Génotype delta32/delta32 et infection VHC : risque accru ou biais de sélection ?
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°106 - janvier-mars 03
VHC - CCR5
Génotype delta32/delta32 et infection VHC :
risque accru ou biais de sélection ?
Laurence Meyer
service d'épidémiologie et de santé publique, Inserm U569 (Hôpital de Bicêtre)
Frequency of
the HIV
protective CC
chemokine
receptor 5
Delta32/Delta32
genotype is
increased in
hepatitis C
Woitas R.P.,
Ahlenstiel G.,
Iwan A.,
Rockstroh J.K.,
Brackmann H.H.,
Kupfer B., Matz
B., Offergeld R.,
Sauerbruch T.,
Spengler U.
Gastroenterology,
2002, 112, 1721-
1728
Cet article rapporte une fréquence anormalement élevée, chez
des patients infectés par le VHC, de sujets homozygotes pour la
délétion CCR5-Delta32. Les auteurs en concluent que ce
génotype particulier pourrait conférer une fragilité
immunologique en empêchant une éventuelle guérison
spontanée de l'infection VHC. Mais l'hypothèse d'un biais est la
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Génotype delta32/delta32 et infection VHC : risque accru ou biais de sélection ?
plus probable.
Il s'agit ici d'une étude transversale portant sur des patients
suivis en consultation entre 1999 et 2000 à l'hôpital
universitaire de Bonn en Allemagne. Au total, 153 sujets
VHC+, 102 sujets VIH+ et 130 sujets coinfectés VHC+/VIH+
ont été recrutés ; 102 sujets donneurs de sang à la fois VIH- et
VHC- ont été également étudiés.
La fréquence du génotype Delta32/Delta32 était dans cette
étude de 1% chez les donneurs de sang et de 0% chez les
sujets VIH+, qu'ils soient ou non coinfectés par le VHC. Ces
résultats sont conformes aux données de la littérature puisque
ce génotype, peu fréquent dans la population générale,
confère une protection forte, quoique pas totale, vis-à-vis de
la contamination VIH. Il était en revanche étonnamment
fréquent - 12 sujets sur 153, soit une fréquence de 7,8% -
chez les sujets infectés par le VHC. De plus, chez ces 153
sujets infectés par le VHC, la charge virale ARN-VHC était
beaucoup moins souvent indétectable chez les homozygotes
Delta32/Delta32 (8%) que chez les autres sujets (29%) ; la
virémie, quand elle était détectable, était plus élevée chez les
homozygotes Delta32/Delta32. Enfin, ceux-ci avaient des
taux de CD8 plus élevés que les autres, mais leurs taux de
CD4 et d'enzymes hépatiques ne différaient pas de ceux des
autres sujets.
Le mécanisme par lequel la délétion Delta32 à l'état
homozygote serait plus fréquente chez les sujets infectés par
le virus de l'hépatite C n'est absolument pas clair. Le
récepteur CCR5 n'est pas nécessaire au VHC pour pénétrer
dans les cellules, ce qui ne plaide pas en faveur d'un risque
accru de contamination VHC chez les homozygotes
Delta32/Delta32. Le mécanisme avancé par les auteurs
consisterait plutôt en une absence de clairance spontanée du
VHC.
Les sujets porteurs de la double délétion Delta32 ont, c'est
connu, une absence complète d'expression de CCR5 à la
surface de leurs cellules. Les ligands naturels de CCR5 que
sont les beta-chémokines ne pouvant se fixer à leur récepteur
CCR5, la réponse lymphocytaire à l'attraction par les beta-
chémokines ne pourrait se faire, et donc le recrutement de
lymphocytes antigène-spécifiques. De plus, l'expression de
CCR5 définit la fonction Th1 (T-helper) des lymphocytes ; or
ce sont ces lymphocytes Th1 qui sécrètent naturellement des
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cytokines antivirales telles que le TNF et l'interféron gamma.
Il s'agit là d'une hypothèse intéressante. Elle est étayée par
d'autres résultats de la même équipe1 décrivant, cette fois
chez des sujets VHC+ non porteurs de la délétion Delta32,
une expression diminuée de CCR5 en comparaison à des
sujets VHC- également non porteurs de la délétion, ainsi
qu'une migration lymphocytaire T réduite après stimulation
par beta-chémokines.
Il faut noter toutefois qu'une autre étude2, portant sur un
nombre semblable de sujets homozygotes Delta32/Delta32 (n
= 15) comparés à 201 sujets dont le génotype était de type
sauvage, n'a pas observé de liaison avec les infections B ou C.
Surtout, il s'agit ici d'une étude transversale, dont le principe
consiste à recruter "ceux qui sont là", et en particulier ceux
dont l'état de santé leur a permis d'être encore là. Ce type
d'étude transversale est donc entaché de biais de sélection
potentiels, dont on maîtrise souvent mal le sens et
l'importance. La majorité des sujets de cette étude étaient des
hémophiles ; on ignore la date de leur contamination VHC,
mais elle remonte certainement à de nombreuses années avant
leur recrutement en 1999. Or, le génotype Delta32/Delta32
protège fortement de l'infection VIH, y compris chez les
hémophiles. Il n'est ainsi pas surprenant qu'on le retrouve plus
fréquemment chez les sujets VHC+ non infectés par le VIH
que chez les VHC+ coinfectés par le VIH. Il s'agit là d'un
phénomène de sélection identique à celui décrit en 1996 dans
la cohorte MACS chez les sujets non infectés par le VIH mais
ayant des pratiques à très haut risque de contamination : le
pourcentage d'homozygotes Delta32/Delta32 atteignait 33%
chez les sujets non infectés mais rapportant des pratiques
sexuelles à haut risque3.
Si l'on regroupe* tous les sujets VHC+ de l'étude de Woitas,
quel que soit leur statut VIH, on ne trouve plus "que" 4,2%
d'homozygotes Delta32/Delta32, pourcentage qui reste
cependant un peu élevé par rapport à celui observé dans la
population générale européenne, de l'ordre de 1%.
Un pourcentage d'homozygotes Delta32/Delta32 du même
ordre de grandeur, 5,5%, avait été rapporté dans l'étude de
Nguyen et coll.2 chez des hémophiles non infectés par le VIH
; ils observaient également chez ces sujets hémophiles
Delta32/Delta32 des antécédents très importants d'exposition
à des produits sanguins entre 1978 et 1985. Ces deux
constatations n'étaient pour eux que le reflet de la très grande
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Génotype delta32/delta32 et infection VHC : risque accru ou biais de sélection ?
résistance des homozygotes Delta32/Delta32 à l'infection
VIH, malgré une exposition massive. Cette grande exposition
passée à des produits sanguins ne pourrait-elle pas, par
exemple, expliquer que l'on observe quelques années plus tard
une plus grande fréquence d'infection VHC et une infection C
plus souvent virémique chez les sujets Delta32/Delta32 ?
En conclusion, il est important de confirmer les résultats de
cette étude dans d'autres populations, avec une meilleure
méthodologie. En effet, comme le soulignent eux-mêmes les
auteurs, si une telle association était retrouvée, il faudrait
alors être vigilant dans le futur, en cas de coinfection par le
VHC, sur l'emploi thérapeutique d'inhibiteurs de CCR5 chez
les sujets infectés par le VIH.
Les points clés
Parmi des sujets VHC+, VIH+,
coinfectés VIH/VHC, et des
sujets VHC- et VIH-, la fréquence
du génotype Delta32/Delta32 est
étonnamment élevée chez les
VHC+ non infectés par le VIH
(alors qu'en revanche, il est connu
que ce génotype protège
fortement contre l'infection à
VIH).
L'hypothèse d'un risque de
contamination accru par le VHC
chez les homozygotes Delta32
/Delta32 est cependant rejetée par
les auteurs.
Woitas et coll. suggèrent pour
expliquer cette fréquence
anormalement élevée qu'une
clairance spontanée de l'infection
VHC serait impossible chez ces
patients.
On ne peut cependant exclure
l'hypothèse d'un biais de sélection
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Génotype delta32/delta32 et infection VHC : risque accru ou biais de sélection ?
des sujets, dans cette étude
transversale menée auprès
d'hémophiles, contaminés donc il
y a de nombreuses années. C'est
peut-être l'importance des
antécédents d'exposition à des
produits sanguins contaminés qui
explique à elle seule l'infection à
VHC.
Cette étude demanderait donc à
être confirmée dans d'autres
populations. Toutefois, si une
telle association était retrouvée,
l'emploi thérapeutique
d'inhibiteurs de CCR5 chez les
sujets coinfectés VIH/VHC
demanderait à l'avenir la plus
grande vigilance.
* Ce qui peut être discutable avec un tel recrutement transversal:
certains sujets particuliers ont pu avoir disparu au fil des années, du fait
de leur maladie VIH ou du fait d'une autre caractéristique, par exemple
une infection C particulièrement virulente.
1- Lichterfeld M, Leifeld L, Nischalke HD et al.
"Reduced CC chemokine receptor CCR1 and CCR5 surface expression
on peripheral blood T lymphocytes from patients with chronic hepatitis
C infection"
J Inf Dis, 2002, 185, 1803-7
2- Nguyen GT, Carrington M, Beeler JA et al.
"Phenotypic expression of CCR5 delta 32/delta 32 homozygosity"
J Acquir Immune Defic Syndr, 1999, 22, 75-82
3- Dean M, Carrington M, Winkler C et al.
"Genetic restriction of HIV-1 infection and progression to AIDS by a
deletion allele of the CKR5 structural gene"
Science, 1996, 273, 1856-62
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