Médecin : un nouveau métier - Conseil National de l`Ordre des

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MEDECIN : UN NOUVEAU METIER
ENTRE ROLE SOCIAL ET ROLE SANITAIRE, LES NOUVELLES
MODALITES DE L'EXERCICE PROFESSIONNEL.
25 octobre 2001
Treizième Jeudi de l’Ordre
« Médecin, un nouveau métier » ; cette terminologie traduit la réalité d’un exercice professionnel en
constante mutation, tant le métier de médecin subit de plein fouet d’une part les évolutions de notre
société, et d’autre part le progrès scientifique, qu’il s’agisse d’un approfondissement des
connaissances ou de l’émergence de nouvelles techniques ou technologies.
En effet, polymorphe par nature, le métier de médecin ne saurait se résumer à une seule définition,
étant donné la diversité des modes d’exercice et le nombre des spécialités qui le caractérisent.
Cependant, les évolutions actuelles, telles que la féminisation de la profession, le développement des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, la démographie médicale, la
construction d’une Europe de la Santé, ou encore l’émergence de nouvelles relations avec les
professions para-médicales, etc. ouvrent la voie à un certain nombre de mutations dans l’exercice
quotidien de la médecine et plus largement encore dans la définition du métier de médecin. C’est
pourquoi le Conseil national de l’Ordre des médecins, promoteur et garant de la qualité de l’exercice
professionnel de la médecine, a souhaité consacrer un de ses Jeudis à ce sujet essentiel qu’est le
nouveau métier de médecin. Bien au-delà d’un simple constat de la réalité actuelle de l’exercice
professionnel, ce Jeudi pose la question de la définition de l’exercice professionnel de demain.
Conscients de l’ampleur du champ de réflexion, le Conseil national de l’Ordre, ainsi que les témoins et
experts invités à s’exprimer, ont tenté d’apporter des premiers éléments de réponse à une question qui
ne cessera de se poser.
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TABLE RONDE
Jackie AHR, Conseiller National, Président de la Section Formation et Qualifications
Etienne CANIARD, Auteur d'un rapport sur la place des usagers dans le système de soins
Nicolas DUBUIS, Président de l’inter syndicat national autonome des Résidents
Gilles JOHANET, Président de la Caisse Nationale Assurance Maladie
Denis LAMOUREUX, Vice-Président de la fédération française des Masseurs Kinésithérapeutes
Jacques LUCAS, Conseiller National, Président de la Section Exercice Professionnel
Jean PENEFF, Professeur, sociologue
Jacques ROLAND, Président de la Conférence des Doyens
Anne-Marie SOULIE, Présidente du Syndicat national des médecins de Groupe
Le débat a été présidé par le Professeur Bernard HOERNI, Président de l’Ordre National des
Médecins, et animé par Philippe LEFAIT, journaliste.
Allocution d’ouverture
Professeur Bernard HOERNI
Président de l’Ordre national des médecins
Avant de laisser Philippe Lefait animer ce treizième Jeudi de l’Ordre, je remercie particulièrement les
témoins et les experts qui ont répondu à notre invitation.
L’écrivain autrichien Stefan Zweig, qui était né en 1881, rappelait dans ses Mémoires, intitulées « le
Monde d’hier » que sa jeunesse avait été bercée par un monde dominé par la stabilité et par la
sécurité. Le monde actuel est effectivement bien différent. Il y a un siècle, nos grands-parents
recevaient des leçons de piano. Aujourd’hui, nos enfants apprennent, seuls ou presque, à utiliser des
ordinateurs.
La médecine a également connu des évolutions profondes en un siècle. Beaucoup s’en félicitent,
regrettant parfois qu’elle soit un peu en retard par rapport aux évolutions de la société. D’autres, au
contraire, le déplorent et s’inquiètent des évolutions qu’elle connaîtra dans cinq ans, dans dix ans,
dans trente ans.
En outre, vous avez certainement constaté que, nous avons retiré le point d’interrogation figurant
dans l’intitulé de l’invitation. En effet, lors de la préparation de cette journée, il nous a paru évident
que le métier de médecin était un nouveau métier.
Enfin, je rappelle que la Commission Nationale Permanente, qui est un laboratoire d’idées pour le
Conseil National de l’Ordre des Médecins, avait consacré des travaux en l’an 2000 sur l’évolution du
métier de médecin. J’ajouterai qu’une date ou un rapport ne suffiront pas à clore un débat qui n’est
pas nouveau et qui va certainement continuer à évoluer. La présente réunion ne sera qu’une étape
parmi tant d’autres.
Philippe LEFAIT
Outre la suppression du point d’interrogation dans l’intitulé de ce treizième Jeudi de l’Ordre, je
m’interrogeais sur l’opportunité d’écrire le terme « métier » au pluriel. Par ailleurs, j’ai essayé de
chercher une définition au terme « médecin ». J’ai trouvé un nombre impressionnant de qualificatifs
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pour vous désigner. Plutarque disait que « la médecine fait mourir plus longtemps ». Cette citation
me conduit à penser que la science ne peut pas être le centre de votre métier, bien qu’elle ne cesse
de progresser. Quant à Louis Pasteur, il disait que le métier de médecin « c’est guérir parfois, c’est
soulager souvent, c’est écouter toujours ». Alors que le paternalisme a été abandonné par les
médecins, la principale évolution du métier consiste à placer le patient au centre des préoccupations
du praticien.
Parmi les qualificatifs les plus utilisés pour définir votre profession, j’ai trouvé « le bon docteur
Wanadoo », ainsi que son contraire « le docteur Charlatan ». Le terme « généraliste » a été
abandonné au profit des termes « prestataire de services », « intermédiaire », « pivot de soins »,
« conseiller technique », « anti-paternaliste », « médiateur », « conseillant », « prévenant ». Les trois
derniers termes sont souvent suivis du qualificatif « social ». J’ai également trouvé le terme « officier
de santé ». En outre, le Livre de la Médecine, qui paraît aujourd’hui sous la direction de philosophes,
qualifie le médecin d’artisan, d’artiste, d’interprète et d’anarchiste. Par ailleurs, le médecin doit être
pétri de sciences médico-sociales et juridiques. Il est obligatoirement l’élément clé d’une équipe ou
d’un réseau pluridisciplinaire. Il est ouvert au monde associatif. Accessoirement, le médecin travaille
plus de 35 heures par semaine et voudrait avoir une vie de famille.
Face au médecin, le patient est un mutant qui est qualifié de « global de corps et d’esprit », debout,
sans pyjama, une carte d’électeur à la main, avec une oreillette pour être à l’écoute du monde et un
téléphone pour commander tout seul ses médicaments.
Enfin, les rapports entre le médecin et le patient évoluent dans un contexte caractérisé par une
médecine corsetée, engainée par tant de lois, de décrets, d’arrêtés, de circulaires et de
recommandations en tout genre qui l’ont fait progressivement glisser du marché vers la
réglementation, sous l’éclairage aveuglant d’une régulation administrative centralisée. L’exercice
libéral s’effiloche comme une peau de chagrin et la belle indépendance affichée jadis par nos aînés
se craquelle sous les coups de boutoir réitérés des contraintes administratives, sociales,
économiques et juridiques réunies et renforcées, mais parfois contradictoires. J’ai l’impression que le
métier de médecin est difficilement définissable dans cet environnement. En tant qu’observateur,
patient et citoyen, je me félicite de l’indéfinissabilité du médecin, car l’être humain est complexe. En
définitive, le métier de médecin se caractérise par les rapports entre deux hommes. C’est pourquoi
nous revenons à l’idée du colloque singulier.
Je vous propose maintenant de laisser la parole aux neuf témoins et experts avant d’organiser le
débat avec l’assemblée. Je demanderai à Etienne Caniard, qui est Président de la mutuelle des
agents des impôts, d’intervenir le premier. Vous êtes, Monsieur Caniard, l’auteur d’un rapport sur la
place des usagers dans le système de soins. Ma description du médecin vous paraît-elle fidèle à la
réalité ?
Les témoignages
Etienne CANIARD
La description du médecin dépend du point de vue adopté. Le médecin ne se décrira pas comme le
décrit le patient et ce dernier n’en aura pas la même définition que les institutions. Je ne suis pas
convaincu de la nécessité de définir la profession. Je préfèrerai aborder la problématique du nouveau
métier par la recherche des éléments qui ont évolué dans l’entourage du médecin et sur les
conséquences de ces évolutions sur l’exercice médical.
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Je suis issu du milieu mutualiste et du Ministère des Finances, bien que je ne préside plus la mutuelle
des agents des impôts. Je partage mes activités entre les régimes obligatoires des financeurs et les
mutuelles complémentaires. Je vous rappelle que je représente la mutualité auprès de la Caisse
Nationale d’Assurance Maladie. Par ailleurs, j’ai animé les Etats généraux de la Santé et j’ai publié
un rapport sur la place de l’usager dans le système de santé. Bien que l’analyse du système de santé
soit désormais admise dans les mentalités, elle constituait encore une petite révolution dix ans
auparavant.
Lors des Etats généraux de la Santé, nous avons beaucoup évoqué la médicalisation du social et
l’attente pressante de la société à l’égard de la médecine pour la prise en charge de maux qui ne sont
pas obligatoirement de son ressort. De plus, nous nous sommes interrogés, de manière provocatrice,
sur la nécessité de socialiser la médecine après avoir médicalisé le social. Néanmoins, nous n’avions
pas retenu cette formulation lors de la préparation des Etats généraux de la Santé, car elle risquait
de provoquer une confusion des genres et des rôles, notamment en matière de responsabilité
partagée.
Lorsqu’il évoque le partage des décisions, l’Ordre des médecins semble avoir dépassé les attentes
des usagers, car ces derniers n’ont pas encore demandé le partage des décisions. Bien que le
paternaliste ne soit plus de mise et que les malades souhaitent l’instauration d’un dialogue avec leur
médecin, je ne suis pas certain que ces derniers attendent une véritable relation équilibrée. La
relation entre la personne malade et celle qui veut la guérir ne sera effectivement jamais équilibrée.
Par conséquent, il n’est pas opportun de chercher à instaurer une relation parfaitement équilibrée qui
ne correspond ni à l’attente des patients ni à un bon exercice de la médecine.
En revanche, je suis convaincu que les usagers ont de fortes demandes. Vous constaterez que
j’emploie volontairement le terme « usager » au lieu du terme « malade », car la personne malade
rencontre parfois des difficultés pour exprimer une demande à cause de son état de faiblesse et de
relative dépendance. L’usager revêt une dimension collective qui permet d’exprimer une attente
légèrement détachée du vécu individuel.
J’ajouterai que la première demande des usagers concerne la qualité. Nous sommes passés d’une
confiance aveugle à une suspicion excessive, générant une exigence de qualité dans l’exercice
individuel de la médecine. Le débat sur les procédures d’habilitation est indéniablement demandé par
les malades, car ceux-ci veulent connaître les compétences et les qualifications de leur praticien. Ils
savent, en effet, que le métier est devenu plus complexe, que la spécialisation s’est accrue et que les
médecins n’ont pas la possibilité d’exercer toutes les facettes de la médecine. Le Conseil scientifique
de la CNAM a mené une enquête auprès des sociétés savantes sur ce thème démontrant que celles-
ci sont favorables à l’information des patients sur les qualifications de leur médecin. Bien que le sujet
reste tabou, car il entraîne de profondes modifications dans l’organisation de notre système de santé,
nous constatons que les sociétés savantes commencent à édicter des normes en matière de
formation, de nombre d’actes, d’environnement des actes, que les patients souhaiteraient connaître.
De plus, les patients pointent les problèmes de continuité et de coordination des soins, qui ont été
évoqués dans un texte rédigé, au mois de juin 2001, par l’Ordre des médecins sur les nouveaux
modes d’exercice. L’application de ces idées nécessite de réaliser des transformations profondes qui
affectent les modes de rémunération et les modes d’organisation du système de soins.
J’ajouterai que nous avons reçu, lors de l’organisation des Etats généraux de la Santé, de
nombreuses interrogations des patients sur les contours des métiers de chaque professionnel de
santé. Nous avons été surpris, par exemple, que la consultation systématique d’un ophtalmologiste
avant la réalisation d’un bilan visuel interpelle les patients, car d’autres pays ont retenu d’autres
organisations. Ces questions complètent, par exemple, le problème de la démographie médicale et
nous conduisent à nous interroger sur les conséquences de ce facteur sur l’évolution des métiers de
la santé. Nous pouvons imaginer que les techniques de numérisation des examens ophtalmologiques
permettront demain de confier la réalisation d’un fonds d’œil à un infirmier, ou à un technicien. Le
dépistage de certaines maladies, comme le diabète, serait peut-être plus performant qu’actuellement.
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Par ailleurs, les généralistes disposeront bientôt, dans leur cabinet, de nombreux automates leur
permettant de pratiquer des examens biologiques. Ces évolutions ne doivent-elles pas nous inciter à
redéfinir le contenu des métiers et revoir l’organisation de la médecine ? Bien que la diminution du
nombre de médecins provoque des tensions dans certaines spécialités, je persiste à croire que nous
devons saisir cette évolution pour réorganiser les contours des métiers. Si nous conservons les
modes d’organisation actuels du système de santé, nous courons à la catastrophe.
Philippe LEFAIT
Le professeur Laurent Degos insiste beaucoup dans son introduction au Livre de la Médecine sur le
droit du patient à l’ignorance.
Etienne CANIARD
Le droit à l’ignorance doit être individuel. En revanche, l’exigence de transparence est collective. La
difficulté réside dans l’association de ces deux concepts.
Bernard HOERNI
Je rappelle que le Livre de la Médecine est signé par Michel Serre, qui n’est pas un médecin, mais
un philosophe.
Philippe LEFAIT
J’ai effectivement précisé dans mon introduction que cet ouvrage était encadré par des philosophes.
Avez-vous des idées, Gilles Johanet, pour que la médecine ne « soit plus corsetée, engainée par tant
de lois, d’arrêtés, de circulaires et de recommandations en tout genre » ?
Gilles JOHANET
Avant de commencer la séance, j’avais prévu de m’entretenir avec Etienne Caniard afin
d’harmoniser nos propos. Bien que notre discussion ait été abrégée par le début de la réunion, vous
constaterez que nos propos convergent, alors que nos positions de départ sont différentes. Je pense
que le métier revêtira quatre caractéristiques.
un métier coordonné
L’exercice solitaire de la médecine se nimbe d’une coloration crépusculaire qui en assure toute la
beauté, tout en lui donnant une dimension mortifère dans laquelle il ne faudrait pas se complaire.
une médecine référencée
L’exercice de la médecine basé sur les preuves s’avère très controversé aujourd’hui.
Philippe Lefait disait que la science ne peut pas être le cœur de la médecine. Or le débat ne porte
pas sur ce point. Le véritable débat consiste à s’interroger sur l’utilisation de la science comme
socle de la médecine.
une médecine certifiée et habilitée
La compétence ainsi définie constitue un repère pour le patient et une balise dans l’évolution de
la carrière du praticien.
un métier recentré
J’ai particulièrement apprécié la référence au piano du Président Hoerni et au sens de son propos
introductif qui répondait à Paul Lafargue. Ce personnage, qui était le gendre de Karl Marx, était
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