L`achat d`un fonds rural démembré VP 1198

publicité
Chronique juridique
L’achat d’un fonds rural démembré :
Une opération périlleuse ?
QUESTION : J’envisage d’acheter pour exploiter une propriété occupée par un fermier. Mon
conseiller à la Banque me propose
un démembrement : j’achèterais
l’usufruit au propriétaire, mon fils
la nue propriété ; le fermier ne
pourra préempter et je pourrais lui
reprendre les terres pour exploiter
personnellement, au terme du bail.
Y a-t-il des risques ?
REPONSE : Le droit est une discipline par nature en évolution
constante ; des esprits ingénieux ont
fait la publicité de montages juridiques qui permettraient de contourner les divers droits de préemption,
mais au prix de risques, parfois mal
calculés.
Il y a eu bien des modes en la matière, et le bruit circulait bien vite
quand dans la région, tel ou tel avait
réussi à éviter toute préemption, ou à
se procurer des avantages fiscaux ou
sociaux en recourant à une construction juridique astucieuse.
Les plus anciens ont ainsi connu
l’époque où curieusement, de nombreux acquéreurs de terres s’engageaient à fournir des soins au vendeur, à le loger, le nourrir, le chauffer
et le blanchir sa vie durant. La génération suivante se rappelle des apports en société suivis d’une cession
de parts sociales à un voisin soucieux
de s’agrandir.
Bref, l’achat du foncier a toujours
enflammé l’imagination des juristes.
La dernière mode, assez «tendance»
voudrait rendre possible le contournement du droit de préemption par un
simple démembrement du droit de
propriété.
Un investisseur quelconque, par
exemple un GFA, acquiert la nuepropriété des terres, alors que l’usufruit est cédé à une société d’exploitation (SCEA, GAEC, EARL etc.)
contrôlé par les mêmes personnes)
En théorie, l’opération ne présente
que des avantages : contourner le
droit de préemption du fermier et
amortir l’usufruit dans la société
d’exploitation.
L’amortissement viendrait en déduction du résultat fiscal, ce qui diminuerait le montant des impositions
des associés de la société usufruitière, ainsi que celui de leurs cotisations
sociales.
Le gain potentiel est loin d’être négligeable. Cependant, ce rêve peut vite se transformer en cauchemar.
Vienne par exemple un fermier ou
la SAFER de prétendre que le démembrement n’avait d’autre objet
que de contourner son droit de préemption, et voilà usufruitier et nupropriétaire partis pour des années de
procédure, au cours desquelles la lassitude les gagnera, et au terme, ils feront souvent l’amère expérience des
lendemains qui déchantent, sous la
forme d’une annulation des ventes
pour fraude, et d’une condamnation à
des dommages et intérêts.
Certains indices peuvent en effet
faire présumer un montage frauduleux.
Ainsi, comment ne pas suspecter de
fraude les achats simultanés de la
nue-propriété et de l’usufruit de foncier, bâti ou non, par une même personne physique ? Ou les achats similaires réalisés par des structures sociétaires, apparemment distinctes,
mais animés par la même famille ?
De même, lorsque l’usufruit de
terres affermées est acquis par un exploitant autre que le fermier qu’il
évince, et que le prix de cet usufruit
est payable à tempérament, comme
un fermage, quel fermier n’y trouverait pas à redire ?
Difficile de ne pas y voir matière à
contestation. Les tribunaux euxmêmes feront montre de sévérité à
l’égard de ces opérations litigieuses.
Pour celui qui cédant au chant des
sirènes, s’est lancé dans de tels montages sans la prudence nécessaire, il
est généralement trop tard quand la
situation s’envenime, et il est alors
inutile et même dangereux de prétendre qu’il voulait aussi (ou seulement) optimiser ses charges fiscales
et sociales, sauf à le prouver.
En effet, la volonté de limiter le poids
des cotisations sociales et fiscales n’est
pas toujours une cause exonératoire,
notamment lorsque les autres buts de
l’opération sont frauduleux.
Un tel aveu peut d’ailleurs exposer
l’agriculteur malheureux à l’arme de
l’abus de droit, que l’Administration
fiscale pourrait brandir contre lui, s’il
avoue que l’objectif de l’opération
était exclusivement fiscal.
L’achat du foncier démembré n’est
pas une opération illégale, mais la
prudence est de bon aloi en la matière, et il importe, en ce domaine comme en tant d’autres, de s’entourer de
conseils compétents, prudents et avisés.
Alain NONNON
Avocat associé de la SCP
Alain NONNON – Christine FAIVRE
Volonté Paysanne du Gers n° 1198 - 22 juillet 2011
17
Téléchargement