Séminaire 4635.042, SL 21

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Séminaire 4635.042, SL 21
23 novembre 2009
LES MODALITES : ANALYSE DE TEXTES LITTERAIRES ET JOURNALISTIQUES
Exercice 1 – Analysez les exemples suivants en vous basant sur le modèle de classement des
modalités proposé par Le Querler (1996). Proposez pour chaque exemple une
correspondance avec les catégories modales établies par le classement linguistique
traditionnel des modalités.
Le classement traditionnel des modalités en linguistique repose essentiellement sur les
modalités logiques. Les limites de ce classement résident dans la multiplication des
catégories modales et dans l’ambigüité de certaines d’entre elles. Pour tenter de pallier ces
problèmes, Le Querler (1996) propose donc un classement organisé autour de l’énonciateur
(sachant qu’une modalité renvoie à l’attitude de celui-ci sur le contenu propositionnel de
son énoncé) : modalités subjectives, intersubjectives et objectives.
Ici, tous les énoncés sont modalisés à l’aide du marqueur modal pouvoir. Ce dernier est un
marqueur polysémique (un même marqueur qui va pouvoir porter plusieurs valeurs
modales). Il est toutefois difficile, dans certains cas, de déterminer quelle est la valeur
modale de ce verbe. Pour Le Querler (1996), il s’agit de définir une valeur de base sousdéterminée (la possibilité abstraite) et des effets de sens qui découlent du contexte dans
lequel est actualisé le verbe modal pouvoir.
Pour chaque énoncé, nous proposerons donc :
1. l’effet de sens attaché au verbe modal pouvoir, effet découlant de son contexte
d’emploi (cotexte et situation)
2. la catégorie issue du modèle de Le Querler
3. la catégorie traditionnelle
(a) Il peut crier, c’est pas pour ça que je changerai d’avis
1. concession
2. modalité objective
3. modalité implicative
Peut être paraphrasé par : Même s’il crie, je ne changerai pas d’avis
(b) Mais qu’il peut être bête ce chat
1. intensification
2 et 3. modalité subjective appréciative
Je trouve que ce chat est particulièrement bête
(c) Comment ce garçon peut autant dormir, c’est un truc que je me demande souvent
1. délibération
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2. modalité subjective
3. modalité épistémique
Je ne sais pas pourquoi ce garçon dort autant
(d) Tu peux fermer la fenêtre ?
1. suggestion
2 et 3. modalité intersubjective
Je te suggère de fermer la fenêtre
(e) Pour avoir de meilleurs résultats, tu peux demander de l’aide à Jean
1. justification de la relation prédicative
2 et 3. - plusieurs possibilités de classement :
-
Modalité objective implicative
Modalité intersubjective
Pour avoir de meilleurs résultats, je te conseille de demander de l’aide à Jean
Exercice 2 – Analysez les valeurs modales actualisées dans les exemples proposés ci-dessous.
(a) Voici qu’il se trouve face à une nouvelle énigme, une petite énigme de rien du tout,
cette fois, qu’il est sans doute le seul à percevoir et qui l’intrigue fort, celle que lui
pose ce petit garçon d’un an et demi qui ne parle pas encore (Pontalis, J.-B., 2000 :
93)
Sans doute = modalité subjective épistémique (de probabilité)
Il est probable qu’il soit le seul à le percevoir
Ici, il est intéressant de noter que la valeur modale contredit le signifié du syntagme
adverbial sans doute : devrait renvoyer à la certitude
le tout a acquis un sens différent de
la combinaison de ses parties
Pour être dans le domaine du certain, il faudrait utiliser le syntagme adverbial sans aucun
doute
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(b) Plus récemment, un raisonnement du même type est sous-jacent au refus de la
poésie elle-même par certains (et certains de ses poètes, hélas !) : « si untel est
poète, alors je ne suis pas poète » ou « si la poésie est cela, c’est que la poésie est
morte » ; etc. (Roubaud, J., 2000 : 54)
Hélas = modalité subjective appréciative (point de vue psychologique de l’énonciateur par
rapport au contenu mis en circulation)
(c) Chère amie, il y a, partant de Paris, des trains qui partent à 11 heures, midi et 4h25
du soir et qui arrivent à 1h, 1h50 et 6h15, et ceux partant de Rouen sont à 10h35,
1h25 et 4h25. Celui qui me conviendrait le plus serait celui de 1h25 (express). Mais
comme il arrive à 3h39 à Mantes, cela te ferait attendre deux heures (en prenant, toi,
celui qui part à midi). Il vaut mieux que je parte à 10h et demie et toi à 11h précises.
Tu seras arrivée à 1h juste et moi à 1h15. Ainsi c’est convenu, prends le train de 11h.
Tu auras seulement un quart d’heure à m’attendre.
Qui me conviendrait le plus = modalité subjective appréciative
Je trouve que celui-ci me conviendrait mieux
Serait = modalité subjective épistémique
Celui qui me conviendrait le mieux est sans doute celui de 1h25
Te ferait attendre : modalité subjective épistémique = peut-être
Il vaut mieux que je parte à 10h et demie et toi à 11h précises
Deux interprétations possibles :
-
Modalité subjective appréciative : je pense qu’il est mieux que je parte…
-
Modalité intersubjective : je suggère que je parte à 10h et toi à 11h
Tu seras arrivée à 1h juste et moi à 1h15
Modalité subjective épistémique : univers du certain = il est certain que tu arrives à 1h
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C’est convenu
Deux interprétations possibles :
-
Modalité intersubjective : en le disant, il ratifie un accord passé entre les participants
(=acte de langage)
-
Modalité subjective épistémique : domaine du certain
Prends le train de 11h
Modalité intersubjective : je t’ordonne/t’impose de prendre le train de 11h
Tu auras seulement un ¼ d’heure à m’attendre
Modalité subjective épistémique : il est certain que
(d)
-
Dis-moi, Edmond, vous avez un piano chez vous ?
-
Mais… oui. Un piano droit. Pourquoi ? Tu joues du piano ?
-
De temps en temps. Du Chopin. Surtout. La Valse de l’Adieu. Il paraît que je crée
ainsi une ambiance qui ne s’oublie plus. (Schreiber, B., 1996 : 239)
Dis-moi
Modalité intersubjective : suggestion
De temps en temps
Modalité temporelle (univers du parfois) = à classer dans les modalités subjectives
Il paraît que
Modalité subjective épistémique = il est envisageable que
On peut évoquer ici les effets de ce marqueur de modalité épistémique :
-
-
désinvestissement de l’énonciateur au profit d’une autre voix énonciative = des
gens ont dit que…
marquage des sources du savoir : le contenu propositionnel préexiste à l’énoncé
de l’énonciateur = reprise d’une connaissance préexistante (l’énonciateur fait
comme s’il rapportait des paroles précédemment tenues)
tout cela participa à l’objectivation de la pertinence du contenu
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Exercice 3 – Repérez dans le texte suivant les marqueurs de modalités et identifiez la valeur
qui leur est associée.
Enquête sur les ordures : des « pratiques dévoyées » pourraient être révélées
Une information judiciaire contre X a été ouverte au mois d'octobre par le parquet de
Marseille sur l'attribution du marché des ordures ménagères à Marseille, ce qui confirme
une information du site Bakchich.info. Cette enquête a été confiée au juge d'instruction
Charles Duchaine de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille (JIRS). Selon nos
informations, ces investigations font suite à une dénonciation anonyme adressée le mois
dernier à la justice marseillaise.
De source judiciaire, on précise toutefois que les investigations n'ont pas encore commencé :
"Qu'on nous laisse faire notre travail dans la sérénité", précise aujourd'hui une source
proche de l'enquête. "Des pratiques dévoyées" pourraient être mises au jour si l'on en croit
cette même source qui ne cache pas que les investigations pourraient s'étendre au-delà de
la collecte proprement dite des ordures ménagères. Le parquet de Marseille se refusait ce
matin à toute déclaration sur le contenu de cette procédure.
(La Provence, publié le 17 novembre 2009)
Des caractéristiques du texte journalistique :
- modalités temporelles : au mois d’octobre, le mois dernier, aujourd’hui, ce matin
Avancée progressive dans le temps : des informations les plus anciennes aux informations
les plus récentes (du connu à l’inconnu)
→ Correspond à l’organisation de la structure informationnelle thème/rhème (informations
connues/informations nouvelles)
-
modalités épistémiques : selon nos informations, de source judiciaire, pourraient,
si l’on en croit cette même source, pourraient, + les guillemets sur le plan
graphique (peut se traduire à l’oral par une certaine intonation)
Permet au journaliste-énonciateur de placer son texte dans l’univers du
probable et de se prémunir contre les infirmations que l’on pourrait poser
sur le contenu de ses énoncés
Grâce aux marqueurs de modalités, rend compte de la manière dont il a
acquis les informations qu’il met à son tour en circulation
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Déresponsabilisation de l’énonciateur : ce n’est pas lui qui parle, il donne
au contraire la parole à une autre voix que la sienne
Objectivation du contenu → permet d’asseoir son discours sur des
discours antérieurement tenus, et donc de renforcer la crédibilité de son
discours
-
modalités intersubjectives déontiques (autorisation/permission/interdiction) : se
refusait
[peut aussi être classé comme modalité subjective = volonté du sujet]
-
modalité subjective épistémique (aller vers plus de précisions, plus
d’informations, donc plus de certitude) ou modalité intersubjective (réaliser un
acte par le fait de prononcer le mot « préciser ») : précise
Exercice 4 – Repérez les marqueurs de modalités, identifiez leurs valeurs modales, et précisez
ensuite leurs portées.
Charles et Hal sont deux jeunes gens qui se préparent à partir dans le Grand Nord à la
recherche d’or. Ils rachètent pour ce faire un traîneau et un équipage de chiens. Alors qu’ils
sont en train de charger leurs bagages sur le traîneau, leur inexpérience en la matière
suscitent la curiosité des habitants du village.
Charles et Hal déposèrent les menus bagages restant au sommet de l’impressionnant
chargement.
- « Vous croyez qu’ ça va tenir ? demanda l’un des hommes.
- Pourquoi pas ? répliqua Charles assez sèchement.
- Bon, bon, ça va, se hâta de dire l’autre, d’un ton humble. Je m’demandais, c’est tout. Ca
m’avait l’air un rien branlant vers le haut. »
Charles lui tourna le dos et fixa les sangles du mieux qu’il put, c’est-à-dire franchement mal.
- « Et naturellement les chiens peuvent très bien avancer toute la journée avec un truc pareil
derrière eux, affirma un autre.
- Parfaitement », fit Hal avec une politesse glacée. Il saisit d’une main la perche de guidage,
et brandit son fouet de l’autre en criant : « En avant ! Allez, en avant ! »
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Les chiens se jetèrent contre le harnais de leur poitrail, tirèrent quelques instants avec
vigueur, puis relâchèrent leurs efforts. Ils étaient incapables de mettre le traîneau en
marche.
- « Bande de fainéants ! Vous allez voir ! » hurla Hal. Et il se préparait à les cingler de son
fouet.
(Jack London, L’appel de la forêt, 1903 : 69)
I. REPERAGE ET VALEURS DES MODALITES
Une modalité qui domine cet extrait
-
Modalité subjective appréciative
 Attitudes psychologiques que le locuteur prête à ses personnages
Assez sèchement
D’un ton humble
Avec une politesse glacée
En criant
Hurla
 Attitudes psychologiques du locuteur
Franchement mal
-
Modalité intersubjective
Des actes de langage indirect
Vous croyez qu’ ça va tenir ?
Le personnage sait déjà que le chargement ne tiendra pas : ce n’est pas ici une vraie
question
Implicitement, il essaie d’amener l’autre à refaire son chargement
(Idem que « tu trouves pas qu’il fait chaud » pour « ferme la fenêtre »)
-
Modalité subjective épistémique : je m’demandais (=je ne sais pas)
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-
Modalité subjective aléthique (capacité/possibilité) [peut aussi être classé dans
la catégorie modalité subjective appréciative] : ils étaient incapables/du mieux
qu’il put
Cas particulier 1 : Et naturellement les chiens peuvent très bien avancer toute la journée avec
un truc pareil derrière eux
Pour comprendre le sens implicite de cet énoncé, la prise en compte du contexte est
indispensable
Si on ne prend pas en compte le contexte, on pourrait proposer cette logique modale :
Naturellement : modalité subjective épistémique = certitude
Les chiens peuvent très bien = modalité subjective aléthique (être capable de)
Toute la journée = modalité temporelle
Et conclure à l’inscription de l’énoncé dans cet univers: certitude et capacité
Mais si on considère le cotexte de cet énoncé : on arrive à l’interprétation inverse
Cette interprétation résulte des échanges qui ont lieu entre les personnages : la modalité va
se construire dans et par le dialogue
Les inscriptions par l’énonciateur de son énoncé dans les univers du certain et du possible
sont fictives : nous sommes dans le domaine de l’ironie
On se retrouve donc avec les mêmes modalités, mais inversées :
Modalité épistémique : incertitude
Modalité aléthique : incapacité
Modalité temporelle : jamais
Dans quelle catégorie placer cette sur-modalité ?
-
modalité appréciative ? Ironie peut refléter l’attitude psychologique du locuteur
-
modalité intersubjective ? Ironie, en flouttant le sens de l’énoncé (deux sens
possibles : le sens littéral et le sens décalé), peut s’apparenter à la volonté du
locuteur d’amener son allocutaire à renoncer à son départ
Cas particulier 2 : Et il se préparait à les cingler de son fouet
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Ici, un processus d’énallage → on s’attendrait à un passé simple
Pourquoi le verbe est-il à l’imparfait ?
(1) Renvoie à un fait du passé qui ne s’est pas encore produit et qui serait la conséquence
d’un autre événement : domaine de l’hypothétique
Un monde hypothétique qui peut se situer à un moment non précisé de la ligne du temps
Diminue la force assertive que l’énoncé aurait eu avec le passé simple (il se prépara à les
cingler de son fouet)
Permet de garder le lecteur dans le doute : l’action va-t-elle ou non se concrétiser ?
(2) Renvoie à un procès qui marque une propriété du sujet : une habitude (la violence) qui
caractérise la personnalité du personnage
Permet de construire l’identité du personnage
Une double interprétation modale :
1) Modalité épistémique (l’hypothétique se rapproche du probable)
2) Modalité appréciative (un point de vue du narrateur sur son personnage)
II. PORTEE DES MODALITES
1. Portée intra-prédicative (modalité de re)
[Sujet – MODALITE – verbe]
Charles lui tourna le dos et fixa les sangles du mieux qu’il put
Pourquoi pas ? répliqua Charles assez sèchement
Bon, bon, ça va, se hâta de dire l’autre, d’un ton humble
Je m’demandais, c’est tout
Parfaitement », fit Hal avec une politesse glacée
Il brandit son fouet de l’autre en criant : « En avant ! Allez, en avant ! »
Ils étaient incapables de mettre le traîneau en marche.
- « Bande de fainéants ! Vous allez voir ! » hurla Hal
Et il se préparait à les cingler de son fouet
2. Portée extra-prédicative (modalité de dicto)
MODALITE → [sujet – verbe]
Charles lui tourna le dos et fixa les sangles du mieux qu’il put, c’est-à-dire franchement mal
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3. Au-delà du prédicat ?
Comment définir la portée des modalités véhiculées par les énoncés suivants :
Vous croyez qu’ ça va tenir ? demanda l’un des hommes
Et naturellement les chiens peuvent très bien avancer toute la journée avec un truc pareil
derrière eux, affirma un autre
Dépasse le cadre de l’énoncé : c’est l’énoncé dans son entier qui est une modalité
Obligé de sortir du cadre restreint du prédicat pour se placer à l’échelle du discours (du texte
dans son ensemble)
Cs modalités vont donc porter sur le cotexte (les énoncés avant et après) tout en dépendant
du contexte (des hommes expérimentés et des hommes non expérimentés refusant de
profiter de leurs conseils)
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