Journal Identification = PNV Article Identification = 0388 Date: March 8, 2013 Time: 3:40 pm
Se souvenir pour mieux vieillir
cette tendance des personnes âgées à évoquer des sou-
venirs personnels. En opposition à la notion répandue à
l’époque, voulant que le fait d’évoquer des souvenirs soit un
signe de sénilité, Butler propose plutôt que la réminiscence
soit un acte naturel et universel faisant partie intégrante
du développement psychologique. Plus récemment, des
chercheurs canadiens ont tenté de mieux comprendre les
fonctions des réminiscences en proposant une évaluation
empirique et une modélisation des concepts sous-jacents
à la réminiscence.
Les fonctions des réminiscences
Quoique peu nombreux, différents auteurs ont tenté
d’identifier et de catégoriser les nombreux rôles des sou-
venirs, soit chez les jeunes adultes, soit chez les personnes
âgées (pour une revue voir [9-11]). Jeffrey Webster [12, 13]
est parmi les premiers auteurs à évaluer les fonctions des
réminiscences auprès de personnes âgées de 17 à 91 ans,
couvrant ainsi toute la durée de la vie adulte. À l’origine, il
avait demandé à des participants de donner deux raisons
pour lesquelles ils évoquaient des souvenirs personnels et
deux raisons pour lesquelles ils croyaient que les autres
personnes évoquaient des souvenirs personnels. Ses tra-
vaux ont permis la création de l’Échelle des fonctions des
réminiscences (Reminiscence function scale). Cette échelle
est composée de 43 raisons pour lesquelles il est possible
d’évoquer des souvenirs. La personne doit évaluer, sur une
échelle de Likert en 6 points, la fréquence avec laquelle elle
évoque des souvenirs pour une raison donnée. Par exemple,
«Je me rappelle mon passé pour transmettre à d’autres
personnes le savoir que j’ai acquis lorsque j’évoque des
souvenirs »[14]. Plusieurs analyses factorielles des 43 items
(totalisant environ 2 000 participants) ont permis d’identifier
huit fonctions distinctes : identité, résolution de problème,
instruire/informer, conversation, regain d’amertume, réduc-
tion de l’ennui, préparation à la mort et maintien de l’intimité
[12, 13, 15]. Ce questionnaire auto-administré peut être
complété en 35 minutes approximativement et constitue un
outil validé en franc¸ais pouvant être utilisé dans la recherche
sur les fonctions des réminiscences [14].
Valeurs adaptatives des réminiscences
Cappeliez et O’Rourke [16] se sont intéressés aux
valeurs adaptatives des réminiscences plus tard dans la
vie. Plus particulièrement, ils ont examiné les liens entre
les huit fonctions des réminiscences telles que distinguées
ci-dessus [12, 13] et le bien-être psychologique et phy-
sique des personnes âgées. Ces chercheurs proposent
un modèle regroupant les réminiscences en trois supra-
fonctions : les fonctions positives du soi (identité, résolution
de problème et préparation à la mort), les fonctions néga-
tives du soi (regain d’amertume, réduction de l’ennui et
maintien de l’intimité) et les fonctions pro-sociales (ins-
truire/informer et conversation). Deux études évaluant le
bien-être physique et psychologique (incluant l’état de santé
général, la satisfaction de vie, la dépression et l’anxiété)
révèlent que les fonctions positives du soi sont associées
de fac¸on directe et positive au bien-être des personnes
âgées [16, 17]. De même, une association directe et néga-
tive entre les fonctions négatives du soi et le bien-être
psychologique a été observée. Même si aucune association
directe n’a été démontrée entre les fonctions prosociales
et le bien-être psychologique, celles-ci semblent avoir un
effet indirect via les fonctions positives et négatives du soi.
En résumé, ces données suggèrent que les souvenirs liés
aux conflits non résolus et aux regrets affectent négative-
ment les individus plus tard dans la vie, alors que l’évocation
de souvenirs personnels permettant de donner un sens à sa
vie et de mettre en valeur ses capacités à résoudre des pro-
blèmes, a un impact positif sur le bien-être des personnes
âgées.
Il n’est pas étonnant que différentes pratiques de la
réminiscence aient été utilisées dans les milieux cliniques
œuvrant auprès de populations âgées. Ces méthodes nar-
ratives sont généralement en résonance avec plusieurs
connaissances théoriques de la mémoire et du déve-
loppement psychologique. Toutefois, ce n’est que tout
récemment qu’elles ont fait l’objet de recherche pour en
évaluer l’efficacité en lien avec les différents aspects psy-
chologiques de la santé des personnes âgées.
Les méthodes narratives
L’examen de vie
Selon Butler [8], les fonctions des réminiscences chez
les personnes âgées cadrent bien avec le stade final du
modèle de développement psychosocial proposé par Érik
Erikson [18]. Ce modèle, qui s’échelonne sur toute la
vie, comprend huit stades dont le dernier est celui de la
rétrospection associée à la vieillesse. Selon que le bilan
de vie mène à la conclusion d’une vie bien remplie ou
plutôt inachevée, un sentiment d’intégrité ou de déses-
poir s’en suit. En lien avec la notion de rétrospection du
modèle d’Erikson, cette méthode narrative invite la per-
sonne âgée à procéder à un examen de vie afin de revoir
et d’évaluer les accomplissements et évènements mar-
quants. L’examen de vie, préconisé par Butler et rendu
populaire par d’autres [19], inclut les souvenirs à la fois
positifs et négatifs qui couvrent toute la durée de vie. Par
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 11, n ◦1, mars 2013 83
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