Collection Jean MALKA Le désir d’apprendre Enjeux et dynamiques de la relation d’apprentissage Préface de Vincent Moreau Le désir d’apprendre Rue des Écoles Le secteur « Rue des Écoles » est dédié à l’édition de travaux personnels, venus de tous horizons : historique, philosophique, politique, etc. Il accueille également des œuvres de fiction (romans) et des textes autobiographiques. Déjà parus Martory (Yvon), Le Syndrome de Blas, 2014. Larbodière (Marie-Flore), Une année singulière, 2014. Bastien (Barbara), Carnets de femmes, 2014. Servin (Michel), L’entretien froid, 2014. Bizet (Claude), Oser l’impossible, 2014. Lassère (Bernard), Un avenir de gloire, 2014. Gonse (François), Professeur d’anglais en Chine, 2014. Temple (Henri), Théorie générale de la nation, 2014. Marc (Jacques), Paroles en l’air, 2014. Adam (Norbert), Mes jeunes années courent dans la campagne…, 2014. Beauvais (Paul), À la vie… À la mort, 2014. Paul (Elisabeth), Les tribulations d’une coopérante belge au Mali, 2014. Ces douze derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.harmattan.fr Jean MALKA Le désir d’apprendre Enjeux et dynamiques de la relation d’apprentissage Préface de Vincent Moreau © L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris www. harmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-02783-8 EAN : 9782343027838 Du même auteur Psychopathologie en service de pédiatrie, Pédopsychiatrie de liaison, ouvrage collectif dirigé par Ph. Duverger, Elsevier-Masson, 2011, coll. « Les âges de la vie ». Le poids du corps à l’adolescence, ouvrage collectif dirigé par Annie Birraux et Didier Lauru, Albin Michel, 2014. Remerciements A Anne, qui fut la première à croire en ce travail d’écriture, et à m’offrir le temps que je lui ai dérobé. A Vincent Moreau et Philippe Duverger qui me font l’honneur et l’amitié de "border" ce texte de leur plume. A Annie Wallet pour sa relecture et ses encouragements si sincères. Préface D’emblée, Jean Malka nous montre le lieu de l’apprentissage. Ce livre n’est pas une méthode pour bien apprendre mais une analyse approfondie de ce qu’est le rapport au savoir pour un enfant, au cours de différents chapitres illustrés de vignettes cliniques. Il nous décrit très précisément la complexité de la question. L’enfant nait prématuré. Il ne peut se débrouiller seul, il a tout à « apprendre ». Mais le savoir n’est pas l’apprentissage, scolaire en particulier. L’enfant est préoccupé par un autre savoir, sur la sexualité, comme nous l’a enseigné Freud, ses origines, le désir qui a précédé sa naissance et bien d’autres savoirs comme nous l’illustre Jean Malka dans de nombreux exemples simples et éclairants. Comme nous le montre Lacan dans son Séminaire Encore, le savoir est « à prendre » dans l’Autre. Toute la question est là. Le grand Autre peut être la mère, le père, la figure de l’enseignant mais aussi le lieu du langage, là où se situe le réservoir de tous les mots, les signifiants qui constituent le langage et la parole. L’enfant doit faire l’effort d’aller chercher ce savoir dans l’Autre. Il ne paie ce prix qu’en échange d’une jouissance, d’une libido récupérée de la perte qui consiste à se soumettre aux fourches caudines de l’entrée dans le langage et la parole, ce qui est un effort considérable du fait de la prématurité de l’enfant humain. Chez beaucoup d’enfants il y a une impossibilité à aller chercher ce savoir dans l’Autre, due à sa situation familiale, son 9 histoire, les différents traumatismes qu’il a subis, le rapport à son enseignant. C’est alors l’échec scolaire. Il faut différencier l’échec à l’école et l’échec de l’école. Ce n’est pas parce qu’un élève échoue scolairement qu’il va échouer dans ce qui sera son intégration dans la société qui est la sienne et inversement le très bon élève ne sera pas forcément celui qui saura prendre sa place dans le monde qui est le sien. La stigmatisation actuelle de tout échec scolaire prend ce visage de l’autorité autoritaire alors que l’échec à l’école, comme nous l’a montré le film documentaire « entre les murs » de Laurent Cantet, ouvre sur un possible d’une vie sociale. Là est l’autorité de l’école. La psychanalyse nous a montré que l’échec à l’école n’est pas le drame subjectif que l’opinion veut nous faire croire. Il reflète la passion, le symptôme, la jouissance, l’ambivalence, le désir. Il peut consister en une rupture nécessaire. Ce qui compte, ce n’est pas la forme du savoir transmis mais son contenu. Ce contenu est étroitement lié à celui qui l’enseigne. Les élèves ne s’y trompent pas. Ils savent reconnaître la passion pour le savoir de celui qui enseigne, c’est-à-dire quelque chose de son désir. C’est cela ce qui fait autorité. Aucune méthode pédagogique, aussi bonne soit-elle, ne peut faire l’impasse du sujet, du sujet enfant qui s’est construit son symptôme de façon unique et particularisée, symptôme qui le met face au savoir et aux aléas de ses apprentissages à l’école, sujet enseignant face à son propre désir d’enseigner, de transmettre une part de la libido et de la jouissance qu’il a récupérée lui-même de sa propre accession au savoir, tout en ayant fait le tour de ses manques, autre nom de la castration. Beaucoup d’enseignants témoignent de ce « savoir y faire ». Jean Malka nous montre très bien cet enfant qui doit intégrer globalement tous les aspects d’une position subjective et non un enfant découpé par la science en différents « dys ». 10 De cette subtile rencontre entre le maître et l’élève naît le désir de savoir, soutenu par une réponse à la question de l’enfant : « que me veut cet Autre ? » avec en filigrane le désir parental. S’il me veut du bien, c’est le champ des possibles, s’il me veut du mal, position imaginaire ou réelle, c’est le champ de la pulsion de mort. L’Autre de l’autorité devient celui qui jauge, celui qui juge. Le surmoi féroce entre en scène avec son cortège d’inhibition intellectuelle, de refus de savoir, de phobie scolaire, d’agitation psychomotrice, de manque de concentration, d’agressivité, de dépression et parfois, au pire, de passage à l’acte. La perte du désir d’apprendre ouvre la porte à la jouissance une, au un par un, pour combler le manque à être. Les objets consommables viennent remplacer le savoir, celui qui fait communication, sens commun et paradoxalement isolent même s’ils sont multipliés au sein des réseaux sociaux adolescents. S’il n’y a plus de sens commun, c’est alors le non-sens. Alors, lisez ces pages. Vous verrez comment un pédopsychiatre retrouve le sens du symptôme, par le travail théorique et par le travail lent et appliqué auprès de chaque sujet, celui qui desserre ce sujet des tenailles de la pulsion de mort. Dr Vincent Moreau Psychiatre 11 « Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant : le droit de chercher sa vérité. » Louis Germain, Alger, le 30 avril 1959. Extrait de sa lettre à Albert Camus, en réponse au vibrant hommage que rend l’écrivain à son ancien instituteur après l’obtention du Prix Nobel de littérature. . Introduction L’apprentissage concerne la rencontre de deux savoirs et de deux désirs : celui de l’adulte enseignant et celui de l’enfant élève. Dans le texte qui va suivre, la place du savoir dans l’appareil psychique de l’enfant, ainsi que l’aptitude de ce dernier à accueillir le désir de transmettre de l’adulte, est interrogée. Si l’école a pour objectif pédagogique celui d’offrir aux élèves un savoir commun servant l’identité groupale et les acquisitions conduisant à l’autonomie, la relation d’apprentissage qui s’y déploie implique une rencontre entre le maître et l’élève en tant que tous deux sujets, et non en tant que respectivement sachant et ignorant. Mais le rapport d’autorité, qui fonde la relation d’apprentissage, l’est moins par le fait d’un rapport au savoir que par le fait d’un rapport à la Loi. Loi en tant que causée précisément par le fait que se suffire à soi-même est source d’enfermement, d’exclusion, et qu’il doit toujours exister hors de soi un morceau de monde, un morceau de savoir qu’il convient d’aller chercher chez l’Autre. Ainsi, cette Loi n’est pas à saisir dans un rapport hiérarchique entre deux individus, mais comme la condition de la rencontre entre ceux-ci. Toute différente est la notion de « règles », à comprendre comme le cadre concret de cette rencontre, ici l’école, cadre dont l’adulte est en revanche clairement le garant. Un cadre, disons hiérarchique, dont il va s’agir de prendre soin pour faire 15 de cette rencontre le lieu de l’avènement du maître et de l’élève comme sujets. Le problème qui se pose aujourd’hui semble précisément lié à une très problématique confusion entre la règle et la Loi. Si la règle est incarnée par celui qui en est le garant– en l’occurrence l’enseignant- la Loi n’a de sens qu’en tant que produite par la rencontre de deux sujets par essence manquants et désireux de combler ce manque ensemble, ici à travers la relation d’apprentissage qui fonde le lien d’autorité, comme nous le verrons au fil de cet essai. De cette confusion entre règle et Loi, entre hiérarchie et autorité découlent en cascade toute une série d’autres confusions parmi lesquelles la confusion entre la notion de soumission et celle d’obéissance, dans laquelle obéir à une règle du jeu est hélas parfois vécu par l’enfant comme le fait de se soumettre à celui qui est le garant de cette règle : le professeur et son savoir. Dans bien des cas, la relation d’apprentissage se trouve profondément altérée par le fait que les enfants ont toutes les peines à identifier l’enseignant comme celui sur l’autorité et le cadre duquel ils pourraient s’appuyer pour tracer leur propre chemin. Dans le pire des cas, l’enseignant devient même, aux yeux de l’enfant, un autre qui tantôt abandonne, un autre qui "lâche", tantôt envahi d’exigences auxquelles l’enfant se montre incapable de répondre autrement qu’à travers des symptômes (violence, rejet, inhibition, enfermement, dépression…) dont l’école se fait aujourd’hui quotidiennement le triste écho. Mais quels sont les déterminants possibles de cet échec lorsqu’il a lieu ? De quel savoir l’Autre est-il détenteur aux yeux de l’enfant ? Qu’est-ce que le savoir ? Est-ce un objet que l’on transmet ? Est-ce un objet que l’on partage ? Est-ce encore un objet que l’on construit, seul ou ensemble ? Un objet qui 16 tirerait alors sa valeur de la rencontre entre deux sujets désirants, réunis par un rapport d’autorité faisant de l’un (ici le maître) celui par lequel l’autre (ici l’élève) recevrait le sens de ce qu’il tente d’énoncer à travers ses propres tentatives de productions de savoir. Ce texte aborde les différents aspects dynamiques de la relation d’apprentissage chez l’enfant. Il propose d’aborder cette relation comme un lieu de résonance entre deux appareils cognitifs - celui de l’enfant et celui de l’adulte - au départ non équivalents sur le plan de l’efficience, mais aussi entre deux psychés et deux statuts (celui d’élève et celui de maître), non moins dissymétriques. Le point de vue privilégié est celui de l’enfant dans sa relation dynamique avec l’enseignant. Comment un jeune sujet vit-il la relation d’apprentissage ? Là réside toute la question à l’élaboration de laquelle nous nous proposons de contribuer. Loin d’être un essai de pédagogie, pas plus un précis de psychopathologie, cette réflexion oriente la question des apprentissages vers l’idée d’une dynamique du lien entre l’enfant et celles et ceux par lesquels cet enfant va devoir en passer, non seulement pour aller à la rencontre du monde extérieur, mais aussi pour se découvrir lui-même au sein de ce monde-là. L’enjeu de la relation d’apprentissage est donc ici situé au lieu même de la rencontre entre l’appareil psychique de l’enfant et celui de l’adulte, rencontre dont le statut de l’objet d’échange – le savoir – est ici interrogé. Le regard porté sur la nature de ce lien est celui d’un psychiatre d’enfants confronté à de très fréquentes demandes de consultations pour "difficultés d’apprentissage". Le constat est ainsi fait que nombre d’enfants concernés présentent des difficultés qui, souvent, interrogent non seulement leurs fonctionnements cognitif et psychique mais également leurs liens complexes. Dans cette perspective, la place accordée à la 17 nature du lien entre la cognition et le domaine psychoaffectif est ici abordée en tant qu’elle fait écho à la manière dont l’enfant et l’adulte se rencontrent au sein de la relation d’apprentissage. A partir de cette analyse, quelques hypothèses sont développées quant aux rapports entre la relation d’apprentissage chez l’enfant actuellement scolarisé et la rencontre inaugurale de cet enfant avec le langage, dont la particularité est d’être, à l’instar du savoir, à la fois le fruit d’une production, d’une création de l’enfant comme sujet, et le fruit d’un apprentissage de ce même enfant auprès de "l’adulte transmetteur". Qu’en est-il donc du statut de ce mystérieux objet – le savoir - à mi-chemin entre le "soi" et le "non-soi" ? Qu’en estil de la manière dont le discours de l’enfant et celui de l’adulte vont pouvoir s’ajuster l’un à l’autre autour de cet objet aussi nécessaire à partager qu’à départager, aussi saisissable qu’insaisissable, aussi rigoureux que mystérieux qu’est le Savoir ? C’est à partir de l’origine et de la philologie de quelques « mots clefs » dont nous avons croisé la rencontre avec la clinique et ce qu’elle nous enseigne, que nous avons tenté de restituer à la relation d’apprentissage son sens, son essence. 18 Apprendre A. Rey (2010) nous enseigne que le verbe apprendre est un verbe transitif venant du latin populaire apprendere, du classique apprehendere (appréhender) au sens psychologique de ce verbe. Dès l’ancien français, le verbe signifie "saisir par l’esprit" et "acquérir pour soi des connaissances" (v. 950), valeurs parallèles à celles de comprehendere, comprendere (comprendre). Il se dit aussi (v. 1140), pour "donner à autrui (des connaissances)" : apprendre à qqn à, aussi apprendre qqn à… (v. 1190), ainsi que pour "instruire qqn" (mil. XIIe s.), sens disparu, mais qui a donné bien appris et mal appris. La valeur concrète de apprehendere existe aussi en ancien français (v. 1120), ainsi que le sens d’"allumer" (XIIIe s.) qui correspond à "faire prendre le feu". Le sens subjectif du verbe, construit avec à (1080), correspond à "contracter une habitude" et à "devenir capable de (qqch.), par l’expérience". Quant aux opérations intellectuelles d’acquisition des connaissances, elles sont assez précisément senties pour qu’un emploi absolu (le désir d’apprendre, etc.) se dégage très tôt (v. 1175). Des valeurs nouvelles sont apparues, comme apprendre à qqn, au sens de "l’obliger, le contraindre" (XVIIe s., Retz), notamment dans des formules de menace, telle je vais t’apprendre à…et infinitif, ou encore dans ça lui apprendra, sans complément. 19