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ENTREVUE AVEC YVES RICHELLE
La gratuité scolaire, c’est un
outil de politique économique
Lorsque l’IRÉC a été invité à Radio-Canada ou à Canal Argent, tout a été
brouillé par les pauses publicitaires, la formule du débat contradictoire dans
un laps de temps très court, une mise en contexte quasi inexistante et la
recherche immédiate de réactions des réseaux sociaux. La rédaction du Bul-
letin de l’IRÉC a donc rencontré Yves Richelle, un des rédacteurs de la Note
d’intervention sur la gratuité scolaire1 afin qu’il explique en quoi la gratuité
scolaire est un outil de politique économique et non un gaspillage d’argent
public. Nous le remercions chaleureusement d’avoir accepté de nous accorder
cette entrevue.
Il explique que le débat
entourant la hausse des
droits de scolarité a mis en
évidence trois problèmes de
l’éducation postsecondaire,
à savoir le financement des
universités, l’accessibilité
aux études et la gestion des
universités. « Pour trouver
des solutions efficaces,
poursuit-il, il faut des
politiques qui corrigent un
problème sans en affecter
un autre. La hausse des
droits de scolarité ne fait
pas partie de ces politiques
puisqu’elle peut contribuer
à apporter une solution au
financement des universités, mais elle nuit à
l’accessibilité aux études ».
Aborder la question du financement des
universités sous-entend la question du com-
ment. « Est-ce par la taxation, l’abandon des
crédits d’impôt ou le principe de l’utilisateur-
payeur? Ce dernier principe d’utilisateur-payeur
en économie ne spécifie pas s’il doit payer
lorsqu’il utilise le service. Les étudiants doi-
vent-ils payer durant leurs études ou lorsqu’ils
travaillent? Ce débat n’a pas été fait. Le gouver-
nement reconnait d’ailleurs que la hausse des
droits de scolarité nuit à l’accessibilité, car il
propose une amélioration du système de prêts
et bourses pour certaines catégories d’étu-
diants. Mais ce système comporte lui-même
des failles (pensons à la situation des étudiants
à temps partiel2) et génère des coûts pour le
gouvernement (les intérêts
versés aux banques, les
coûts de gestion des dos-
siers des étudiants qui ne
remboursent pas leurs prêts
comme prévu, etc.).
Inefficace
« On corrige donc
un problème généré par
l’utilisation d’une politique
inefficace en utilisant une
autre politique inefficace»,
constate-t-il. Pour éviter
cette cascade d’ineffica-
cité, les étudiants avaient
proposé de résoudre le
problème de financement
des universités en révisant la gestion des uni-
versités. « À la limite, indique-t-il, les étudiants
et les étudiantes, en tant qu’utilisateurs, pour-
raient exiger les services qu’ils veulent. S’ils
paient, ils pourraient avoir un droit de regard
sur la manière dont leur argent est utilisé. Et,
pour la majorité d’entre eux, leur intérêt est
d’avoir des professeurs pour la transmission du
savoir, ce qui ne coïncide pas nécessairement
avec l’intérêt des universités qui veulent avoir
des chercheurs pour s’assurer une visibilité
mondiale. Trop souvent, les critères pour choi-
sir le personnel enseignant ne sont pas basés
sur leurs qualifications comme enseignants,
mais sur le nombre de leurs publications, de
leurs consultations, des congrès auxquels ils
ont assisté, etc.».
Bataille de chiffres symptoma-
tique
La bataille des chiffres est représentative
de ce phénomène. « En admettant, soutient-il,
qu’un professeur passe 50% de son temps à
enseigner, ce qui est une hypothèse généreuse,
en 2008-2009, l’étudiant ou l’étudiante payait
déjà 25% de sa formation alors que, pour
la même année, le gouvernement utilise le
chiffre de 13%, ce qui représente la proportion
des droits de scolarité versés par rapport au
financement total des universités, dépenses de
recherche incluses ».
Revenir aux objectifs de base
Pour l’économiste, il faut revenir aux
objectifs de base d’une société. « En économie,
rappelle-t-il, la société doit être organisée pour
faire en sorte que chaque individu exploite son
plein potentiel, ce qui est la meilleure façon
d’obtenir le maximum de richesse. Le pro-
blème est que les individus ne possèdent pas
toujours toutes les informations nécessaires
à une bonne prise de décision. Il y a de plus
un accès inégal à l’information. Les études
récentes démontrent que ce n’est pas le revenu
des parents qui est le facteur principal qui
influence l’accès aux études des enfants, mais
bien le niveau d’éducation des parents. Si les
parents ont obtenu un diplôme universitaire,
par exemple, les enfants auront environ 30%
de chances de plus d’aller à l’université. Ce
résultat provient probablement du fait que des
parents universitaires peuvent beaucoup mieux
transmettre les informations pertinentes sur
l’ensemble des champs d’études offerts ainsi
que sur les avantages d’un parcours universi-
taire. La société doit donc intervenir pour ceux
et celles qui n’ont pas ou n’ont que partielle-
ment accès à ce type d’informations ».
Information et expérimentation
C’est pourquoi le chargé de projet avec trois
autres chercheurs de l’IRÉC a essayé de voir
s’il y a moyen de faire mieux en analysant en
termes économiques le système actuel. « Nous
avons introduit une variable économique fon-
damentale: l’information et l’expérimentation,
expose le docteur en économie. Avec la formule
de l’utilisateur-payeur préconisée, la société
perd de l’argent. C’est une question d’effica-
cité c’est-à-dire que l’on cherche à améliorer
l’accès à l’information et donc aux études sans
toucher au financement des universités et sans
demander de contribution supplémentaire au
YVES RICHELLE/SUITE À LA PAGE 4
Notice biographique
Yves Richelle détient un doctorat
en sciences économiques des Facultés
universitaires Notre-Dame-de-la-Paix à
Namur en Belgique. Depuis septembre
2004, il est chargé de cours à l’Université
de Montréal; depuis janvier 2008, il est
également chargé de cours à l’Université
de Sherbrooke. Il travaille en ce moment
comme chargé de projet à l’IRÉC avec
Henri Thibaudin à la conception et la
rédaction d’un ouvrage de référence sur
les valeurs de l’eau au Québec.
1. BÉLANGER, Jules, Oscar CALDERON, Yves RICHELLE et
Henri THIBAUDIN. Gratuité scolaire, tout en payant
« sa juste part ». Une contribution au débat sur les
droits de scolarité au Québec, Note d’intervention de
l’IRÉC no 16, avril 2012, 6 p. http://www.irec.net/index.
jsp?p=76
2. CALDERON, Oscar. Réforme des droits de scolarité:
réponse à Luc Godbout, Billet de l’IRÉC sur OIKOS
Blogue, 8 mai 2012. http://www.irec.net/index.
jsp?p=35&f=953
Yves Richelle
Photo: Normand Rajotte