Concept de réminiscence : évolution et

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Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2015 ; 7 (2) : 117-26
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Concept of reminiscence:
evolution and applications in clinical
practice among elderly
and in Alzheimer’s disease
Camille Talbot-Mahmoudi
Service de médecine physique
et de réadaptation, Hôpital Sébastopol,
CHU de Reims, 48, rue de Sébastopol,
51092 Reims cedex
<[email protected]>
Pour citer cet article : Talbot-Mahmoudi
C. Concept de réminiscence : évolution et
applications en pratique clinique auprès de
sujets âgés et dans la maladie d’Alzheimer.
Rev Neuropsychol 2015 ; 7 (2) : 117-26
doi:10.1684/nrp.2015.0343
doi: 10.1684/nrp.2015.0343
Concept de réminiscence :
évolution et applications en pratique
clinique auprès de sujets âgés
et dans la maladie d’Alzheimer
La réminiscence se définit comme un processus, volontaire
ou involontaire, de remémoration de souvenirs personnels
du passé, issus de la mémoire autobiographique et qui peut être réalisée de façon individuelle
ou en groupe. Pourtant le terme de réminiscence, largement utilisé dans la prise en charge
non-médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer, nécessite d’être davantage défini dans ses
différents processus et fonctions. Après avoir exposé l’évolution du concept de réminiscence
au cours des trois dernières décennies, nous présentons les différents modèles théoriques
décrits dans la littérature et proposons à partir d’études cliniques les applications pratiques
possibles auprès des personnes âgées et des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, en particulier de la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, les principales limites des études
actuelles consistent en l’absence de prise en compte des différents types de réminiscences
dans les prises en charge de type « atelier de réminiscences », des spécificités de la population ciblée et de ses besoins, ce qui est pourtant indispensable afin d’établir avec justesse
méthodologique un effet positif de ce type d’intervention.
Résumé
Mots clés : réminiscence · mémoire autobiographique · souvenirs épisodiques · soi · maladie
d’Alzheimer
Abstract
The reminiscence is defined like a process, volitional or
non-volitional, of recollecting memories of one’s self in
the past, from autobiographical memory and which can be achieved individually or in a
group way. Nevertheless the term of reminiscence widely used in non-medicated care in
Alzheimer’s disease, needs to be further defined in its various processes and functions.
After explaining the evolution of the concept of reminiscence over the last three decades,
we present the different theoretical models described in the literature and we propose,
from clinical studies, possible practical applications among healthy older subjects and
people with neurodegenerative diseases, particularly Alzheimer’s disease. However, the
main limitations of existing studies consist in the lack of consideration of different types
of reminiscence in intervention’s type « reminiscence workshop », of specificities of the
targeted populations and their needs, which are essential to establish a methodological
accuracy positive effect of these interventions.
Correspondance :
C. Talbot-Mahmoudi
Key words: reminiscence · autobiographical memory · episodic memories · self · Alzheimer’s disease
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Introduction
Depuis plusieurs années, un renouveau des pratiques en neuropsychologie se met en marche face à
l’importance croissante des prises en charge dites « non
médicamenteuses » auprès des patients présentant des
lésions cérébrales, que ces lésions soient focales ou de
nature neurodégénérative. La neuropsychologie a pour
champ d’action d’une part l’évaluation du patient présentant des troubles cognitifs et/ou du comportement,
et d’autre part la prise en charge de ces troubles. Un
grand nombre de thérapies ont été développées dans le
champ de la neuropsychologie, certaines avec une efficacité avérée notamment pour les patients jeunes ayant des
lésions focales telles que les méthodes de « time pressure
management » dans la réhabilitation des troubles attentionnels chez les traumatisés crâniens, par l’apprentissage d’une
gestion plus efficace des processus décisionnels qui sont
transférés en amont de la tâche [1]. Ou encore la méthode
du « goal management training », dont l’efficacité a été
démontrée dans la réhabilitation du fonctionnement exécutif toujours à visée des lésions focales, qui repose sur
le rappel du but à atteindre au cours d’une tâche pour
éviter son oubli [1]. Concernant la réhabilitation de la
mémoire chez les personnes âgées et notamment chez les
personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, même à des
stades avancés, la méthode de récupération espacée est
actuellement très utilisée et des études ont été menées pour
montrer son efficacité [2]. La récupération espacée consiste
en l’apprentissage d’une information pertinente pour la vie
quotidienne du patient grâce à la répétition de l’information
dans des intervalles de temps d’abord très courts puis progressivement allongés, jusqu’à une mémorisation à plus
ou moins long terme. Néanmoins, devant l’ampleur de la
demande pour faire face à la maladie d’Alzheimer et à
son flot de symptômes, l’efficacité de la plupart des autres
thérapies utilisées demande encore à être démontrée [3].
Les thérapies par réminiscence font partie des nombreuses prises en charge non-médicamenteuses proposées
aux patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou de
syndromes apparentés. Elles consistent la plupart du temps
en des séances collectives où la réémergence de souvenirs que l’on croyait oubliés est recherchée. Ces séances
peuvent s’appuyer sur différents supports (objets, musiques,
photographies. . .) afin de fournir des indices pour faciliter
la récupération de souvenirs du passé lointain. Elles doivent
en principe être pratiquées par des personnes ayant des
connaissances théoriques solides sur les maladies neurodégénératives et les thérapies par réminiscence.
En effet, au-delà de la mise en place pratique d’ateliers
de réminiscence, on peut se demander dans quel cadre
théorique l’on s’inscrit, quel modèle théorique se trouve
derrière le concept de réminiscence. Cet article a donc pour
objectif d’une part de présenter l’évolution du concept de
réminiscence et d’autre part de décrire les différentes applications cliniques de ce concept, à travers la thérapie de
118
réminiscence, notamment chez les personnes âgées puis
dans le domaine des maladies neurodégénératives, en particulier la maladie d’Alzheimer.
Historique du concept de réminiscence
Les réminiscences ont d’abord été envisagées sous forme
d’une revue de vie par Butler en 1963 qu’il dénomme :
« life review » [4]. Il décrit la revue de vie comme étant :
« un fonctionnement mental universel, d’origine naturelle,
caractérisé par le retour progressif à la conscience de
l’expérience passée, et en particulier, la résurgence de
conflits non résolus ; simultanément et normalement, ces
expériences et ces conflits ravivés peuvent être interrogés
et réintégrés [. . .] incités par la concrétisation d’une mort
proche et par l’incapacité à maintenir un sentiment personnel d’invulnérabilité. »1 Haut du formulaire
Dans ses écrits, Butler admet comme synonymes les
termes revue de vie et réminiscence. Pourtant, pour certains
auteurs il existe des différences majeures entre ces deux processus. En effet, le terme de réminiscence est très employé
dans le jargon paramédical dès qu’il s’agit de décrire un
type de prise en charge faisant appel aux souvenirs du passé
lointain, et pourtant, selon Burnside et Haight, en 1988 et
en 1993, c’est l’une des interventions psychosociales les
moins bien définies [5, 6]. Ce concept de réminiscence,
encore assez général à la fin des années 80, s’est peu à peu
étoffé au cours des années 90 avec un intérêt grandissant
de la part des intervenants paramédicaux, des psychologues
et des psychiatres pour ce type d’approche psychosociale.
En 1991, une première taxonomie des réminiscences a été
élaborée par Watt et Wong [7] permettant de mettre à jour
divers types de réminiscences. La réminiscence au singulier est devenue les réminiscences, au pluriel. Dans cet
article, les auteurs ont identifié six types de réminiscences
[7] :
– les réminiscences intégratives qui correspondent au rappel du vécu accompagné d’une réévaluation des causes et
des conséquences des succès et des échecs. Il s’agit d’un
passage en revue des objectifs personnels, des valeurs personnelles et des composants fondamentaux de l’identité
de l’individu par rapport aux événements passés pour les
intégrer de manière cohérente au présent ;
– les réminiscences instrumentales se rapportent au rappel
de souvenirs personnels concernant des situations problématiques, des épisodes de vie au cours desquels la personne
a mis en œuvre ses capacités d’adaptation. Ces souvenirs
1
« A naturally occurring, universal mental process characterized by
the progressive return to consciousness of past experience, and particularly, the resurgence of unresolved conflicts; simultaneously, and
normally, these revived experiences and conflicts can be surveyed and
reintegrated [. . .] prompted by the realization of approaching dissolution and death, and the inability to maintain one’s sense of personal
invulnerability » (Butler, 1963 [4]).
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permettent de réactiver des stratégies déjà utilisées par le
passé pour faire face aux problèmes actuels ;
– les réminiscences instructives correspondent au fait de
transmettre son expérience, son savoir en racontant des faits
passés, par exemple à des générations plus jeunes passant
par les mêmes étapes en vue d’instruire/d’informer ou de
conseiller ;
– les réminiscences narratives consistent en la narration des
souvenirs d’un individu vers autrui en vue de raconter une
anecdote intéressante, amusante ou pertinente au cours de
la conversation ;
– les réminiscences obsédantes sont des ruminations mentales sur des événements de vie négatifs, des conflits non
résolus ou des regrets auxquels un sentiment de culpabilité
est associé ;
– les réminiscences d’évasion de la réalité, aussi nommées
par les auteurs « réminiscences défensives », correspondent
au fait de glorifier les événements du passé en vue
d’échapper à un présent trop difficile, en vantant exagérément ses réalisations passées, en se focalisant sur les aspects
agréables du passé, c’est revenir au « bon vieux temps ».
Ainsi, on voit qu’une réflexion théorique sur les processus des réminiscences s’est engagée depuis une vingtaine
d’années, permettant aux thérapeutes utilisant ces techniques de se référer à un cadre précis et donc d’appuyer
leur recherche et leur pratique dans ce domaine.
En 1998, le concept de réminiscence a été clairement
dégagé du terme de revue de vie grâce à la définition plus
précise de Bluck et Levine pour qui : « la réminiscence est
un acte ou un processus volontaire ou non, de remémoration de souvenirs personnels du passé. Cela peut impliquer
le rappel d’épisodes généraux ou particuliers qui peuvent
ou non avoir été précédemment oubliés, et accompagnés
par le sentiment que ces événements rappelés sont des
anecdotes véridiques de l’expérience originale. Cette remémoration issue de la mémoire autobiographique peut être
réalisée de façon privée ou être partagée avec autrui »2
[8].
Ainsi, la réminiscence est décrite comme un acte volontaire de recherche active en mémoire, contrairement au
concept de revue de vie décrit comme un souvenir apparaissant de manière naturelle à l’individu. Selon la définition de
Butler [4], la revue de vie repose sur l’introspection comme
elle est décrite dans les thérapies psychanalytiques et suppose la réévaluation de ses souvenirs grâce à un travail
actif sur la valence des événements rappelés. Tandis que
la réminiscence s’appuie sur une base théorique psychosociale [6] et suppose un rappel pouvant être organisé en
périodes de vie sans pour autant recourir à un travail actif
2
« Reminiscence is the volitional or non-volitional act or process
of recollecting memories of one’s self in the past. It may involve the
recall of particular or generic episodes that may or may not have
been previously forgotten, and that are accompanied by the sense
that the remembered episodes are veridical accounts of the original
experiences. This recollection from autobiographical memory may be
private or shared with others ». (Bluck & Levine, 1998 [8]).
sur ce qui est rappelé. Haight et Burnside [6] ont décrit de
manière exhaustive les points communs, les similarités et
les différences entre ces deux concepts. Ils insistent notamment sur les bases théoriques sous-jacentes, les objectifs,
les processus et sur les résultats attendus, qui sont différents
d’un concept à l’autre. Le tableau 1 résume les différences
décrites par ces auteurs [6].
Au-delà de cette classification par types de réminiscences, d’autres auteurs [9-11] se sont posé la question de
l’utilité des réminiscences pour la personne qui y a recours.
Une échelle des fonctions des réminiscences a été créée, la
« Reminiscence Functions Scale », [9, 10] afin de répondre
à la question : « à quoi servent-elles ? ». En effet, les auteurs
ont constaté que les réminiscences variaient en fonction
de leur type mais aussi selon les caractéristiques personnelles du sujet, la période de vie dans laquelle il se trouve,
les événements auxquels il peut être confronté et selon le
vécu émotionnel du sujet. Ainsi, selon toutes ces caractéristiques, les réminiscences auxquelles il aura recours auront
une fonction différente. Grâce à la passation de cette échelle
dans un large échantillon de la population générale normale
et tout âge confondu, huit fonctions des réminiscences ont
été mises en évidence [9] :
– la fonction d’identité qui correspond aux réminiscences
qui servent à développer un sens, une cohérence dans sa
vie et un sentiment de valeur personnelle ;
– la fonction de résolution de problèmes qui renvoie aux
souvenirs d’expériences antérieures et aide à composer
avec les défis présents ;
– la fonction d’instruire qui se rapporte aux réminiscences
utilisant les enseignements de l’expérience personnelle
pour venir en aide à autrui ;
– la fonction de conversation ayant pour but d’alimenter
la conversation en recourant à des souvenirs autobiographiques, afin de se rapprocher des autres ;
– la fonction de regain d’amertume qui consiste dans le
rappel de souvenirs portant sur les échecs rencontrés et les
conflits ;
– la fonction de réduction de l’ennui correspondant au fait
d’utiliser ces souvenirs du passé, souvent glorifié, lorsque
l’environnement est peu stimulant ;
– la fonction de préparation à la mort qui a pour but de
composer avec la proximité de la mort et de faire face aux
questions existentielles de fin de vie ;
– la fonction de maintien de l’intimité qui consiste dans
le rappel de souvenirs permettant de rendre présentes les
personnes proches disparues.
Après ces avancées théoriques dans le champ des réminiscences, des recherches ont vu le jour afin d’éprouver ces
modèles à la pratique clinique, en particulier chez les personnes âgées. En effet, dans un premier temps, Cappeliez,
Lavallée et O’Rourke [12] ont comparé la population des
jeunes adultes à celle des personnes âgées sur leur façon de
recourir aux réminiscences et sur le but recherché. Ils ont
montré que les personnes âgées utilisaient davantage les
réminiscences instructives ayant une fonction d’enseigner
et transmettre des expériences de vie, tandis que les jeunes
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Tableau 1. Différences entre réminiscence et revue de vie selon Haight et Burnside [6].
Réminiscence
Revue de vie
Objectifs
Intégrité
Améliorer la socialisation
Amélioration des capacités communicationnelles
Fournir du plaisir
Améliorer la confiance en soi
Obtenir des données personnelles
Améliorer le bien-être
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Bases théoriques
Bases psychosociales
Bases psychanalytiques
Rôles de l’intervenant
Reformulation
Acceptation
Valorisation
Position empathique
Pas de reformulation
Ne pas réinterroger
Position informelle
Ne pas forcer l’insight
Rôle de soutien
Processus
Structuré
Discussion sur les conflits/échecs
Par période de vie
Travail interne
Objectif de réintégration des souvenirs
Souvenirs plaisants ou non
Évaluatif
Intégratif
Répétition : fonction de « catharsis »
Reformulation individuelle des évènements
Flot de parole libre ou structuré
Souvent spontané
Ne se focalise pas sur un point
Utilise ou non une approche chronologique
Utilisation de thèmes et d’accessoires
Atmosphère calme et positive
Objectif général de plaisir
Accent habituellement porté sur les souvenirs positifs
Retour des membres du groupe
Répétition pour ceux qui ont des problèmes de
mémoire légers
En groupe
Résultats
Intégrité
Améliorer le bien-être
Sagesse
Paix
Améliorer l’estime de soi
Diminuer les symptômes dépressifs
Améliorer la satisfaction de vie
Diminuer l’isolement
Améliorer l’estime de soi
Améliorer la vigilance
Créer des amitiés entre les membres
Héritage complété
Améliorer la connexion
Améliorer la socialisation
adultes avaient davantage recours aux réminiscences intégratives, instrumentales et d’évasion de la réalité. Cette
étude a permis aux auteurs de confirmer que les réminiscences ont bien des fonctions différentes et notamment en
fonction de la période de vie que traverse la personne.
Dans un second temps, ils ont poursuivi leur recherche en
s’intéressant aux liens entre traits de personnalité et réminiscences et ont montré que les personnes ayant une plus forte
120
tendance à l’anxiété ou à la dépression étaient celles qui
recouraient plus souvent aux réminiscences de tous types
[13]. Au cours de cette étude, Cappeliez et O’Rourke ont
repéré trois profils distincts uniquement chez les personnes
âgées : 1) celles qui se laissent envahir par des réminiscences négatives ; 2) celles qui utilisent les réminiscences
dans la recherche d’un sens à leur vie ; et 3) celles qui ont
peu recours aux réminiscences.
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Cette étude a motivé les auteurs à poursuivre leur
recherche dans le champ du vieillissement. Ils se sont
notamment intéressés à l’utilité que pouvaient avoir les
réminiscences dans le vieillissement réussi [14]. Ils ont
ainsi contrôlé les variables de personnalité des personnes
âgées incluses dans cette étude et ont mis en évidence
l’influence des réminiscences dans la prédiction de la
satisfaction de vie ou de la détresse psychologique. Ils
ont notamment identifié les réminiscences obsédantes,
celles d’évasion de la réalité et celles ayant une fonction de maintien d’intimité comme étant associées à une
détresse psychologique plus importante chez les personnes
âgées.
Malgré l’affluence d’études sur la technique de réminiscences, ou thérapie par réminiscences, une revue
systématique de la base de données de la Cochrane
[15] retenait seulement cinq études randomisées contrôlées valides pour l’évaluation de cette technique chez les
personnes âgées atteintes d’un syndrome démentiel [1620]. Les auteurs concluaient que, bien que des effets sur
l’humeur, la cognition ou bien sur le fardeau de l’aidant
aient été retrouvés dans ces études ayant une méthodologie rigoureuse, il s’agissait toujours d’études sur des petits
échantillons et avec une approche, voire une définition,
différente de la réminiscence. La variabilité des types de
réminiscences et des résultats obtenus entre ces études
indique qu’il y aurait besoin de nouvelles recherches randomisées contrôlées, dans un cadre théorique bien défini,
afin de tirer des conclusions davantage robustes.
Le même constat a été fait récemment par Westerhof
et Bohlmeijer [21], dans une revue de la littérature sur les
interventions de type « Life-review » comparées aux interventions fondées sur la réminiscence. Ils concluent à la
nécessité d’orienter les recherches selon les connaissances
actuelles sur les différentes fonctions des réminiscences et
ouvrent la voie vers un lien possible avec la mémoire autobiographique. En effet, les auteurs insistent sur l’importance
d’ouvrir les recherches sur la revue de vie et les réminiscences vers la psychologie cognitive, en particulier les
travaux sur la mémoire autobiographique, afin d’utiliser
les méthodes expérimentales issues de ce champ. Selon
eux, les paradigmes d’étude de la psychologie cognitive
et les connaissances acquises sur la mémoire autobiographique permettraient d’avoir une meilleure compréhension
des processus cognitifs impliqués dans la remémoration de
souvenirs personnels et dans l’interprétation que l’individu
en a pendant les interventions de type « Life-review » ou
celles utilisant les réminiscences.
En 2006, une nouvelle taxonomie des réminiscences en
trois types a été proposée, selon leurs fonctions par rapport
au soi [22] :
– les fonctions positives se rapportant au soi : elles
regroupent les réminiscences intégratives (identité), les
réminiscences instrumentales (résolution de problème), et
aussi celles de préparation à la mort. Elles correspondent à
un effort d’adaptation positive face aux défis du présent et
du futur ainsi qu’une recherche de sens ;
– les fonctions négatives se rapportant au soi correspondent
au regain d’amertume, aux réminiscences d’évasion de la
réalité (réduction de l’ennui) et à celles qui servent au maintien de l’intimité avec les personnes proches disparues. Elles
convergent toutes les trois vers des ruminations mentales à
propos du passé (regrets, deuils) ;
– les fonctions pro-sociales regroupent les réminiscences
narratives (conversation) et instructives qui ont pour objectif
de créer et maintenir le lien social.
Plus récemment, Cappeliez [23] a établi une correspondance entre la taxonomie faite par Watt et Wong et les huit
fonctions des réminiscences identifiées par Webster. À ce
résumé, nous avons inclus la nouvelle taxonomie de 2006
qui est synthétisée dans le tableau 2.
Applications cliniques
Par la suite, les différents types de réminiscences les
plus employés ont été étudiés dans différents échantillons
de la population, notamment chez les sujets dépressifs, les
sujets âgés, et aussi selon des traits de personnalité particuliers (introversion, extraversion, névrosisme, anxiété trait,
anxiété état. . .) [24-26]. Chez les sujets âgés, beaucoup
d’auteurs se sont intéressés au lien entre types de réminiscences et bien-être/qualité de vie. En 2007, Bohlmeijer et al.
[24] ont mené une méta-analyse afin de comparer l’effet de
la revue de vie de Butler [4] par rapport à la réminiscence sur
le bien-être des personnes âgées, selon différentes modalités
(individuel versus groupe) et selon différentes caractéristiques de population (personnes vivant à domicile versus
en institution). Ils ont mis en évidence de meilleurs résultats
avec la revue de vie, de manière significative. Néanmoins,
leur méta-analyse a porté sur des études utilisant la réminiscence comme un concept large et sans la distinction faite
par la taxonomie de 2006. De plus, les résultats constatés avec la revue de vie concernaient surtout les personnes
ayant des symptômes anxio-dépressifs sévères.
Une autre étude a été réalisée par O’Rourke et al. [25]
intégrant la taxonomie de 2006 dont l’objectif était de déterminer si les fonctions des réminiscences influençaient le
bien-être ou si au contraire l’état de santé mentale affectait
le type de réminiscences auquel les adultes âgés avaient
recours. Dans cette étude, deux groupes d’âges étaient
comparés sur leur recours à certains types de réminiscences,
les sujets âgés de moins de 70 ans et ceux de plus de 70 ans.
L’échelle des fonctions des réminiscences a été administrée
ainsi que des échelles de qualité de vie (The Satisfaction
with Life Scale : SLS), de dépression (The Center for Epidemiologic Studies – Depression Scale : CES-D) et d’anxiété
(The State Trait Anxiety Inventory : STAI ; seuls les 20 items
de l’anxiété-état ont été effectués). Les auteurs concluaient
à une association entre certaines fonctions des réminiscences et le bien-être. En effet, les analyses effectuées
retrouvaient une association entre les réminiscences positives en lien avec le soi, ou les réminiscences négatives avec
le soi et le bien-être 16 mois plus tard, dans le sens où les
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Tableau 2. Correspondance entre types de réminiscences [7], leurs fonctions [9] et la nouvelle taxonomie de 2006 [22] :
Première taxonomie [7]
Fonctions des réminiscences [9]
Nouvelle taxonomie [22]
Réminiscence intégrative
Réminiscence instrumentale
Réminiscence d’évasion de
la réalité
Identité
Résolution de problèmes
Préparation à la mort
Fonctions positives du soi
Réminiscence d’évasion de
la réalité
Réminiscence obsédante
Réduction de l’ennui,
Maintien de l’intimité
Regain d’amertume
Fonctions négatives du soi
Réminiscence instructive
Réminiscence narrative
Instruire/transmettre
Conversation
Fonctions prosociales
réminiscences utilisées à un temps 0 pourraient « prédire »
le bien-être à un temps 1 (ici, 16 mois plus tard) [25].
Enfin, une autre étude a été réalisée en 2011 par
Korte et al. [26] dont l’objectif était d’étudier le rôle des
réminiscences dans l’adaptation aux événements de vie critiques chez des personnes âgées présentant des symptômes
dépressifs légers à modérés. Dans cette étude, 171 sujets
ont été inclus dont l’âge moyen était de 64 ans. L’échelle
des fonctions des réminiscences a été administrée ainsi
que des échelles de dépression (CES-D), d’anxiété (The
Hamilton Anxiety Disorder Scale – forme A : HADS-A) et
de qualité de vie (The Manchester Short Assessment of
quality of life : MANSA). Deux questionnaires propres à
l’étude ont également été proposés : l’un portant sur des
événements de vie négatifs survenus durant les trois années
précédant l’étude, et l’autre sur les conditions de santé des
participants, notamment la présence ou non d’une maladie chronique. Les auteurs concluent que les réminiscences
jouent un rôle important dans la manière de faire face
aux événements de vie négatifs [26]. Cette dernière étude
émet même des recommandations à l’attention des cliniciens dans la manière de prendre en charge les patients
présentant des symptômes dépressifs ou les patients présentant des symptômes anxieux. En effet, selon cette étude, les
personnes présentant des symptômes dépressifs devraient
davantage bénéficier d’une thérapie se focalisant sur la
réduction du regain d’amertume (correspondant aux réminiscences obsédantes qui seraient à éviter), alors que les
personnes souffrant de symptômes anxieux bénéficieraient
quant à eux davantage d’une thérapie se focalisant sur la
résolution de problèmes (faisant donc appel aux réminiscences instrumentales) [26].
Plus particulièrement, dans le domaine des
maladies neurodégénératives et notamment de la
maladie d’Alzheimer, de nombreux ateliers dits de
« réminiscences » existent dans les structures d’accueil
de ces personnes tels que les hôpitaux de jour, les
pôles d’activités et de soins adaptés (PASA), les unités
cognitivo-comportementales (UCC) ou encore les unités
d’hébergement renforcé (UHR). Néanmoins, il n’y a aucune
122
étude révélant une efficacité spécifique de ces prises en
charge, il s’agit le plus souvent d’effets positifs sur l’humeur
pouvant être retrouvés dans la majorité des prises en charge
en groupe et donc ce que l’on peut nommer un effet « prise
en charge ». Pourtant, nombreux sont les psychologues
organisant ce type d’intervention à observer des effets
positifs sur la communication interpersonnelle, l’estime
de soi, les troubles psycho-comportementaux. . . Mais trop
peu de recherches, avec une méthodologie stricte, existent,
alors qu’avec les données accumulées sur le concept de
réminiscence, un travail pourrait s’engager. Récemment,
un essai contrôlé, randomisé, multicentrique et en doubleaveugle a été réalisé dans ce domaine, l’étude REMCARE
[27]. Cette étude a inclus 488 patients souffrant de maladie
d’Alzheimer du stade léger à modéré ainsi que leurs aidants
familiaux. Ils ont été suivis pendant dix mois. Un groupe
contrôle était formé par des patients et leurs aidants, bénéficiant des prises en charge habituelles de leur centre. Une
évaluation initiale était réalisée avant le début de la prise
en charge portant sur la qualité de vie, les symptômes psychologiques de l’aidant, la mémoire autobiographique, les
symptômes anxieux et dépressifs du patient et l’autonomie
dans les activités de la vie quotidienne. Puis une évaluation
à trois mois et enfin une autre à dix mois post-prise en
charge étaient réalisées. La prise en charge consistait en
des ateliers de réminiscence abordant différents thèmes
(enfance, scolarité, mariage, vie professionnelle..) en
groupe, avec douze dyades patients-aidants, réalisés une
fois par semaine pendant douze semaines. Les dyades
étaient invitées à apporter du matériel personnel signifiant
par rapport à leur passé. Le résultat principal de cette étude
indique que les aidants des patients ayant suivi la prise en
charge en atelier de réminiscence étaient ceux qui rapportaient une augmentation des symptômes anxieux chez les
patients [27]. Or, cette étude a utilisé la réminiscence dans
sa définition la plus large, sans tenir compte des fonctions
que chaque type de réminiscence pouvait engendrer.
Ainsi, si un travail devait s’engager sur la prise en
charge en thérapie de réminiscence, une attention particulière devra être portée aux fonctions que l’on cherchera à
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activer afin de prévenir un résultat tel que celui obtenu
dans l’étude REMCARE. Ce travail pourrait aussi s’appuyer
sur les différents systèmes de mémoire. En effet, depuis
quelques années la neuropsychologie s’est particulièrement intéressée à la mémoire stockant les événements
où l’individu est personnellement impliqué : la mémoire
autobiographique. La mémoire autobiographique correspond à une composante de la mémoire conservant les
souvenirs où la personne est elle-même impliquée. Elle
constitue un socle de souvenirs personnels importants dans
la construction de l’identité personnelle d’un individu. Elle
a été modélisée principalement par Conway qui insiste sur
son lien étroit avec le soi. Selon ce modèle, la mémoire
autobiographique est constituée de différents sous-systèmes
[28, 29] :
– le self de travail ou self-exécutif : c’est un processus qui
contraint le stockage de nos souvenirs personnels selon les
buts, les valeurs personnelles, les croyances (. . .) actuelles
de la personne sur elle-même et sur le monde dans un souci
de cohérence et de continuité de son identité à travers le
temps ;
– la base de connaissances autobiographiques, dont d’une
part le self conceptuel qui stocke les représentations sémantiques de nous-mêmes et qui constitue la structure de
connaissances de nos expériences personnelles, et d’autre
part la mémoire épisodique qui stocke les souvenirs de
façon détaillée dans le temps et dans l’espace avec des
détails perceptivo-sensoriels permettant une reviviscence
du souvenir.
Une émulation de la mémoire autobiographique, par
le biais d’une thérapie de réminiscence à la lueur des
connaissances que nous avons désormais sur leurs différentes fonctions, pourrait alors aboutir à un renforcement
du soi et du sentiment d’identité. En effet, les liens étroits
et bidirectionnels entre mémoire autobiographique et self
sont indéniables aujourd’hui et, comme l’a décrit Conway,
les souvenirs construisent notre soi et celui-ci contraint nos
souvenirs de façon à les intégrer, à les organiser, en cohérence avec notre passé et en évitant d’être en dissonance
avec lui-même [28]. Prebble et al. [30] ont voulu rassembler
tous ces concepts dans la proposition d’un modèle unifié
sur le sentiment d’identité en intégrant les connaissances
actuelles sur la mémoire autobiographique. Ils insistent sur
la distinction entre le « processus » qui permet de prendre
conscience de nous-même (qu’ils appellent « I-self ») en
tant qu’être particulier et unique grâce à un sentiment de
singularité, et le « contenu » de cette conscience, de ce
processus (qu’ils appellent « My-self »). Ils intègrent le self
conceptuel dans le « contenu » de notre conscience. Enfin,
ces auteurs font une distinction en fonction de la temporalité et parlent d’une extension du self à travers le temps,
passé, présent ou futur, nous permettant ainsi de voyager
mentalement dans le temps. La mémoire autobiographique
est alors envisagée comme le stock de souvenirs personnels nous permettant un voyage mental dans notre propre
passé. Cette modélisation du soi a donné lieu à un schéma
sur 4 niveaux selon le « self-memoy-system » de Conway
[28] illustré dans le tableau 3.
Dans la maladie d’Alzheimer, les souvenirs autobiographiques de nature sémantique, c’est-à-dire ceux constituant
le self conceptuel, restent relativement préservés [32]. En
effet, un processus de sémantisation s’installe et existe de
façon plus générale dans le vieillissement normal. Néanmoins, bien que les souvenirs sémantisés soient moins
touchés que ceux de nature épisodique, ils subissent tout de
même un déclin notamment au niveau des souvenirs généraux des périodes récentes et au niveau des connaissances
sémantiques personnelles [33].
Ainsi, nous pourrions supposer que si les souvenirs sémantisés sont encore accessibles dans la maladie
d’Alzheimer, alors une thérapie par réminiscence pourrait faciliter leur réactivation et leur récupération. Dans un
Tableau 3. Modélisation du soi sur 4 niveaux : processus et contenu du soi/à l’instant présent et dans le passé ; selon Prebble
et al. [30] et mise en parallèle avec les notions philosophiques d’ipséité et de mêmeté appliquées en neuropsychologique
dans l’étude d’Eustache et al. [31, 35].
Self subjectif (processus)
(I-self)
Contenu du self
(Me-self)
Self à l’instant présent
– expériences sensorielles = identité
physique
– conscience de soi (agentivité)
– connaissances sur soi
– estime de soi
– image de soi
Self étendu dans le temps
– remémoration autonoétique (en lien
avec nos perceptions corporelles) :
représentations épisodiques de soi.
– projection dans le futur
« continuité phénoménologique » ipséité
– narration de soi : capacité narrative
– souvenirs sémantisés (chronologie
personnelle) : représentations
sémantiques de soi.
« continuité sémantique » mêmeté
« Impression subjective d’immédiateté, de continuité et d’unité »
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second temps et en se basant sur les études réalisées sur
le soi dans la maladie d’Alzheimer, ce type de thérapie
pourrait peut-être favoriser le maintien du self conceptuel et
donc d’un sentiment d’identité stable et cohérent. En effet,
le lien entre mémoire autobiographique, le soi et la conscience de soi a été étudié de manière approfondie dans la
maladie d’Alzheimer [34, 35]. Les résultats de ces études
indiquent une relative préservation du soi et notamment
des caractéristiques générales de la personne, immuables
au fil du temps. C’est la mise à jour du soi qui ne serait plus
effective dans la maladie d’Alzheimer, due à l’incapacité
progressive à encoder de nouveaux événements personnels
aboutissant à une fixation sur des connaissances de soi qui
deviennent peu à peu obsolètes au fil du temps. Les représentations sémantiques de soi incluant des connaissances
générales sur soi et un résumé des traits personnels seraient
encore accessibles car sémantisées, alors que les représentations épisodiques de soi, notamment celles en lien
avec des faits récents, correspondant à un contexte spatiotemporel seraient altérées. Ainsi, la mise à jour dans un
temps et un espace donné relatif au présent de la personne
ne serait plus possible. La personne atteinte de maladie
d’Alzheimer sait qui elle est de façon générale, mais pas
par rapport à l’espace-temps dans lequel elle vit. De plus,
ses souvenirs sont de plus en plus abrégés et généralisés, les
liens logiques tissés entre eux se délitent, aboutissant progressivement à une altération du sentiment d’identité stable
et cohérent à travers le temps.
Ainsi, dans la pratique clinique, utiliser les modèles
théoriques développés sur les réminiscences en les rapprochant du concept de mémoire autobiographique pourrait
ouvrir de nouvelles voies de remédiation cognitive dans
Tableau 4. Hypothèses sur les liens entre types de réminiscences, souvenirs autobiographiques, effets cognitifs et socioémotionnels.
Types de
réminiscence
Exemples de souvenirs
autobiographiques
Effets cognitifs possibles
Effets socio-émotionnels
possibles
Réminiscence
intégrative
« Je suis quelqu’un de
méticuleux et cela m’a
aidé dans mon métier de
menuisier »
Recours à la MémAu
épisodique et sémantique :
stock de connaissances sur soi.
Recours au Working-self :
recherche de souvenirs en
adéquation avec les valeurs,
croyances, désirs actuels.
Maintien d’un sentiment
d’identité personnelle stable :
cohérence et continuité.
Réminiscence
instrumentale
« Dans une situation
similaire, j’avais agis de
telle façon. . . »
Fonctions exécutives :
organisation, récupération
d’une stratégie déjà utilisée,
planification d’étapes dans le
but de résoudre un problème.
Sentiment d’efficacité
personnelle et contrôle des
événements extérieurs.
Résolution de problèmes.
Réminiscence
d’évasion de
la réalité
« J’aime repenser à nos
vacances familiales à la
campagne »
Recours à la MémAu
sémantique et épisodique selon
le degré de reviviscence.
Humeur influencée par la
valence des souvenirs
évoqués. Évite l’ennui.
Réminiscence
obsédante
« Je n’arrive pas à oublier
la mort de mon frère et j’ai
des regrets sur nos
relations »
Détérioration cognitive due au
manque de stimulation
extérieure (sociale).
Souvenirs à valence négative
congruent à l’humeur :
humeur dépressive. Repli sur
soi et ruminations mentales.
Réminiscence
instructive
« J’étais plutôt douée en
crochet, voici comment je
faisais. . . »
Recours à la MémAu et
mémoire procédurale.
Fonctions langagières et lexique
du domaine.
Communication
interpersonnelle, maintien
d’un sentiment d’utilité
personnelle.
Réminiscence
narrative
« Je peux te raconter à
quoi l’on jouait quand
j’étais petit»
MémAu sémantique et
épisodique selon le degré de
reviviscence. Fonctions
langagières : capacité narrative.
Communication
interpersonnelle. Lutte contre
le repli sur soi. Échanges
intergénérationnels.
MémAu : mémoire autobiographique.
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les pathologies de la mémoire. Cela a été réalisé récemment par Lalanne et al. [36, 37] qui ont construit un
programme de remédiation cognitive dans la maladie
d’Alzheimer reposant sur les réminiscences nommé REMiniscence autobiographique (REMau), avec comme support
théorique sous-jacent les connaissances sur la structure de
la mémoire autobiographique et son fonctionnement. Ce
programme a été développé suite au constat des limites des
méthodes de prise en charge de la mémoire autobiographique chez les patients avec maladie d’Alzheimer. En effet,
ces méthodes ne s’intéressent pas aux deux composantes
de la mémoire autobiographique, épisodique et sémantique, ou bien ne travaillent que sur l’aspect rétrograde.
Enfin le concept d’identité personnelle est bien souvent
absent dans ces méthodes [36]. Ainsi, le programme REMau
se base sur le modèle développé par Conway [28, 29] et
sur le test épisodique de mémoire du passé autobiographique (TEMPau) [38]. Le REMau consiste dans le rappel
d’un maximum de connaissances personnelles sur les cinq
périodes de vie évaluées par le TEMPau. Ces connaissances sont ensuite utilisées comme amorçage pour susciter
des souvenirs de plus en plus spécifiques et donc de plus
en plus épisodiques, à savoir détaillés dans le temps et
l’espace. Les auteurs utilisent une frise chronologique (cinq
feuilles de papier A4 ; une pour chaque période de vie)
et également des indices visuels tels que des photographies de personnages célèbres ou d’événements publics
ainsi que des indices musicaux populaires afin de situer de
façon plus précise dans le temps les souvenirs de chaque
période de vie. Lalanne et al. [37] ont comparé deux
groupes de patients souffrant de maladie d’Alzheimer à
un stade léger à modéré (MMSE > 18). Un groupe bénéficiait du programme REMau, le second groupe bénéficiait
d’un programme de réentraînement cognitif concernant des
connaissances collectives sur des personnes célèbres. Ils
retrouvent une amélioration des performances en mémoire
autobiographique uniquement dans le groupe ayant bénéficié du programme REMau, qui se maintient à deux semaines
de distance de la fin du programme. Cette amélioration se
situe principalement au niveau des connaissances sémantiques personnelles, mais a permis d’enrichir les détails
associés à ces souvenirs sémantiques, sans pour autant
qu’ils atteignent le degré de reviviscence des souvenirs épisodiques [37].
Dans la continuité d’un tel programme s’appuyant sur
un modèle éprouvé de la mémoire autobiographique et
avec les connaissances que l’on a maintenant sur les différentes fonctions des réminiscences, une nouvelle approche
de la thérapie par réminiscence est en cours de construction. Selon les objectifs spécifiques pour un patient,
un programme individualisé sollicitant tel ou tel type de
réminiscence pourrait être utilisé dans l’optique d’une
remédiation cognitive à la fois de la mémoire autobiographique et de l’identité personnelle.
De même, au sein des prises en charge en groupe, les
réminiscences devraient être mieux distinguées et les fonctions recherchées plus explicites.
Pour terminer, nous proposons dans le tableau 4 de possibles liens entre types de réminiscence, souvenirs autobiographiques et leurs effets en termes de processus cognitifs
impliqués et de conséquences socio-émotionnelles pouvant
être attendues. Ce tableau représente un exemple hypothétique de ce que l’on pourrait attendre en termes d’objectifs
thérapeutiques d’un atelier de réminiscence, sachant que
ces objectifs devraient être déterminés en amont de la création d’un atelier et devraient guider le thérapeute tout au
long de la réalisation de celui-ci afin qu’il dirige le type
de réminiscence en fonction des besoins individualisés des
patients.
Conclusion
Les prises en charge de type « atelier de réminiscences »
doivent tenir compte d’une part de ces éléments conceptuels sur les réminiscences et d’autre part des objectifs
spécifiques pour la personne. La mise en place de ces ateliers nécessite les apports théoriques sous-jacents et des
organisateurs sensibilisés à ces concepts. En ciblant le type
de réminiscences en fonction de la population prise en
charge et de ses besoins, nous devrions parvenir ainsi à
démontrer un effet positif de cette prise en charge dans nos
futures études.
Liens d’intérêts
les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en
rapport avec cet article.
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