Tumeurs bénignes et mastopathies complexes Point de vue du pathologiste Benign tumors and complex mastopathies: Pathologist’s point of view Mots-clés : Lésions mammaires bénignes - Lésions mammaires frontières Macrobiopsie - Immunohistochimie - Néoplasie lobulaire - Carcinome in situ. Keywords: Benign breast lesions - Border-line breast lesions - Vacuum-assisted core biopsy - Immunohistochemistry - Lobular neoplasia - Carcinoma in situ. P. Tranbaloc* L es tumeurs bénignes et les mastopathies complexes correspondent à un ensemble lésionnel très vaste auquel le pathologiste se trouve souvent confronté dans sa pratique quotidienne et soulevant divers problèmes : – classification et définition histologiques des diverses entités morphologiques ; – diagnostic différentiel avec le cancer in situ ou infiltrant ; – potentialité évolutive et filiation entre ces lésions. Le terme de “mastopathie complexe” correspond à la mastopathie fibrokystique commune (mastose) et aux diverses lésions qui l’accompagnent. Il s’agit d’un ensemble lésionnel de nature dystrophique associant des phénomènes hyperplasiques et/ou régressifs, portant sur les éléments épithéliaux et conjonctifs du parenchyme. L’affection se caractérise par un grand polymorphisme lésionnel à la fois qualitatif (association de différentes entités histologiques) et quantitatif. Le déséquilibre estro-progestatif semble jouer un rôle prépondérant dans cette pathologie dont le point de départ est l’unité terminale ductulo-lobulaire (TDLU). * Centre de pathologie, Paris. 340 28es journées de la SFSPM, Lille, novembre 2006 Point de vue du pathologiste On peut classer les mastopathies fibrokystiques en deux groupes : – la mastopathie fibrokystique simple associant fibrose et kystes ; – la mastopathie fibrokystique accompagnée d’une hyperplasie épithéliale (avec ou sans atypie) ou mastopathie proliférante, qui comporte à des degrés divers les modifications histologiques et/ou cytologiques suivantes : • hyperplasie au niveau des canaux galactophores juxtalobulaires : épithéliose, papillomatose, hyperplasie canalaire atypique ; • hyperplasie à l’échelon lobulaire : de l’ensemble des constituants du lobule (adénose), au niveau de chaque ductule lobulaire, hyperplasie lobulaire simple, hyperplasie lobulaire atypique ; • centre prolifératif d’Aschoff. Fibrose Le tissu adipeux et le tissu palléal sont remplacés par du tissu fibreux constitué de fibres de collagène au sein desquelles les structures épithéliales peuvent s’atrophier. Kystes Ils correspondent à une dilatation d’un ductule lobulaire due à une accumulation de sécrétions non résorbées. En nombre variable, ils peuvent mesurer de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre. Ils sont limités par un revêtement épithélial cubique ou en métaplasie apocrine (ou hidrosadénoïde) avec parfois des petites touffes papillaires. Épithéliose, papillomatose, hyperplasie canalaire atypique L’hyperplasie épithéliale canalaire (épithéliose) correspond à une prolifération des cellules épithéliales des canaux galactophores terminaux juxtalobulaires. La prolifération, creusée de cavités fenestrées, donne des images de “courant cellulaire”. Elle est constituée de cellules à noyaux ovoïdes, proches les uns des autres, sans nucléole visible. La papillomatose présente un aspect histologique proche de l’épithéliose, mais la prolifération s’organise autour d’axes conjonctivo-vasculaires bordés d’une double assise cellulaire épithéliale et myoépithéliale. Du point de vue quantitatif, l’hyperplasie épithéliale canalaire comporte un nombre variable de couches cellulaires. Elle peut être légère, modérée ou floride, avec comblement de la lumière du canal. L’hyperplasie canalaire atypique correspond à une prolifération épithéliale comportant des anomalies architecturales et/ou cytologiques dont la morphologie est intermédiaire entre une hyperplasie épithéliale bénigne (épithéliose ou papillomatose) et un authentique carcinome intracanalaire non comédomateux. 28es journées de la SFSPM, Lille, novembre 2006 341 P. Tranbaloc Les espaces glandulaires de la prolifération tendent à s’arrondir, donnant un aspect plus rigide que dans l’épithéliose classique. Les cellules ont des noyaux plus volumineux et nucléolés. Le diagnostic différentiel entre hyperplasie épithéliale floride, hyperplasie atypique et carcinome in situ de faible grade est souvent difficile en raison du manque de reproductibilité du diagnostic. On peut s’aider de l’immunohistochimie. L’hyperplasie canalaire atypique et le carcinome in situ de faible grade n’expriment pas, en principe, les kératines de haut poids moléculaire (CK5 et CK6 ) [1, 2]. Lorsqu’on hésite entre hyperplasie canalaire atypique et carcinome in situ canalaire, il faut tenir compte de la taille de la lésion. On peut retenir le diagnostic d’hyperplasie canalaire atypique si la lésion n’excède pas 2 mm ou si elle est cantonnée à deux canaux séparés [3]. Adénose C’est une hyperplasie de l’ensemble des constituants du lobule mammaire caractérisée habituellement par une augmentation du nombre de ductules lobulaires. La trame conjonctive participe parfois de façon importante au processus. Les cellules myoépithéliales, en proliférant, élaborent une trame collagène qui peut dissocier les ductules lobulaires donnant l’adénose sclérosante. La lésion est souvent le siège de microcalcifications. Lorsque l’adénose concerne de nombreux lobules mammaires contigus, elle peut se présenter cliniquement comme un nodule réalisant une adénose pseudo-tumorale. Lors d’un examen extemporané – surtout en cas de fibrose importante – donnant macroscopiquement un aspect stellaire, le pathologiste peut conclure à tort à la malignité. C’est l’examen à faible grossissement qui est déterminant car il révèle une conservation de l’architecture lobulaire, critère essentiel de bénignité. Les difficultés diagnostiques se rencontrent parfois sur coupes histologiques standards mais l’immunohistochimie apporte une aide en révélant un marquage pour l’actine qui traduit une persistance des cellules myoépithéliales au niveau de chaque ductule [2]. Une variété heureusement rare d’adénose, l’adénose microglandulaire, est une lésion non organoïde ne préservant pas l’architecture lobulaire. Elle constitue une prolifération de petits tubules distribués au hasard dans le tissu fibro-adipeux du sein. Ces tubules étant dépourvus de cellules myoépithéliales, le diagnostic différentiel peut être difficile avec un carcinome tubuleux [4]. Contrairement à ce dernier, la prolifération ne s’accompagne pas de stroma-réaction. Une entité à part est représentée par la métaplasie cylindrique ou blunt duct adenosis [5]. Elle est caractérisée par une dilatation de la lumière des ductules lobulaires dont la bordure épithéliale comporte une ou deux assises de cellules cylindriques. Leur pôle apical, souvent sécrétoire, réalise des petites hernies cytoplasmiques. La lésion peut s’associer à une hyperplasie épithéliale canalaire ou à des atypies cytologiques et architecturales constituant les atypies épithéliales planes. Plusieurs auteurs [6] ont observé 342 28es journées de la SFSPM, Lille, novembre 2006 Point de vue du pathologiste une association entre métaplasie cylindrique (avec ou sans hyperplasie et/ou atypie) et carcinome intracanalaire de faible grade ou carcinome tubuleux. Les atypies épithéliales planes ont été intégrées dans le groupe des Ductal Intraepithelial Neoplasia (DIN), classification qui a été proposée pour les lésions canalaires préinvasives. Celle-ci ne fait pas l’unanimité car elle a l’inconvénient de considérer l’hyperplasie épithéliale canalaire simple comme une lésion précurseur [3]. Hyperplasie lobulaire simple, hyperplasie lobulaire atypique, néoplasie lobulaire L’hyperplasie lobulaire simple répond à une prolifération épithéliale des cellules épithéliales des ductules lobulaires. C’est l’équivalent, à l’échelon du lobule, de l’épithéliose des canaux juxta-lobulaires. Les acini ne sont pas distendus, leur lumière persiste et la prolifération reste discrète. La lésion peut passer inaperçue et est d’ailleurs rarement mentionnée par les pathologistes. L’hyperplasie lobulaire atypique (HLA) se traduit par une prolifération épithéliale des ductules avec comblement partiel de leur lumière par des cellules de petite taille. La distension des ductules est modérée et la lésion peut se propager (atteinte pagétoïde) aux canaux juxta-lobulaires. L’HLA est difficile à différencier du carcinome lobulaire in situ qui, en principe, s’accompagne d’une distension importante des ductules, avec disparition de leur lumière, comblée par une prolifération dense de cellules donnant l’image classique en “sac de billes”. La difficulté de distinguer ces deux lésions a conduit à les regrouper dans un même cadre, celui des néoplasies lobulaires (LN). Par analogie avec les lésions du col utérin, on a proposé une classification des LN en trois grades de sévérité. Les formes comportant un pléiomorphisme cellulaire ou de la nécrose seraient plus agressives [3, 7]. La néoplasie lobulaire doit être différenciée des proliférations épithéliales intracanalaires (hyperplasie canalaire simple ou atypique, carcinome in situ de bas grade). Celles-ci, à l’opposé des lésions lobulaires, expriment en général la cadhérine (marquage membranaire) en immunohistochimie [8]. Il faut enfin connaître les faux aspects de néoplasie lobulaire liés à une mauvaise fixation entraînant un détachement artificiel des cellules épithéliales des acini qui viennent combler la lumière des ductules. La néoplasie lobulaire n’a pas de traduction clinique ou radiologique spécifique. La lésion est toujours une découverte fortuite. Elle est souvent multicentrique et parfois bilatérale. Classiquement considérée comme un facteur de risque de survenue d’un cancer invasif canalaire ou lobulaire dans le sein homo- ou controlatéral, elle pourrait être une authentique lésion précurseur [9]. Certaines altérations génétiques communes aux néoplasies lobulaires et aux carcinomes lobulaires invasifs vont dans ce sens. 28es journées de la SFSPM, Lille, novembre 2006 343 P. Tranbaloc Centre prolifératif d’Aschoff (CPA) ou cicatrice radiaire C’est une lésion mastosique complexe, indurée et stellaire. Elle est généralement de petite taille et de découverte fortuite. Les plus grandes ont une traduction clinique et radiologique pouvant réaliser des aspects pseudo-carcinomateux. D’aspect radiaire, le centre de la lésion, occupé par de la fibrose avec de l’élastose, héberge des formations glandulaires tubuleuses (aspect d’adénose). En périphérie, on observe des lésions de mastopathie fibrokystique avec parfois une hyperplasie épithéliale canalaire. Le diagnostic différentiel se pose avec un carcinome tubuleux. L’association possible des deux lésions pose le problème de leur filiation [10]. Les tumeurs bénignes du parenchyme mammaire sont diverses, pouvant intéresser les structures épithéliales et/ou conjonctives de la glande mammaire. On distingue schématiquement : – les tumeurs épithéliales : papillaires (papillome intracanalaire unique ou multiple) et non papillaires (adénome) ; – les tumeurs mésenchymateuses : angiome, lipome, tumeur à cellules granuleuses… ; – les tumeurs mixtes épithéliales et conjonctives : adénofibrome, tumeur phyllode de grade I. Ces diverses lésions mammaires doivent être identifiées précisément par le pathologiste, ce qui peut être moins aisé sur des biopsies que sur une pièce de tumorectomie. Il est surtout important de sélectionner les patientes pour lesquelles une procédure chirurgicale se justifie. Pour les lésions frontières, un diagnostic d’hyperplasie canalaire atypique nécessite un contrôle histologique car les lésions sont souvent sous-évaluées sur les biopsies par rapport à la tumorectomie. Il n’y a pas de consensus sur la conduite à tenir devant une néoplasie lobulaire, mais une vérification chirurgicale est nécessaire pour celles qui présentent des aspects histologiques péjoratifs à type de nécrose ou de pléiomorphisme cellulaire. Si la signification des atypies épithéliales planes est encore incertaine, il est raisonnable d’en recommander l’exérèse [6]. Certaines lésions bénignes justifient un contrôle histologique. Le centre prolifératif d’Aschoff doit être vérifié pour éliminer un adénocarcinome tubuleux associé [11]. L’association possible pour les lésions papillaires bénignes à des secteurs atypiques ou carcinomateux est en faveur d’une exérèse complète [12]. Un adénofibrome dont la composante conjonctive est hypercellulaire doit être enlevé car le diagnostic différentiel est difficile avec une tumeur phyllode [12]. Le grade de cette dernière ne peut être évalué précisément que sur la pièce d’exérèse chirurgicale. Cependant, il n’est pas raisonnable de proposer un contrôle histologique de tous les fibroadénomes eu égard à leur grande fréquence et à l’extrême rareté des tumeurs phyllodes. En revanche, il faut le proposer pour tous les fibroadénomes apparaissant après 25 ans ou ceux de croissance rapide quel que soit l’âge. Enfin, le mucocèle, susceptible de coexister avec un carcinome in situ ou un carcinome colloïde muqueux, doit faire l’objet d’un contrôle histologique [13]. 344 28es journées de la SFSPM, Lille, novembre 2006 Point de vue du pathologiste La frontière entre certains types lésionnels, on l’a vu, est étroite et subjective et il ne faut pas hésiter le cas échéant à demander l’avis d’un expert. Le diagnostic doit toujours être en concordance avec le contexte clinique et radiologique. Il est essentiel que le compte-rendu donne une formulation claire des lésions observées. Il indiquera toujours, en cas de microcalcifications, si celles-ci sont présentes ou non dans les prélèvements. Il est primordial que l’aspect histologique soit rapporté à l’image radiologique ou au contexte clinique. Le diagnostic et l’optimisation de la prise en charge des patientes ne se conçoit que dans un contexte multidisciplinaire reposant sur un dialogue étroit entre chirurgien, radiologue et pathologiste. Références bibliographiques [1] Rabban JT, Koerner FC, Lerwill MF. Solid papillary ductal carcinoma in situ versus usual ductal hyperplasia in the breast: a potentially difficult distinction resolved by cytokeratin 5/6. Hum Pathol 2006;37(7):787-93. [2] Moriya T, Kasajima A, Ishida K et al. New trends of immunohistochemistry for making differential diagnosis of breast lesions. Med Mol Morphol 2006;39(1):8-13. [3] Dauplat MM, Penault-Llorca F. Classification of preinvasive breast and carcinoma in situ: doubts, controversies, and proposal for new categorizations. Bull Cancer 2004;91(Suppl. 4):S205-S210. [4] Rosen PP. Microglandular adenosis. 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