sociales.
Les impôts sur les entreprises devraient être simplifiés et leurs taux diminués, comme cela l'a été par les Travaillistes
modernistes (New Labour) au Royaume-Uni et comme cela est envisagé par le gouvernement fédéral d'Allemagne.
Pour garantir le niveau de vie des salariés et pour améliorer la [qualité] du système fiscal, les impôts supportés par les
familles et les salariés devraient être allégés, à l'instar du de la loi de réduction des impôts en Allemagne ou de la création
de très bas taux d'imposition pour l'impôt sur le revenu et le crédit d'impôt pour les familles modestes en GrandeBretagne.
La propension des entreprises – en particulier les PME – à investir devrait être renforcée par des réformes sur les impôts
sur les entreprises (en Allemagne et en Grande-Bretagne) et la réforme des travaillistes relatives aux plus-values.
Surtout, les taxes sur le travail manuel et les entreprises de main-d'œuvre devraient être réduites. Cette diminution
d'impôts devrait être compensée par des éco-taxes, par exemple. L'Allemagne, la Grande-Bretagne et d'autres pays
européens gouvernés par des sociaux-démocrates seront en pointe pour montrer la voie dans ce domaine.
Au niveau européen, la politique fiscale devrait mener un combat incessant et rude contre les pratiques déloyales et
l'évasion fiscale. Cela nécessite une coopération renforcée et non pas une uniformisation des règles. Nous ne soutiendrons
pas des mesures conduisant à l'alourdissement des impôts, à un affaiblissement de la compétitivité européenne et à des
risques de pertes d'emploi.
Politiques de l'offre et de la demande sont indissociables
et non pas alternatives
Dans le passé, les sociaux-démocrates ont souvent donné l'impression que leurs objectifs de croissance et de lutte contre
le chômage seraient assurés par la seule action publique sur la demande. Les sociaux-démocrates modernistes
reconnaissent que des réformes fiscales et des baisses d'impôts peuvent contribuer grandement à réaliser leurs objectifs en
matière sociale.
Aujourd'hui, la plupart des décisions publiques ont un double impact, à la fois sur l'offre et sur la demande.
les programmes réussis de retour à l'emploi augmentent le niveau de vie de ceux qui étaient chômeurs en même
temps qu'ils accroissent la main-d'œuvre disponible pour les employeurs.
Les politiques économiques modernes visent à augmenter les revenus des salariés, après impôt, tout en diminuant le
coût du travail pour les entreprises. La réduction des coûts non salariaux, grâce à une réforme de la sécurité sociale
et à des systèmes fiscaux et de cotisations favorables à l'emploi, est donc tout à fait importante.
138
Rousseau Marie-Léa
L'ambition de la politique social-démocrate est de dépasser la contradiction apparente entre " politique de l'offre " et
" politique de la demande " pour parvenir à une alliance fructueuse entre la flexibilité (d'un point de vue microéconomique) et la stabilité à l'échelle macro-économique.
Pour parvenir à une croissance plus forte et à un plus grand nombre d'emplois, les économies contemporaines doivent être
adaptables : les marchés flexibles sont une juste ambition pour la social-démocratie moderniste.
La politique macro-économique garde une légitimité essentielle : elle établit les conditions d'une croissance durable pour
éviter l'alternance de surchauffe et de dépression. Mais les sociaux-démocrates doivent reconnaître que cela ne suffit pas
à stimuler la croissance et à multiplier les emplois. La politique des taux d'intérêt ou la politique fiscale n'entraîneront pas
automatiquement la croissance des investissements et de l'emploi, à moins que l'économie soit assez adaptable pour y
répondre. Si nous voulons que l'économie européenne soit plus dynamique, il nous faut aussi la rendre plus flexible.
les entreprises doivent avoir suffisamment de marges de manœuvre pour agir et pour profiter des occasions qui se
présentent : elles ne doivent pas être entravées par trop de règles.
Les marchés du travail, du capital et des biens doivent tous être flexibles : il n'est pas possible de s'accommoder de
rigidité dans un secteur de l'économie et d'ouverture et de dynamisme dans un autre secteur.
L'adaptabilité et la flexibilité sont des avantages de plus en plus rentables
dans une économie basée sur la connaissance
Nos économies sont dans une phase de transition – d'un système industriel à un économie des services et du savoir –
transition dont les sociaux-démocrates doivent saisir la chance pour notre réussite économique. Nous avons là l'occasion
de rattraper les Etats-Unis : nous pourrons ainsi procurer des emplois à des millions d'Européens, leur permettre
d'acquérir de nouveaux savoir-faire, dynamiser leur vie professionnelle, créer et développer de nouvelles activités. En
bref, l'occasion se présente à nous qui permettra aux Européens de réaliser leurs espoirs d'une vie meilleure.
Mais les sociaux-démocrates doivent reconnaître que les données de base de la réussite économique ont changé. Les
services ne peuvent se stocker : leurs clients doivent pouvoir les utiliser quand ils ont en besoin, à tout moment de la
journée, en dehors des heures normales de travail. La révolution de l'information, particulièrement le potentiel énorme du
commerce électronique, risque de modifier profondément notre manière de consommer, de communiquer, d'apprendre ou
de se reposer. Les rigidités de tous ordres et la sur-réglementation entravent la pleine réussite de cette économie du
savoir. Elles ont pour conséquence de réduire le potentiel d'innovation qui favorise la croissance et crée l'emploi. Nous
devons être toujours plus souples, pas le contraire.
Un gouvernement actif, aux missions renouvelées,
a un rôle essentiel à jouer dans le développement économique
Les sociaux-démocrates modernistes ne sont pas des néo-libéraux adeptes du laissez-faire. La souplesse des marchés
doit être associée à un Etat actif dont les missions auront été redéfinies. Nos priorités doivent être l'investissement dans le
capital humain et social.
Pour parvenir au plein emploi durable, les salariés doivent accepter les variations de la demande. Nos économies
souffrent d'un trop grand fossé entre les emplois qualifiés à pourvoir (par exemple dans le secteur de l'information et de la
communication) et l'existence d'une main-d'œuvre suffisamment qualifiée.
L'éducation ne doit plus être une chance unique : l'éducation et la formation tout au long de la vie sont la principale
garantie dans notre monde contemporain. En conséquence, les gouvernements ont une responsabilité majeure pour mettre
en place un système éducatif permettant à chacun de renforcer sa qualification et de parvenir à son maximum. Ce doit
être la première priorité des sociaux-démocrates aujourd'hui.
Il faut relever les niveaux dans toutes les classes ainsi que toutes les capacités des élèves. Il faut se colleter aux
difficultés rencontrées en lecture ou en calcul, sinon l'on condamne les personnes sans expérience au bas salaire, à la
précarité et au chômage.
Nous voulons que chaque jeune ait la possibilité d'avoir sa place dans le monde du travail grâce à une formation
professionnelle qualifiée. Avec l'ensemble des partenaires (chefs d'entreprise, syndicats,...), nous devons nous
assurer que l'offre en matière d'éducation et de formation corresponde aux besoins du marché local du travail. En
Allemagne, les responsables politiques encouragent cette démarche grâce à un plan d'action en faveur de l'emploi et
de la formation ; ce dernier permettra à 100 000 jeunes de trouver un poste ou un stage ou bien d'acquérir une
qualification. En Grande Bretagne, ce sont 95 000 jeunes qui ont pu trouver du travail avec le programme public
pour l'emploi.
La formation continue est à repenser et à améliorer afin de faciliter ultérieurement l'adaptabilité et l'employabilité.
Les gouvernements doivent inciter les salariés à épargner afin d'assumer le coût de la formation toute au long de la
vie. Les gouvernements doivent aussi élargir l'accès à l'enseignement à distance.
139
Rousseau Marie-Léa
Il faut faire en sorte que la formation occupe un rôle significatif dans notre politique publique pour l'emploi en
direction des chômeurs.
Un système éducatif moderne et efficace, accordant une large place aux disciplines scientifiques, distingue une économie
créatrice d'emplois. Les fonds publics doivent être orientés vers toutes les activités favorables à la croissance et aux
changements structurels.
Les sociaux-démocrates modernistes devraient être les champions des PME
Le développement des PME prospères doit devenir la priorité absolue pour les sociaux-démocrates modernistes. C'est là
que réside le plus gros potentiel de croissance et de création d'emplois dans la société future basée sur la connaissance.
Des actifs de toutes conditions sociales sont désireux de devenir chef d'entreprise qu'il s'agisse de travailleurs
indépendants, récents ou de longue date, d'avocats, d'informaticiens, de médecins, d'artisans, de consultants en entreprise
ou de professionnels de la culture et du sport.
Il faut libérer l'esprit d'initiative, encourager les prises de risque, favoriser la création de nouveaux produits ou concepts,
alléger les charges sur ces créateurs d'entreprise, ouvrir les marchés en abolissant les frontières
Les marchés financiers européens devraient être simplifiés et leur accès plus aisé aux entreprises de croissance. Cela est
essentiel pour les entreprises à hautes technologies, vis-à-vis de leurs concurrentes nord-américaines : ensemble, nous
sommes décidés à y travailler.
Il faut faciliter la création d'entreprise individuelle et la croissance des jeunes entreprises, grâce aux allégements des
démarches administratives, à l'exonération de certaines règles pour les toutes petites entreprises, et à un accès plus aisé au
marché financier. Ces très petites entreprises doivent pouvoir embaucher des cadres et des ingénieurs : cela sera possible
par une diminution des coûts non salariaux et des obligations sociales.
Il faut encore renforcer les liens entre entreprise et science, en incitant les chercheurs à devenir entrepreneurs et en créant
des " pépinières d'entreprises de hautes technologies ".
Des finances publiques saines, fierté des sociaux-démocrates
Dans le passé, les sociaux-démocrates ont trop souvent été associés au "plus d'État" et au "plus de dépenses publiques",
au profit de l'emploi et la croissance. Nous n'excluons pas que les déficits publics permettent de contrebalancer une
conjoncture déprimée. Ni même que l'emprunt pour financer des investissements publics, dans le respect des règles
keynesiennes, puisse renforcer l'offre dans nos économies.
Malgré tout, il ne faut pas croire que les déficits publics puissent surmonter les faiblesses structurelles de nos économies,
préjudiciables à la croissance et à l'emploi. Les sociaux-démocrates doivent également s'élever contre un niveau excessif
de la dette publique. Un endettement croissant est une charge intolérable pour les générations à venir. Il entraînerait des
effets pervers en matière de redistribution. Surtout, l'argent consacré au service de la Dette ne serait plus disponible pour
les autres priorités de l'Etat : éducation, formation, infrastructures de transports.
Dans la perspective d'une politique de gauche de l'offre, il est essentiel que le haut niveau d'emprunt public se réduise
progressivement.
IV - Une politique dynamique de l'emploi, menée par la gauche
L'État doit devenir un agent dynamique dans la lutte pour l'emploi et non pas seulement l'ambulance passive devant les
accidents de la vie économique.
L'exclusion du monde du travail - pour les jeunes ou pour les chômeurs de longue durée - entraîne deux conséquences
très dommageables : une déqualification profonde qui empêche d'être compétitif sur le marché de l'emploi ; mais aussi
des difficultés personnelles et sociales, dans tous les domaines, qui rendent plus difficile l'insertion dans la vie sociale.
Si un système de solidarité en arrive à bloquer l'accès au monde du travail, pour les moins qualifiés, il doit être réformé.
Les sociaux-démocrates veulent transformer la bouée de sauvetage des droits sociaux en un tremplin pour la
responsabilité individuelle.
Dans nos sociétés modernes, l'idéal de justice sociale ne doit pas se limiter aux versements de minima sociaux. Notre
objectif est bien plutôt l'égalité des chances, indépendamment de la race, du sexe ou du handicap, pour combattre
l'exclusion sociale et garantir l'égalité entre les hommes et les femmes.
La population réclame à juste titre des services publics de qualité et la solidarité pour les démunis, mais aussi plus
d'égards pour tous ceux qui financent cela par leur travail et leurs impôts. C'est pourquoi la politique sociale doit accroître
l'égalité des chances, encourager l'autonomie et la responsabilité individuelle.
140
Rousseau Marie-Léa
C'est dans cet esprit que les gouvernants allemands ont entrepris la réforme du système de santé et d'assurance vieillesse,
en tenant compte de l'allongement de la vie et des différentes formes d'emploi au long de la vie, et en respectant le
principe de solidarité. En Grande-Bretagne, la même philosophie inspire l'introduction des fonds de pensions dans le
régime des retraites et la réforme des allocations pour invalidité.
Les périodes de chômage, dans une économie où il n'existe plus d'emploi à vie, doivent être l'occasion de renforcer ses
qualifications et d'entretenir son développement personnel. Le travail à temps partiel et les bas salaires valent mieux que
le chômage parce qu'ils sont une passerelle vers des emplois stables et mieux payés.
Les programmes publics d'emplois et de formation pour les chômeurs sont une priorité des sociaux-démocrates - Mais on
peut attendre, en retour, de chaque chômeur qu'il se saisisse de cette chance offerte.
Cependant, donner une meilleure qualification et des savoir-faire n'est pas suffisant. La fiscalité et le système
d'allocations ne doivent pas dissuader les chômeurs d'accepter un emploi. C'est pourquoi nous devons engager la réforme
de ces deux systèmes, élément essentielle de notre programme dynamique en faveur de l'emploi :
Nous devons maintenir le niveau de vie des travailleurs et de leurs familles. La plus grande part de leur revenu doit
rester disponible pour eux.
Nous devons encourager les employeurs à proposer des "emplois de démarrage", en réduisant les cotisations sociales
et les impôts sur les emplois à bas salaires. Il nous faut explorer la piste des éco-taxes pour alléger les coûts non
salariaux du travail.
Nous devons mettre en place des programmes très ciblés sur les chômeurs de très longue durée et les populations
très défavorisées, afin de leur permettre de se réinsérer sur le marché du travail. Ces programmes seront inspirés par
le principe des droits et devoirs réciproques.
Examiner la situation de tous les allocataires, y compris les bénéficiaires d'allocation invalidité, d'âge actif, en
fonction de leur aptitude à travailler, et réformer les services publics de l'emploi afin d'aider les personnes aptes à
travailler à trouver un emploi correct.
Soutenir la prise de risque des créateurs d'entreprise, en tant que moyen de sortir du chômage : ces risques sont très
importants pour ceux qui s'y engagent et nous devons les aider à les assumer.
La politique de l'offre de la gauche permettra d'accélérer les changements nécessaires mais elle les rendra aussi plus
faciles à supporter et à assumer.
S'adapter au changement n'est jamais aisé ; son rythme apparaît très rapide, encore plus avec les nouvelles technologies.
En outre, ces changements détruisent inévitablement des
emplois, mais ils en créent de nouveaux.
Cependant, il peut y avoir des temps morts entre les pertes d'emplois dans un secteur et la création de nouveaux postes
ailleurs. Indépendamment du bénéfice à long terme pour la société et l'économie nationale, certaines entreprises ou
certaines communautés risquent de subir les inconvénients du changement bien avant d'en connaître les bienfaits. Pour
cette raison, nous devons centrer nos efforts sur ces problèmes de transition. Les effets négatifs du changement seront
d'autant plus douloureux qu'on aura attendu pour les affronter, mais il
est naïf de croire qu'on peut s'en désintéresser.
L'ajustement sera d'autant plus aisé que les marchés du travail et de la production fonctionneront mieux. Les handicaps
d'une trop faible productivité doivent être réduits si l'on veut que les salariés
licenciés pour cause de productivité accrue retrouvent un emploi ailleurs. Le marché du travail a besoin d'un secteur à bas
salaire afin de permettre les personnes peu qualifiées de trouver un emploi. Le système fiscal et les allocations peuvent
s'ajouter aux bas salaires et par la même permettre des économies sur les budgets consacrés aux allocations chômage.
V - Un droit d'inventaire politique pour l'Europe
Définir et incarner une nouvelle politique social-démocrate en Europe, tel est le défi qui nous attend. Nous ne prônons
pas un seul modèle européen, encore moins la transformation de l'Union Européenne en un État fédéral. Nous sommes
pro-européens et favorables à une réforme de l'UE. Les peuples européens soutiendront de nouvelles avancées vers
l'intégration à chaque fois qu'il y aura une vraie valeur ajoutée et une vraie justification : dans la lutte contre la
criminalité, dans la protection de l'environnement ou bien encore pour l'établissement d'objectifs sociaux communs. Mais,
dans le même temps, l'Europe a un besoin urgent d'être réformée, pour rendre ses institutions plus efficaces et
transparentes, pour améliorer des politiques désuètes ou pour mieux lutter contre le gaspillage et la fraude.
Nous présentons ces idées comme un canevas, mais comme un programme tout fait. Les politiques de la Troisième voie
et du Nouveau centre sont déjà à l'œuvre dans de nombreuses villes, dans des politiques publiques d'État, dans la
coopération européenne ou dans de nouvelles initiatives internationales.
141
Rousseau Marie-Léa
A cette fin, les gouvernements allemand et britannique ont décidé d'affermir leur accords actuels par des discussions sur
une approche plus large encore. Nous le ferons de trois manières :
premièrement, par des rencontres de niveau ministériel, entre les ministres concernés et leurs cabinets respectifs;
ensuite par des contacts avec les responsables politiques des pays européens qui veulent avancer dans la voie de la
nouvelle social-démocratie. Nous voulons engager ces contacts dès à présent ;
enfin par un réseau d'experts, de prospectivistes, de rencontres politiques et de forums de discussion. Nous
approfondirons ainsi progressivement les concepts de Nouveau centre et de Troisième voie. C'est une priorité pour
nous.
L'ambition de cette déclaration est de donner une impulsion décisive à la modernisation. Nous invitons tous les sociauxdémocrates européens à ne pas laisser passer cette chance historique pour le renouveau. La diversité de nos idées est notre
plus grand atout pour l'avenir. Nos sociétés attendent que nous réunissions nos expériences très différentes dans un
nouveau programme cohérent.
Construisons ensemble la réussite de la social-démocratie pour le siècle à venir.
Faisons de la Troisième Voie et du Nouveau Centre la nouvelle espérance de l'Europe.
Traduction :
Bruno Gouyette
142
Rousseau Marie-Léa
Annexe II : Les principales dispositions
des « lois Hartz »
Figure XXVI: Principales dispositions des « lois Hartz »
Source : CHAGNY Odile « Les réformes du marché du travail en Allemagne » [En ligne] La Revue
de l'Ires 2 (n° 48), 2005, p. 3-41. URL : www.cairn.info/revue-de-l-ires-2005-2-page-3.htm.
143
Rousseau Marie-Léa
Annexe III : Encadré du rapport du
Bureau International du Travail 2012
Figure XXXVII: Structure de la "Mindestlohnkommission"
Source : Bureau International du Travail (24 janvier 2012), « Tendances mondiales de l’emploi
2012 : prévenir une aggravation de la crise de l’emploi», Organisation Internationale du Travail
(OIT), Genève, p.1-132, p.52
144
Rousseau Marie-Léa
Annexe IV : La loi sur le salaire
minimum (MiLOG) en schémas
Annexe IV.A : Structure de la « Mindestlohnkommission »
Figure XXXVIII: Structure de la commission sur la
"Mindestlohnkommission"
Source : Der Mindestlohn – Besetzung der Mindestlohnkommission [En ligne], Der
Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und
Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
145
Rousseau Marie-Léa
Annexe IV.B : Procédure de décision au sein de la
« Mindestlohnkommission »
Figure XXIX: Processus de décision de la
"Mindestlohnkommission"
Source : Der Mindestlohn – Wie arbeitet die Mindestlohnkommission [En ligne], Der
Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und
Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnumfrage.pdf?__blob=publicationFile
146
Rousseau Marie-Léa
Annexe IV.C : Règles particulières à certains groupes
Figure XXX: Groupe de personnes concernées par des
exceptions au salaire minimum
Source : Der Mindestlohn – Wie arbeitet die Mindestlohnkommission [En ligne], Der
Mindestlohn kommt-Nicht geschenkt sondern verdient, Bundesministerium für Arbeit und
Soziales, mis en ligne en 2014, consulté le 21 juillet 2014. URL: http://www.der-mindestlohnkommt.de/SharedDocs/Downloads/ml/Infografiken/infografik-mindestlohnausnahmen.pdf?__blob=publicationFile
147
Rousseau Marie-Léa
Annexe V: Les études sur le salaire
minimum
Annexe V.A : Les effets du salaire minimum
Tableau VII: Catégorisation des études sur le salaire minimum en
fonction de l'impact de celui-ci
Untersuchungen
zum
Beschäftigungseffekt
Analysiertes Land Negativer
Effekt
Frankreich
1
Griechenland
1
Kolumbien
1
Widersprüchliches
Positiver
Ergebnis
neutraler Effekt
1
oder
3
1
Mexiko
1
Neuseeland
2
1
Österreich
1
1
Großbritannien
Summe
Mindestlöhnen
1
Kanada
USA
von
1
3
9
2
15
7
7
15
148
Rousseau Marie-Léa
Quelle:
Ragacs,
Christian
(2003):
Mindestlöhne und Beschäftigung. Ein Überblick über die
neuere empirische Literatur. Wirtschaftsuniversität Wien.
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http://www.bpb.de/politik/innenpolitik/arbeitsmarktpolitik/55329/mindestlohn
Annexe V.B : Les effets du salaire minimum d’après les
études regroupées par Neumann et Wascher (2006)
Figure XXXI: Catégorisation des études sur le salaire minimum
en fonction de l'impact de celui-ci (d'après Neumann&Wascher,
2006)
Source: SCHULTEN Thorsten, „Mindestlohn: Beschäftigungsrisiken höher als behauptet“,
Institut der deutschen Wirtschaft Köln, IW policy paper, 2013, p. 1-42, p. 33
149
Rousseau Marie-Léa
Annexe V.C : Les effets du salaire minimum d’après les
études regroupées par Bachmann et al. (2012)
Tableau VIII: Classification des études sur le salaire minimum en
fonction de l'impact de celui-ci (d'après Bachmann et al, 2012)
Catégorie d’études
Négatif
Positif
Pas significatif
Traditionnelles
61
5
33
Quasi-expérimentales
39
18
42
Source: Ronald Bachmann & al, Mindestlöhne in Deutschland, Beschäftigungseffekte und fiskale
Effekte, Rheinisch-Westfälisches Institut für Wirtschaftsforschung,2012, p.53
150
Rousseau Marie-Léa
Annexe VI : Les études sur le salaire
minimum
Tableau XIX: Classification des études sur le salaire minimum en
fonction de l'impact de celui-ci 327
327
BOSCH Gerhard, WEINKOPF Claudia, „Gut gemachte Mindestlöhne schaden der Beschäftigung nicht“,,
Universität Duisburg Essen, IAQ-Report, April 2013, S 1-16, S.9
151
Rousseau Marie-Léa
Table des matières
PARTIE I.
: LES « LOIS HARTZ » : DES REFORMES DU MARCHE DU TRAVAIL AU CŒUR D’UNE
REFONDATION DE LA CONCEPTION DES RELATIONS SOCIALES DANS LE « MODELE ALLEMAND » .................... 9
LE« MODELE ALLEMAND » FACE AUX DEFIS DE L’ENTREE DANS LE XXIEME SIECLE : VERS LA REMISE EN CAUSE DU
SYSTEME SOCIO-ECONOMIQUE ALLEMAND DE L’APRES-GUERRE ? ................................................................................. 10
A.
Le modèle capitaliste rhénan : un modèle socio-économique traditionnellement fondé sur un
dialogue social « stakeholder » ................................................................................................................ 10
CHAPITRE.I.
A.1.
Les fondements du capitalisme rhénan dans l’Allemagne de l’après-guerre..............................................10
A.1.1.
Capitalisme rhénan contre capitalisme anglo-saxon : conception « stakeholder » contre conception
« stockholder » ..........................................................................................................................................................11
A.1.2.
L’ordolibéralisme, base fondamentale du système socio-économique de l’après-guerre le « modèle
allemand » dans le giron du « capitalisme rhénan » ...............................................................................................12
A.1.3.
Le fonctionnement du système socio-économique allemand: un réseau limité d’acteurs partageant
des liens étroits .........................................................................................................................................................15
A.2.
L’entreprise dans le « modèle allemand »: une conception « stakeholder » des rapports sociaux entre
les partis prenantes ........................................................................................................................................................18
A.2.1.
Les particularités du « Tarifautonomie »: la constitution d’un « esprit de branche » ..........................19
A.2.2.
Le rôle du système de formation professionnelle : la « Berufausbildung » au cœur de la socialisation
des employés .............................................................................................................................................................21
A.2.3.
Le système de cogestion: des relations équilibrées entre le capital et le salariat .................................24
B.
L’Allemagne « lanterne rouge de l’Europe » au début des années 2000 : le « modèle allemand » en
perdition ? ............................................................................................................................................... 26
B.1.
Le « modèle allemand » face aux bouleversements.....................................................................................26
ème
B.1.1.
L’Allemagne à la veille du XXI siècle : de la « locomotive européenne » à « l’homme malade de
l’Europe »...................................................................................................................................................................27
B.1.2.
L’identification des causes expliquant le retournement de situation de l’Allemagne dans les années
90
28
B.1.3.
La mise en lumière des rigidités inhérentes au système socio-économique allemand.........................30
B.2.
La mise en lumière des failles du « modèle allemand »: un système dépassé ? .........................................31
B.2.1.
Des critiques à l’égard des rigidités inhérentes aux mécanismes du consensus du « modèle
allemand » .................................................................................................................................................................31
B.2.2.
Des rigidités qui entravent la compétitivité des entreprises ? ...............................................................32
B.2.3.
Le « modèle allemand », condamné à disparaitre ? ...............................................................................35
CHAPITRE.II.
LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DE COMPETITIVITE-SALAIRE PAR UNE REFORME DU MARCHE DU TRAVAIL
DANS LES ANNEES 2000 : VERS UNE HYBRIDATION DU « MODELE ALLEMAND .................................................................. 36
A.
L’évolution des relations sociales par une réforme du marché du travail allemand : les lois Hartz ... 37
ème
A.1.
Les « réformes Hartz » au cœur des mesures d’adaptation du marché du travail face aux défis du 21
siècle
37
A.1.1.
« The Third Way/Die neue Mitte »: le Manifeste Blair-Schröder comme prélude aux “réformes
Hartz » 37
A.1.2.
Les lois Hartz : des réformes de flexibilisation du marché du travail .....................................................39
A.1.3.
L’Allemagne dans les crises mondiales et européennes : de la « lanterne rouge » à la « locomotive
européenne » ............................................................................................................................................................41
A.2.
Les « lois Hartz » : des mesures efficaces mais controversées ....................................................................45
A.2.1.
Des mesures efficaces en termes de lutte contre le chômage ...............................................................46
A.2.2.
Une politique de compétitivité par la pression sur les coûts salariaux ..................................................49
A.2.3.
Des mesures controversées: des réformes responsables d’une hausse de la précarité? .....................52
B.
Des conséquences sur les relations professionnelles de plus en plus controversées ......................... 53
B.1.
Une évolution vers le « modèle anglo-saxon »…? ........................................................................................54
B.1.1.
Des réformes à l’esprit social-libéral ? .....................................................................................................54
B.1.2.
Le « modèle anglo-saxon », moteur des réformes de flexibilisation du marché du travail ? ...............55
B.1.3.
Le « modèle allemand » remis en cause ? ...............................................................................................56
B.2.
...ou un retour aux sources du « modèle rhénan »? ......................................................................................57
B.2.1.
La responsabilité individuelle placée au cœur des réformes ..................................................................58
B.2.2.
La dimension sociale du système socio-économique allemand toujours présente ..............................59
B.2.3.
La modération salariale, fruit de ce système consensuel .......................................................................62
152
Rousseau Marie-Léa
PARTIE II.
: L’INTRODUCTION D’UN SALAIRE MINIMUM NATIONAL: SIMPLE CORRECTION DES EFFETS
NEGATIFS DES « REFORMES HARTZ » OU EXPRESSION D’UN NOUVEAU CHANGEMENT DE CAP? ................... 65
CHAPITRE.I. LA MISE EN PLACE DU SALAIRE MINIMUM : L’EXPRESSION D’UN CHANGEMENT DE CAP ................................ 66
A.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : une solution qui a progressivement fait
consensus ................................................................................................................................................ 66
A.1.
Le salaire minimum : une solution qui a fait progressivement consensus en Allemagne à partir des
années 90 ........................................................................................................................................................................66
A.1.1.
L’Allemagne face aux critiques des institutions internationales et européennes .................................66
A.1.2.
Le salaire minimum : une solution qui fait désormais consensus ..........................................................70
A.1.3.
L’adoption du projet de loi sur l’introduction d’un salaire minimum généralisé en Allemagne ...........75
A.2.
Les dispositions de la loi sur l’introduction d’un salaire minimum généralisé ............................................78
A.2.1.
Le rôle de la «Mindestlohnkommission» .................................................................................................78
A.2.2.
La période d’adaptation jusqu’à l'entrée en vigueur complète des dispositions de la loi ....................79
A.2.3.
Le contrôle et l’évaluation des dispositions de la loi sur l’instauration sur le salaire minimum ...........82
B.
Le projet de loi sur l’introduction du salaire minimum : la volonté de renforcer le système de la
Tarifautonomie ........................................................................................................................................ 83
B.1.
Les arguments des défenseurs de l’introduction d’un salaire minimum ....................................................83
B.1.1.
Le salaire minimum existe dans la très grande majorité des pays .........................................................83
B.1.2.
Le système de la Tarifautonomie mis à mal dans les années 90 ............................................................86
B.1.3.
L’absence de salaire minimum cimente la précarité ...............................................................................91
B.2.
Le salaire minimum: un instrument progressivement introduit dans certaines branches d’activité pour
lutter contre l’évolution de la Tarifautonomie ..............................................................................................................96
B.2.1.
L’introduction des salaires minimums de branche : une logique de contrepartie aux « lois Hartz » ...96
B.2.2.
L’extension progressive des salaires minimum de branches ..................................................................98
B.2.3.
Des branches et des Länder anticipant la future loi sur l’introduction du salaire minimum ..............102
CHAPITRE.II.
LE SALAIRE MINIMUM: RENFORCEMENT OU AFFAIBLISSEMENT DU « MODELE ALLEMAND »? ................. 104
A.
Le salaire minimum: une réponse efficace aux faiblesses du modèle allemand ? ........................... 104
A.1.
Les effets du salaire minimum d’après les études internationales ............................................................104
A.1.1.
L’étude des salaires minimum: des résultats contradictoires..............................................................104
A.1.2.
Les études sur les effets du salaire minimum aux Etats-Unis ...............................................................108
A.1.3.
Les études sur le salaire minimum dans les pays de l’Union Européenne ...........................................109
A.2.
Les effets du salaire minimum en Allemagne .............................................................................................111
A.2.1.
Les effets de l’introduction du salaire minimum dans les branches ....................................................112
A.2.2.
Les possibles effets sur l’emploi de l’introduction du salaire minimum généralisé en Allemagne.....115
A.2.3.
Les possibles effets du salaire minimums sur les coûts supportés par les entreprises .......................120
B.
Après l’introduction d’un salaire minimum national: quelle avenir pour le « modèle allemand » ? 124
B.1.
Le salaire minimum national : une remise en cause du principe des « lois Hartz » ? ...............................124
B.1.1.
Une mesure a priori en opposition avec les réformes de flexibilisation du travail..............................124
B.1.2.
Une mesure qui complète les réformes de flexibilisation du marché du travail .................................125
B.1.3.
Une mesure qui devrait malgré tout laisser les entreprises conserver une certaine marge de
manœuvre ...............................................................................................................................................................127
B.2.
Le salaire minimum national: renforcement ou affaiblissement de la Tarifautonomie?..........................128
B.2.1.
Le salaire minimum: une mesure qui, à première vue remettre en cause les bases du modèle
allemand 128
B.2.2.
Une loi qui laisse une place prépondérante aux acteurs de la Tarifautonomie ..................................129
B.2.3.
Une intervention de l’Etat pour définir un changement d’orientation nécessaire .............................130
ANNEXES: ....................................................................................................................................................... 135
ANNEXE I : LE MANIFESTE BLAIR-SCHRÖDER .......................................................................................................... 135
ANNEXE II : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DES « LOIS HARTZ » ................................................................................ 143
ANNEXE III : ENCADRE DU RAPPORT DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL 2012 ...................................................... 144
ANNEXE IV : LA LOI SUR LE SALAIRE MINIMUM (MILOG) EN SCHEMAS ........................................................................ 145
Annexe IV.A : Structure de la « Mindestlohnkommission » .................................................................................145
Annexe IV.B : Procédure de décision au sein de la « Mindestlohnkommission » ..............................................146
Annexe IV.C : Règles particulières à certains groupes..........................................................................................147
ANNEXE V: LES ETUDES SUR LE SALAIRE MINIMUM .................................................................................................. 148
Annexe V.A : Les effets du salaire minimum ..........................................................................................................148
Annexe V.B : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Neumann et Wascher (2006)
.......................................................................................................................................................................................149
Annexe V.C : Les effets du salaire minimum d’après les études regroupées par Bachmann et al. (2012) .....150
TABLE DES MATIERES ..................................................................................................................................... 152
153
Rousseau Marie-Léa
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 155
OUVRAGES/ REVUES ................................................................................................................................... 155
SITOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 157
154
Rousseau Marie-Léa
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BRENKE Karl, WAGNER Gert. G. , Gesetzliche Mindestlöhne: mit der Einführung kommen
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Rousseau Marie-Léa
Résumé
L’objectif de cette analyse est de mener une réflexion sur l’évolution du « modèle
allemand » des relations sociales alors que celui-ci est présenté comme un exemple à
suivre ou à ne pas suivre depuis l’éclatement de la crise financière mondiale et de celle
de la zone euro. Se basant notamment sur les travaux de l’économiste français Michel
Albert, cette étude entend démontrer comment l’Allemagne a réagi face aux difficultés
de son système socio-économique traditionnel, mis à mal à la veille de son entrée dans
le XXIème siècle. L’analyse se focalise dans un premier temps sur les « réformes
Hartz » de flexibilisation du marché du travail, perçue comme une solution nécessaire
à la sortie de crise de l’Allemagne au début des années 2000, mais ont été accusées de
fragiliser d’autant plus les bases fondamentales du « modèle allemand ». Puis, dans un
second temps, elle se concentre sur les raisons de l’adoption récente de la loi sur
l’introduction du salaire minimum (MiLOG) qui semble constituer un nouveau
changement de cap dans l’évolution du « modèle allemand ». Il s’agit donc de
comprendre l’évolution du « modèle allemand » depuis une dizaine d’années à l’aune
de ces deux réformes phares.
Mots-clés :
modèle allemand
capitalisme rhénan
réformes Hartz
salaire minimum
flexibilité du travail
Tarifautonomie
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