Petite introduction aux théories évolutionnistes 5
l’environnement et de leurs capacités reproductrices, à une différence près : de temps en
temps, les altruistes adoptent un comportement qui a pour effet de favoriser les autres
individus du groupe au détriment de leur propre fitness (par exemple en distribuant sans
discrimination une grande partie de leur nourriture de base). En agissant de la sorte, les
altruistes perdent un peu de viabilité et de fécondité potentielle tout en permettant à un bon
nombre de leurs congénères de se développer et d’investir de l’énergie dans leur propre
descendance. Il s’ensuit que, si à la fin de la première génération, on compare les fitness
respectives d’un individu altruiste et d’un individu non altruiste, on remarque que, quelle que
soit la fitness de l’altruiste, elle sera inférieure à celle du non-altruiste. En d’autres termes,
cela signifie que le nombre moyen de petits par individu non altruiste sera supérieur au
nombre moyen de petits par individu altruiste. Et ceci reste valable quelle que soit la
proportion d’altruistes au sein du groupe.3 Ainsi, à la génération suivante, la proportion de
non-altruistes aura augmenté par rapport à celle des altruistes, et ainsi de suite de génération
en génération jusqu’à la disparition complète des altruistes.
A ce propos, il faut remarquer que plus il y a d’altruistes dans le groupe plus la fitness
moyenne des individus de ce groupe sera haute (à condition que les actions altruistes amènent
un bénéfice global en terme de fitness qui soit supérieur à la perte de fitness individuelle). Et
inversement, si une population donnée passe d’une majorité d’altruistes à une majorité de
non-altruistes (ce qui est le cas dans notre exemple), alors la fitness moyenne des individus de
cette population baisse. Voilà une raison supplémentaire de s’attrister de la disparition des
altruistes !
Le modèle ci-dessus montre bien que, quelle que soit la population considérée, le trait
de l’altruisme est tragiquement voué à l’extinction. Ce phénomène est dû à la pression de la
sélection naturelle au fil des générations. En d’autres termes, la théorie de l’évolution semble
prédire que les comportements altruistes, par définition, ne peuvent pas supporter la pression
de la sélection naturelle ; ils sont forcément voués à la disparition au profit des
comportements non-altruistes (et cela même si du point de vue du groupe, il est préférable que
les individus soient altruistes).
Or, et c’est ici qu’apparaît le paradoxe, on peut observer dans le monde animal des
comportements altruistes, ou du moins qui ont tout l’air d’être altruistes ! L’exemple des
abeilles kamikazes cité plus haut n’est pas une invention ; il s’agit d’une observation
empirique devant laquelle Darwin lui-même est resté perplexe. Ainsi, les théoriciens de
3 En réalité, plus il y a d’altruistes dans une population mieux se portent les égoïstes (puisqu’ils profitent des avantages
sans rien donner en retour).