Nouveaux Cahiers d’allemand 2002/2 20ème année
Thierry Grass (LLI, CNRS UMR 7546 ; Université de Tours)
Nicole Schecker (Université de Fribourg-en-Brisgau)
La traduction automatique dans le cours de traduction
Résumé : Cet article traite de l’emploi d’un logiciel de traduction automatique en cours
de version avec des germanistes et de thème avec des germanistes dans le cadre universi-
taire. Les techniques de bases du travail avec la traduction automatique y sont d’abord ré-
sumées de même que sont données des pistes quant à son exploitation didactique. Est
abore ensuite, toujours dans une perspective didactique, l’évaluation linguistique de la
traduction automatique : les auteurs insistent sur le fait de ne pas établir un bilan unique-
ment critique sur les logiciels de traduction automatique existants.
Les outils d’aide à la traduction sont définis de la façon suivante (Newton,
1992 : 2) : « Des systèmes créés pour faciliter la traduction humaine par le biais
de logiciels de gestion de la terminologie, d’un accès instantané à des dictionnai-
res en ligne ainsi que d’autres outils. »1 Les logiciels de traduction automatique
étant, toujours selon Newton (1992 :2) des « systèmes effectuant l’analyse syn-
taxique d’un texte de départ pour générer une interprétation de celui-ci dans une
langue d’arrivée en tentant de préserver et de reconstituer ses particularités sé-
mantiques et stylistiques. »2
Aujourdhui, le traducteur professionnel travaille devant un ordinateur, les dic-
tionnaires-papiers sont de plus en plus supplantés par des dictionnaires électro-
niques et les outils de traduction incluent aussi ce qu’on appelle les « mémoires
de traduction », les bases de données terminologiques ainsi que les logiciels de
traduction automatique.
Dans l’enseignement en langues vivantes, la traduction constitue un enjeu non
négligeable dans la mesure où elle établit des ponts entre langue maternelle et
langue étrangère et permet une approche réflexive de lune comme de l’autre.
L’enseignement de la traduction dans les cursus pour germanistes en France ou
pour romanistes en Allemagne reste souvent très traditionnel. Nous n’entrerons
pas ici dans une polémique sur la méthodologie de l’enseignement de la traduc-
tion, mais nous retracerons les éléments d’une marche visant à intégrer les
outils informatiques de traduction dans l’enseignement de l’allemand et du fran-
çais à luniversité, notamment les logiciels de traduction automatique, et ceci
pour deux raisons principales : d’une part, les étudiants en langues seront de plus
en plus confrontés à ce genre d’outils dans leur vie professionnelle, d’autre part
ces outils ont le mérite de favoriser la progression dans l’apprentissage des tech-
niques de traduction.
1 (Traduit par nos soins) “Systems designed to facilitate human translation through providing a terminology management
system, instant access to on-line dictionaries, and other utilities.
2 (Traduit par nos soins) “Systems which perform a syntactic analysis of a source text and then generate a target language
rendering thereof which seeks to preserve and reconstitute its semantic and stylistic elements.”
Th.Grass & N.Schecker
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Dans un article paru dans le numéro précédent de cette revue (2002/1), nous
avons tenté d’expliquer comment fonctionnait le système du transfert utilisé par
la plupart des logiciels commerciaux de traduction automatique et nous n’y re-
viendrons pas ici. Ce qui nous intéresse est plutôt de montrer dans quelle mesure
la traduction automatique est différente de la traduction humaine et nous avons
eu lidée de comparer les erreurs des logiciels de traduction automatique avec
les erreurs de nos étudiants, notre démarche se plaçant avant tout sur le terrain
linguistique et accessoirement didactique, bien que ni l’un ni l’autre des auteurs
nait de compétences particulières dans ce dernier domaine en dehors de leur
exrience d’enseignement.
Wolfram Wilss, lun des grands noms de la traductologie en Allemagne écrit à
propos de la traduction automatique (1988 : 144) : « Lenjeu de la traduction
automatique n’est rien de moins que la tentative de réduire des processus men-
taux d’une extraordinaire complexité se réalisant en une fraction de seconde
dans une interaction du cerveau et de la conscience à une opération pouvant être
accomplie par un ordinateur appliquant les procédures qui lui sont propres ».
Entre un humain et une machine, les procédures automatiques et les processus
mentaux qui conduisent à une traduction diffèrent totalement. L’humain qui dis-
pose d’une « connaissance du monde », d’un bagage cognitif (Lederer, 1994 :
194) cherche à donner du sens, inclut une composante intentionnelle dans son
énoncé (visée illocutoire / perlocutoire) alors que la machine qui dispose de res-
sources lexicales et syntaxiques certes non négligeables ne fait qu’appliquer une
combinatoire qui ne relève - in fine - que de la syntaxe et d’une sémantique for-
malisée la plupart du temps sommairement. Nous tenterons ici de décrire notre
utilisation de la traduction automatique dans les enseignements de traduction en
Allemagne avec des romanistes et en France avec des germanistes sous la dou-
ble perspective de lapprentissage de nouvelles techniques de traduction et de
leur évaluation critique.
I. La traduction automatique dans l’enseignement et ses limites
Il y a une vingtaine d’années l’analyse des erreurs3 était très en vogue en Alle-
magne comme procédé didactique. Dans un premier temps elle a conduit à
l’élaboration de matériels didactiques prenant en compte la fréquence et la na-
ture des erreurs répertoriées. En 1999, sur la base de nouvelles théories de
l’apprentissage, H.-J. Heringer4 propose un programme interactif « Aus Fehlern
lernen » dont lidée directrice est que lerreur, considérée comme créative, peut
être par elle-même source d’apprentissage. L’apprenant est ainsi amené à recon-
3 Nous ne rentrerons pas dans la polémique didactique sur les termes pour nous synonymes de fautes et d’erreurs.
4 Deutsche Philologie DaF/DaZ Universität Augsburg 1999 : http ://www.philhist.uni-augsburg.de/Fa...ANIS/daf/Forschung/
fehler/analyse.html
Traduction automatique et didactique
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naître les erreurs dans un texte en langue étrangère, puis à les corriger en justi-
fiant ses corrections, ce qui se fait en quatre phases :
1. Localisation de l’erreur.
2. Identification de lerreur.
3. Correction de l’erreur.
4. Évaluation de lerreur : s’agit-il d’une erreur « logique »?
Le programme, s’adressant à des étudiants débutants en allemand langue étran-
gère ne traite pratiquement que des problèmes lexicaux et grammaticaux de
base. Le corpus proposé à la correction est composé de différentes productions
d’apprenants étrangers et de ce fait hétérogène. Pour intéressant qu’il soit, ce
programme ne permet de résoudre qu’un nombre restreint d’erreurs reposant sur
lignorance d’une règle ou son emploi inadéquat. Il n’en reste pas moins que le
processus actif de repérage et que la formulation d’hypothèses permettent
d’améliorer et d’accélérer l’apprentissage d’une langue étrangère.
Bien que procédant d’une idée similaire, notre démarche diffère toutefois en de
nombreux points de cette dernre. La traduction automatique (désormais TA)
offre de toutes autres possibilités dans la mesure où un logiciel traduira toujours
un texte donné de la même façon, ou tout au moins selon les mêmes principes,
avec une constance immuable quant aux erreurs commises. D’ailleurs, un logi-
ciel de TA ne commet pas d’erreurs mais répercute systématiquement des insuf-
fisances au niveau de sa programmation. Le but poursuivi par l’utilisation de la
TA en cours de traduction ne saurait être uniquement un apprentissage renforcé
et amélioré de structures, mais bien plus la prise de conscience des processus
mis en oeuvre pour parvenir à une traduction satisfaisante qui nécessite outre les
connaissances linguistiques la prise en considération de connaissances extralin-
guistiques (Lederer, 1994 : 186). Il existe en fait une complémentarité entre le
logiciel qui effectue une analyse syntaxique rigoureuse et le traducteur qui syn-
thétise les données sémantiques.
Le choix de la direction de traduction n’est d’ailleurs pas un critère négligeable
et les comportements ne seront pas les mêmes selon que les apprenants tradui-
sent vers leur langue maternelle ou vers la langue étrangère. Et c’est parfois avec
étonnement que nous avons constaté une confiance démesurée des apprenants
dans les versions proposées par le logiciel de traduction automatique. Ce n’est
qu’après un temps de familiarisation que ceux-ci ont pu avoir un certain recul
critique et une approche plus analytique des problèmes. L’apprenant aguerri aux
pièges du thème se montre toutefois dès l’abord beaucoup plus méfiant et cher-
che à prouver sa supériorité par rapport à la machine.
Dans une première partie, nous présenterons les éléments à introduire pour dé-
mystifier et utiliser à bon escient la TA. Nous proposerons dans la deuxième
partie une grille d’analyse des erreurs commises par les logiciels de TA suscep-
Th.Grass & N.Schecker
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tible d’être réexploitée. Dans ce travail, nous avons principalement utililes
logiciels Langenscheidt T1 et Reverso pro.
A. La complexité de la traduction automatique
me si l’on ne considère que les faits de langues, la complexité de la traduc-
tion automatique est à rattacher à la complexi de la langue et principalement
au figement et à la polysémie. Le figement comprend tous les mots composés,
locutions et autres phraséologismes, la polysémie inclut tous les mots ayant plu-
sieurs significations selon le contexte, or la plupart des programmes de traduc-
tion automatique destinés au grand public traitaient encore, jusqu’à une époque
récente, le texte quasi immanquablement mot par mot (traduction directe). À
l’heure actuelle,me si la séquence de traitement reste la phrase, la majori
des programmes utilisant la technique du transfert n’ont plus de difficultés avec
un grand nombre de composés qui autrefois posaient problème, le traitement des
locutions laissant toutefois encore à désirer :
(1) Donne-moi le tire-bouchon!
(2) Paul est un tire-au-flanc.
(3) De plus, il ment comme il respire.
(T1) Gib mir den Korkenzieher!
(T2) Paul ist ein tire-au-flanc.
(T3) Außerdem lügt er, da er atmet.
(Langenscheidt T1)
(T’1) Gib mir den Korkenzieher!
(T’2) Paul ist ein Drückeberger.
(T’3) Außerdem belügt er wie er einatmet.
(Reverso pro)
La polysémie est plus délicate à traiter dans la mesure où elle suppose un codage
à la fois des prédicats et de leurs arguments ; or la plupart des programmes pos-
sèdent rarement tous les sens possibles d’un mot, c’est-à-dire tous les supports
possibles d’un prédicat donné :
(4) Paul a abattu son frère avec sa carabine. (erschies-
sen)
(5) Paul a abattu un arbre avec une hache. (fällen)
(6) Paul a abattu une cloison dans son appartement.
(einreissen)
(T4) Paul hat seinen Bruder mit seinem Karabiner
erschossen.
(T5) Paul hat einen Baum mit einer Axt niedergerissen.
(T6) Paul hat eine Wand in seiner Wohnung. niederge-
rissen.
(Langenscheidt T1)
(T’4) Paul hat seinen Bruder mit seinem Karabiner
niedergerissen.
(T’5) Paul hat einen Baum mit einer Axt niedergeris-
sen.
(T’6) Paul hat eine Zwischenwand in seiner Wohnung
niedergerissen.
(Reverso pro)
Aux problèmes de figement et de polysémie, il faudrait adjoindre celui du regis-
tre de langue qui n’est pas non plus pris en compte, comme en témoignent les
exemples suivants.
Traduction automatique et didactique
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(7) Je vous prie de bien vouloir prendre la porte. (ver-
lassen Sie bitte den Raum)
(8) Partez s’il vous plaît! (verlassen Sie bitte den
Raum)
(9) Allez-vous-en! (weggehen)
(10) Cassez-vous!(abhauen)
(11) Mes hommages, Madame! (meine Hochachtung)
(12) Bonjour Madame! (Guten Tag)
(13) Salut ma vieille! (Grüss Dich)
(T7) Ich bete zu Ihnen, gut die Tür nehmen zu wollen.
(T8) Gehen Sie bitte weg!
(T9) Gehen Sie-Sie-in!
(T10) Zerbrechen Sie!
(T11) Meine Huldigungen, Frauen!
(T12) Bonjour Frau!
(T13) Wohl meine alt!
(Langenscheidt T1)
(T’7) Ich bitte Sie Tür.
(T’8) Gehen Sie bitte!
(T’9) Gehen Sie daher!
(T’10) Gehen Sie kaputt!
(T’11) Meine Huldigungen, Frau!
(T’12) Guten Tag Frau!
(T’13) Hallo meine Alte!
(Reverso pro)
Les difficultés de la traduction automatique résultent de la difficulté à traiter de
façon intégrée des propriétés syntaxiques, lexicales et sémantiques, faute de dic-
tionnaires électroniques adéquats, c’est-à-dire associant à un prédicat son sup-
port approprié. De fait, par une simple analyse des critères formels, l’ordinateur
doit être en mesure de prendre des décisions de sélection quun être humain dé-
duit de sa connaissance du monde.
B. D’après quels critères juger un programme de traduction au-
tomatique?
Aux problèmes de polymie et de figement précédemment évoqués, il faut
ajouter un troisième problème que nous avons stigmatisé comme une non-
connaissance du monde de la part de l’ordinateur. Si nous essayons de formali-
ser ce concept au niveau de la traduction automatique par rapport à un texte,
nous nous apercevons quil n’est alors pas seulement question du sens en tant
que tel et de son intégration à un système de référence. Au niveau du texte, on
remarque toujours ce qu’il est possible d’appeler une démarche incrémentale. La
lecture humaine du texte est linéaire, ce qui implique que le sens d’une phrase se
construit par rapport au sens de la phrase précédente qui est gardé en mémoire.
Au niveau de la traduction automatique, la traduction a lieu selon un mode sé-
quentiel, phrase par phrase et l’ordinateur vide sa mémoire tampon entre chaque
nouvelle phrase sans en garder aucune trace. Ainsi, lorsqu’on juge un pro-
gramme de traduction automatique, il n’est pas possible d’employer les mêmes
critères que ceux qui prévalent pour évaluer une traduction humaine. Du fait que
l’ordinateur recommence à chaque phrase une nouvelle analyse et une nouvelle
synthèse, la cohérence, les phénomènes de référence et d’inférence se voient to-
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