Chapitre 8
Convergence en loi et théorème
limite central
Toutes les variables aléatoires de ce chapitre sont encore définies sur un même espace
probabilisé (Ω,A,P).
Les résultats du chapitre précédent suggère de répondre à la question : Quelle est la
vitesse de convergence de la moyenne empirique vers la moyenne dans la loi des grands
nombres ? Le théorème limite central apporte une réponse à cette question. En notant
¯
Xn=1
nPn
i=1 Xila moyenne empirique de nvariables aléatoires L2indépendantes de même
loi, on a vu que pour tout α < 1
2,nα(¯
XnE(X1)) admet une variance qui tend vers 0avec net
donc convergence en probabilité vers 0. On va voir que le comportement de n(¯
XnE(X1)),
qui a une variance constante, est bien différent. Pour le caractériser, nous introduisons un
nouveau mode de convergence qui ne prendra en compte que la suite des lois successives
des Xn.
8.1 Convergence en loi
On rappelle que FXdésigne la fonction de répartition de la variable aléatoire Xet est
définie par FX(t) = P(Xt).
Définition 8.1.1. Soit (Xn)n1une suite de variables aléatoires. On dit que Xnconverge
en loi vers une variable aléatoire Xsi
FXn(t)
n+FX(t)en tout point tFXest continue.
Pourquoi aux points de continuité de FX?
Soit Xntel que P(Xn= 0) = P(Xn=1
n) = 1
2, alors FXn(t) =
0si t < 0
1
2si 0t < 1
n
1si t1
n
converge
vers F(t) =
0si t < 0
1
2si t= 0
1si t > 0
qui n’est pas une fonction de répartition. Mais si FXest la fonc-
tion de répartition de X= 0, on a bien que FXnconverge vers FXaux points de continuité
de FX, et donc Xnconverge en loi vers 0.
Remarque 8.1.2. 1. Contrairement aux autres modes de convergence, la convergence
en loi ne dépend que des lois PXndes variables Xnet pas de la façon dont les variables
sont définies. On notera donc indifféremment, XnXen loi, ou PXnPX, ou
carrément XnPXen loi.
CHAPITRE 8. CONVERGENCE EN LOI ET THÉORÈME LIMITE CENTRAL
2. En particulier, la limite n’est pas unique ! Si XnXen loi et si Ya la même loi que
X, alors XnYen loi. C’est en revanche la loi de la limite qui est unique.
Exemple 8.1.3. 1) Soit Xn∼ U([0,1]),n1, des variables aléatoires indépendantes. Alors
Yn=nmin{X1, . . . , Xn}converge en loi vers une variable aléatoire de loi E(1). En effet,
pour tout t > 0(et nassez grand),
FYn(t)=1P(min{X1, . . . , Xn}>t
n)=1P(X1>t
n)···P(Xn>t
n)=1(1 t
n)n
et donc FYn(t)1et.
2) Soit X∼ B(1
2)et pour tout n0,X2n=Xet X2n+1 = 1 X. Alors pour tout n0,
Xn∼ B(1
2)et donc Xnconverge en loi vers X(mais aussi vers 1X). En revanche, pour
tout 0<ε<1,P(|XnX|> ε)=1dès que nest impair et donc il n’y a pas convergence en
probabilité.
Cet exemple montre que la convergence en loi n’entraîne pas la convergence en proba-
bilité.
Proposition 8.1.4. La convergence en probabilité entraîne la convergence en loi.
Démonstration. Soit (Xn)n1une suite de variables aléatoires de fonctions de répartition
Fnet Xune variable aléatoire de fonction de répartition F. On suppose que XnXen
probabilité. Soit tRun point de continuité de Fet ε > 0. Par continuité, il existe η > 0
tel que |xt| ≤ ηimplique |F(x)F(t)| ≤ ε. On montre (exercice) que Xntentraîne
Xt+ηou XnX≤ −η. On a donc
Fn(t)F(t+η) + P(XnX≤ −η)F(t) + ε+P(|XnX| ≥ η)
De même, comme Xtηet XnX < η entraîne Xnt, on a
Fn(t)F(tη)P(XnXη)F(t)εP(|XnX| ≥ η)
On en déduit |Fn(t)F(t)| ≤ ε+P(|XnX| ≥ η)
n+ε. Ceci étant vrai pour tout ε > 0,
Fn(t)F(t).
On a vu que la réciproque est fausse en général, mais ...
Proposition 8.1.5. Si Xnconverge en loi vers une constante cR, alors Xnconverge en
probabilité vers c.
Démonstration. Soit ε > 0. Comme Xnconverge en loi vers c, on a FXn(t)1[c,+[(t)pour
tout t6=c. Or,
P(|Xnc| ≥ ε) = P(Xncε) + P(Xnc+ε)
P(Xncε) + P(Xn> c +ε
2)
FXn(cε)+1FXn(c+ε
2).
Donc, P(|Xnc| ≥ ε)0+11=0quand n+.
En conclusion, on a
convergence en probabilité
:convergence en loi.
et (*) vraie lorsque la limite est une constante.
8.2. APPROXIMATIONS DE LOIS
8.2 Approximations de lois
Le résultat suivant a déjà été évoqué en introduisant la loi de Poisson. Il justifie le fait
que la loi de Poisson est utilisée pour modéliser le nombre d’occurrences d’un évènement
rare.
Proposition 8.2.1 (Binomiale par Poisson).Soit (Xn)n1une suite de variables aléatoires
de loi B(n, pn), avec nNet pn[0,1]. Si npnλ > 0quand n+, alors
Xn
n+P(λ)en loi.
Démonstration. Commençons par montrer que pour tout kN,P(Xn=k)eλλk
k!. Pour
nassez grand,
P(Xn=k) = n
kpk
n(1 pn)nk=n(n1) ···(nk+ 1)
nk
(npn)k
k!(1 pn)k(1 pn)n
Or, quand n+,npnλ,n(n1)···(nk+1)
nk1,pn0et
(1 pn)n=enlog(1pn)=en(pn+o(pn)) =enpn+o(1) eλ.
On obtient,
P(Xn=k)eλλk
k!.
Maintenant, pour tout tR,
FXn(t) = btc
X
k=0
P(Xn=k)
n+
btc
X
k=0
eλλk
k!=F(t),
Fest la fonction de répartition d’une loi P(λ).
En pratique ce résultat est utilisé pour remplacer la loi binomiale B(n, p)par une loi de
Poisson P(np)lorsque nest grand devant np (par exemple, mais c’est arbitraire, n > 100 et
np < 10).
On rappelle que si X∼ B(n, p)alors E(X) = np et V(X) = np(1 p). La variable
Y=Xnp
np(1p)est donc centrée et réduite (i.e. E(Y)=0et V(Y)=1). Le résultat suivant
est une première approche vers le théorème limite central. Sa démonstration originelle
repose sur l’utilisation d’une bonne approximation de n!, comme la formule de Stirling
n!2πn nnen.
Théorème 8.2.2 (de Moivre-Laplace (1733,1809), Binomiale par Normale).Soit (Xn)n1
une suite de variables aléatoires de loi B(n, p), avec nNet p[0,1]. On a
Xnnp
pnp(1 p)
n+N(0,1) en loi,
N(0,1) est la loi normale centrée réduite.
C’est-à-dire, que pour tout tR,
P Xnnp
pnp(1 p)t!
n+Φ(t),
Φest la fonction de répartition de la loi N(0,1).
Applications pratiques.
CHAPITRE 8. CONVERGENCE EN LOI ET THÉORÈME LIMITE CENTRAL
1. On reprend un vieil exemple. Un QCM est composé de 100 questions à deux choix
(c’est l’exemple 5.3.6). Un candidat répond à chaque question au hasard et de façon
indépendante. La loi du nombre de bonnes réponses Xest donc une loi B(100,1
2).
Son espérance vaut 50 et sa variance 25. En considérant que n= 100 est grand,
le théorème précédent nous dit que X50
5suit approximativement une loi normale
N(0,1). Donc la probabilité d’avoir au moins 61 bonnes réponses, c’est à dire P(X >
60) = PX50
5>2vaut approximativement 1
2πR+
2ex2
2dx = 1 Φ(2). En utilisant
la table (c.f. section 8.5) on obtient Φ(2) '0,9772 et donc la probabilité cherchée
vaut approximativement 0,0228. Remarquons qu’en utilisant l’inégalité de Bienaymé-
Tchebychev, on avait trouvé à l’exemple 5.3.6 une majoration par 0,125. On voit donc
que la majoration avec Bienaymé-Tchebychev était très grossière.
2. (exercice) Combien doit-on faire de lancers d’une pièce de monnaie équilibrée pour
que la proportion de Pile soit comprise entre 0,45 et 0,55 ?
8.3 Théorème limite central
Le phénomène mis en lumière par le théorème de Moivre-Laplace n’est en fait pas ca-
ractéristique des lois binomiales qui, on le rappelle, sont des sommes indépendantes de lois
de Bernoulli. Il reste valable pour des sommes de nombreuses autres lois.
Théorème 8.3.1 (Théorème limite central).Soit (Xn)n1une suite de variables aléatoires
indépendantes, de même loi et dans L2. En notant m=E(X1),σ2=V(X1)et Sn=X1+
··· +Xn, on a Snnm
n σ
n+N(0,1) en loi.
On peut aussi écrire la conclusion du théorème
n¯
Xnm
σ
n+N(0,1) en loi,
¯
Xn=1
nSnest la moyenne empirique, ou encore
n(¯
Xnm)
n+N(0, σ2)en loi.
On remarquera le caractère universel de ce théorème. La loi des variables Xnn’est pas
précisée et, bien que restant une loi de probabilité, la limite est parfaitement identifiée.
Autrement dit, pour n“grand”, n¯
Xnm
σreste une variable au comportement aléatoire,
mais suivant une loi précise. La loi normale apparaît donc comme une loi universelle.
Voyons une application du TLC en estimation statistique.
8.4 Intervalle de confiance
On a vu que les lois des grands nombres permettent d’obtenir des estimateurs conver-
gents pour évaluer une probabilité inconnue. On parle d’estimateurs ponctuels. Bien sûr,
dans la pratique, on remplace “n+” par “nassez grand”. La donnée d’une estimation
ponctuelle est alors assez pauvre puisqu’elle ne prend pas en compte l’erreur d’approxi-
mation. La première idée, pour tenir compte de l’erreur est de donner l’estimation sous
forme d’un intervalle : la quantité à estimer est comprise entre tant et tant. Mais l’erreur
est ici aléatoire. Le théorème précédent nous dit qu’elle tend à être distribuée comme une
8.4. INTERVALLE DE CONFIANCE
loi normale dont la variance est de l’ordre de 1
n. Pour tenir compte du caractère aléatoire
de cette erreur, on ne donnera pas une estimation toujours vraie, mais une estimation qui
a une forte probabilité d’être vraie.
Définition 8.4.1. Soit X1, . . . , Xndes variables aléatoires, θRfixé et α[0,1] (appelé
risque). Un intervalle aléatoire I=I(X1, . . . , Xn)est un intervalle de confiance au niveau
1αpour θsi
P(θI)1α.
Remarque 8.4.2. 1. En pratique, on choisira le risque αproche de 0.
2. Attention, c’est l’intervalle Iqui est aléatoire et non pas θqui lui est fixé (bien qu’in-
connu en pratique).
3. Dans une situation concrète (statistique), on aura à disposition uniquement une réali-
sation (x1, . . . , xn)=(X1(ω), . . . , Xn(ω)) de l’échantillon (X1, . . . , Xn)et donc une réa-
lisation I(x1, . . . , xn)de l’intervalle de confiance. Bien sûr, on espère que cet intervalle
contiendra effectivement le réel θà estimer et ceci se produira donc avec probabilité
au moins 1α.
4. Re-Attention, toujours en pratique, la loi des Xisera inconnu. On ne pourra donc pas
évaluer directement la quantité P(θI), puisque la loi de Idépend de celle des Xi.
C’est ici que le théorème limite central va jouer un rôle.
Avant de donner un exemple, on introduit la notion de fractile.
Définition 8.4.3. Soit Xune variable aléatoire réelle et α]0,1[. On dit que uRest un
fractile d’ordre αde la loi PXsi P(Xu) = α(i.e. FX(u) = α).
Si la fonction de répartition FXest inversible, alors pour tout α]0,1[, il existe un unique
fractile d’ordre α.
Exemple 8.4.4. Pour la loi normale N(0,1), par parité de la densité, si uαest le fractile
d’ordre α]0,1[ alors uαest le fractile d’ordre 1α. Si u=u1α
2est le fractile d’ordre
1α
2de la loi N(0,1) et si X∼ N(0,1), alors P(u < X < u)=1α.
−3 −2 −1 0 1 2 3
0.0 0.1 0.2 0.3 0.4
Densité de la loi normale centrée réduite. u fractile d'ordre 1 α 2
P(u<X<u)=1−α
P(X<−u)=α2 P(X>u)=α2
−u u
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