DOSSIER DU MOIS (août 2015) L’urticaire chronique L’urticaire est une dermatose fréquente, dont la chronicité peut diminuer la qualité de vie de façon importante. Elle nécessite un accompagnement thérapeutique de qualité qui concerne les professionnels de santé dont le pharmacien. Environ 1 % de la population serait concerné par l’urticaire chronique (UC), affection qui touche deux fois plus les femmes que les hommes. 40 % des UC persistent à 10 ans et 20 % à 20 ans. Le retentissement psychologique et socioprofessionnel est souvent important1. Comment reconnaître une urticaire ? On observe des papules érythémateuses ou rosées, œdémateuses, en relief, à bords nets, lisses en surface (ressemblant à des piqûres d’orties), pouvant confluer en larges plaques et sources d’un prurit intense, perturbant le sommeil)2. On parle alors d’urticaire superficielle (œdème dermique). Les lésions sont fugaces (moins de 24 h d’évolution) et migratrices : elles apparaissent et disparaissent en quelques heures, se manifestant sur tout le corps. Urticaire superficielle Parfois, l’œdème est hypodermique, touchant la peau ou les muqueuses, de façon isolée ou associé à une urticaire superficielle. On parle alors d’angio-œdème (œdème de Quincke). On observe des tuméfactions asymétriques, fermes, pâles, à peine rosées, mal limitées, non érythémateuses, plus douloureuses que prurigineuses (sensation de tension cuisante), pouvant persister 48 à 72 heures. L’angio-œdème peut toucher les mains, les pieds, les organes génitaux et surtout le visage (paupières, lèvres). Le pronostic vital peut être engagé en cas notamment d’atteinte des muqueuses orolaryngées (choc anaphylactique). L’apparition d’une dysphonie et d’une hypersalivation liée aux troubles de la déglutition doit faire redouter une asphyxie (œdème sur la glotte). Angio-œdèmes 1 73 % des patients déclarent éviter les sorties ou évènements sociaux. 63 % se plaignent d’anxiété. 30 % se plaignent de perturbations importantes de leur sommeil…. … 2 Ne pas confondre avec un eczéma aigu du visage qui se distingue par l’absence de lésion muqueuse, la fixité des lésions et leur suintement. Quand parler d’urticaire chronique ? L’urticaire chronique (UC) se manifeste par des lésions quasi quotidiennes, survenant pendant au moins six semaines. Les causes possibles sont rarement retrouvées en pratique. L’éruption demeure idiopathique chez les ¾ des patients. On distingue : 1. 2. 3. 4. - l’urticaire chronique spontanée : apparition et durée des crises imprévisibles ; pas de facteurs déclenchants identifiables ; - l’urticaire chronique inductible : identification possible du ou des facteurs déclenchants (contact avec le froid, par exemple). La situation est différente de celle de l’urticaire aiguë, épisode qui survient le plus souvent brutalement et qui est rapidement résolutif ; on observe ici une ou plusieurs poussées qui durent de quelques minutes à quelques heures, sur 4 à 7 jours. L’agent causal est identifiable dans les ¾ des situations. Il s’agit le plus souvent d’un médicament ou d’un aliment, ingéré dans les heures précédant l’éruption3. Une exploration allergologique (prick tests et dosage des IgE spécifiques) permet de déterminer s’il s’agit d’une allergie vraie, IgE médiée, ou d’un mécanisme d’intolérance4. Quatre questions clés à l’officine : la réponse positive à l’une d’elles permet de suspecter une UC spontanée. Observez -vous des plaques rouges et enflées sur le corps, qui ne durent pas plus de 24 h et « se déplaçent », ressemblant à des piqûres d’orties et associées à des démangeaisons ? Observez-vous parfois un gonflement ferme, pâle et douloureux sur le visage ou les extrémités ? Vos crises surviennent-elles de façon spontanée et imprévisible ? Les signes durent-ils plus de 6 semaines ? Physiopathologie 3 La survenue d’urticaire est liée à une vasodilatation aiguë (augmentation de la perméabilité capillaire et extravasation cellulaire), secondaire à la libération de nombreux médiateurs dont l’histamine- par des mastocytes dermiques fragilisés. La dégranulation des mastocytes, à l’origine de ce phénomène, peut être secondaire à : - un mécanisme immunologique faisant intervenir une sensibilisation préalable : il s’agit alors d’allergie par hypersensibilité immédiate, pouvant être médiée par les IgE ; - un mécanisme non immunologique, par histaminolibération non spécifique ou par apport exogène d’histamine ou de tyramine5. Un grand nombre d’infections virales (hépatite B, mononucléose infectieuse, ..) peuvent être aussi à l’origine de la survenue d’une urticaire aiguë ainsi que les piqûres d’Hyménoptères (guêpes, etc …). 4 L’association possible à un choc anaphylactique ou la localisation oropharyngée déterminent la gravité de l’urticaire aiguë. 5 Le déclenchement d’une urticaire est ici dépendant de la « susceptibilité » individuelle (seuil de dégranulation des mastocytes). (source : Gunera-Saad N. et coll, Panorama des urticaires, Décision thérapeutique en médecine générale, 2006) Les mastocytes comportent de nombreux récepteurs qui peuvent être stimulés par un allergène (activation immunologique) mais aussi par un stress (neuromédiateur), la prise de certains médicaments ou aliments, la présence d’auto-anticorps. L’activation entraîne une dégranulation du mastocyte qui va déverser de nombreuses substances dont l’histamine et des médiateurs de l’inflammation (leucotriènes, prostaglandines) qui provoquent les manifestations de l’urticaire. -L’urticaire immunologique est définie comme une urticaire conséquente à l’activation du mastocyte par des effecteurs de l’immunité spécifique, notamment par des IgE spécifiques. -L’urticaire non immunologique est définie par une urticaire conséquente à une activation du mastocyte ne passant pas par des effecteurs de l’immunité. La plupart des urticaires chroniques relèvent d’un mécanisme non allergique : activation des mastocytes cutanés en réponse à de multiples facteurs : physiques, psychologiques (émotion), …. L’urticaire chronique spontanée (UCS) est ainsi une maladie évoluant par poussées, d’origine non allergique, même s’il peut y avoir un contexte atopique. Dans 30 % des cas, la survenue des poussées est favorisée par le stress. Principales causes d’urticaire Principaux urticaires liés à des facteurs physiques - dermographisme : lié à un frottement, il se déclenche par exemple par friction au niveau du poignet à cause d’une montre par exemple. urticaire cholinergique : secondaire à une élévation de la température du corps, après un exercice physique important, un bain chaud ou un stress ; on observe des « semis » de petites papules de 2-3 mm de diamètre, entourées d’un halo érythémateux et transitoires ; urticaire au froid6 : les lésions apparaissent rapidement sur les zones exposées au froid, généralement après un bain de mer ou une douche, une activité sportive au grand vent ou l’ingestion de boissons ou d’aliment froids ; urticaire retardée à la pression : apparaît 4 à 8 heures après une pression importante (marche prolongée, travaux de force, …), peut se prolonger jusqu’à 48 heures. urticaire au soleil. - - 6 C’est la seule forme d’urticaire chronique dans laquelle le pronostic vital peut être engagé (cas d’urticaires généralisées au froid avec angio-œdèmes et anaphylaxie). Danger en cas de baignade. Réactions oropharyngées possibles. Urticaires de contact : apparition de papules au niveau des zones de contact avec une substance chimique ; peut être allergique (IgE médiée) par exemple dans le cas de l’allergie au latex ou non allergique (par exemple lors du contact avec des feuilles de l’Ortie). Parfums et arômes Baume de pérou, acide cinnamique, …. Conservateurs Acide benzoïque, acide sorbique, … Ingrédients de certaines préparations topiques Ethanol, tienture de benjoin, salycilate de méthyle, … Régne animal Coraux, méduses, anémones e mer, papillons de nuit, … Règne végétal Orties, cactus, algues, …. Aliments Moutarde, poivre, thym, pulpe de grenade, …. Quelques agents responsables d’urticaire de contact non immunologique Protéines de latex Gants chirurgicaux, préservatif, bonnet de bain, …. Produits capillaires Colorants (PPD), acrylates, … Produits cosmétiques Sésame, menthe, chlorhexidine, menthol, parabens, … Règne animal et produits dérivés Liquide amniotique, placenta, sperme, … Règne végétal Ficus, lupin, tabac, chrysanthème, lichen, primevères, jacinthes, …. Aliments et produits dérivés Additifs de farine, riz, fruits légumes crustacés fruits de mer, … Chocolat et cacao Boissons alcoolisées fermentées ou distillées Bière, vin, liqueur de noisette, … Quelques agents responsables d’urticaire immunologique de contact Urticaires alimentaires : pseudo-allergie alimentaire7 ou allergie alimentaire vraie. Fromages fermentés (jusqu’à 1 330 mg/g d’histamine) Charcuterie Blanc d’œuf Poissons, crustacés, coquillages Légumes Fruits Emmenthal, parmesan, roquefort, gouda, camembert, …. Saucisson, jambon, foie de porc, ….. Thon, sardine, saumon, anchois, maquereau, œufs de poissons, conserves de poissons, poissons séchés, poissons fumés, … Tomate, épinard, petits pois, choux, choucroute, … Frais, jus, sorbets, glaces confitures, … Bananes, fraises, noix, noisettes, agrumes, … Cacahuètes. Chocolat et cacao Boissons alcoolisées, fermentées ou distillées Bière, vin, liqueur de noisette, … Principaux aliments riches en histamine et histaminolibérateurs Urticaires médicamenteuses (il s’agit surtout d’urticaire aiguë) - d’origine allergique : les lésions apparaissent dans les minutes ou les heures qui suivent la prise du médicament en cause ; - non allergiques : les lésions peuvent apparaître après plusieurs jours, voire plusieurs semaines de traitement : citons, par exemple, l’allergie aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)8. β-lactamines Anesthésiques généraux (curares) Anti-inflammatoires non stéroïdiens, acide acétylsalicylique Inhibiteurs de l’enzyme de conversion Produits de contraste iodés Sérums et vaccins Quelques médicaments responsables d’urticaire 7 Mécanisme non immunologique. La substitution d’un IEC par un inhibiteur du récepteur de l’angiotensine II (sartan) entraîne une récidive des angioœdèmes dans 30 à 40 % des cas. 8 Prise en charge de l’urticaire chronique Prise en charge psychologique : elle est indispensable au traitement, compte-tenu de l’importante altération de la qualité de vie des patients, surtout en cas d’angio-œdèmes (crainte de l’asphyxie). Plusieurs facteurs participent à diminuer la qualité de vie : visibilité des lésions, prurit très invalidant et responsable d’insomnie, survenue imprévisible de l’éruption, …. Des retentissements graves sur la vie socioprofessionnelle sont souvent constatés. Dans près de la moitié des cas, l’UC est associée à de l’anxiété, à des troubles émotionnels, à un syndrome dépressif. Des séances d’éducation thérapeutique sont de plus en plus souvent proposées pour améliorer l’adhésion thérapeutique et la prise en charge globale. A l’officine : 1. Rassurer le patient. 2. Apporter des explications simples et faciles à comprendre sur l’origine de la maladie. 3. Aider le patient à identifier les facteurs déclenchants ou aggravants. 4. Expliquer le bon usage des médicaments utilisés. Suppression des facteurs aggravants ou favorisants l’urticaire, s’ils ont pu être identifiés. Traitement médicamenteux : - Les antihistaminiques anti-H1 de 2e génération9 sont la base du traitement, prescrits initialement à la posologie mentionnée dans l’autorisation de mise sur le marché (1 comprimé / jour). Le traitement anti-H1 est efficace dans 50 à 80 % des cas, mais il faut un délai d’action de 4 à 8 semaines pour que l’UC soit contrôlée. A l’officine : 1. Veiller à une bonne observance du traitement par le patient. 2. Rechercher s’il n’y a pas de prise continue ou intermittente de corticoïdes, de consommation excessive d’AINS, de caféine ou d’alcool. La conférence de consensus française (2003) préconise, en première intention et en monothérapie, les anti-H1, de préférence de 2e génération pendant 4 à 8 semaines. En cas d’échec à l’issue de cette période, il est proposé de remplacer l’anti-H1 par une autre molécule de 2e génération ou d’associer, le soir, un anti-H1 de 1ère génération,. L’efficacité du traitement est réévaluée toutes les 4 à 8 semaines. En cas d’échec de cette 2e ligne de traitement, il est proposé de recourir à un autre anti-H1, seul ou en association. La réunion de consensus d’experts à Berlin en novembre 2012 (4e International Consensus Meeting on Urticaria) à l’issue de laquelle de nouvelles recommandations européennes devraient paraître, préconise : e première ligne : anti-H1 de 2 génération à la dose minimale efficace préconisée dans l’AMM, pendant 2 semaines ; 9 Bilastine, cétirizine, desloratadine, ébastine, féxofénadine, lévocétirizine, loratadine, mizolastine, rupatadine, bilastine. Chez l’enfant, les anti-H1 utilisables sont la cétirizine 10 mg/mL, solution buvable, la desloratadine 0,5 mg/mL, solution buvable, la loratadine 1 mg / mL), sirop. deuxième ligne : si les symptômes persistent à l’issue des deux semaines, augmentation de la posologie de l’anti-H1, jusqu’à 4 fois celle recommandée dans l’AMM ; troisième ligne : si les symptômes persistent 1 à 4 semaines, ajout à l’anti-H1 (pris jusqu’à 4 fois la dose de l’AMM), d’omalizumab ou d’autres molécules utilisées hors AMM (ciclosporine ou montélukast)10. Actualités sur l’omalizumab (HAS, avril 2015) Xolair® (omalizumab), anticorps monoclonal anti-IgE, a désormais une AMM, en traitement additionnel, dans le traitement de l’urticaire chronique spontanée (UCS) chez les patients à partir de 12 ans, ayant une réponse insuffisante aux traitements antihistaminiques anti-H1. La posologie est d’une injection en sous-cutanée (300 mg) toutes les 4 semaines (médicaments à PIH annuelle, prescription initiale et renouvellement réservés aux spécialistes, médicaments d’exception). e Les effets observés sont purement suspensifs et régressent dès l’arrêt du traitement, au 6 mois. Les effets indésirables rapportés sont des réactions au point d’injection, des céphalées, des arthralgies et des myalgies. Les risques cardiovasculaires et ceux liés à l’effet immunosuppresseur (notamment carcinogène) n’ont pas été évalués à long terme. La HAS rappelle que la prise en charge médicamenteuse de l’UCS comporte en première intention les antie histaminiques anti-H1, de préférence de 2 génération, pris quotidiennement de façon préventive (même en l’absence de symptômes) à la dose de 1 comprimé/jour. Si les symptômes persistent après 2 semaines de traitement, la posologie de l’anti-H1 peut être augmentée jusqu’à 4 fois la dose recommandée (posologie hors AMM). Si les symptômes persistent 1 à 4 semaines après cette modification thérapeutique, on peut ajouter à l’anti-H1 pris à une posologie allant jusqu’à 4 fois la dose recommandée par l’AMM, l’omalizumab ou d’autres traitements utilisés hors AMM (ciclosporine ou montélukast). DERMATOLOGIE - Les corticoïdes par voie générale n’ont pas de place dans le traitement de l’urticaire chronique ou aiguë, non allergique. Ils auraient des effets délétères, favorisant la corticodépendance, l’escalade thérapeutique et l’aggravation de l’UC à leur arrêt. Les recommandations européennes les préconisent en cures courtes (3 à 7 jours), dans les exacerbations. L’utilisation de corticoïdes par voie locale n’a aucun intérêt. Danielle Roquier-Charles, pharmacien ©UTIP Association Documents consultés : - 10 ANSM, Société française de dermatologie, Prise en charge de l’urticaire chronique, Conférence de consensus, Ann Dermatol Venereol 2003 ; 130 (Spec n°1) : 182-92. CEDF, Item 114, Allergies cutanéomuqueuses chez l’enfant et l’adulte : l’urticaire, Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 1355, F71-F79. Doutre M.-S., Corticothérapie générale et urticaire : un serpent de mer, Ann Dermatol Venereol 2008 ; 135, éditorial 7-8. Zuberbier T et coll., EAACI/GA(2)LEN/EDF/WAO guideline:definition, classification and diagnosis of urticaria. Allergy 2009;64:1417–26. Soria A., Francès C., Urticaires : diagnostic, prise en charge et traitements, La Revue de Médecine interne 35 (2014) 586-594. Augey F. et coll., Urticaire chronique : actualités physiopathologiques et retentissement sur la prise en charge, Réalités thérapeutiques en dermatovénérologie, n° 238, décembre 2014, 33-37. HAS, Synthèse d’avis Xolair®, avril 2015 La résistance aux anti-H1 à forte posologie doit faire adresser les patients à une structure spécialisée.