DOSSIER Effets indésirables de l’immunothérapie anticancéreuse Inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité : toxicités dermatologiques, digestives, rénales, cardiologiques, neurologiques et toxicités rares Immune checkpoint inhibitors: dermatological, digestive, renal, cardiological, neurological and rare toxicities V. Sarradin1, V. Sibaud2, L. Alric3, D. Ribes4, J. Belliere4, O. Lairez5, S. Ollier6, J.P. Delord7 V. Sarradin 1 Département d’oncologie médicale, Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole, Toulouse. 2 Département d’onco­-dermatologie, Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole, Toulouse. 3 Département de médecine interne et d’hépato-gastroentérologie, CHU Purpan, Toulouse. 4 Département de néphrologie et transplantation d’organe, CHU ­Rangueil, Toulouse. 5 Département de cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse. 6 Département de médecine interne, Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole, Toulouse. 7 Département d’oncologie médicale et de recherche clinique, Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole, Toulouse. © La Lettre du Cancérologue 2017; XXVI:227-33. L es inhibiteurs des points de contrôle de l’immu­ nité (IPCI) sont actuellement les immunothérapies les plus avancées dans le traitement du cancer et ont clairement modifié le pronostic d’un grand nombre de maladies. Ils ont d’ores et déjà obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché, et de nouvelles indications sont attendues prochainement. Ces molécules ont été rapidement utilisées en pratique clinique, alors même que leur profil de toxicité n’était pas entièrement connu et que leur prise en charge était non standardisée. Il existe 2 principales catégories d’IPCI : ➤➤ les inhibiteurs de CTLA-4 (Cytotoxic T-Lymphocyte Associated protein 4), tels que l’ipilimumab et le trémélimumab ; ➤➤ les inhibiteurs de PD-1 (Programmed-Cell Death 1), comme le nivolumab, le pembrolizumab et le pidilizumab, ou de son ligand PD-L1 (atézolizumab). Les toxicités de grade 3-4 sont fréquentes avec ces médicaments : 22 à 24 % avec l’ipilimumab, 5 à 10 % avec le nivolumab ou le pembrolizumab et 55 % avec l’association ipilimumab + nivolumab (1). Les patients recevant ces traitements étant de plus en plus nombreux, ils doivent être suivis par des cliniciens préparés à reconnaître et à gérer les toxicités générées. Dans cet article, nous avons repris de façon synthétique les toxicités immunologiques (immune related Adverse Events [irAE]) se rapportant aux IPCI observés à ce jour sur les plans dermatologique, digestif, rénal, 58 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 cardiologique et neurologique, ainsi que les toxicités plus rares. Toxicités dermatologiques Il s’agit des effets indésirables les plus fréquemment observés avec les IPCI. Ainsi, par exemple, plus de 40 % des patients traités pour un mélanome métastatique sont concernés (2). Cependant, ils restent, dans la majorité des cas, d’intensité limitée et sont rarement à l’origine d’une interruption et encore moins d’un arrêt définitif de l’immunothérapie. Du fait du mécanisme d’action spécifique de ces anticorps monoclonaux, cette toxicité dermato­ logique est avant tout d’origine immunologique (irAE) et est principalement induite par l’activation T lymphocytaire (CD4+/CD8+), avec probablement un ciblage aberrant d’antigènes cutanés non encore déterminés. Le profil de ces effets indésirables dermatologiques est globalement comparable entre les inhibiteurs de PD-1, de PD-L1 et de CTLA-4. Il correspond à un effet-classe. En revanche, l’association thérapeutique de ces molécules (par exemple, ipilimumab + nivolumab) augmente significativement l’incidence des effets indésirables cutanés (2). Notons enfin que le développement de ces symptômes dermatologiques semble corrélé à un taux plus élevé de réponse objective antitumorale et à une meilleure survie globale (3). Points forts »» Les indications des inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité sont de plus en plus variées ; le nombre de patients exposés à leurs toxicités est donc de plus en plus important. »» Les toxicités dermatologiques comprennent l’exanthème maculopapuleux, le vitiligo, l’atteinte des muqueuses et, parfois, l’apparition de véritables pathologies dermatologiques spécifiques. »» Les toxicités digestives sont marquées par les diarrhées, les colites, les cytolyses hépatiques et une ­élévation de la lipase. »» L’atteinte rénale est liée à une néphrite tubulo-interstitielle aiguë (parfois granulomateuse) ou à un syndrome néphrotique (néphrite lupique ou syndrome néphrotique par lésions glomérulaires minimes). »» La prise en charge repose sur la corticothérapie, avec parfois un recours à des traitements immunosuppresseurs. Principaux symptômes ◆ ◆Exanthème maculopapuleux Il s’agit de la manifestation la plus fréquente. Son incidence globale calculée, tous grades confondus, est respectivement de 24 %, 16,7 % et 14,3 % pour l’ipilimumab, le pembrolizumab et le nivolumab. Le taux des grades 3 et plus est inférieur à 3 %. Classiquement, cet exanthème se développe plus rapidement que les autres toxicités systémiques. Bien que des formes très tardives aient été décrites, il apparaît souvent dès les premiers cycles. L’éruption est en général peu spécifique, avec un érythème maculopapuleux plus ou moins diffus qui prédomine sur le tronc et/ou les membres, et un respect relatif du visage. Un prurit est souvent présent et peut dominer le tableau. Son incidence globale varie entre 13 et 20 % selon les molécules. Il peut également survenir de façon isolée. Cependant, des affections dermatologiques plus spécifiques sont également possibles, qui restent aujourd’hui probablement sous-diagnostiqués : ➤➤ des réactions lichénoïdes, avec agression T lymphocytaire de la membrane basale (4) ; ➤➤ un développement ou une réactivation d’un psoriasis (de type psoriasis vulgaire ou parfois en gouttes ou inversé) [5] ; ➤➤ le déclenchement d’une véritable maladie auto-immune (notamment une pemphigoïde bulleuse, une dermatomyosite ou un lupus cutané) ; ➤➤ une sarcoïdose ; ➤➤ une rosacée papulopustuleuse. Il peut être difficile, pour le clinicien, de différencier un simple exanthème maculopapuleux “réactionnel” de ces dermatoses plus spécifiques. Il convient donc de réaliser une biopsie cutanée de façon systématique devant toute éruption persistante, atypique, mal tolérée et/ou sévère (grade 3-4). Enfin, toute apparition d’une éruption dans ce contexte doit faire évoquer de façon systématique la possibilité d’une réaction immuno-allergique potentiellement grave (syndrome de Stevens-Johnson ou de Lyell). Cela reste malgré tout assez exceptionnel avec ces molécules. ◆ ◆Vitiligo Le vitiligo est plus fréquemment observé avec les inhibiteurs de PD-1 (incidence globale de 8 %) [6] qu’avec l’ipilimumab. Il faut surtout noter que la survenue d’un vitiligo n’a été décrite que chez les patients traités pour un mélanome, probablement du fait du ciblage par les lymphocytes activés d’un antigène mélanocytaire commun. Il apparaît après plusieurs mois de traitement et persiste souvent après l’arrêt de l’immunothérapie. Les lésions sont le plus souvent diffuses et bilatérales, mais des atteintes focales ou segmentaires sont possibles (2). Il n’y a pas de prise en charge thérapeutique spécifique. Une dépigmentation des phanères est parfois aussi observée (cils, sourcils, cheveux). ◆ ◆Atteintes muqueuses Elles ne sont pas rares en pratique clinique, mais elles restent sous-estimées. Cela concerne avant tout la muqueuse buccale (7), et peut prendre différentes formes : ➤➤ une atteinte lichénoïde, avec réseau blanc réticulé visible, associée ou non à des lésions cutanées de même origine (4) ; ➤➤ une xérostomie (5 % des patients), parfois sévère, secondaire à une infiltration lymphocytaire cytotoxique des glandes salivaires accessoires (Gougerot­ Sjögren like syndrome). Des lésions lichénoïdes de la muqueuse génitale peuvent également être notées. Mots-clés Immunothérapie Toxicités Dermatologie Colite Néphrologie Highlights »» The indications of immune checkpoint inhibitors increase, the nu mber of pati ents exposed to their toxicities is therefore growing. »» Dermatological toxicities include maculopapular exanthema, vitiligo, mucosal damage, and sometimes the appearance of specific dermatological pathologies. »» Digestive toxicities include diarrhea, colitis, liver cytolysis and elevation of lipase. »» Renal involvement is due to acute tubulo­- interstitial nephritis (sometimes granulomatous) or a nephrotic syndrome (lupus nephritis or minimal change disease). »» Treatment is based on cortico­steroid therapy, sometimes with the need for immuno­suppressive therapy. Keywords Immunotherapy Toxicities Dermatology Colitis Nephrology Prise en charge Même si les lésions restent le plus souvent limitées, une prise en charge rapide et adaptée est nécessaire afin de restreindre leur extension et d’améliorer le confort des patients traités (tableau I, p. 60) [2]. Elle repose avant tout sur l’utilisation des antihistaminiques, des émollients et des dermocorticoïdes à activité forte ou très forte (par exemple, bétaméthasone et clobétasol propionate). La mise en place d’une corticothérapie orale est rarement nécessaire ; elle est d’ailleurs déconseillée si le patient peut s’en passer afin de ne pas diminuer les effets des IPCI. La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 | 59 DOSSIER Effets indésirables de l’immunothérapie anticancéreuse Inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité : toxicités dermatologiques, digestives, rénales, cardiologiques, neurologiques et toxicités rares Tableau I. Stratégie de prise en charge des toxicités dermatologiques des inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité. Grade 1 Poursuite de l’immunothérapie Prise en charge symptomatique (émollients, corticoïdes forts, antihistaminiques, etc.) Réévaluation clinique après 2/3 semaines Macules/papules recouvrant moins de 10 % de la surface corporelle totale, avec ou sans symptômes fonctionnels (prurit, sensations de brûlure, etc.) Grade 2* Macules/papules recouvrant de 10 à 30 % de la surface corporelle totale, avec ou sans symptômes fonctionnels (prurit, sensations de brûlure, etc.) Limitation des activités instrumen­tales de la vie quotidienne Grade 3* Macules/papules recouvrant plus de 30 % de la surface corporelle totale, avec ou sans symptômes fonctionnels (prurit, sensations de brûlure, etc.) Limitation des activités indispen­sables de la vie quotidienne Poursuite de l’immunothérapie Prise en charge symptomatique (émollients, corticoïdes forts ou très forts, antihistaminiques, etc.) Biopsie cutanée si lésions atypiques ou mal tolérées Si lésions persistantes et mal tolérées : corticothérapie orale (0,5-1 mg/kg, décroissance progressive sur 1 mois et reprise du traitement si grade ≤ 1 et dose < 10 mg/j) Arrêt de l’immunothérapie Biopsie cutanée Prise en charge symptomatique (émollients, corticoïdes forts ou très forts, antihistaminiques, etc.) Corticothérapie orale (0,5-1 mg/kg, décroissance progressive sur 1 mois et reprise du traitement si grade ≤ 1 et dose < 10 mg/j) Réaction potentiellement grave* (vésicules ou bulles, décollement cutané, exanthème avec exfoliation, fièvre associée, atteintes muqueuses, œdème facial, signe de Nikolsky, etc.) Arrêt définitif de l’immunothérapie Prise en charge rapide, en milieu spécialisé * Une biopsie cutanée doit être réalisée en cas de lésions atypiques, de grade 2 persistant et/ou mal toléré, de grade 3 ou de réaction potentiellement grave. Tableau II. Description des grades de toxicité selon la classification CTCAE 4.0. Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Colite Asymptomatique, diagnostic à l’examen clinique uniquement Douleurs abdominales Présence de mucus ou de sang dans les selles Douleurs abdominales sévères Signes péritonéaux (défense) Mise en jeu du pronostic vital Diarrhées Augmentation de 4 selles ou moins par jour par rapport à l’état initial Augmentation de 4 à 6 selles par jour par rapport à l’état initial Augmentation de 7 selles ou plus par jour par rapport à l’état initial Mise en jeu du pronostic vital Cytolyse hépatique > LSN - 3 × LSN Atteinte rénale aiguë Augmentation du taux de créatinine > 25 Umol/l Créatinine supérieure de 1,5 à 2 fois la valeur de base Asymptomatique > 5-20 × LSN ; ou avec > 5 × LSN pendant ALAT > 3-5 × LSN ; plus de 2 semaines ou > 3 × LSN avec apparition d’une aggravation de la fatigue, de nausées, vomissements, hépatalgie, fièvre, rash, ou éosinophilie Créatinine supérieure à 2 à 3 fois la valeur de base Créatinine supérieure à 3 fois la valeur de base ou > 350 Umol/l LSN : limite supérieure de la normale. 60 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 > 20 × LSN Mise en jeu du pronostic vital Nécessité d’une dialyse Il faut rappeler la nécessité de réaliser des examens complémentaires, dont une biopsie cutanée, si l’éruption est sévère ou atypique, et d’adapter la prise en charge en cas de dermatose plus spécifique (par exemple, utilisation des rétinoïdes oraux, de la photothérapie et/ou de la vitamine D3 topique en cas de psoriasis avéré). Il faut également insister sur la collaboration multidisciplinaire avec les internistes et dermatologues pour assurer un diagnostic précis le plus tôt possible, et évaluer une éventuelle atteinte multiviscérale dans le cadre d’une maladie de système. Toxicités digestives La description des différents grades de toxicité est rappelée dans le tableau II. Diarrhées et colites Avec l’ipilimumab, le délai de survenue des diarrhées et des colites est de 6 à 8 semaines après le début du traitement. L’incidence est d’environ 30 %, dont 5 % sont de grade 3-4. Des douleurs abdominales ont été rapportées chez 15 % des patients. En endo­ scopie, l’aspect est celui d’une colite inflammatoire “Crohn-like”, avec un aspect de colite ulcérée, parfois extensive, pouvant s’étendre au rectum, à l’anus, au sigmoïde et à l’iléon. Les biopsies coliques permettent de retrouver des aspects histologiques de colites aiguës, parfois granulomateuses, avec soit un aspect de colite aiguë multifocale, soit une inflammation diffuse de la muqueuse. Dans les cas les plus sévères, des perforations coliques ont été rapportées, nécessitant une colectomie en urgence (8). En cas de traitement par inhibiteur de PD-1, l’inci­d ence est plus faible : on note 6 à 17 % de ­diarrhées ou de colites inflammatoires, dont 1 à 2 % de grade 3-4. Contrairement à l’ipilimumab, il s’agit là d’une colite non granulomateuse, non nécrosante. Le délai d­ ’apparition se situe entre 6 et 18 semaines. Des diarrhées de grade 1 peuvent être prises en charge par un traitement symptomatique antidiarrhéique. En cas de diarrhées de grade 2, l’immunothérapie doit être suspendue. La recherche d’une cause infectieuse doit être effectuée (coproculture standard, recherche de Clostridium difficile, recherche de CMV en biologie moléculaire par PCR dans le sang et les DOSSIER selles), puis une corticothérapie à 0,5-1 mg/kg/j doit être rapidement commencée, associée à un traitement symptomatique (hydratation, traitement antidiarrhéique). Un scanner, une coloscopie ou une rectosigmoïdoscopie peuvent être effectués pour confirmer le diagnostic en cas de grade 2 persistant ou de grade 3-4. Pour les diarrhées plus sévères (grade 3-4), une corticothérapie à 1-2 mg/kg/j par voie intra­ veineuse (i.v.) doit être administrée ; en cas d’échec après 3 à 5 jours, un traitement par infliximab peut être nécessaire (anti-TNFα) à la dose de 5 mg/­kg (répété 1 fois en cas de persistance, à 15 jours de la première dose). L’infliximab ne doit pas être utilisé en cas de perforation ou de sepsis. Le point crucial est la rapidité d’intervention et de l’initiation d’une corticothérapie efficace (1, 9, 10). Toxicités hépatiques La toxicité hépatique est représentée essentiellement par une élévation asymptomatique des ASAT et des ALAT (anti-CTA < 10 % des patients, anti-PD-1 < 5 % des patients, grade 3-4 : 1-2 % des patients). Il est néanmoins intéressant de noter que l’élévation des enzymes hépatiques est plus importante en cas de combinaisons thérapeutiques : 20 % des patients avec l’association ipilimumab + nivolumab (grade 3-4 : 10 %), et 9 à 18 % d’élévation de grade 3-4 en cas d’association nivolumab + sunitinib ou pazopanib). De même, lors du traitement du carcinome hépatocellulaire par nivolumab, les enzymes hépatiques s’élèvent dans 20 % des cas. Une hépatite peut survenir 8 à 12 semaines après le début du traitement par ipilimumab. Les biopsies peuvent montrer des aspects d’hépatite panlobulaire, des infiltrats périveineux ou des infiltrats autour des canaux biliaires primitifs. Les aspects radiologiques sont les suivants : hépato­ mégalie, adénopathies périportales et œdème périportal. Le diagnostic différentiel doit être fait, en particulier avec une cause infectieuse (hépatites virales), ou avec la présence de métastases hépatiques. Les anticorps classiques des hépatites auto-immunes sont négatifs. Le traitement repose sur la corticothérapie 1-2 mg/­kg/j et, dans les cas plus sévères, sur le mycophénolate mofétil (MMF) à la dose de 500 à 1 000 mg 2 fois par jour, ou sur l’azathioprine (1, 9, 11). ­L’infliximab est contre-indiqué en raison de sa potentielle hépatotoxicité. Toxicités pancréatiques La toxicité pancréatique est rare. Des cas d’élévation de la lipase ont été décrits, le plus souvent asymptomatiques, mais avec parfois de véritables pancréatites aiguës nécessitant un traitement par corticothérapie, associé à du MMF pour les cas les plus sévères (1, 9). Toxicités rénales Plusieurs travaux ont permis de colliger les effets indésirables néphrologiques reliés aux immunothérapies. O. Abdel-Rahman et M. Fouad (12) ont réalisé une méta-analyse des essais randomisés publiés entre janvier 2000 et octobre 2015. Ils ont relevé les toxicités rénales dans le groupe traitement par immuno­ thérapie comparativement au groupe contrôle par chimiothérapie. Huit études ont été retenues (n = 4 070). Ils ont noté de 0,7 à 6 % de toxicités rénales tous grades confondus, et de 0 à 2 % de toxicités rénales de grade 3-4. Les comparaisons de l’incidence des toxicités rénales de tous grades entre les différentes immunothérapies montraient que : ➤➤ le pembrolizumab était plus néphrotoxique que l’ipilimumab (OR = 0,16 ; IC95 : 0,01-0,93) et que le nivolumab (OR = 0,04 ; IC95 : 0,00-0,27) ; ➤➤ l’ipilimumab était plus néphrotoxique que le nivolumab (OR = 0,25 ; IC95 : 0,06-0,59) ; ➤➤ l’association ipilimumab + nivolumab était plus néphrotoxique que l’ipilimumab en monothérapie (OR = 0,47 ; IC95 : 0,21-0,99) et que le nivolumab en monothérapie (OR = 0,11 ; IC95 : 0,03-0,29) ; il n’y avait en revanche pas de différence significative avec le pembrolizumab en monothérapie (OR = 0,32 ; IC95 : 0,01-2,39). La toxicité rénale était significativement plus importante avec chacune des différentes immunothérapies (toxicités de tous grades) qu’avec la chimiothérapie de contrôle. Les résultats étaient en revanche non significatifs pour les toxicités de haut grade, malgré une tendance à une plus grande toxicité pour les immunothérapies. Dans la plupart des cas, la toxicité régressait complètement après corticothérapie. Dans de plus rares cas de résistance aux corticoïdes, d’autres molécules comme l’azathioprine et la ciclosporine pouvaient être utilisées. E.E. Rassy et al. (13) ont quant à eux étudié les toxicités rénales rapportées avec les IPCI et leur physiopathologie, en reprenant les études et les cas cliniques (case reports) publiés à ce jour. La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 | 61 DOSSIER Effets indésirables de l’immunothérapie anticancéreuse Inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité : toxicités dermatologiques, digestives, rénales, cardiologiques, neurologiques et toxicités rares Concernant l’ipilimumab, la néphrotoxicité était rare (10 % d’élévation de la créatinine, 1 % de néphrite). L’atteinte survenait 6 à 12 semaines après le début du traitement et se manifestait par une augmentation de la créatinine, une protéinurie et une hématurie microscopique. On notait quelques cas de néphrite interstitielle ou auto-immune (< 1 %) avec le pembrolizumab. En cas de traitement par nivolumab, une augmentation de la créatinine a pu être notée dans 11 à 42 % des cas, de même que quelques cas de néphrite auto-immune (< 5 %). Le délai de survenue se situait entre 1 et 12 semaines. Il a été rapporté, avec l’association ipilimumab + nivolumab, 3,2 % de néphrites, parmi lesquelles 34,4 % étaient de grade 3-4. Deux mécanismes physiopathologiques ont été décrits : le premier est lié à une néphrite tubulo­ interstitielle aiguë (parfois granulomateuse) ; le second est lié à un syndrome néphrotique secondaire à une atteinte rénale induite par le complément (néphrite lupique), ou à une atteinte des podocytes glomérulaires (syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes [LGM]). J. Belliere et al. (14) ont récemment publié un article reprenant le cas de 3 patients ayant présenté une insuffisance rénale aiguë après administration de nivolumab, de pembrolizumab et d’ipilimumab. Les biopsies rénales ont montré respectivement : une néphrite interstitielle granulomateuse, une néphrite interstitielle aiguë et une néphrite tubulaire aiguë avec fibrose interstitielle inflammatoire. Dans chacune des biopsies il existait un infiltrat lymphocytaire T CD3+/CD4+. Cela a été confirmé dans une série plus large menée chez 13 patients chez lesquels une biopsie rénale avait été effectuée, décrite par F.B. Cortazar et al. (15). Les mêmes aspects anatomopathologiques de néphrite tubulo-interstitielle aiguë, parfois granulomateuse, avec infiltrat lympho­ cytaire T CD3+/CD4+, ont été observés. Notons que les marqueurs sériques d’auto-­immunité classiques (anticorps anti-nucléaires, anticorps anti-antigènes nucléaires solubles, anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles, anticorps anti-membrane basale glomérulaire) sont négatifs en cas de toxicité rénale liée aux IPCI, et ne sont donc utiles que pour rechercher un ­diagnostic différentiel. Au vu de ces éléments, nous pouvons recommander de réaliser un dosage de la créatinine avant de commencer le traitement par IPCI, puis avant chaque injection (soit toutes les 2 à 3 semaines), 62 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 ou de façon plus rapprochée chez les patients ayant une insuffisance rénale préexistante ou en cas de constatation d’une augmentation de la créatinine en cours de traitement par IPCI. En cas d’insuffisance rénale aiguë, une bandelette urinaire et une échographie rénale devront être réalisées en urgence, tandis qu’un avis néphro­logique devra être rapidement demandé, en particulier en cas de protéinurie, d’hématurie microscopique ou d’hypertension artérielle de novo. Les examens pourront alors être complétés par une biopsie rénale. En cas d’atteinte rénale de grade 2 ou 3, une corticothérapie à 1-2 mg/kg/j pourra être instaurée pendant 4 semaines avant d’être rapidement réduite sur 1 mois, avec suspension de l’IPCI jusqu’à correction de l’atteinte rénale et diminution de la corticothérapie à moins de 10 mg/j. Dans la majorité des cas, la récupération rénale est complète après toxicité de grade 3-4, dans un délai de 3 à 6 semaines (10). En cas de non­­récupération, l’IPCI doit être définitivement arrêté, et une prise en charge néphrologique spécialisée est requise pour discuter le recours à des traitements immunosuppresseurs, voire, parfois, à la dialyse. La biopsie rénale a alors toute sa place dans la décision thérapeutique. La discussion de la reprise de l’IPCI doit se faire en collaboration entre l’oncologue et le néphrologue. En cas d’atteinte rénale de grade 4, d’impossibilité de diminuer la corticothérapie ou de non-correction de l’atteinte rénale après 6 semaines de corticothérapie, il est préconisé un arrêt définitif de l’IPCI et une prise en charge néphrologique spécialisée. Autres toxicités Toxicités neurologiques (9, 16) La fréquence des effets indésirables neurologiques tous grades confondus est de 3,8 % en cas de traitement par anticorps anti-CTLA-4, de 6,1 % avec les anti-PD-1 et de 12 % lorsque les 2 sont associés. Cependant, ces événements sont très majoritairement de grade 1-2 et correspondent à des céphalées (55 %), à une dysgueusie (13 %) ou à des vertiges (10 %). L’incidence des effets indésirables de grade 3-4 est inférieure à 1 % quel que soit le traitement. La médiane de survenue est de 6 semaines après le début du traitement. Les cases reports publiés (14) ont rapporté des neuropathies périphériques de tous types : mono­ neuropathies, polyneuropathies, méningo­radiculite. DOSSIER On note également des cas de myasthénie (parfois graves) ainsi que des syndromes de ­Guillain-­Barré-like. On notera également de rares cas d’encéphalopathie, de méningite aseptique, de vascularite cérébrale, de syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible et de myélite transverse. Une ponction lombaire doit être réalisée en cas de suspicion d’encéphalopathie, de méningite, de méningoradiculite ou de syndrome de Guillain-Barré avant de pouvoir affirmer la relation avec le traitement. En cas de myasthénie, les anticorps anti­ récepteurs de l’acétylcholine doivent être recherchés, car ils sont constamment élevés dans ce cas. L’atteinte neurologique est réversible dans 73 % des cas, dans un délai de 4 semaines après arrêt de l’immunothérapie et traitement par corticoïdes, avec parfois recours aux immunoglobulines ou aux échanges plasmatiques. Du fait de la faible fréquence des effets indésirables neurologiques, d’autres causes plus classiques doivent être recherchées dans un premier temps : métastases cérébrales ou médullaires, syndromes paranéoplasiques, pathologies neurologiques non liées au cancer (infections virales ou bactériennes, carences vitaminiques, etc.). Toxicités ophtalmologiques (9, 11) Des cas d’uvéite, d’épisclérite, de conjonctivite et d’inflammation de l’orbite ont été décrits. Ils peuvent être traités par corticoïdes locaux ou par corticothérapie orale, en cas de grade 3-4. Toxicités cardiaques (17) De rares cas de myocardites associées à un tableau de myosite avec rhabdomyolyse ont été rapportés avec l’association ipilimumab + nivolumab. La fréquence de la myocardite est estimée à 0,1 % en cas de traitement par ipilimumab seul et à 0,3 % en cas de traitement par ipilimumab + nivolumab. Cette complication apparaît rapidement après le début du traitement, avec une médiane de 17 jours (13 à 64 jours). Le tableau est plus sévère en cas de traitement par ipilimumab + ­nivolumab, avec souvent une myosite a­ ssociée responsable d’une rhabdo­myolyse, et un décès rapide en quelques jours dans la majorité des cas. Notons qu’il peut exister une myolyse sans myo­ cardite associée, et inversement. Tableau III. Proposition de prise en charge des effets indésirables immunologiques digestifs, rénaux, cardiologiques et neurologiques en fonction du grade de toxicité (selon CTCAE 4.0). Grade Lieu de gestion Traitement Gestion de l’immunothérapie 1 Ambulatoire Traitement symptomatique Poursuite du traitement 2 Ambulatoire Corticothérapie orale 0,5-1 mg/kg/j Suspendre le traitement Réintroduire le traitement après contrôle de l’effet indésirable (grade ≤ 1, corticothérapie ≤ 10 mg/j) 3 Hospitalisation Corticothérapie i.v. 1-2 mg/­­kg/j Suspendre le traitement Immunosuppresseur Discuter sa réintroduction après si persistance des symptômes contrôle de l’effet indésirable, après 3 à 5 jours en fonction du rapport bénéfice/risque Hospitalisation Corticothérapie i.v. 1-2 mg/kg/j Immunosuppresseur si persistance des symptômes après 3 à 5 jours 4 Arrêt définitif du traitement Autres toxicités (11) On note environ 5 % d’arthralgies ou de polyarthrites. Sur le plan hématologique, quelques rares cas de cytopénies auto-immunes ou d’hémophilie A acquise ont été rapportés. Des cas de connectivites ont également été décrits : lupus, sarcoïdose, maladie de Gougerot-Sjögren. Prise en charge Au vu des connaissances actuelles et des toxicités rapportées, nous pouvons proposer une prise en charge des toxicités immunologiques digestives, rénales, cardiologiques et neurologiques en ­s ’appuyant sur la stratégie proposée dans le tableau III. Pour les effets indésirables de grade 3-4, une corticothérapie d’attaque à 2 mg/kg/j i.v. pendant 3 à 5 jours peut être proposée. En cas de bonne efficacité, on pourra réduire la dose à 1 mg/kg/j, avec poursuite du traitement à pleine dose, avant décroissance sur 4 semaines. En cas d’échec du traitement d’attaque après 3 à 5 jours, un traitement immunosuppresseur doit être initié après avis du spécialiste ­d’organe. Nous recommandons la réalisation systématique, avant chaque injection d’IPCI, d’une biologie ­c omprenant au minimum un hémogramme, un ionogramme avec dosage de la créatinine et un bilan hépatique. La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017 | 63 DOSSIER Effets indésirables de l’immunothérapie anticancéreuse Inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité : toxicités dermatologiques, digestives, rénales, cardiologiques, neurologiques et toxicités rares Conclusion V. Sarradin déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Les co-auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts. Alors que les toxicités des IPCI en monothérapie commencent à être connues et des stratégies de prise en charge établies, de multiples essais thérapeutiques sont en cours avec l’association de 2 immunothérapies, d’une immunothérapie avec de la chimiothérapie ou bien avec une thérapie ciblée. Les effets indésirables en cas d’association ne semblent pas différents de ceux déjà décrits, mais on constate une nette augmentation de leur incidence, et en particulier pour ceux de grade 3-4. On notera également que l’association des IPCI avec la radiothérapie est en cours d’investigation. Cela doit nous inciter à rester vigilants et réactifs devant les toxicités qui peuvent apparaître, le point clé restant la rapidité d’intervention et d’instauration de la corticothérapie. L’accroissement des indications (adjuvant, première ligne métastatique) et du nombre de patients traités avec ces molécules devrait améliorer nos connaissances sur leur profil de toxicité et nous permettre d’établir rapidement des stratégies de prise en charge de plus en plus robustes. Une éducation est nécessaire, tant du patient, afin qu’il signale tout symptôme nouveau, que de l’onco­ logue, qui doit être vigilant devant ces toxicités qui sont inhabituelles et qui peuvent toucher tous les organes. Devant l’apparition d’un symptôme, l’oncologue doit s’efforcer de distinguer une progression de la maladie, un effet indésirable immunologique, ou une cause indépendante. ■ Références bibliographiques 1. Hofmann L, Forschner A, Loquai C et al. Cutaneous, gastrointestinal, hepatic, endocrine, and renal side-­effects of anti-PD-1 therapy. Eur J Cancer 2016;60:190-209. 2. Sibaud V, Meyer N, Lamant L et al. Dermatologic complications of anti-PD-1/PD-L1 immune checkpoint antibodies. Curr Opin Oncol 2016;28(4):254-63. 3. Sanlorenzo M, Vujic I, Daud A et al. Pembrolizumab cutaneous adverse events and their association with disease progression. JAMA Dermatol 2015;151(11):1206-12. 4. Shi VJ, Rodic N, Gettinger S et al. Clinical and histologic features of lichenoid mucocutaneous eruptions due to anti-programmed cell death 1 and anti-programmed cell death ligand 1 immunotherapy. JAMA Dermatol 2016;152(10):1128-36. 5 . B o n i g e n J , R a y n a u d - ­D o n z e l C , H u re a u x J et al. Anti-PD1-­induced psoriasis: a study of 21 patients. J Eur Acad Dermatol Venereol 2017; 31(5):e254-e257. 6. Belum VR, Benhuri B, Postow MA et al. Characterisation and management of dermatologic adverse events to agents targeting the PD-1 receptor. Eur J Cancer 2016; 60:12-25. 7. Vigarios E, Epstein JB, Sibaud V. Oral mucosal changes induced by anticancer targeted therapies and immune checkpoint inhibitors. Support Care Cancer 2017;25(5):1713-39. 8. Marthey L, Mateus C, Mussini C et al. Cancer immuno­ therapy with anti-CTLA-4 monoclonal antibodies induces an inflammatory bowel disease. J Crohns Colitis 2016;10(4):395-401. 9. Naidoo J, Page DB, Li BT et al. Toxicities of the antiPD-1 and anti-PD-L1 immune checkpoint antibodies. Ann Oncol 2015;26(12):2375-91. 10. Eigentler TK, Hassel JC, Berking C et al. Diagnosis, monitoring and management of immune-related adverse drug reactions of anti-PD-1 antibody therapy. Cancer Treat Rev 2016;45:7-18. 11. Michot JM, Bigenwald C, Champiat S et al. Immune­ related adverse events with immune checkpoint blockade: a comprehensive review. Eur J Cancer 2016;54:139-48. 12. Abdel-Rahman O, Fouad M. A network meta-analysis of the risk of immune-related renal toxicity in cancer patients treated with immune checkpoint inhibitors. Immuno­therapy 2016;8(5):665-74. 13. Rassy EE, Kourie HR, Rizkallah J et al. Immune checkpoint inhibitors renal side effects and management. Immuno­therapy 2016;8(12):1417-25. 14. Belliere J, Meyer N, Mazieres J et al. Acute inter­ stitial nephritis related to immune checkpoint inhibitors. Br J Cancer 2016;115(12):1457-61. 15. Cortazar FB, Marrone KA, Troxell ML et al. Clinico­ pathological features of acute kidney injury associated with immune checkpoint inhibitors. Kidney Int 2016;90(3):638-47. 16. Cuzzubbo S, Javeri F, Tissier M et al. Neurological adverse events associated with immune checkpoint inhibitors: review of the literature. Eur J Cancer 2017;73:1-8. 17. Johnson DB, Balko JM, Compton ML et al. Fulminant myocarditis with combination immune checkpoint blockade. N Engl J Med 2016;375(18):1749-55. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse : · accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnements, · adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé), · indexation dans la base de données i­nternationale ICMJE (International Committee of Medical Journal Editors), · déclaration publique de liens d’intérêts demandée à nos auteurs, · identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publirédactionnels en marge des articles scientifiques. 64 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 31 - n° 2 - avril-mai-juin 2017