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SOC/At N'6 - Juin 1981
des enfants, c'est leur affaire ; ils pourraient I'utiliser à
s'offrir des loisirs plus dispendieux, ou à toute autre
dépense, cela ne regarde pas le fisc.
En fin de compte, c'est donc le statut de I'enfant
dans la nation qui est en question. Le principe qui est
sous-jacent à la présentation du quotient familial comme
aide à la famille consiste à refuser à l'enfant le statut
de citoyen, partie intégrante d'un foyer fiscal, et donc,
à ce titre, contribuable. En forgeant un néologisme, on
pourrait appeler < adultisme >>
cette philosophie politique
qui ne reconnait pas I'enfant comme français à part
entière, et qui désire en conséquence que le fisc I'ignore
jusqu'à son entrée dans la vie active.
L'expression < adultisme > convient d'ailleurs égale-
ment à la philosophie de la famille qui accompagne
cette philosophie politique. Comme dans I'ancienne
Rome, I'enfant est la chose de ses parents. C'est
I'enfant-objet, I'enfant-animal familier, dont I'entretien
est I'un des emplois possibles des revenus des adultes.
Ce n'est pas I'enfant-personne, l'enfant membre d'une
communauté - sa famille - disposant d'un revenu glo-
bal qui profite à tous ses membres. L'enfant est un luxe
que s'offrent les adultes, parce qu'il leur rapporte cer-
taines gratifications. On admet de donner aux adultes
quelques encouragements fiscaux pour ce type de
dépense, comme pour les dépenses d'isolation, ou pour
les intérêts de certains emprunts immobiliers. Mais on
refuse d'admettre que le revenu qui entre au foyer est le
revenu commun de toute la famille, cellule ( commu-
niste > par excellence.
Au total, I'adultisme, avec la double signification
dont nous venons de charger ce néologisme, nous parait
être la caractéristique essentielle des positions philosophi-
ques qui, sauf manque de logique, doivent être adoptées
pour présenter le quotient familial comme une aide aux
familles.
IV. LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES
DE LA SECONDE TNÈSE:
LES PRINCIPES
n
FAMILIAUX
o
Ces fondements ont déjà été invoqués au paragraphe
précédent, pour faire contrepoint aux principes sous-
jacents à la première thèse : cela était nécessaire,
car la
connaissance d'un principe requiert de savoir non seule-
ment ce qu'il affirme, mais aussi ce qu'il nie. Le pré-
sent paragraphe présente donc surtout une mise en
forme et un développement des idées déjà mentionnées.
La deuxième thèse affirme que le quotient familial est
une conséquence normale du principe de la progressivité
de I'impôt sur le revenu. Cela signifie que le revenu
dont il est question est un revenu, sinon par tête, du
moins par ( unité de consommation > (14) : le quotient
familial a précisément pour fonction de déterminer le
revenu par unité de consommation, connaissant le
revenu global du foyer fiscal et sa composition.
(14)
A. Charraud et A. Chastand, opus cité p. 64, écrivent que le
quotient familial ( correspond en quelque sorte à une échelle
simplifiée d'unités de consommation,. Mais ils l|e voient
pas la portée du principe ainsi énoncé, et en reviennent
ensuite à I'idée
d'une n
réduction
d'impôt
r et d'une n
aide à
la famille,.
Bien des questions techniques se posent à ce sujet :
compter I'enfant pour une demi-part, depuis le berceau
jusqu'à sa majorité, n'est-ce-pas, tant qu'il est en bas
âge, surestimer la part du revenu familial global qui lui
est consacrée, et la sous-estimer au contraire quand il
est jeune homme ou jeune fille ? Ces questions sont
importantes, mais elles nous détourneraient de notre but
principal : bornons-nous donc à les mentionner, et rai-
sonnons, pour simplifier, comme si le quotient familial
reflétait assez exactement la réalité c'est-à-dire
comme si une famille composée du père, de la mère et
de 5 enfants, devait disposer, pour avoir le même
niveau de vie, de 4,5 ou 5 fois plus d'argent qu'un céli-
bataire, de 2 fois et demi plus qu'un couple sans enfant
à charge, etc.
Sous cette hypothèse, être partisan du quotient fami-
lial signifie trouver normal qu'à niveau de vie égal, le
taux de I'impôt sur le revenu soit le même, que le foyer
fiscal comporte une, deux, trois, ou dix personnes.
Autrement dit, soutenir le quotient familial veut dire
que l'on trouve pertinentes les comparaisons de niveau
de vie des différents foyers fiscaux, plutôt que les com-
paraisons de revenus globaux. Si le foyer fiscal A dis-
pose de 120
000 F de revenu, tandis que le foyer B n'a
que 60 000 F, on se refuse à en déduire que A doit être
imposé à un taux supérieur à B : si A compte 4 unités
de consommation (4 < parts >) et B 2 unités seulement,
alors le taux doit être le même pour A et B (ce qui fait
payer à A un impôt double de celui de B - mais pas
davantage, comme le jugeraient normal les contradic-
teurs du quotient familial).
Venons-en
aux présupposés
philosophiques. Ils concer-
nent d'abord I'idée que I'on se fait de I'enfant et de la
famille : le premier est considéré comme un membre à
part entière de la seconde, et non comme une poupée
pour grandes personnes. La famille est pensée comme
une communauté de partage, où ce qui entre comme
argent est dépensé, sous la responsabilité des adultes, au
profit de tous, et en fonction des besoins de chacun.
C'est une philosophie de I'enfant-personne, de la
famille-communauté de vie où les parents sont responsa-
bles de jeunes êtres ne leur appartenant pas, par opposi-
tion à une philosophie de I'enfant-objet, possession
de
ses parents. Désignons cette philosophie en lui appli-
quant le qualificatif ( familial >.
Les présupposés philosophiques concernent en second
lieu les rapports Etat-Enfants. Cette fois, on estime que
I'Etat doit prendre I'enfant en considération, le regarder
comme un citoyen. On considère que lorsque des
enfants et leurs parents vivent ensemble d'un ou plu-
sieurs revenus mis en commun, le contribuable n'est pas
un individu (le père ou la mère), mais bien la famille
toute entière, qui constitue alors le < foyer fiscal >.
Bref, I'Etat et sa fiscalité ont en face d'eux non pas des
individus isolés, mais des citoyens regroupés en familles
par les liens du mariage et du sang. C'est la reconnais-
sance de la famille en tant qu'interlocuteur du fisc.
Ainsi la philosophie sous-jacente à I'approbation du
quotient familial a_-t-elle trois lignes de force : I'enfant
est un citoyen ; I'Etat doit respecter I'unité des cellules
dont il a entériné la formation lors de la cérémonie du
mariage ; et le taux de I'impôt sur le revenu doit être
fonction, non pas du revenu global du foyer fiscal, mais
de son niveau de vie, c'est-à-dire
du revenu par unité de
consommation. Tels sont, dans leurs grandes lignes, les
principes que nous avons appelés < familiaux >.