Questions à Christilla Vasserot, traductrice de «Bel-
grade» d’Angélica Liddell
23/05/13
Alors que Belgrade, d’Angélica Liddell est sur le point d’être présenté
au Théâtre de Vanves à partir du 28 mai (jusqu’au 1er juin), dans une
mise en scène de Julien Fišera, j’ai interviewé pour vous sa traductrice,
Christilla Vasserot. Celle-ci a en effet reçu l’Aide à la création du CnT
pour son travail sur ce texte. Maître de Conférences à l’Université de
Paris III-Sorbonne Nouvelle et coordinatrice du comité littéraire hispa-
nique à la Maison Antoine Vitez, elle évoque son métier de traductrice
et son rôle de passeur auprès des auteurs hispanophones qui, en par-
tie grâce à elle, trouvent leur écho en France.
DB - Comment avez-vous commencé votre carrière de traductrice ?
Christilla Vasserot : - Cela s’est fait un peu par hasard. Etudiante en
Lettres, je préparais un Doctorat d’études hispaniques sur le théâtre
cubain. J’ai alors rencontré les traducteurs de la Maison Antoine Vitez
(Centre International de la Traduction Théâtrale) qui avaient un projet
de cahier sur le théâtre cubain (1). Ils m’ont proposé de le coordonner.
Je l’ai fait en tant que spécialiste du théâtre cubain et non en tant que
traductrice. Mais j’ai trouvé que ce métier était une façon intéressante
d’aborder le théâtre. Peu après, j’ai lu les textes de Rodrigo García, que
j’ai adorés. Quand il a commencé à avoir une actualité en France, j’ai eu
l’occasion de le traduire. Et, depuis, je n’ai pas cessé de traduire.
DB - Vous vous êtes donc lancée dans la traduction, et vous avez aussi
traduit des romans. Y a-t-il des différences entre traduire un roman et
traduire du théâtre ?
Christilla Vasserot : - Avant tout, j’aime lire. Et je traduis ce que
j’aime, théâtre ou roman. Finalement, je trouve parfois plus de diffé-
rences entre deux auteurs qu’entre ces deux genres. On peut penser
qu’il existe des différences entre la traduction d’une pièce et celle d’un
roman : quand on traduit du théâtre, on pense à l’oralité, à la mise en
bouche, ainsi qu’au rythme de la pièce, au souffle… Mais est-ce qu’on
n’y pense pas aussi quand on traduit un roman ? Ce qui diffère, c’est
peut-être avant tout le temps de la traduction : traduire un roman, qui
peut parfois compter plusieurs centaines de pages, est un travail de
longue haleine ; la traduction du théâtre contemporain se fait parfois
dans l’urgence, notamment quand la traduction est liée à la création
d’un spectacle.
DB - Sans doute la plus grosse différence réside dans le fait qu’au
théâtre, vous faites partie d’un projet global. On vous sollicite en tant
que traductrice, spécialiste d’un auteur et vous devez parfois intervenir
lors des répétitions, adapter votre texte. Comment êtes vous intégrée à
l’équipe de création ?
Christilla Vasserot : - Cela dépend des projets et des mises en scène.
Certains metteurs en scène utilisent une de mes traductions déjà pu-
bliées et ne vont pas du tout faire appel à moi. Ils n’en ont d’ailleurs
pas l’obligation, une fois qu’ils ont demandé l’autorisation d’utiliser ma
traduction. Il peut aussi arriver qu’un metteur en scène me commande
une traduction ; dans ce cas, en principe, il y a davantage d’échanges.
Et il peut y avoir d’autres types de collaborations. Par exemple, pour les
deux pièces d’Angélica Liddell présentées au festival d’Avignon cet été
(« Ping Pang Qiu » et « Todo el cielo sobre la tierra »), je travaille égale-
ment sur le surtitrage. Mon travail de traduction est alors complètement
lié à la mise en scène. Je dois m’adapter au rythme de celle-ci.
DB - Modifiez-vous vos textes lors des répétitions et les retravaillez-
vous au plateau avant de les publier ?
Christilla Vasserot : - L’épreuve du plateau est fondamentale. Si elle
n’a pas lieu, je fais moi-même un travail de traduction « à haute voix »,
qui peut d’ailleurs avoir lieu en silence. Je traduis « à voix haute » mais
à voix basse !
Je retravaille toujours mes textes et cherche toujours à les améliorer,
même après publication. Si je relis une traduction faite six mois aupara-
vant, je vais y apporter des modifications. J’ai du mal à dire que j’ai fini.
Si ça ne tenait qu’à moi, je ne m’arrêterais pas de relire les épreuves.
Mes éditeurs le savent bien !
DB - Quelles sont en général les étapes d’une traduction de pièce de
théâtre ?
Christilla Vasserot : - Elles sont différentes selon les projets. Elles
sont dues à des contraintes de calendrier, ou au fait d’en assurer ou
pas le surtitrage. Il y a une chose que je ne fais jamais : un « premier jet
». Parfois, les metteurs en scène attendent la traduction et aimeraient
recevoir ce fameux « premier jet », pour se faire une idée du texte en at-
tendant la version définitive. Mais, pour ma part, je préfère prendre plus
de temps, quitte à m’arrêter sur les passages présentant des difficultés
et les lever, afin de livrer une traduction satisfaisante. Ce qui ne signifie
pas que je ne reviens pas dessus pour l’améliorer encore.
DB - Quelle est la génèse de la traduction de « Belgrade » ?
Christilla Vasserot : - La première personne qui m’a parlé d’Angélica
Liddel, voilà déjà quelques années, c’est Carlos Marquerie. Il est peintre,
metteur en scène, écrivain et créateur lumière. Il travaille sur les spec-
tacle de Rodrigo García et d’Angelica Liddell. J’ai alors commencé à
lire ses textes et à m’y intéresser. Puis Jacques Le Ny m’a proposé de
traduire Hysterica Passio dans le cadre de l’Atelier européen de la tra-
duction. C’était en 2006. Elle est pour moi une auteure majeure. Quand
elle m’a envoyé ce texte, je l’ai proposé au comité de lecture du festival
La Mousson d’été, qui l’a retenu. Je l’ai traduit pour l’édition 2009 du
festival et Véronique Bellegarde en a dirigé une lecture (2). Les éditions
Théâtrales l’ont publié. Le texte a circulé, il a été lu, notamment à la Co-
médie-Française, sous la direction de Laurent Muhleisen. Puis, Angélica
est venue à Avignon, avec « L’année de Richard » et « La maison de la
force » et cela a tout changé. Elle est désormais connue en France.
DB - Comment s’est déroulé le travail avec Julien Fišera ?
Christilla Vasserot : - Je l’ai rencontré, nous avons parlé, il m’a fait part
de son regard sur la pièce, j’ai assisté à une lecture rendant compte d’un
travail encore en chantier. Mais il a travaillé avec le texte plus qu’avec
moi… et je trouve ça très bien !
DB - Comment avez-vous abordé ce texte sur la Serbie à l’heure des fu-
nérailles de Slobodan Milosevic ? Avez-vous fait un travail de recherche
sur le conflit en ex-Yougoslavie ?
Christilla Vasserot : - Je ne suis pas une spécialiste de ce conflit,
alors j’ai vérifié certains points, certaines références, j’ai aussi appris des
choses.
DB - Quel regard poseriez-vous sur le théâtre espagnol contemporain ?
Christilla Vasserot : - Je n’ai pas un regard englobant sur le théâtre
espagnol, je connais mieux ce qui se fait en Amérique latine. J’essaie
de suivre l’actualité théâtrale espagnole en lisant beaucoup de textes
contemporains grâce, entre autres, à une collection publiée par Antonio
Fernández Lera : les « Pliegos de teatro y danza ». Ce sont des cahiers,
de fabrication presque artisanale mais avec une qualité d’édition, un vrai
choix éditorial. Antonio Fernández Lera publie un théâtre contemporain
qui sort de la norme. Je constate qu’il y a une scène alternative très inté-
ressante. Je découvre aussi de nouveaux auteurs que me font découvrir
d’autres traducteurs, notamment au sein de la maison Antoine Vitez. Je
pense par exemple au Catalan Pau Miró, qui va d’ailleurs être joué à
Théâtre Ouvert la saison prochaine, traduit par Clarice Plasteig Dit Cas-
sou. Bref, le théâtre espagnol me semble très éclaté, très divers.
DB - Comment s’opèrent vos choix ? Vous aimez les textes enragés,
pleins de colère. Etes-vous vous-même en colère ?
Christilla Vasserot : - C’est d’abord la qualité du texte qui est à la base
de mes choix. Cela dit, si je cherche l’empathie par moments, je la trou-
verai plus dans la rage que dans l’apaisement.
DB - Quels sont vos projets actuels ?
Christilla Vasserot : - Je termine la traduction et les surtitrages de
« Todo el cielo sobre la tierra », d’Angélica Liddell, qui va être joué à
Avignon, et ceux de « Ping Pang Qiu » qui va être joué à la Comédie de
Valence cette semaine puis à Avignon. Ensuite, je m’attellerai à la tra-
duction et au surtitrage de « Fauna », une pièce de l’auteure argentine
Romina Paula, ainsi qu’à la publication de ses trois pièces de théâtre
(dont « El tiempo todo entero », présenté en 2011 au festival d’Au-
tomne). Des projets et des textes qui me tiennent à cœur.
(1) Nouvelles écritures théâtrales d’Amérique latine Trente auteurs
sur un plateau – les cahiers de la maison Antoine Vitez
(2) avec Marc Bodnar, Norah Krief, David Lescot, Daniel Martin, Fa-
bien Orcier, Stéphane Varupenne (de la Comédie Française) et Gérard
Watkins
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