LES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET LA POLITIQUE DU LOGEMENT

LES COLLECTIVITES TERRITORIALES
ET
LA POLITIQUE DU LOGEMENT
GRALE – GRIDAUH
Jeudi 3 mai 2012 : La mobilisation des ressources foncières
Quatrième séance - Salle 206 (14H – 17H)
Participants (7) :
Mme Francine ALBERT (USH)
Mr Jean BOSVIEU (ADIL)
Mr Jean-Philippe BROUANT (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Mr Gérard MARCOU (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Mr Jean-François STRUILLOU (Université de Nantes)
Mr GERARD (Études foncières)
Mme Meryem DEFFAIRI (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
La mobilisation des ressources foncières
(propos introductif de Mr Brouant)
Les juristes ont du mal à définir le foncier.
Pendant cette séance, nous étudierons la place et le rôle des collectivités territoriales dans la
mobilisation du foncier.
Depuis la décentralisation, les collectivités territoriales ont une position ambiguë. D'un côté, elles
sont accusées d'être responsables d'un certain malthusianisme et de la rareté ou de la cherté du
foncier et de l'autre, elles sont amenées à intervenir pour produire du logement et sont, par
conséquent, également victimes de la hausse du coût du foncier.
Si nous laissons de côté la fiscalité à laquelle nous avons accordé une séance particulière, quels sont
les outils mobilisables ?
Trois types d'intervention sont envisageables :
L'allègement des contraintes d'urbanisme :
Des procédures peuvent être mises en place pour faciliter la sortie des projets de construction. La
réglementation serait trop complexe, trop lourde et produirait un effet néfaste de pression sur le
foncier. Différents textes adoptés en matière d'urbanisme essaient d'alléger ces contraintes, de
distribuer des droits à construire (par exemple en vertu de la loi Grenelle, les outils d'urbanisme
doivent intégrer l'objectif de densification, mais cela reste une option et non une obligation, ce qui
n'est pas sans poser quelques difficultés).
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L'acquisition foncière :
Les collectivités territoriales disposent de prérogatives de puissance publique particulières pour
acquérir des ressources foncières, notamment le droit de préemption et l'expropriation. Plusieurs
points peuvent être abordés sur ce sujet. Nous pouvons, tout d'abord, poser la question de la
possibilité d'utiliser ces outils pour créer des réserves foncières. Il y a aussi la question de la fixation
de l'indemnité d'expropriation ou du prix du préemption : à quel coût les collectivités territoriales
peuvent-elles utiliser ces prérogatives ? Appliquer le prix du marché aux collectivités n'aurait a
priori pas de sens.
A titre d'exemple, le juge a, dans ces deux hypothèses, une approche particulière de la notion
d'évaluation des terrains. Le juge judiciaire se réfère à la notion de terrain en situation privilégiée et,
de façon générale, le juge est encadré dans l'appréciation et l'évaluation d'un bien. Certaines
évolutions jurisprudentielles posent des difficultés, les commissaires du gouvernement ont tendance
à surenchérir dans la fixation du prix pour faire preuve d'indépendance par rapport à l'administration
jusqu'à des prix proches du marché, donc la surcharge foncière est encouragée. On pourrait
reprendre le slogan des états généraux du logement : « ni spoliation, ni enrichissement sans cause ».
D'aucuns proposent également des règles particulières en la matière pour permettre aux collectivités
territoriales d'acquérir à un coût acceptable.
La collectivité peut intervenir par le biais d'autres mécanismes fonciers, moins connus, comme les
biens vacants sans maître par exemple.
Pour parler d'acquisition foncière il faut aussi évoquer les mécanismes qui permettent de réveiller
les « propriétaires dormants ». Peut-on avoir des biens « en jachère », sans utilisation, soit par
spéculation, soit à cause de problèmes singuliers ? Dans sa version de 1954, le Code de la
construction autorisait le préfet à mettre en demeure un propriétaire de construire avec un cahier
des charges précis et des mécanismes d'expropriation jouaient en cas de carence du propriétaire. Ici
encore, la problématique de l''identification et de l'observation foncière est sous-jacente pour une
meilleure utilisation des terrains.
La mise à disposition des terrains publics :
Soit la collectivité territoriale a un patrimoine qui existe, soit elle intervient pour acquérir des biens.
Dans le rapport du CERDEAU publié à La Gazette des communes (http://cerdeau.univ-
paris1.fr/fileadmin/cerdeau/rapport_Cerdeau_Cidol_Gazette_des_communes_01.pdf), nous avons
mis en avant l'idée selon laquelle tout comme les propriétaires privés, il ne paraît pas normal que les
biens des propriétaires publics restent « en jachère ». Il y a de nombreuses situations de blocage
avec une mauvaise volonté des communes pour résoudre les problèmes ou des dispositifs juridiques
accumulés qui bloquent l'utilisation des terrains. On peut imaginer la création d'une agence
indépendante qui interviendrait pour débloquer les situations et permettre la construction de
logements tout en laissant les collectivités territoriales propriétaires. On pense également au
mécanisme de la Loi « Boutin » ; pour les communes qui sont en carence au regard de l’article 55
de la loi SRU, les préfets disposent du transfert automatique du DPU.
Il existe aussi des mécanismes de mutation domaniale. Le patrimoine public et l'État pourrait servir
à affecter un terrain donné à un intérêt général supérieur, même si le propriétaire est une collectivité
territoriale, pour le mettre à profit de la construction de logements.
Les mécanismes de la « détention provisoire » peuvent être utilisés pour le droit de préemption des
espaces naturels sensibles (ENS) et les fonds de commerce : la collectivité, propriétaire d'un bien, le
remet dans le circuit après appel à candidature avec des servitudes pesant sur l'utilisation des biens.
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Attention ! Pour les ENS, c'est en fait une location et non une vente qui est possible, le système est
plus strict, nous sommes donc plus ici dans l'hypothèse des zones situés dans les périmètres de
protection péri-urbains. Dans ces cas, la collectivité peut imprimer une servitude, une utilisation du
bien déterminée, grâce au transit de celui-ci dans son patrimoine.
Faut-il céder ou ne pas céder les prérogatives de puissance publique ? Faut-il choisir des utilisations
prédéterminées des terrains ? Ces sujets sont au cœur du débat présidentiel.
Intervention de Mr Struillou et discussion
Nous allons parler du droit de préemption et du droit de préemption en ZAD.
Comment peut-il être utilisé pour la politique du logement, ou plus précisément pour faire du
logement ?
Les dispositions visant ces droits sont essentiellement les articles L.210-1 et L.210-2 du Code de
l'Urbanisme.
L'article L.210-1 du CU permet aux collectivités territoriales d'user du droit de préemption pour
mener la politique locale de l'habitat. Les prérogatives de DPU et de création de ZAD servent à
acquérir les terrains nécessaires à la réalisation de logements sociaux et à créer des réserves
foncières en vue d'acquérir, de faire construire du logement social.
Le droit de préemption est renforcé et, en ZAD, les collectivités peuvent également intervenir pour
acquérir des lots de copropriété.
De manière générale, la mise en œuvre de la politique locale de l’habitat répond bien aux objectifs
mentionnés à l’article L. 300-1 du CU.
La juridiction administrative exigeait que les collectivités territoriales apportent la preuve d'un
projet suffisamment précis et réel pour valider la préemption réalisée, or, dans la pratique, l'occasion
fait le larron, c'est parce que le terrain est mis en vente que la collectivité a l'idée de l'acheter pour
réaliser un projet de logement. Toutefois, dans ces hypothèses, la collectivité n'était pas toujours en
mesure de prouver qu'elle avait un projet précis et certain à la date de préemption.
Le Conseil d'état, dans un arrêt de 2008 (CE, 7 mars 2008, Meung-sur-Loire), décide qu'il suffit à la
collectivité territoriale d'apporter la preuve de la réalité de son projet pour justifier le recours au
droit de préemption. La preuve de la réalité du projet peut être, par exemple, une délibération
municipale qui prévoit d'augmenter le nombre de logements sociaux, des études techniques ou
administratives (par exemple des études de faisabilité de la réalisation de logements sociaux)
réalisées avant la préemption, des échanges de courriers entre la Commune et un office de HLM, ou
le PADD d'un PLU.
L'action de l'administration est aujourd'hui soumise à des contraintes beaucoup moins strictes et il y
a, par conséquent beaucoup moins de décisions d'annulation pour irrégularités des motifs de la
décision de préemption.
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L'idée de créer des réserves foncières est elle assez précise pour servir de support à des
préemptions ?
Si c'est pour créer, à terme, des logements sociaux, ca ne suffit pas. Il faut apporter quelques
éléments de preuve (par exemple la référence à un PLH, un PADD ou aux orientations
d'aménagement du PLU) pour attester de la réalité du projet de réserves de logements, même si le
juge administratif est devenu moins exigeant.
L'idée d'acquérir de nombreux terrains en prévision n'est pas possible en l'état du droit ?
Le DPU n'est pas adéquat, c'est plutôt l'outil de la ZAD, qui peut être institué en zone A ou N. Ainsi,
les collectivités utilisent les ZAD en périphérie, la où les terrains ne sont pas encore en zone AU ou
U, ce qui leur permet de créer des réserves foncières à des prix beaucoup plus abordables (ce
dispositif a par exemple été utilisé dans les Yvelines).
Dans ce cas, que doit dire la collectivité pour motiver l'acquisition ?
La décision de préemption se fonde dans cette hypothèse sur la motivation de la ZAD. Une simple
référence à cette dernière suffit pour justifier la décision de préemption.
La ZAD est-elle facile à motiver ?
Dès lors que des projets lient les collectivités, ou qu'un projet un tant soit peu réel existe, la
collectivité est susceptible de justifier la création d'une ZAD ou de préempter.
Quelles sont les contraintes dans le temps d'utilisation et d'affectation du bien ?
Passés 5 ans, la collectivité territoriale est libre d'utiliser le bien, il n'y a plus de droit de rétrocession
du propriétaire. Si après quelques années, la collectivités territoriale n'affecte pas le bien à l'intérêt
général, le propriétaire peut réclamer la plus-value qu'il aurait réalisée.
Cette jurisprudence (Mothais de Narbonne) est applicable en matière d'expropriation mais elle ne
sera pas nécessairement étendue à la préemption car, dans cette hypothèse le propriétaire veut
vendre. La vraie victime est l'acquéreur évincé plus que le propriétaire qui est seulement intéres
par la vente de son immeuble.
La rétrocession en matière de préemption est quasi inexistante. La collectivité peut utiliser le bien,
elle peut même le revendre. Par ailleurs, une collectivité territoriale peut préempter pour un objectif
« A » et changer dans les 5 ans pour un objectif « B », si ceux-ci renvoient aux objectifs visés par
les dispositions du code de l'urbanisme.
Tout dépend du prix de la préemption.
L'objectif d'encadrement du juge dans la fixation du prix est que la collectivité achète à un prix plus
avantageux.
En règle générale, la collectivité achète aux prix et conditions notifiés, c'est-à-dire au prix du
marché. En cas de problème, le juge de l'expropriation tranche le litige et fixe le prix de l'immeuble,
par rapport à la règle des mutations de différence, en regardant la vente de biens proches.
On peut imaginer que devant le juge de l'expropriation, chacun arrive avec son expert et les prix
sont très différents au final.
Oui, mais la méthode la plus utilisée par le juge de l'expropriation reste la méthode de comparaison.
Pourquoi dès lors a-t-on une jurisprudence sur les terrains privilégiés ? Car le juge de
l'expropriation se réfère aux mutations qui ont eu lieu dans cet espace et s'il constate une hausse des
prix dans ce secteur, il se réfère à ces prix.
Depuis le début des années 60, il existe une lutte entre le législateur et la Cour de cassation sur ce
point.
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En principe, le juge ne devrait pas pouvoir fixer un prix intermédiaire. Toutefois, malgré les
évolutions législatives, le juge de l'expropriation a interprété ces dispositions de manière très large
et utilise cette notion de terrain en situation privilégié pour déterminer le prix par comparaison.
Des données agrégées nationales existent-elles sur ce point ? Il faudrait pouvoir comparer la DIA, la
proposition de l’administration et le prix fixé par le juge.
Il faut poser la question aux notaires : les actes notariaux disent s'il y a eu intervention de la
collectivité territoriale.
Les collectivités territoriales et les établissements publics fonciers (EPF)
Dans le projet Warsmann, la préemption aux prix et conditions notifiés était prévue. Cela a entraîné
un tollé chez les élus locaux et les EPF car les collectivités usent aussi de ce droit pour faire baisser
les prix.
Le juge de l'expropriation n'est saisi que dans 2 ou 3% des cas.
Souvent, le propriétaire vend son bien car il a besoin d'argent et il accepte la proposition de prix de
la collectivité territoriale car il ne veut pas s'engager dans un contentieux. Les collectivités
territoriales, de leur coté, ne veulent pas renoncer à ce pouvoir de saisir le juge de l'expropriation
précisément pour cette raison.
C'est alors un outil de régulation et d'observation du foncier.
Souvent des EPF utilisent également cette technique, parfois même contre l'évaluation du service
des Domaines.
Il faut avoir derrière une surface financière conséquente.
Prenons l'exemple du Conservatoire du littoral qui parlait d'« amiable sous préemption »...
C'est de la sociologie juridique, dans les jugements d'expropriation, le tribunal est une chambre
d'enregistrement où on peut observer le déroulement des négociations.
Soit la collectivité préempte aux prix et conditions notifiés, soit elle fait une contre proposition de
prix au vendeur qui accepte dans la majeure partie des cas.
Lorsqu'un contrat est passé entre un propriétaire et un acheteur, la promesse de vente est déclarée à
la commune (par le biais d'une DIA). C'est au moment de la réception de la DIA par la commune
que cette dernière, ou un autre titulaire du droit de préemption, peut décider de se substituer à
l'acquéreur du terrain.
La collectivité est obligée de saisir le service des domaines lorsque le prix du terrain est supérieur à
75.000 €, sauf lorsqu'on est en présence d'une ZAD ou de DPU renforcé, cas où l'avis des domaines
est toujours obligatoire. Mais les collectivités ne sont pas tenues par l'avis des domaines, c'est un
avis simple et le prix retenu pourra être inférieur ou supérieur. Cette liberté dans la fixation du prix
peut agacer les EPF car si les communes acquièrent à un prix supérieur, ce prix va devenir une
référence vers le haut. Aussi veulent-ils revenir à la situation antérieure, et à la mise en place d'une
exigence de motivation spéciale.
Dans quelle mesure une évaluation « hors expropriation » doit constituer un prix de marché ?
Souvent l'évaluation domaniale doit paraître neutre, même si on sait qu'il y a de nombreuses
négociations.
L'évaluation des domaines n'est-elle pas basée sur les mêmes critères que ceux qu'applique le juge
s'il est saisi ?
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