La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Juillet 2001 • 21
mastectomie il y a 15 ans. La dame
donne le nom de son médecin de
famille, mais ce dernier a pris sa retraite
et a déménagé il y a 10 ans.
L’examen physique ne révèle rien de
particulier, sauf une morsure au pied et
une cellulite autour de la plaie.
Madame K semble étonnée de cette
morsure et ne peut expliquer son origine.
Le mini-examen de l’état mental de
Folstein donne une cote de 8/305.
Madame K ne peut donner ni la date du
jour ni son adresse. Vous lui décrivez
trois objets, mais, après cinq minutes,
elle est incapable de s’en souvenir. Elle
ne croit pas que sa maison est malpro-
pre et affirme qu’elle s’occupe toute
seule de l’entretien ménager et qu’elle
sort chaque jour en automobile pour
visiter des amis et faire les courses. Elle
parle de son mari comme s’il était
encore vivant. Lorsque vous lui men-
tionnez que son médecin de famille a
pris sa retraite il y a plus de 10 ans, elle
vous contredit et affirme qu’elle l’a
aperçu il y a quelques jours seulement.
Dans un entretien à l’écart, la nièce
vous informe que madame K ne la
reconnaît pas, mais qu’elle lui a confié
la gestion de sa maison. Lors de sa pre-
mière visite, la nièce avait constaté que
le réfrigérateur était plein d’aliments
gâtés et que la maison était encore plus
sale qu’aujourd’hui. Madame K porte
les mêmes vêtements chaque jour et
accepte de se laver seulement lorsqu’on
la houspille. Elle n’utilise jamais le télé-
phone, ne fait aucune tâche ménagère et
a tout simplement oublié que le chien
doit sortir pour faire ses besoins. Elle ne
possède pas d’automobile.
Les voisins ont informé la nièce de
madame K qu’ils n’ont pas vu la vieille
dame depuis plus d’un an et que, mis à
part le livreur de l’épicerie du coin et
l’employé engagé pour tailler la pelou-
se, personne ne vient jamais à la
maison. Le médecin de famille qui a
repris le cabinet de son collègue il y a
plus d’un an n’a jamais vu madame K.
Commentaires
Il est évident que madame K souffre de
démence grave, très probablement de
type Alzheimer. Ni le tableau clinique ni
l’examen physique évoquent un autre
diagnostic, tel qu’une démence vascu-
laire ou une démence à corps de Lewy.
L’examen courant devrait être ordonné,
conformément aux recommandations
de la Conférence canadienne de consen-
sus sur la démence11. Dans le cas de
madame K, cela signifie quelques
analyses de sang. Même si l’hypothy-
roïdie n’est pas traitée assez énergique-
ment, il est plus probable que ce trouble
est un symptôme de la démence plutôt
que la cause.
La prise en charge de cette patiente
consiste principalement à guider sa
nièce à travers les méandres des ser-
vices de protection des adultes ou de
tutelle (les termes varient selon les
régions). Le mieux, pour la patiente, est
d’obtenir un service de soins à domicile
jour et nuit si madame K en a les
moyens; sinon, la seule autre option est
de placer la patiente dans un établisse-
ment de soins après avoir obtenu un
ordre du tribunal.
Conclusion
La plupart des médecins voient, un jour
ou l’autre, des cas de négligence de soi.
Le diagnostic différentiel porte surtout
sur la durée des symptômes et l’évalua-
tion attentive de la fonction cognitive et
de l’humeur. La démence et la dépres-
sion sont les causes les plus fréquentes
de la négligence de soi chronique. La
prise en charge du patient fait appel non
seulement au traitement des troubles de
santé sous-jacents, mais aussi à la con-
naissance des lois et règlements locaux
et des organismes de service. Mal-
heureusement, les médecins de premier
recours ne se sentent pas à l’aise d’éva-
luer ces patients et de les prendre en
charge. D’un côté, une enquête menée
en Ontario a montré que seulement
45 % des médecins ne craignaient pas
d’évaluer les sévices chez les personnes
âgées et que seulement 22 % connais-
saient bien les services offerts à cette
population13. D’un autre côté, la négli-
gence de soi chez les personnes âgées
devient un phénomène de plus en plus
courant à mesure que la population
canadienne vieillit et que le nombre de
personnes vivant seules atteintes de
démence augmente14.
Références
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11. PATTERSON, C. J. S. et al. « The recognition, assessment and management of
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13. KRUEGER, P. et C. J. PATTERSON (for the Research Subcommittee of the Elder
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and managing elder abuse: challenges in primary care », Can Med Assoc J,
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