Journal Identification = NRP Article Identification = 0343 Date: June 19, 2015 Time: 3:15 pm
doi: 10.1684/nrp.2015.0343
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
117
Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2015 ; 7 (2) : 117-26 Concept de réminiscence :
évolution et applications en pratique
clinique auprès de sujets âgés
et dans la maladie d’Alzheimer
Concept of reminiscence:
evolution and applications in clinical
practice among elderly
and in Alzheimer’s disease
Camille Talbot-Mahmoudi
Service de médecine physique
et de réadaptation, Hôpital Sébastopol,
CHU de Reims, 48, rue de Sébastopol,
51092 Reims cedex
<ctalbot@chu-reims.fr>
Pour citer cet article : Talbot-Mahmoudi
C. Concept de réminiscence : évolution et
applications en pratique clinique auprès de
sujets âgés et dans la maladie d’Alzheimer.
Rev Neuropsychol 2015 ; 7 (2) : 117-26
doi:10.1684/nrp.2015.0343
Résumé La réminiscence se définit comme un processus, volontaire
ou involontaire, de remémoration de souvenirs personnels
du passé, issus de la mémoire autobiographique et qui peut être réalisée de fac¸on individuelle
ou en groupe. Pourtant le terme de réminiscence, largement utilisé dans la prise en charge
non-médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer, nécessite d’être davantage défini dans ses
différents processus et fonctions. Après avoir exposé l’évolution du concept de réminiscence
au cours des trois dernières décennies, nous présentons les différents modèles théoriques
décrits dans la littérature et proposons à partir d’études cliniques les applications pratiques
possibles auprès des personnes âgées et des personnes atteintes de maladies neurodégénéra-
tives, en particulier de la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, les principales limites des études
actuelles consistent en l’absence de prise en compte des différents types de réminiscences
dans les prises en charge de type «atelier de réminiscences », des spécificités de la popu-
lation ciblée et de ses besoins, ce qui est pourtant indispensable afin d’établir avec justesse
méthodologique un effet positif de ce type d’intervention.
Mots clés : réminiscence ·mémoire autobiographique ·souvenirs épisodiques ·soi ·maladie
d’Alzheimer
Abstract The reminiscence is defined like a process, volitional or
non-volitional, of recollecting memories of one’s self in
the past, from autobiographical memory and which can be achieved individually or in a
group way. Nevertheless the term of reminiscence widely used in non-medicated care in
Alzheimer’s disease, needs to be further defined in its various processes and functions.
After explaining the evolution of the concept of reminiscence over the last three decades,
we present the different theoretical models described in the literature and we propose,
from clinical studies, possible practical applications among healthy older subjects and
people with neurodegenerative diseases, particularly Alzheimer’s disease. However, the
main limitations of existing studies consist in the lack of consideration of different types
of reminiscence in intervention’s type «reminiscence workshop », of specificities of the
targeted populations and their needs, which are essential to establish a methodological
accuracy positive effect of these interventions.
Key words: reminiscence ·autobiographical memory ·episodic memories ·self ·Alzheimer’s disease
Correspondance :
C. Talbot-Mahmoudi
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Journal Identification = NRP Article Identification = 0343 Date: June 19, 2015 Time: 3:15 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
118
Article de synthèse
Introduction
Depuis plusieurs années, un renouveau des pra-
tiques en neuropsychologie se met en marche face à
l’importance croissante des prises en charge dites «non
médicamenteuses »auprès des patients présentant des
lésions cérébrales, que ces lésions soient focales ou de
nature neurodégénérative. La neuropsychologie a pour
champ d’action d’une part l’évaluation du patient pré-
sentant des troubles cognitifs et/ou du comportement,
et d’autre part la prise en charge de ces troubles. Un
grand nombre de thérapies ont été développées dans le
champ de la neuropsychologie, certaines avec une effica-
cité avérée notamment pour les patients jeunes ayant des
lésions focales telles que les méthodes de «time pressure
management »dans la réhabilitation des troubles attention-
nels chez les traumatisés crâniens, par l’apprentissage d’une
gestion plus efficace des processus décisionnels qui sont
transférés en amont de la tâche [1]. Ou encore la méthode
du «goal management training », dont l’efficacité a été
démontrée dans la réhabilitation du fonctionnement exé-
cutif toujours à visée des lésions focales, qui repose sur
le rappel du but à atteindre au cours d’une tâche pour
éviter son oubli [1]. Concernant la réhabilitation de la
mémoire chez les personnes âgées et notamment chez les
personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, même à des
stades avancés, la méthode de récupération espacée est
actuellement très utilisée et des études ont été menées pour
montrer son efficacité [2]. La récupération espacée consiste
en l’apprentissage d’une information pertinente pour la vie
quotidienne du patient grâce à la répétition de l’information
dans des intervalles de temps d’abord très courts puis pro-
gressivement allongés, jusqu’à une mémorisation à plus
ou moins long terme. Néanmoins, devant l’ampleur de la
demande pour faire face à la maladie d’Alzheimer et à
son flot de symptômes, l’efficacité de la plupart des autres
thérapies utilisées demande encore à être démontrée [3].
Les thérapies par réminiscence font partie des nom-
breuses prises en charge non-médicamenteuses proposées
aux patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou de
syndromes apparentés. Elles consistent la plupart du temps
en des séances collectives où la réémergence de souve-
nirs que l’on croyait oubliés est recherchée. Ces séances
peuvent s’appuyer sur différents supports (objets, musiques,
photographies...) afin de fournir des indices pour faciliter
la récupération de souvenirs du passé lointain. Elles doivent
en principe être pratiquées par des personnes ayant des
connaissances théoriques solides sur les maladies neuro-
dégénératives et les thérapies par réminiscence.
En effet, au-delà de la mise en place pratique d’ateliers
de réminiscence, on peut se demander dans quel cadre
théorique l’on s’inscrit, quel modèle théorique se trouve
derrière le concept de réminiscence. Cet article a donc pour
objectif d’une part de présenter l’évolution du concept de
réminiscence et d’autre part de décrire les différentes appli-
cations cliniques de ce concept, à travers la thérapie de
réminiscence, notamment chez les personnes âgées puis
dans le domaine des maladies neurodégénératives, en par-
ticulier la maladie d’Alzheimer.
Historique du concept de réminiscence
Les réminiscences ont d’abord été envisagées sous forme
d’une revue de vie par Butler en 1963 qu’il dénomme :
«life review »[4]. Il décrit la revue de vie comme étant :
«un fonctionnement mental universel, d’origine naturelle,
caractérisé par le retour progressif à la conscience de
l’expérience passée, et en particulier, la résurgence de
conflits non résolus ; simultanément et normalement, ces
expériences et ces conflits ravivés peuvent être interrogés
et réintégrés [...] incités par la concrétisation d’une mort
proche et par l’incapacité à maintenir un sentiment person-
nel d’invulnérabilité. »1Haut du formulaire
Dans ses écrits, Butler admet comme synonymes les
termes revue de vie et réminiscence. Pourtant, pour certains
auteurs il existe des différences majeures entre ces deux pro-
cessus. En effet, le terme de réminiscence est très employé
dans le jargon paramédical dès qu’il s’agit de décrire un
type de prise en charge faisant appel aux souvenirs du passé
lointain, et pourtant, selon Burnside et Haight, en 1988 et
en 1993, c’est l’une des interventions psychosociales les
moins bien définies [5, 6]. Ce concept de réminiscence,
encore assez général à la fin des années 80, s’est peu à peu
étoffé au cours des années 90 avec un intérêt grandissant
de la part des intervenants paramédicaux, des psychologues
et des psychiatres pour ce type d’approche psychosociale.
En 1991, une première taxonomie des réminiscences a été
élaborée par Watt et Wong [7] permettant de mettre à jour
divers types de réminiscences. La réminiscence au singu-
lier est devenue les réminiscences, au pluriel. Dans cet
article, les auteurs ont identifié six types de réminiscences
[7] :
les réminiscences intégratives qui correspondent au rap-
pel du vécu accompagné d’une réévaluation des causes et
des conséquences des succès et des échecs. Il s’agit d’un
passage en revue des objectifs personnels, des valeurs per-
sonnelles et des composants fondamentaux de l’identité
de l’individu par rapport aux événements passés pour les
intégrer de manière cohérente au présent ;
les réminiscences instrumentales se rapportent au rappel
de souvenirs personnels concernant des situations problé-
matiques, des épisodes de vie au cours desquels la personne
a mis en œuvre ses capacités d’adaptation. Ces souvenirs
1«A naturally occurring, universal mental process characterized by
the progressive return to consciousness of past experience, and par-
ticularly, the resurgence of unresolved conflicts; simultaneously, and
normally, these revived experiences and conflicts can be surveyed and
reintegrated [...] prompted by the realization of approaching dissolu-
tion and death, and the inability to maintain one’s sense of personal
invulnerability »(Butler, 1963 [4]).
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Journal Identification = NRP Article Identification = 0343 Date: June 19, 2015 Time: 3:15 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
119
Article de synthèse
permettent de réactiver des stratégies déjà utilisées par le
passé pour faire face aux problèmes actuels ;
les réminiscences instructives correspondent au fait de
transmettre son expérience, son savoir en racontant des faits
passés, par exemple à des générations plus jeunes passant
par les mêmes étapes en vue d’instruire/d’informer ou de
conseiller ;
les réminiscences narratives consistent en la narration des
souvenirs d’un individu vers autrui en vue de raconter une
anecdote intéressante, amusante ou pertinente au cours de
la conversation ;
les réminiscences obsédantes sont des ruminations men-
tales sur des événements de vie négatifs, des conflits non
résolus ou des regrets auxquels un sentiment de culpabilité
est associé ;
les réminiscences d’évasion de la réalité, aussi nommées
par les auteurs «réminiscences défensives », correspondent
au fait de glorifier les événements du passé en vue
d’échapper à un présent trop difficile, en vantant exagéré-
ment ses réalisations passées, en se focalisant sur les aspects
agréables du passé, c’est revenir au «bon vieux temps ».
Ainsi, on voit qu’une réflexion théorique sur les proces-
sus des réminiscences s’est engagée depuis une vingtaine
d’années, permettant aux thérapeutes utilisant ces tech-
niques de se référer à un cadre précis et donc d’appuyer
leur recherche et leur pratique dans ce domaine.
En 1998, le concept de réminiscence a été clairement
dégagé du terme de revue de vie grâce à la définition plus
précise de Bluck et Levine pour qui : «la réminiscence est
un acte ou un processus volontaire ou non, de remémora-
tion de souvenirs personnels du passé. Cela peut impliquer
le rappel d’épisodes généraux ou particuliers qui peuvent
ou non avoir été précédemment oubliés, et accompagnés
par le sentiment que ces événements rappelés sont des
anecdotes véridiques de l’expérience originale. Cette remé-
moration issue de la mémoire autobiographique peut être
réalisée de fac¸on privée ou être partagée avec autrui »2
[8].
Ainsi, la réminiscence est décrite comme un acte volon-
taire de recherche active en mémoire, contrairement au
concept de revue de vie décrit comme un souvenir apparais-
sant de manière naturelle à l’individu. Selon la définition de
Butler [4], la revue de vie repose sur l’introspection comme
elle est décrite dans les thérapies psychanalytiques et sup-
pose la réévaluation de ses souvenirs grâce à un travail
actif sur la valence des événements rappelés. Tandis que
la réminiscence s’appuie sur une base théorique psycho-
sociale [6] et suppose un rappel pouvant être organisé en
périodes de vie sans pour autant recourir à un travail actif
2«Reminiscence is the volitional or non-volitional act or process
of recollecting memories of one’s self in the past. It may involve the
recall of particular or generic episodes that may or may not have
been previously forgotten, and that are accompanied by the sense
that the remembered episodes are veridical accounts of the original
experiences. This recollection from autobiographical memory may be
private or shared with others ».(Bluck & Levine, 1998 [8]).
sur ce qui est rappelé. Haight et Burnside [6] ont décrit de
manière exhaustive les points communs, les similarités et
les différences entre ces deux concepts. Ils insistent notam-
ment sur les bases théoriques sous-jacentes, les objectifs,
les processus et sur les résultats attendus, qui sont différents
d’un concept à l’autre. Le tableau 1 résume les différences
décrites par ces auteurs [6].
Au-delà de cette classification par types de réminis-
cences, d’autres auteurs [9-11] se sont posé la question de
l’utilité des réminiscences pour la personne qui y a recours.
Une échelle des fonctions des réminiscences a été créée, la
«Reminiscence Functions Scale », [9, 10] afin de répondre
à la question : «à quoi servent-elles ? ». En effet, les auteurs
ont constaté que les réminiscences variaient en fonction
de leur type mais aussi selon les caractéristiques person-
nelles du sujet, la période de vie dans laquelle il se trouve,
les événements auxquels il peut être confronté et selon le
vécu émotionnel du sujet. Ainsi, selon toutes ces caractéris-
tiques, les réminiscences auxquelles il aura recours auront
une fonction différente. Grâce à la passation de cette échelle
dans un large échantillon de la population générale normale
et tout âge confondu, huit fonctions des réminiscences ont
été mises en évidence [9] :
la fonction d’identité qui correspond aux réminiscences
qui servent à développer un sens, une cohérence dans sa
vie et un sentiment de valeur personnelle ;
la fonction de résolution de problèmes qui renvoie aux
souvenirs d’expériences antérieures et aide à composer
avec les défis présents ;
la fonction d’instruire qui se rapporte aux réminiscences
utilisant les enseignements de l’expérience personnelle
pour venir en aide à autrui ;
la fonction de conversation ayant pour but d’alimenter
la conversation en recourant à des souvenirs autobiogra-
phiques, afin de se rapprocher des autres ;
la fonction de regain d’amertume qui consiste dans le
rappel de souvenirs portant sur les échecs rencontrés et les
conflits ;
la fonction de réduction de l’ennui correspondant au fait
d’utiliser ces souvenirs du passé, souvent glorifié, lorsque
l’environnement est peu stimulant ;
la fonction de préparation à la mort qui a pour but de
composer avec la proximité de la mort et de faire face aux
questions existentielles de fin de vie ;
la fonction de maintien de l’intimité qui consiste dans
le rappel de souvenirs permettant de rendre présentes les
personnes proches disparues.
Après ces avancées théoriques dans le champ des rémi-
niscences, des recherches ont vu le jour afin d’éprouver ces
modèles à la pratique clinique, en particulier chez les per-
sonnes âgées. En effet, dans un premier temps, Cappeliez,
Lavallée et O’Rourke [12] ont comparé la population des
jeunes adultes à celle des personnes âgées sur leur fac¸onde
recourir aux réminiscences et sur le but recherché. Ils ont
montré que les personnes âgées utilisaient davantage les
réminiscences instructives ayant une fonction d’enseigner
et transmettre des expériences de vie, tandis que les jeunes
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Journal Identification = NRP Article Identification = 0343 Date: June 19, 2015 Time: 3:15 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
120
Article de synthèse
Tableau 1. Différences entre réminiscence et revue de vie selon Haight et Burnside [6].
Réminiscence Revue de vie
Objectifs
Améliorer la socialisation
Amélioration des capacités communicationnelles
Fournir du plaisir
Améliorer la confiance en soi
Obtenir des données personnelles
Améliorer le bien-être
Intégrité
Bases théoriques
Bases psychosociales Bases psychanalytiques
Rôles de l’intervenant
Pas de reformulation
Ne pas réinterroger
Position informelle
Ne pas forcer l’insight
Rôle de soutien
Reformulation
Acceptation
Valorisation
Position empathique
Processus
Flot de parole libre ou structuré
Souvent spontané
Ne se focalise pas sur un point
Utilise ou non une approche chronologique
Utilisation de thèmes et d’accessoires
Atmosphère calme et positive
Objectif général de plaisir
Accent habituellement porté sur les souvenirs positifs
Retour des membres du groupe
Répétition pour ceux qui ont des problèmes de
mémoire légers
En groupe
Structuré
Discussion sur les conflits/échecs
Par période de vie
Travail interne
Objectif de réintégration des souvenirs
Souvenirs plaisants ou non
Évaluatif
Intégratif
Répétition : fonction de «catharsis »
Reformulation individuelle des évènements
Résultats
Diminuer l’isolement
Améliorer l’estime de soi
Améliorer la vigilance
Créer des amitiés entre les membres
Héritage complété
Améliorer la connexion
Améliorer la socialisation
Intégrité
Améliorer le bien-être
Sagesse
Paix
Améliorer l’estime de soi
Diminuer les symptômes dépressifs
Améliorer la satisfaction de vie
adultes avaient davantage recours aux réminiscences inté-
gratives, instrumentales et d’évasion de la réalité. Cette
étude a permis aux auteurs de confirmer que les réminis-
cences ont bien des fonctions différentes et notamment en
fonction de la période de vie que traverse la personne.
Dans un second temps, ils ont poursuivi leur recherche en
s’intéressant aux liens entre traits de personnalité et réminis-
cences et ont montré que les personnes ayant une plus forte
tendance à l’anxiété ou à la dépression étaient celles qui
recouraient plus souvent aux réminiscences de tous types
[13]. Au cours de cette étude, Cappeliez et O’Rourke ont
repéré trois profils distincts uniquement chez les personnes
âgées : 1) celles qui se laissent envahir par des réminis-
cences négatives ; 2) celles qui utilisent les réminiscences
dans la recherche d’un sens à leur vie ; et 3) celles qui ont
peu recours aux réminiscences.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
Journal Identification = NRP Article Identification = 0343 Date: June 19, 2015 Time: 3:15 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
121
Article de synthèse
Cette étude a motivé les auteurs à poursuivre leur
recherche dans le champ du vieillissement. Ils se sont
notamment intéressés à l’utilité que pouvaient avoir les
réminiscences dans le vieillissement réussi [14]. Ils ont
ainsi contrôlé les variables de personnalité des personnes
âgées incluses dans cette étude et ont mis en évidence
l’influence des réminiscences dans la prédiction de la
satisfaction de vie ou de la détresse psychologique. Ils
ont notamment identifié les réminiscences obsédantes,
celles d’évasion de la réalité et celles ayant une fonc-
tion de maintien d’intimité comme étant associées à une
détresse psychologique plus importante chez les personnes
âgées.
Malgré l’affluence d’études sur la technique de rémi-
niscences, ou thérapie par réminiscences, une revue
systématique de la base de données de la Cochrane
[15] retenait seulement cinq études randomisées contrô-
lées valides pour l’évaluation de cette technique chez les
personnes âgées atteintes d’un syndrome démentiel [16-
20]. Les auteurs concluaient que, bien que des effets sur
l’humeur, la cognition ou bien sur le fardeau de l’aidant
aient été retrouvés dans ces études ayant une méthodolo-
gie rigoureuse, il s’agissait toujours d’études sur des petits
échantillons et avec une approche, voire une définition,
différente de la réminiscence. La variabilité des types de
réminiscences et des résultats obtenus entre ces études
indique qu’il y aurait besoin de nouvelles recherches ran-
domisées contrôlées, dans un cadre théorique bien défini,
afin de tirer des conclusions davantage robustes.
Le même constat a été fait récemment par Westerhof
et Bohlmeijer [21], dans une revue de la littérature sur les
interventions de type «Life-review »comparées aux inter-
ventions fondées sur la réminiscence. Ils concluent à la
nécessité d’orienter les recherches selon les connaissances
actuelles sur les différentes fonctions des réminiscences et
ouvrent la voie vers un lien possible avec la mémoire auto-
biographique. En effet, les auteurs insistent sur l’importance
d’ouvrir les recherches sur la revue de vie et les rémi-
niscences vers la psychologie cognitive, en particulier les
travaux sur la mémoire autobiographique, afin d’utiliser
les méthodes expérimentales issues de ce champ. Selon
eux, les paradigmes d’étude de la psychologie cognitive
et les connaissances acquises sur la mémoire autobiogra-
phique permettraient d’avoir une meilleure compréhension
des processus cognitifs impliqués dans la remémoration de
souvenirs personnels et dans l’interprétation que l’individu
en a pendant les interventions de type «Life-review »ou
celles utilisant les réminiscences.
En 2006, une nouvelle taxonomie des réminiscences en
trois types a été proposée, selon leurs fonctions par rapport
au soi [22] :
les fonctions positives se rapportant au soi : elles
regroupent les réminiscences intégratives (identité), les
réminiscences instrumentales (résolution de problème), et
aussi celles de préparation à la mort. Elles correspondent à
un effort d’adaptation positive face aux défis du présent et
du futur ainsi qu’une recherche de sens ;
les fonctions négatives se rapportant au soi correspondent
au regain d’amertume, aux réminiscences d’évasion de la
réalité (réduction de l’ennui) et à celles qui servent au main-
tien de l’intimité avec les personnes proches disparues. Elles
convergent toutes les trois vers des ruminations mentales à
propos du passé (regrets, deuils) ;
les fonctions pro-sociales regroupent les réminiscences
narratives (conversation) et instructives qui ont pour objectif
de créer et maintenir le lien social.
Plus récemment, Cappeliez [23] a établi une correspon-
dance entre la taxonomie faite par Watt et Wong et les huit
fonctions des réminiscences identifiées par Webster. À ce
résumé, nous avons inclus la nouvelle taxonomie de 2006
qui est synthétisée dans le tableau 2.
Applications cliniques
Par la suite, les différents types de réminiscences les
plus employés ont été étudiés dans différents échantillons
de la population, notamment chez les sujets dépressifs, les
sujets âgés, et aussi selon des traits de personnalité particu-
liers (introversion, extraversion, névrosisme, anxiété trait,
anxiété état...) [24-26]. Chez les sujets âgés, beaucoup
d’auteurs se sont intéressés au lien entre types de réminis-
cences et bien-être/qualité de vie. En 2007, Bohlmeijer et al.
[24] ont mené une méta-analyse afin de comparer l’effet de
la revue de vie de Butler [4] par rapport à la réminiscence sur
le bien-être des personnes âgées, selon différentes modalités
(individuel versus groupe) et selon différentes caractéris-
tiques de population (personnes vivant à domicile versus
en institution). Ils ont mis en évidence de meilleurs résultats
avec la revue de vie, de manière significative. Néanmoins,
leur méta-analyse a porté sur des études utilisant la réminis-
cence comme un concept large et sans la distinction faite
par la taxonomie de 2006. De plus, les résultats consta-
tés avec la revue de vie concernaient surtout les personnes
ayant des symptômes anxio-dépressifs sévères.
Une autre étude a été réalisée par O’Rourke et al. [25]
intégrant la taxonomie de 2006 dont l’objectif était de déter-
miner si les fonctions des réminiscences influenc¸aient le
bien-être ou si au contraire l’état de santé mentale affectait
le type de réminiscences auquel les adultes âgés avaient
recours. Dans cette étude, deux groupes d’âges étaient
comparés sur leur recours à certains types de réminiscences,
les sujets âgés de moins de 70 ans et ceux de plus de 70 ans.
L’échelle des fonctions des réminiscences a été administrée
ainsi que des échelles de qualité de vie (The Satisfaction
with Life Scale : SLS), de dépression (The Center for Epide-
miologic Studies – Depression Scale : CES-D) et d’anxiété
(The State Trait Anxiety Inventory : STAI ; seuls les 20 items
de l’anxiété-état ont été effectués). Les auteurs concluaient
à une association entre certaines fonctions des réminis-
cences et le bien-être. En effet, les analyses effectuées
retrouvaient une association entre les réminiscences posi-
tives en lien avec le soi, ou les réminiscences négatives avec
le soi et le bien-être 16 mois plus tard, dans le sens où les
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !